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« ...Le sacré n'est pas d'essence spirituelle! »

La sacralité en soi n'est peut-être pas contraire à l'expérience spirituelle authentique. Mais comme ses fondements sont plus anthropologiques et psychologiques que spirituels, l'objet du sacré se déplace en fonctions des diverses évolutions intellectuelles et psychologiques de nos sociétés. Nous avons peu de prises sur ces mutations. On peut juste observer que les symboles religieux sortent progressivement de la sphère sacrée et que d'autres entités ont tendance à s'y enfouir plus et plus (l'enfance, la Nature, les droits de l'homme...). Le jeune quidam catholique occidental piétinerait plus facilement une hostie consacrée que la Joconde et, aujourd'hui, même le prêtre catholique serait embarassé, quelques secondes au moins, devant l'alternative!

Il était quasi inévitable qu'un jour ou l'autre la question critique entre dans la sphère intellectuelle et il était quasi inévitable qu'on parle un jour de l'inconscient en psychologie pour y repérer les ferments de certaines angoisses et de certaines pulsions. Or l'étude de l'inconscient et la déconstruction critique des certitudes, par les décentrements radicaux qu'elles opèrent sont probablement parmi les causes les plus importantes de cette désacralisation progressive des symboles religieux. Le monde religieux lui-même a probablement accéléré le mouvement, parfois involontairement d'ailleurs (je pense ici aux effets de l'esprit luthérien et à d'autres réformes liturgiques...).

Mais peu importe les causes! On observe que c'est de moins en moins dans les cathédrales qu'on baisse le ton de la voix mais dans les salles d'attente des cabinets médicaux par exemple. (Osons même remarquer que le psychiatre surtout s'est complu à reprendre la fonction du prêtre et qu'il en singe volontiers les plus vilains travers! Le psychologue, de son côté, mime la "bonne soeur" d'autrefois... et lui invente de nouveaux travers!)

Il serait vain de croire qu'en imposant un silence respectueux aux touristes qui visitent nos cathédrales nous puissions ressusciter en eux le sens du sacré. Ces mutations sont beaucoup plus subtiles et nous n'en tenons pas les rênes.

La situation n'est pourtant pas tout à fait désespérée pour ceux qui aiment l'usage du sacré en matière de culte. La désacralisation ne concerne pas tout le champ du religieux. A mieux y regarder on peut remarquer que si l'on ne remue plus facilement les peuples occidentaux autour d'un blasphème religieux comme on on peut encore l'observer dans des populations moins systématiquement critiques en ces matières, toute démarche spirituelle sérieuse reste respectée et ce n'est pas que le privilège des grandes figures de la charité comme Teresa... Les moines contemplatifs par exemples, quoiqu'on en dise, restent silencieusement respectés. (La répercussion en Europe du drame de Thibérine en témoigne à l'envi.)

Il n'est pas paradoxal que ces moines soient plus respectés que le Dieu qu'ils servent ...s'ils servent un Dieu (la majorité des moines dans le monde est bouddhiste!). C'est que le mot 'Dieu', dans nos sociétés multiculturelles peut ne "recouvrir" qu'un symbole intellectuel ou social tandis que le mot "moine" (ce fou en quête de la jouissance spirituelle avec ou sans 'Dieu') recouvre encore une réalité symbolique plus anthropocentrée, plus universellement constitutive de la psychologie humaine.

 

Chiangmai - Novembre 2007

 

Moine archétype...

"...Tout le monde n'est pas capable, ou susceptible d'être à sa place dans un monastère, mais tout le monde porte en soi une dimension monastique qui devrait être cultivée. L'état monacal est un constituant, une partie, une dimension de l'être humain, un archétype ; mais le monastère est un totum , une organisation globale de la vie humaine. Le moine se trouvant dans un cadre institutionnel souffre le plus souvent du fait que ses impulsions vitales vers la plénitude sont réfrénées parce qu'elles sont partiellement absorbées par l'institution totalisante, et fréquemment sacrifiées au bénéfice de l'institution. L'expérience nous montre trop souvent le moine cherchant la perfection humaine à laquelle il aspire en dehors du monastère (plus loin, je défendrai le monastère en tant qu'organisme vivant, et non en tant qu'organisation)...."

Raimon Panikkar - "ÉLOGE DU SIMPLE ou le moine comme archétype universel" - Albin Michel 1995 -Page 29 - (Traduit de l'espagnol par Alexandra Delfolly)

 

"Symbole", "concept" et "mot"... A bien distinguer dès que l'on veut entrer dans un dialogue inter-religieux!!!

Raimon Panikkar, un théologien qui devrait intéresser tous ceux qui participent au dialogue inter-religieux a écrit ce qui suit:

(.) Tout symbole est tel parce qu'il est et non parce qu'il est interprété dans un contenu objectif de connaissance. Il n'y a pas d'herméneutique possible du symbole, parce que sa propre interprétation se situe en lui-même. Le symbole est sym-bole (jeter ensemble) quand il établit une relation avec, c'est-à-dire quand on le reconnaît comme tel. Un symbole qui ne parle pas immédiatement à celui qui le perçoit cesse d'être symbole. On peut nous enseigner à lire des symboles, mais, tant que nous ne comprenons pas directement ce que nous lisons, le symbole est lettre morte.

A la différence des concepts, univoques, au moins dans l'intention, les symboles portent plusieurs sens. Le symbole est éminemment relatif, non dans le sens de relativisme, mais de relativité, de relation entre un sujet et un objet. Le symbole est à contempler et ne prétend être ni universel ni objectif. Il est concret et immédiat, c'est-à-dire sans intermédiaire entre le sujet et l'objet. Le symbole est à la fois objectif et subjectif ; il est constitutivement relation. Le symbole symbolise donc, établit une relation avec ce qui est symbolisé en lui et non pas autre « chose ». (.)

Raimon Panikkar - "L'expérience de Dieu" - Traduction de l'espagnol par Jacqueline Rastoin - Chap. 1, Section 6, p. 27-28 - Albin Michel - 1998

Si ce point n'est pas clair, je vous propose de lire ceci