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La Loi accomplie par une Justice «surabondante» (Mt5,21-48)

Par Jean Radermakers ("Au fil de l'évangile selon St. Matthieu", p.90, 1972, éditions I.E.T.

L'accomplissement de la Loi par Jésus n'est pas d'ordre purement doctrinal ; sans doute, il interprète cette Loi, commentée elle-même par les Prophètes, mais il ne le fait pas «comme leurs scribes» (cf. 7,29) en ajoutant son avis personnel à la suite déjà imposante de ceux qui l'ont précédé, à l'instar des docteurs de la Loi. L'inter­prétation qu'il donne est d'un autre ordre: elle est l'engagement même de sa vie et de sa mort. Mais pas plus qu'il ne substitue une Loi nouvelle à l'ancienne, il n'y ajoute de préceptes nouveaux; il n'est pas venu abolir la Loi (5,17) donnée aux ancêtres, désignant par là autant les générations du désert que celles de la Terre promise et du judaïsme d'après l'exil. Jésus replace la Loi dans sa situation originale, simple et radicale à la fois.

Ainsi, la défense du décalogue réglant les relations entre frères: «tu ne commettras pas de meurtre» (cfr Ex 20,3 et Dt 5,17) vise, pour Jésus, outre la mort physique, toute espèce d'atteintes morales portées au frère, explicitées par la triade: se fâcher contre lui, l'appeler «Raka», c'est-à-dire à peu près «tête vide» ou «crétin», ou le traiter d'«insensé», ce qui signifie «renégat» (5,21-22 ; cfr Ps 14,1 ; 53,2). L'illustration positive de cette exigence est fournie par les deux sentences sur la réconciliation et la bienveillance, en même temps que nous est donnée la double raison qui la fonde: un rapport authentique avec Dieu et une juste appréciation des pro­cédés humains d'intimidation et de pression. La démarche de l'hom­me présentant à Dieu son offrande lui permet de se souvenir, non pas seulement d'un tort commis contre autrui, mais d'un grief d'autrui à son égard; la logique même des relations avec Dieu, qui commande tous les comportements humains, impose le devoir de ré­conciliation (5,23-24). Il en va de même dans le cas de deux plai­deurs: la peur de la légalité implacable des hommes invite à me­surer les limites de la justice des tribunaux, mais en même temps à retrouver la vérité de sa conscience (5,25-26).

Un deuxième accomplissement est proposé, relatif à la situation de l'homme devant la femme dans le cadre du mariage; Mt unit ici une sentence de Jésus sur l'adultère à une autre qui a trait au di­vorce, moyennant l'inclusion: «commettre un adultère» et «la fait être adultère» (vv. 27-28 et 32). La radicalisation de la loi est bien marquée; elle signifie: non seulement tu ne rompras pas le foyer de ton frère en prenant sa femme, mais tu ne laisseras pas naître en toi le désir de provoquer cette rupture. L'intégrité du foyer d'autrui est tellement importante à respecter, pour qui veut vivre en droiture la prescription de l'Alliance: «Tu ne commettras pas l'adultère» (Ex20,14 et Dt5,18), qu'elle l'emporte sur l'intégrité physique, pourtant si chère et si précieuse à l'homme, car l'exil lui permet de se diriger et la main d'agir (5,29-30). Si le texte de Mt ne vise pas directement la mutilation physique, l'hyperbole exprime avec quel sérieux il faut prendre l'exigence réelle et absolue de la Loi. Notons d'ailleurs que plus d'un texte rabbinique se montre excessivement sévère à propos de l'adultère. (Voir par exemple J. BONSIRVEN, Textes rabbiniques des deux premiers siècles chrétiens, Roma, Pont. Inst. Bibl., 1955, notamment pp. 314-342 et 408-423. La Règle de la Communauté de Qumrân réprouve aussi la convoitise du regard (1QS1,6; V,5 ; cfr Nb15,39; Ez6,9) comme d'ailleurs la colère à l'égard des frères (1QS 111,9; V,25, VI,26-27; VII,8-12 ; ...). Cfr J. CARMIGNAC, op. cit., t. I.)

Mentionnons, à propos de ce passage, la difficulté d'interprétation que pose ce qu'on a appelé la «restriction matthéenne», en 5,32, comme d'ailleurs en 19,9; on la traduit de différentes manières: «hors le cas de fornication», «hors le cas de prostitution», «ex­cepté le cas d'impudicité légale», etc. Certains s'étonnent de trouver ici une exception dans la bouche de Jésus, alors que tout le contexte va dans le sens de la radicalisation; aussi des exégètes font-ils re­monter la restriction, non au Christ, mais à Mt, puisqu'elle est absente des parallèles de Luc (16,18) et de Marc (10,11-12). On sait que le divorce était permis par la Loi de Moïse en cas d'«in­conduite» de la femme (cfr Dt24,1-4, cité ici librement par Mt), et que les écoles rabbiniques s'employaient à définir cette «incon­duite» de façon assez large, comme celle de Hillel, ou stricte, comme celle de Shammaï; ces querelles d'interprétation, impor­tantes pour la vie conjugale, on le conçoit sans peine, auraient laissé des traces dans les communautés judéo-chrétiennes. Le terme qui fait problème est celui de 'porneia', employé par la Bible entière, de façon générale, pour désigner la «fornication» ou l'«adultère», et dans un sens particulier et technique pour caractériser un certain nombre d'unions illégales décrites en Lv18. Ainsi, en Ac15, 20 et 29 et 21,25, il s'agit de mariages contractés à des degrés de pa­rentés interdits, le Concile de Jérusalem demandant aux païens convertis au christianisme de revenir à la stricte observance de Lv18, en réaction contre certaines exceptions autorisées par le judaïsme pour des païens passés à la foi juive. Dans le premier cas (sens général de 'porneia'), il faudrait comprendre le texte de Mt5,32 comme une condamnation d'adultère portée par Jésus, non tant sur le fait de répudier sa femme (v.32a) que sur celui d'en épouser une autre (v.32b). Mt, précisant la pensée de Jésus pour les com­munautés chrétiennes, permettrait le renvoi de la femme pour un motif légitime - il s'agirait alors de la séparation de corps - mais non le remariage (Telle est l'explication, difficilement convaincante, adoptée par J. DUPONT dans son étude fouillée : Mariage et Divorce dans l'Evangile (Mt 19,3-12 et paral­lèles), Bruges, D.D.B., 1959. Voir aussi les nuances apportées par B. SCHALLER, Die Spriiche über Ehescheidung und Wiederheirat in der synoptischen Uberliefe­rung, dans Der Ruf Jesu und die Anttvort der Gemeinde. Festschrif t fûr J. Jere­mias, Gâttingen, Vandenbroeck Ruprecht, 1970, pp. 94-111.)

Dans le second cas (sens particulier et tech­nique), il faudrait traduire le terme en question par «impureté légale» en supposant que Mt, interprétant toujours la pensée de Jésus, aurait eu en vue des mariages consanguins (ceux de Lv18) déjà existants, soulignant que dans ces cas, le renvoi restait évi­demment permis; mais il faut bien avouer que, s'ils existaient dans l'Eglise primitive, ces cas ne pouvaient être légion (Cette interprétation est défendue par J. BONSIRVEN, Le Divorce dans le Nouveau Testament, Paris, Desclée, 1948, et reprise par P. BONNARD, op. cit., pp. 69-70.)

Plus récemment, on a tenté de comprendre notre verset soit comme une ex­ception réelle faite par Jésus à son interdiction de divorce, en en­tendant le mot 'porneia' d'une inconduite plus grave que l'adultère simple et momentané qui suffisait aux yeux de Shammaï (C'est la position, excessive à notre avis, prise par le P. A.M. DUBARLE dans son article Mariage et divorce dans l'Evangile, dans L'Orient Syrien 9 (1964) 61-73, qui a provoqué une réaction vigoureuse de J. DAUVILLIER, L'indis­solubilité du mariage dans la nouvelle Loi, dans L'Orient Syrien 9 (1964) 265-290.) , soit comme une directive concernant ce qu'on appellerait volontiers «la pastorale des divorcés», où Mt expliquerait, par son incise res­trictive, que la position radicale de Jésus se montrerait néanmoins «tolérante» ou «indulgente» pour une pratique sans doute en vigueur dans les communautés primitives, laquelle, constatant l'échec d'une première union, ne condamnerait cependant pas un remariage ultérieur au point de rejeter de l'Eglise et de ses sacre­ments un couple qui se trouverait dans le cas (C'est ce que développe l'article précis et nuancé de J. MOINGT, Le divorce « pour motif d'impudicité » (Matthieu 5,32 ; 19,9), dans Rech. Sc. Rel. 56 (1968) 337-384.)

Signalons enfin que ce verset trouvera une élucidation ultérieure dans son parallèle en Mt 19,9 que nous étudierons plus loin.

Un troisième exemple concret d'accomplissement concerne l'en­gagement entre hommes devant Dieu (Cfr P.S. MINEAR, Yes or No : The Demand for Honesty in the Early Church, dans Novum Test. 13 (1971) 1-13) . Mt l'aborde sous le biais du parjure ou faux serment condamné par la Loi, notamment par Lv19,12; Jésus étend cette condamnation à tout serment: il ne faut jurer ni par le ciel, ni par la terre, ni par Jérusalem. Ainsi il remet l'homme à nouveau en face de Dieu: on n'échappe pas à la vérité du Créateur, maître de l'élection et de l'histoire. Et si Jésus invite à «ne pas jurer du tout» (5,34 ), c'est que l'homme ne peut engager dans sa propre parole ce qui appartient à Dieu; ce serait là une tentative de mettre Dieu à son service, tentative dont l'inanité apparaît à l'évidence au v. 36, puisque l'homme n'est même pas capable de modifier la couleur de ses cheveux, dans le sens où il ne peut se faire plus jeune ou plus âgé qu'il n'est. En conclusion et de façon positive, le radicalisme de la Loi se con­crétise, pour Jésus, dans un langage simple, qui engage l'homme sans détour: «Oui? oui -Non? non» (Mt5,37), et qui demande de s'incarner dans l'action, comme le soulignaient déjà les textes de la Loi, en particulier Nb30,3 et Dt23,21-23 dont s'inspire la citation composite mise par Mt dans la bouche de Jésus en 5,33. Il y a une «surabondance» du discours humain qui camoufle intentionnellement les motivations profondes, dont la malice n'échappe pas au regard de Dieu; c'est devant lui que s'établit la vérité de tout dialogue humain.

Le terme «méchant», qu'il vient d'utiliser, donne à Mt l'occasion de considérer avec réalisme les rapports entre hommes et spécialement avec les méchants: tous ne sont pas d'entière bonne foi, et l'on sait combien est forte l'envie de se faire justice à soi-même lorsqu'on découvre une intention mauvaise chez son parte­naire. Déjà l'Ancien Testament, comme d'ailleurs le droit ancestral des voisins d'Israël (le code d'Hammourabi, par ex.), avait su limiter la propension anarchique de l'homme à la vengeance par la loi du talion, celle-ci imposant à l'agresseur le traitement strict qu'il avait fait subir à sa victime (cfr Ex21,24 Lv24,20; Dt19,21). Trois exemples vont illustrer l'accomplissement proposé par Jésus qui est, en fait, un renversement de perspective: le comportement qu'il recommande, c'est l'absence de résistance à l'agresseur auquel il ne faut pas «tenir tête», non seulement en ne répondant pas à la violence par la violence, mais encore en ne se défendant pas au moyen de la procédure légale. Ces trois exemples ne sont pas des hyperboles qui manifesteraient une pure intention: l'Eglise persécutée du premier siècle savait ce qu'il en coûte de prendre l'attitude commandée par le Christ; en même temps, elle en perce­vait la béatitude profonde puisque Luc pouvait écrire des apôtres qu' «ils s'en allèrent du Sanhédrin, tout joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom» (Ac 5,41). Ici encore, le comportement positif est fermement marqué: «à qui te demande, donne» (5,42), et la suite du discours montrera d'où vient la force de le prendre, puisque le Père lui-même «donnera à ceux qui lui demandent» (7,11); c'est donc avant tout la conformité à l'atti­tude du Père que Jésus met en lumière, et cela, dans les gestes courants de la vie quotidienne.

Enfin, le dernier accomplissement va prolonger encore le précé­dent en considérant l'amour du prochain allant jusqu'à l'amour des ennemis (Sur l'histoire de la rédaction de ce logion, cfr O.J.F. SEITZ, Love your Enemies, dans New Test. Studies 16 (1969-70) 39-54 ; sur son actualité dans le monde présent, voir J. RAUSCH, The Principal of Nonresistance and Love of Enemy in Mt. 5,38-48, dans Cath. Bibl. Quart. 28 (1966) 31-41. Cfr aussi : K. HRUBY, L'amour du prochain dans la pensée juive, dans N.R.Th. 91 (1969) 493-516.). Jésus commence par reprendre un précepte fondamental de la Loi, celui de Lv19,18 «Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis Yahvé». On sait combien ce précepte est cher au judaïsme; jouant sur les consonnes hébraïques du mot «pro­chain» (réac), qui peuvent signifier aussi «méchant, intention, bruit», les rabbins disent qu'il faut aimer son prochain dans son intention la plus profonde, même s'il est mauvais et s'il nous fait la guerre avec fracas. Aimer le prochain comme soi-même, c'est donc l'aimer avec tout l'amour qu'on peut porter à la réalité la plus intime de l'autre, et cet amour trouve sa source en Dieu. Mais si telle est la ligne de l'interprétation juive, on sait aussi combien «la haine» des ennemis est une réalité présente dans l'Ancien Testament, et particulièrement dans les psaumes dits «de malé­diction»: en fait, cette haine, chez le juste, atteint les ennemis de Dieu (cfr Nb10,35 ; Ps83,3) avec lesquels l'Alliance ne per­met pas de pactiser (cfr Ps50,16-21), ce qui, d'ailleurs, justifie la guerre sainte. Cette haine est l'expression de l'amour sans par­tage dû à Dieu (cfr Ps37; 73), comme l'affirme sereinement le Ps139,21: «Yahvé, n'ai-je pas en haine qui te hait... Je les hais d'une haine parfaite; ce sont pour moi des ennemis». On saisira sans peine le sens particulier que prend le terme «ennemi», dé­signant l'adversaire de la foi d' Israël ou, chez les qumrâniens, l'adversaire de la communauté messianique de l'Alliance rassem­blée au désert. Pour les communautés judéo-chrétiennes de l'époque de Mt, le mot «prochain» pouvait facilement s'entendre de ceux qui partageaient la même foi, comme le terme «ennemis» de ceux qui la rejetaient. Ce contexte historique permet de mieux saisir la portée de l'amour demandé par Jésus: tous les hommes sont frères, enfants d'un Père commun, dont l'amour dépasse les caté­gories de «méchants et bons» ou de «justes et injustes» si fréquentes dans l'Ancien Testament. L'allusion aux «publicains» et aux «habitants des Nations», c'est-à-dire aux «païens» (vv. 46-47) lève toute équivoque: il est normal de s'aimer et de se saluer entre comparses; personne ne s'en étonnera. Mais lorsqu'on voit apparaître un amour universel, on est curieux d'en découvrir la source; c'est jusque-là, en fait, que va la Loi, et c'est là ce qui fonde son exigence fondamentale: «Soyez parfaits», sur laquelle débouche la série des cinq «accomplissements» de la Loi. L'inter­prétation de celle-ci dépasse donc toute casuistique en ce sens qu'elle est elle-même commandée par une attitude filiale devant Dieu.

En conclusion, l'injonction de Jésus: «Vous donc, soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait» (5,48), prend tout son poids. Le thème de la perfection n'est pas étranger à l'Ancien Testament; outre le sens d'intégrité physique (cfr les règles sur le pur et l'impur de Lv11 à 15) et morale (cfr Gn17,1; Dt18,13) requise de ce qui est consacré à Dieu, la perfection prend aussi celui de fidélité à l'observance de la Loi (cfr la «béatitude» du Ps119,1). On le retrouve fréquemment dans les écrits de Qumrân, où la règle de la communauté prescrit au fidèle d'avoir une « con­duite parfaite » (1QS VIII, 18,21; IX, 2,5-6.8.9), désignant par là une obéissance totale et sans réserve de la Loi révélée telle que la comprend la secte ; on peut d'ailleurs y discerner diverses com­posantes (Comme l'écrit le P. B. RIGAUX dans son article : Révélation du M ystère et Perfection à Qumrân et dans le Nouveau Testament, dans New Test. Studies 4 1957-58) 237-262: « En résumé, nous avons rencontré dans les constituantes de la perfection qumrânienne un élément moral, l'obéissance et la marche dans la voie, un élément mystique, c'est-à-dire dépassant les catégories humaines du savoir, du vouloir et des actes, la purification et le don de l'esprit saint, enfin un élément gnostique, la connaissance du plan de Dieu et de la Loi de Dieu, aboutissant à une révélation de l'activité de Dieu et des destinées éternelles de l'homme » (pp. 240-241) )

Le modèle de l'expression matthéenne de 5,48 semble bien se trouver en Lv11,45 et 19,2: «Vous, soyez saints parce que je suis saint». Dans un passage parallèle, Lc (6,36) met plutôt l'ac­cent sur la miséricorde du Père que nous sommes invités à imiter: «Devenez miséricordieux, comme (aussi) votre Père est miséricordieux»; Mt souligne que la perfection de l'homme, être qui chemine et progresse, n'est pas sans origine. (Cfr J. DUPONT : « Soyez parfaits » (Mt V,48) r « Soyez miséricordieux » (Lc VI,36), dans Sacra Pagina, éd. J. COPPENS e.a., t. 2, Gembloux, Duculot, 1959, 150-161, et L'appel à imiter Dieu en Matthieu 5,48 et Luc 6,36, dans Rev. Bibl. Ital. 14 (1966) 137-158.) La conjonction «comme», en effet, n'évoque pas ici seulement la ressem­blance; le sens de la phrase est à peu près: «Vous donc, soyez parfaits de la perfection même de votre Père céleste».

Cette tournure ne manque pas d'étonner, car jamais l'Ecriture ne dit que Dieu lui-même est parfait ; elle applique ce terme à son action dans l'histoire: ses oeuvres sont parfaites (Dt32,4), comme ses voies (2Sm22,31) ou sa Loi (Ps19,8). Sur cet arrière-fond biblique, le contexte immédiat de Mt5,48 nous invite à dé­couvrir cette perfection du Père comme l'universalité gratuite de son amour accordant à chacun sa bienveillance. L'action de Dieu est «parfaite» (téleios) quand elle se poursuit jusqu'à son «terme» (té/os) dans l'histoire; le discours eschatologique (24,6.13.14) et la mort de Jésus (26,58) achèveront de montrer que le Père mani­feste sa perfection dans le don de son Fils bien-aimé au monde. Si Mt met l'accent sur la perfection de l'homme, c'est sans doute pour signifier qu'elle est participation à l'ouvre et à la réalité même du Père (Voir R. SCHNACKENBURG, La perfection du chrétien d'après Matthieu, dans L'existence chrétienne selon le Nouveau Testament, t. 1, Paris, D.D.B., 1971, pp. 127-150 ; les origines sapientielles du thème de la perfection sont bien mises en valeur par U. LUCK, Die Vollkommenheitsforderung der Bergpredigt, (Theol. Existenz heute, 150), München, Kaiser, 1968. )

Au terme de ce premier développement sur le dépassement de la justice des scribes et des pharisiens, on peut voir en quel sens Jésus «accomplit toute justice» (3,15): il parle au nom du Père, reprenant à son compte le «Je suis Yahvé» de Lv19,18 dans son «Or, moi je vous dis» et, se situant sur une route humaine qui va vers le terme de l'histoire, il accomplit toute perfection humaine en tant qu'il est l'expression incarnée de la perfection même du Père: «justice» (5,20) et «perfection» (5,48) se rejoignant ici dans l'accomplissement de la Loi.

Radermakers ("Au fil de l'évangile selon St. Matthieu", p.90, 1972, éditions I.E.T.