Abstract: La sphère intellectuelle se trompe qui expulse le théologien des foyers universitaires...

Au café 'Philo', il me dit avec une arrogance toute cléricale:

"L'expérience contre le concept, mon cher, voilà la source de la vérité!"

Je suis las de ce style de penseur... Il encombre trop la scène avec ses simplismes de bacheliers... Qu'on le fasse taire bon sang!

*

L'expérience? Cette approche chimérique d'une réceptivité pure qui laisserait croire au scientifique qu'il serre de plus en plus près le vrai, le réel, n'est que de la poudre aux yeux. La science a beau faire courir l'électricité et exploser les bombes atomiques, lorsque le philosophe enfonce son endoscope dans les entrailles de cette "réceptivité" qui fonde son savoir, la science se sent nue et gênée par l'indécence froide de ce gâche-fête. A quatre pattes devant le docteur philosophe, écrasé par son insolente autorité, le scientifique admet finalement qu'il n'a répondu à rien, qu'il a perfectionné la force et l'adresse de ses membres pour améliorer son confort et son pouvoir mais sans jamais gagner un seul pouce sur la vérité susceptible de l'apaiser. Le scientifique n'est qu'un bon cyborg. La maîtrise de ses membres, ce n'est, en fin de compte, qu'une affaire de sportif ! C'est gai d'être champion mais cela ne dure que le temps des roses et la seule information qui rassasie se moque des gros muscles, des bons réflexes, des neurones adroits, et des prothèses bien faites...

Le scientifique, à cet instant-là, sait qu'il loge lui aussi dans la sordide mansarde des philosophes et non dans un magnifique cosmos d'objectivité pure. A quatre pattes, obligé de regarder devant lui alors qu'il sent bien que quelque chose d'important se joue derrière, il voit maintenant l'incomplétude de son propre art.

Et le philosophe? Lorsqu'il retire l'endoscope du ventre de son co-locaire, il admet enfin qu'il n'a jamais été plus qu'un mauvais théologien masqué! Dans le trou noir de l'aporie qui distingue l'existence du concept, la substance de l'accident, le sujet de l'objet, ...il n'a rien trouvé de sûr. Comme le scientifique, il a cru un moment être sauvé par l'absolu des mathématiques. Mais plus il voulait approcher les choses des formules mathématiques plus les formules se complexifiaient; ses formules devenaient pudiques, ombrageuses, énigmatiques... Aussi pudiques, ombrageuses, énigmatiques que ces choses qu'elles voulaient simplifier!

Les deux habitants de la mansarde finissent par devoir admettre que la formule de la moindre chose exigera plus qu'une vie pour être découverte, comprise, écrite... Et toutes les autres choses seront encore là, sur la table, à attendre leur tour.

Le philosophe honnête cherche à nouveau la fréquentation du vieux théologien... Je crains qu'il soit trop tard; le bûcher s'éteint déjà et du théologien, il ne reste que le fumet de chair grillée qui parfume l'air d'une ville exsangue.

 

paul yves wery - Chiangmai - Juillet 2010

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