| Le père H., trappiste, puis
                ermite, puis abbé.  Prédications de 1980 Table des matières CHAPITRE : PRESENTATION DES VŒUX.
                  01.01.80
 La prochaine retraite
                    annuelle.
 HOMELIE : FETE DE MARIE MERE DE DIEU.
                  01.01.80*
 CHAPITRE : L’ANNEE DE SAINT BENOIT.
                  02.01.80*
 Première réalisation !
 CHAPITRE : ORAISON FUNEBRE DU PERE M.
                  02.01.80
 CHAPITRE : L’OFFRANDE DE L’ENCENS.
                  03.01.80
 CHAPITRE : RECOLLECTION DU MOIS DE
                  JANVIER. 05.01.80
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 07.01.80
 12. Je ne suis pas
                    appelé seul !
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 12.01.80
 13. Les rapports entre
                    frères.
 CHAPITRE : CLOTURE DU TEMPS DE NOËL.
                  13.01.80
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 14.01.80
 14. Le respect de mes
                    frères, le respect de moi-même.
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 15.01.80
 15. Tu parviendras.
 CHAPITRE : FETE DE SAINT ANTOINE.
                  17.01.80
 Pourquoi Saint Antoine
                    est-il considéré comme Patriarche ?
 CHAPITRE : SEMAINE DE L’UNITE.
                  21.01.80
 Pas d’ambiguïté :
                    Unité selon le vouloir de Dieu.
 CHAPITRE : FETE DE LA CONVERSION DE ST
                  PAUL. 25.01.80
 Clôture de la Semaine
                    de l’Unité des chrétiens.
 CHAPITRE : FETE DE NOS SAINTS
                  FONDATEURS. 27.01.80
 Le charisme de nos
                    Fondateurs.
 CHAPITRE : CONCLUSIONS DU REFERENDUM.
                  31.01.80
 La Télévision
                    peut-elle filmer librement dans l’Abbaye ?
 CHAPITRE : RECOLLECTION DU MOIS DE
                  FEVRIER. 02.02.80
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 04.02.80
 16. Nous sommes un
                    temple de Dieu.
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 09.02.80
 17. La puissance de
                    la résurrection.
 CHAPITRE : INTRODUCTION A LA VISITE
                  REGULIERE. 10.02.80
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 11.02.80
 18. Perdre sa volonté
                    dans celle de Dieu pour se trouver soi-même.
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 14.02.80
 19. La divinisation
                    de notre être charnel.
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 16.02.80
 20. Avertissement
                    avant de continuer.
 HOMELIE DU 6° DIMANCHE DU TEMPS
                  ORDINAIRE. 17.02.80...78 Les
                      Béatitudes.
 CHAPITRE : LA XENITHEIA. 18.02.80
 21. Scruter le noyau.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 19.02.80
 1.Ouverture du
                    Carême.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 20.02.80
 2. Ne pas courir en
                    vain.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 21.02.80
 3. Premier
                    pas dans la pratique du carême.
 CHAPITRE : VISITE REGULIERE. 24.02.80
 1.Conclusions.
 CHAPITRE : ETRE CISTERCIEN
                  AUJOURD’HUI ? 25.02.80
 CHAPITRE : CAREME 1980. 26.02.80
 4.Vigilance des
                    paroles.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 29.02.80
 5.Nous sommes un
                    champ de bataille.
 CHAPITRE : RECOLLECTION DU MOIS DE
                  MARS. 01.03.80
 CHAPITRE : CAREME 1980. 03.03.80
 6. Oratio cum
                    fletibus.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 04.03.80
 6.La lecture de
                    carême.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 08.03.80
 7.Orationes
                    peculiares.
 CHAPITRE : VISITE REGULIERE. 09.03.80
 2. Chacun selon ses
                    capacités.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 11.03.80
 9.Le dépouillement.
 CHAPITRE : CAREME 1980. 12.03.80
 10. Le partage.
 RETRAITE ANNUELLE 1980 15.03.80
 Ouverture de la
                    retraite par Dom Hubert.
 HOMELIE DU DIMANCHE. 16.03.80
 Jos 5,9a,10-12. * 2°
                    Cor 5,17-21. * Luc 15,1-3,11-32.
 HOMELIE DU LUNDI. 17.03.80
 Michée 7, 7-9. * Jean
                    9, 1-41
 HOMELIE DU MARDI. 18.03.80
 Ez 47,1-9,12. * Jean
                    5,1-16.
 HOMELIE DU MERCREDI. 19.03.80
 HOMELIE DU JEUDI. 20.03.80
 Ex 32, 7-14. * Jn 5,
                    31-47.
 CHAPITRE : CLOTURE DE LA RETRAITE.
                  21.03.80
 Le moine ouvrier de
                    Dieu.
 HOMELIE DU VENDREDI. 21.03.80*
 Gen, 12 ,1-40. * Col,
                    3 ,12-17. * Jn, 17,20-26.
 FIN DE LA RETRAITE.
 CHAPITRE : CONCLUSIONS DE LA
                  RETRAITE. 23.03.80
 CHAPITRE : DIMANCHE DES RAMEAUX.
                  30.03.80
 La Liturgie de la
                    Semaine Sainte.
 DIMANCHE DES RAMEAUX. 30.03.80*
 Monition avant la
                    bénédiction des rameaux.
 Homélie après la bénédiction des
                    rameaux.
 Homélie à l'Eucharistie.
 CHAPITRE DU LUNDI SAINT. 31.03.80
 L’onction à Béthanie.
 CHAPITRE DU MARDI SAINT. 01.04.80
 Judas l'Iscariote.
 CHAPITRE DU MERCREDI SAINT. 02.04.80
 Endurcissement ou
                    conversion.
 HOMELIE DU JEUDI SAINT 03.04.80
 VENDREDI SAINT. 04.04.80
 Homélie de la Passion
                    du Seigneur.
 Monition avant Complies.
 DIMANCHE DE PAQUES. 06.04.80
 Chapitre Pascal.
 Homélie de la résurrection.
 CHAPITRE : LA GRIPPE. 13.04.80
 1. La grippe Parole
                    de Dieu.
 CHAPITRE : LA GRIPPE. 14.04.80
 2. Définition et
                    description.
 CHAPITRE : LA GRIPPE. 15.04.80 3.
                      La grippe monastique.
 CHAPITRE : LA GRIPPE. 16.04.80
 4. Prendre patience.
 CHAPITRE : L’HOMME D’EN HAUT. JN 3,
                  22-36. 20.04.80
 CHAPITRE : LA
                  PATIENCE. 23.04.80
 Ce pays qui est le
                    nôtre !
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 24.04.80
 2. La patience selon
                    les latins.
 CHAPITRE : CONCLUSIONS POUR NOUS.
                  25.04.80
 Suite à la libération
                    manquée des otages d’Iran.
 HOMELIE : DIMANCHE DES VOCATIONS.
                  27.04.80
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 28.04.80
 3. La patience selon
                    les grecs.
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 29.04.80
 4. La patience selon
                    Saint Benoît.
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 01.05.80
 5. La patience selon
                    les Hébreux.
 CHAPITRE : RECOLLECTION DU MOIS DE
                  MAI. 03.05.80
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 05.05.80
 6. La patience selon
                    Dieu.
 CHAPITRE : LA PATIENCE. 06.05.80
 7. Survol du pays de
                    la patience.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 07.05.80
 1.Introduction.
 2.Statistiques.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 10.05.80
 3.La vie quotidienne.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 12.05.80
 4.Facteurs
                    encourageants.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 14.05.80
 5. La prière
                    continuelle.
 FETE DE L’ASCENSION. 15.05.80
 CHAPITRE : LA VISITE REGULIERE.
                  11.05.80
 3. Le rapport.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 17.05.80
 5.Nous sommes des
                    contemplatifs.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 18.05.80
 7. Le travail.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 18.05.80
 7. Le travail.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 19.05.80
 8. La pauvreté.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 20.05.80
 9. Confort Classe
                    Moyenne !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 21.05.80
 10.
                      Vivre ensemble.
 11. Dans la paix et l’unité !
 HOMELIE : FETE DE LA PENTECOTE.
                  25.05.80
 Croyons-nous
                    suffisamment ?
 HOMELIE : VETURE DU FRERE J.
                  25-05-80236
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 26.05.80
 12. La relation
                    Abbé-Communauté.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 27.05.80
 13. Qu’est-ce qu’un
                    véritable moine ?
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 28.05.80
 14. La formation.
 RECOLLECTION DU MOIS DE JUIN.
                  31.05.80
 CHAPITRE DU PERE ABBE GENERAL
                  02.06.80.
 15 Nécessité de
                    l’hospitalité
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 03.06.80
 16. L’accueil des
                    retraitants.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 04.06.80
 17. Les mass medias.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 07.06.80
 18. Le téléphone.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 09.06.80
 19. La clôture.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 10.06.80
 20. La clôture
                    (suite).
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 11.06.80
 21. Etre adulte !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 12.06.80
 22. Etre adulte !
                    (suite)
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 14.06.80
 23. La vie cloîtrée.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 15.06.80
 24. L’expansion de
                    l’Ordre.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 16.06.80271
 25. De l’évolution !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 17.06.80
 26. L’homme nouveau !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 18.06.80
 27. Des Observances !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 19.06.80
 28. Les changements.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 21.06.80
 29. Comment faire un
                    changement ?
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 22.06.80
 30. Le Chapitre
                    Général.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 23.06.80
 31.
                      Changer contre quelque chose !
 32. Les récriminations mutuelles.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 28.06.80
 33. LE VERITABLE RENOUVEAU.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 29.06.80
 34. Des Convers –
                    Relations entre les deux Branches.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 01.07.80300
 35. La conversion des
                    mœurs.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 02.07.80
 36. D’abord vivre !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 03.07.80
 37. Notre communauté
                    a un coeur.
 RECOLLECTION DU MOIS DE JUILLET.
                  05.07.80
 Lutter avec ardeur
                    contre les obstacles !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 12.07.80
 38. Devenir Dieu par
                    participation.
 1. Inauguration de la préparation.
 HOMELIE : 15° DIMANCHE ORDINAIRE
                  ANNEE C. 13.07.80*
 Le bon samaritain. Lc
                    10, 25-37.
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 14.07.80
 39. Croire en l’Amour
                    !
 CHAPITRE : LETTRE DU PERE ABBE
                  GENERAL. 15.07.80
 30.
                      Assimiler réellement les valeurs monastiques.
 41. Une orientation dynamique vers
                    l’avenir.
 LE CHAPITRE GENERAL. 22.07.80
 2. Concile de
                    l’Eglise monastique.
 RECOLLECTION DU MOIS D’AOUT. 02.08.80
 Saint Benoît, un
                    homme de Dieu.
 LE CHAPITRE GENERAL. (EXTRAITS)
                  05.08.80>
 3. Du Postulateur
                    Général : tendre à la perfection.
 DEPART DU PERE E. 04.08.80
 CHAPITRE : FETE DE LA
                  TRANSFIGURATION. 06.08.80
 La Transfiguration,
                    trophée de notre vie monastique accomplie.
 LE CHAPITRE GENERAL. (EXTRAITS)
                  10.08.80
 4. Nature et fonction
                    du Chapitre Général.
 CHAPITRE : FETE DE L’ASSOMPTION DE
                  MARIE. 15.08.80
 Secours Notre-Dame.
 LE CHAPITRE GENERAL. 22.08.80
 5. Comment être Père
                    Immédiat aujourd’hui ?
 LE CHAPITRE GENERAL. 24.08.80
 6. L’accueil vu par
                    les régions.
 750 ANS DE L’ABBAYE N.-D. DE SAINT
                  REMY. 01.10.80.......339
 Allocution de Dom
                    Hubert à la fin du dîner.
 RECOLLECTION DU MOIS D’OCTOBRE.
                  04.10.80
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  07.10.80
 1. Les canadiens.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  11.10.80
 2. Tarrawarra.
                    (Australie)
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  18.10.80
 3. Portrait de trois
                    Abbés Américains.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  19.10.80
 4. Le nouveau monde.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  26.10.80
 5. Le Symposium :
                    Lettre aux communautés.
 FETE DE LA TOUSSAINT. 01.11.80
 A. Chapitre du
                    matin.
 B. Introduction à la célébration.
 C. Homélie.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  09.11.80
 6. Nature et mission
                    de l’Abbé – Principes.
 CHAPITRE : LA NON-VIOLENCE. 12.11.80
 Mais violence envers
                    soi-même !
 PROFESSION TEMPORAIRE DE FR. J.
                  13.11.80*
 HOMELIE : FETE DE TOUS LES SAINTS DE
                  L’ORDRE. 13.11.80
 Devenir les
                    concitoyens des Saints.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL.
                  16.11.80
 7. Nature et mission
                    de l’Abbé – Eléments humains.
 FETE DE LA PRESENTATION DE LA VIERGE
                  MARIE. 21.11.80
 Homélie en la Fête
                    de la Communauté.
 CHAPITRE : FETE DU CHRIST-ROI.
                  23.11.80
 L’année liturgique.
 CHAPITRE : LA NOUVELLE ANNEE
                  LITURGIQUE. 30.11.80
 Du retour sur soi !
 ANNIVERSAIRE DE L’ELECTION
                  ABBATIALE. 01.12.80
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 03.12.80
 1. Défaut de
                    communication.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 04.12.80
 2. Scandale de la
                    croix.
 RECOLLECTION DU MOIS DE DECEMBRE.
                  06.12.80
 Nous arracher à la
                    vanité.
 UNE JOURNEE AVEC MONSEIGNEUR MATHEN.
                  08.12.80*
 Allocution de Dom
                    Hubert après le dîner.
 FETE DE L’IMMACULEE CONCEPTION DE LA
                  VIERGE. 08.12.80
 Homélie de
                    Monseigneur Mathen.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 09.12.80
 3. Une société de
                    profit.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 10.12.80
 4. Le culte du
                    rendement et de la productivité.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 11.12.80
 5. Marginalisation
                    des vieillards.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 13.12.80
 6. Vieillissement
                    des communautés.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 15.12.80
 7. Déstabilisation
                    généralisée.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL :
                  VOCATIONS ? 16.12.80
 8. Qu’est-ce que la
                    Fidélité ?
 CHAPITRE : UN GESTE LITURGIQUE.
                  22.12.80
 La bénédiction avant
                    les lectures.
 CHAPITRE : L’OBLATION DE L’ENCENS.
                  23.12.80
 TEMPS DE NOËL : MESSE DE MINUIT.
                  25.12.80
 1. Introduction à la
                    célébration :
 2. Homélie :
 TEMPS DE NOËL : MESSE DU JOUR.
                  25.12.80*
 1. Introduction à la
                    célébration :
 2. Homélie :
 TEMPS DE NOËL : FETE DE SAINT
                  ETIENNE. 26.12.80
 La non-violence.
 TEMPS DE NOËL : FETE DE SAINT JEAN.
                  27.12.80
 Il vit et il crut !
 TEMPS DE NOËL : FETE DE LA SAINTE
                  FAMILLE. 28.12.80
 La Trinité.
 PARTAGE DU CHAPITRE GENERAL : MOINES
                  ? 28.12.80*
 1.Rapport
                    Anglo-Américain.
 TEMPS DE NOËL : ORACLE DE SIMEON.
                  29.12.80
 Amour ou aversion ?
 TEMPS DE NOËL :
                  LE MESSAGE D’ANNE. 30.12.80
 Homélie :
                    Contemplatifs ?
 TEMPS DE NOËL : LE MEMRA DE DIEU.
                  31.12.80 Homélie
                    :
 Chapitre : Présentation des vœux. 01.01.80La prochaine retraite annuelle.Mes frères,Nous voici au premier jour d'une nouvelle année, et
                même d’une nouvelle décennie. C'est la coutume
                d'échanger des vœux : une bonne et heureuse année. Et
                comme autrefois les villageois ici dans le pays disaient
                : è l'paradi o coron ! Ce qui veut dire : et le
                paradis à la fin de vos jours. C'est une belle formule, il y avait quelque chose de
                lourd, de pesant, presque de glorieux en elle : c'est
                cette espérance que portaient tous ces gens des
                campagnes de pouvoir un jour contempler celui-là auquel
                ils confiaient leurs peines, les labeurs, leurs espoirs. Mais il ne faut pas, mes frères, que ces voeux soient
                chez nous un  flatus vocis, une simple émission
                de voix. Nous devons les porter dans notre coeur et ils
                doivent exprimer ce que nous désirons, ce que nous
                demandons pour chacun d'entre nous, pour nous-mêmes, et
                pour toute la communauté : une bonne année, mais bonne
                dans le sens où Dieu lui-même l'entendait. Dès le premier jour de sa création, au soir, lorsqu'il
                avait terminé son travail, il jetait un coup d'oeil et
                il disait : c'est tout de même bon, c'est bien, c'est
                beau, c'est réussi. Et ainsi jour après jour, il était
                heureux de lui, il était heureux de son travail, il
                était ainsi heureux pour ce qu'il avait appelé à
                l'existence et à la vie. Voilà, mes frères, ce que nous devons demander les uns
                pour les autres : que nous soyons heureux, que nous
                soyons contents, que nous soyons des êtres réussis. Non
                pas dans le sens d'un arrivisme quelconque ? Non, mais
                un être plein, plénifié, quelqu'un qui est bien dans sa
                peau, n'est-ce pas, qui est bien dans sa peau de moine,
                qui est bien dans sa peau d'homme, qui est heureux de
                vivre, qui est heureux de vivre là où Dieu l'a appelé,
                heureux d'aimer, heureux d'être aimé, heureux de
                partager et d'échanger. L'année 80, mes frères, voilà ce qu'elle devrait être
                pour nous, à mon avis. Elle devrait essayer d'être une
                entrée, une poussée plus hardie, plus décidée, dans la
                vérité de notre vie monastique pour que nous la
                saisissions mieux. Et la saisissant mieux, que nous
                puissions mieux l'épouser, mieux la vivre et devenir
                d'avantage ce que Dieu attend de nous, et ce que le
                monde aussi attend de nous. Eh bien voilà, mes frères, ce sera mon souhait pour
                chacun de vous cette année-ci. Et ce souhait qui vous
                atteint, je suis certain qu'il rebondit et qu'il revient
                vers moi, et que ce soit ainsi ce qui soit mon espoir et
                ma réalisation pour cette année. Notre programme, si
                vous le voulez bien, une entrée plus décidée, plus
                hardie, plus confiante dans notre vocation. Et nous y serons aidés cette année-ci par le fait que
                nous allons, à notre façon, célébrer le 15°Centenaire de
                la naissance de Saint Benoît. Il en a été beaucoup
                question lors de la dernière Conférence Régionale. On
                n'a pas mis tout cet échange de vue dans le compte
                rendu. C'était sans doute beaucoup trop étendu, je ne
                dis pas beaucoup trop riche ! Mais il est apparu d'après
                ce que notre dévoué délégué nous a rappelé, il est
                apparu une conclusion très sage, la plus sage de toutes.
                C'est que dans la plupart, sinon dans toutes les
                communautés de la région, l'année de Saint Benoît sera
                vécue au plan de l'intériorité. Nous n'avons pas besoin de faire du bruit, de faire
                beaucoup de bruit pour rappeler au monde notre
                existence. Non, nous avons quitté le monde, mais nous
                lui sommes présents, parce que nous sommes de plus en
                plus présents à Dieu par la force et l'intensité de
                notre vie contemplative. C'est là notre rô1e, c'est là
                notre mission. Et c'est à ce niveau, le plus vrai pour nous, que nous
                devons vivre cette année du Centenaire de Saint Benoît.
                Et alors, vous voyez, ça rejoint le voeux que
                j'exprimais : que nous soyons plus hardis à vivre notre
                vie dans sa vérité. Et pour nous, nous y serons encore
                davantage portés du fait que ce sera le 750°
                Anniversaire de la fondation de notre monastère. Ce sera l'occasion de remonter aux sources, aux
                origines, et nous pourrons ainsi faire les deux : revoir
                Saint Benoît, relire Saint Benoît à la lumière des
                origines cisterciennes ; essayer de voir, de toujours
                mieux saisir comment ces premiers hommes ont compris
                Saint Benoît et comment ils l'ont vécu à la mesure de
                leurs moyens. Et alors, essayer aujourd'hui de faire la
                même chose, mais dans le contexte d'aujourd'hui. Non pas bêtement copier quelque chose qui n'est pas du
                tout à notre portée, qui serait déplacé d'ailleurs, mais
                aujourd'hui comment faire ? Comment faire d'après leur
                esprit, leur inspiration qui venait de Dieu, comment
                voir Saint Benoît aujourd'hui, et le vivre. Nous laisserons malgré tout une petite trace de ces
                deux anniversaires. Et ce sera la mise en valeur des
                ruines, ou plutôt des fondations de la Chapelle de Saint
                Remy, celle qui a donné son nom à l'endroit, qui a donné
                son nom au monastère. Celle qui est sans doute un des
                tous premiers témoins de l'évangélisation ou de la
                christianisation de nos régions, ici. Les architectes ont mis au point un projet que j'ai eu
                l'occasion de voir samedi, quand ils sont venus. Et je
                dois dire que c'est vraiment bien. Il faut voir
                maintenant si c'est abordable, si c'est réalisable. Il
                va donc falloir s'informer. Mais un de ces jours, je
                pense, il serait utile que vous en ayez connaissance.
                Mais laissons encore passer quelques jours parce que
                nous sommes encore maintenant en plein dans les
                festivités de Noël. Et lorsque ce petit site sera aménagé, il sera vraiment
                un témoin de notre idéal, idéal qui a été poursuivi à
                travers bien des vicissitudes, ici sur cette terre de
                Saint Remy depuis 750 ans. Et nous sommes bien vous
                voyez, vraiment les fruits de la maturité de Saint
                Benoît. C'est à la moitié de son âge, 1500 - 750, à sa
                maturité que Saint Remy est venu au monde, c'est à dire
                la communauté, pas le saint... Eh bien, je pense qu'il est bon d'avoir un témoin de
                cet événement. Lorsqu'il sera là, présent, nous
                inviterons Monseigneur Maetens qui viendra passer une
                journée avec nous. Et avec lui nous réfléchirons, nous
                prierons et nous nous affermirons encore d'avantage dans
                notre vie monastique qui, ne l'oublions jamais, n'est
                pas indépendante de la vie de l'Eglise locale, mais au
                contraire elle en est comme un fleuron. L'année de Saint Benoît va s'ouvrir officiellement le
                21 Mars. C'est la Fête de Saint Benoît dans l'ancien
                calendrier. Nous pourrons nous préparer à cette
                ouverture par notre retraite annuelle qui commencerait
                le 15 Mars au soir et se terminerait le 21 Mars au
                matin. Pour cette retraite: annuelle j'aurais eu,
                disons, enfin quelques soucis. Je me suis mis en quête
                d'un prédicateur valable, pour cette retraite qui doit
                être vraiment spéciale, puisqu'elle ouvre l'année de
                Saint Benoît, et qu'elle est aussi un peu l'ouverture de
                notre 750° anniversaire. J'ai cherché, je me suis
                informé, j'ai contacté et, toutes les personnes se sont
                excusées. OUI ! Alors il y avait encore d'autres noms. Mais je
                m'en méfie de ces grands noms, du moins de ceux que je
                connais parce que, je ne veux pas dire du mal d'eux,
                loin de là, d'ailleurs je ne cite pas de noms, je ne dis
                pas de qui il s’agit. Mais enfin, connaissant soit la
                personne, soit la façon de vivre dans ces communautés,
                ça ne me paraissait guère convenable pour présenter une
                année de Saint Benoît vraiment pour nous comme je la
                vois. Naturellement chacun a sa façon de vivre, de comprendre
                les choses. Il existe même un ou l'autre monastère
                Bénédictin où on ne peut plus employer le mot de
                "moine". On ne peut presque même presque plus parler de
                la Règle de Saint Benoît, mais c'est un monastère qui
                sera en pointe pour la recherche Bénédictine. Vous
                voyez, ça met mal à l'aise tout ça. Nous ne sommes pas
                habitués, nous, à ce genre de choses. Et alors je me suis vu. acculé, n'est-ce pas, à une
                formule qui existe déjà dans l'un ou l'autre monastère,
                mais enfin qui serait tout à fait neuve pour ici : c'est
                que nous ferons notre retraite monastique entre nous.
                C'est à dire que les conférenciers seraient pris dans
                son sein ; chacun, alors, y mettrait du sien. Vous voyez, c'est très commode d'être assis et
                d'écouter quelqu'un qui vous parle de belles choses qui
                intéressent plus ou moins suivant les jours. C'est tout
                autre chose quand soimême on doit commencer à réfléchir,
                à se creuser la tête, à prier, à chercher. Et puis alors
                ça ne suffit pas encore, il faut communiquer le fruit de
                ses découvertes, de ses expériences et de sa prière à
                d'autres, à des frères. Qu'on soit devant des inconnus, disons ça va encore !
                Mais quand on est devant des gens qui vous connaissent
                depuis des années et qui après viendront peut-être vous
                dire pft, pft, j'en aurais bien fait dix fois autant !
                Et puis alors qui risquent de vous décourager ! Voyez,
                il faut une certaine...allez, il faut avoir un peu du
                coeur au ventre, comme on dit. Alors voilà, mes frères, je pense que nous pourrons
                nous organiser ainsi. Je prendrai sur moi la première et
                la dernière des conférences, donc l'ouverture et la
                clôture. Je pense que ça convient. Et le reste, alors,
                serait reparti entre des volontaires, des volontaires
                forcés ou bien des véritables volontaires. Je dis des
                volontaires forcés parce qu'il y en a tout de même ici
                qui par leur fonction dans le monastère sont sensés
                vivre de la Règle de Saint Benoît et en plus des Pères
                Cisterciens, enfin d'être des hommes capables. Et je
                pense surtout en premier lieu au Prieur et au Maître des
                Novices, qui eux sont d'office de ces conférenciers. Il y a alors de véritables volontaires. Il faudrait,
                chacun donnerait au moins une conférence, peut-être
                deux, mais pas au-delà de deux parce que il ne faut pas
                être plus zélé que moi je ne le serais ; et en plus, il
                faut laisser aux autres l'occasion de s'exprimer. Parmi
                ces volontaires, je pense que je peux déjà en découvrir
                un : ce serait notre Père Eugène qui s'y connaît tout de
                même un peu dans la Règle de Saint Benoît. Mais ces conférences ne devraient pas être de
                techniques scientifiques. Non, non, ce serait de
                véritables fruits d'une expérience spirituelle, mais
                toujours sur des bases bien solides ; ça ne peut pas
                être éthéré, vaporeux, non, ça doit répondre au réel.
                D'ailleurs, le Père Eugène, un de ces jours, va lui-même
                aller donner une retraite Bénédictine dans le cadre de
                l'année de Saint Benoît à l' Abbaye du Port du Salut. Alors pour ce qui est des autres, je dirais : pas tous
                ensembles, hein ! Il y aurait une ou deux conférences
                par jour. Le mieux serait deux, une le matin et une le
                soir. Mais enfin, c'est peut-être trop, je n'en sais
                rien. Il faudrait donc cinq à dix volontaires. Comme moi
                j'en prendrais deux, il en reste 10, dix conférences à
                donner à raison de deux par jour. Si chacun en donne
                deux, il faut cinq hommes. Si on en donne chacun une, il
                en faudra dix. S'il y en a un qui en donne deux et
                l'autre une, il en faudra entre cinq et dix. Je vais attendre ceux qui veulent bien me contacter. Et
                puis après, je contacterais peutêtre l'un ou l'autre
                aussi. Mais il faudra que pour la mi-janvier ce soit
                décidé, parce qu'il faut tout de même que ce soit
                programmé. Il ne faut pas que deux hommes parlent de la
                même chose. Il faut qu'il y ait une certaine
                progression, une certaine avancée dans la réflexion. Mais je vois un doigt qui se lève ???? Ah, j'allais
                justement le dire. Il faut compter pas plus d'une
                demi-heure. Mais il faut bien savoir, pour celui qui
                écoute, une demi heure parfois ça parait long ; mais
                pour celui qui parle, une demi heure, c'est vite passé.
                Alors voila, ce serait disons 25' à 1/2 heure, mais pas
                au-delà. L'Eucharistie serait peut-être aussi célébrée
                tous les jours par moi-même comme je l'ai fait pendant
                cette octave de Noël, et je pourrais peut-être dire un
                petit mot par rapport à notre vie monastique après
                l'Evangile. Mais pas grand-chose, comme je l'ai fait
                maintenant, 5, 6, 7 minutes. Voila je pense quelques idées. Je regarde si je n'ai
                rien oublié, mais je ne pense pas. Ce qu'on pourrait
                faire alors après, mais il faut voir comment ça va se
                dérouler, si ça en vaut la peine, on pourrait peut-être
                alors puisque nous avons le nécessaire, imprimer ces
                conférences et ainsi chacun pourrait recevoir un petit
                bulletin qui serait le témoignage alors d'une expérience
                nouvelle ici à Saint Remy, témoignage' d'une réflexion,
                d'une recherche en commun, et puis alors d'une mise en
                commun de nos efforts et de nos résolutions, puisque
                dans une retraite bien conduite il faut tout de même des
                résolutions. On appellera ça plutôt aujourd'hui des
                conclusions, des conclusions pratiques. Voici mes frères...encore un doigt qui se lève ???
                Intervention du Père Eugène : l'économie effectuée par
                le non financement d'un conférencier, ne pourrait-elle
                pas par exemple être versée à une Abbaye plus pauvre ? Ah oui, ça c'est une excellente idée aussi,
                certainement il faudra la retenir. Mais il faut dire que
                ces derniers temps, enfin depuis que je suis en
                fonction, les prédicateurs de retraite ne veulent
                absolument pas être rémunérés. Ils disent : ça ne se
                vend pas. La Parole de Dieu n'est pas monnayée, elle
                vient d'ailleurs. Nous autres nous sommes les prophètes
                pour quelques jours parmi vous.Et alors, c'est bien ainsi, mais on peut toujours dire :
              écoutez...... Fin imprévue de la cassette.
 Homélie : Fête de Marie Mère de Dieu. 01.01.80*Mes frères,Il est heureux que l'année commence, qu'elle s'ouvre
                  sur la Solennité de Marie Mère de Dieu. Par son état
                  de Theotokos, Marie est peut-on dire
                  contemporaine des origines du monde. Pendant des
                  milliards d'années, l'évolution monte lentement,
                  sûrement ; elle monte vers un sommet, une fine pointe,
                  comme dit le texte du Livre des Proverbes, ce Livre
                  des Proverbes qui nous parle que au début Dieu a déjà
                  prévu quelqu'un, il a prévu ce sommet. Et sur ce
                  sommet, sous la douce et puissante chaleur de la
                  Lumière qu'est Dieu, voici que s'ouvre une fleur
                  unique. Et cette fleur, elle accueille le Verbe de Dieu. Elle
                  est là uniquement pour accueillir le Verbe de Dieu. Et
                  ce Verbe de Dieu, en elle devient chair et matière. Il
                  devient homme pour que l'homme puisse devenir Dieu, et
                  que à travers l'homme la matière elle-même soit
                  divinisée ; et pour que au terme de l'histoire prévue
                  par Dieu, Dieu lui-même soit tout en toute chose et
                  que toute chose ne soit plus que rayonnement de la
                  gloire de Dieu. Et alors, comme prêtre de cette création : l'homme,
                  l'homme lui-même devenu fils de Dieu. Et tout cela,
                  mes frères, grâce au oui de Marie, cette fleur
                  née au temps voulu par Dieu au sommet de l'évolution
                  du cosmos. Le terme qui au Concile d'Ephèse a défini ce statut
                  de la Vierge, le terme de  Theotokos dit bien
                  autre chose que notre terme Français Mère.
                  Marie est la génitrice, elle est l'engendrante de
                  Dieu. De même que le Père de toute éternité engendre
                  le Verbe selon sa divinité, ainsi dans le temps Marie
                  a engendré le même Verbe selon son humanité. Et la
                  voici ainsi, d'une certaine manière, contemporaine de
                  Dieu. C'est pourquoi ce Livre inspiré avait dit :
                    Avant que je ne crée le monde, toi, je t'avais déjà
                    prévue. Mes frères, le rôle de Marie ne s'est
                  pas terminé lorsque s'est trouvé devant elle Jésus son
                  Fils, le Verbe devenu chair. Son rôle continue, son
                  rôle de génitrice se poursuit. Maintenant elle
                  engendre un par un les membre de ce Corps mystérieux
                  dont son fils Jésus est la tête.
                  Et cette fonction d'engendrement durera jusqu'à la fin
                  du monde. Elle est notre mère au plan mystique et surnaturel
                  avec autant de vérité et de réalisme que nous avons
                  une mère au plan naturel et charnel. Et ce rôle
                  providentiel de Theotokos est pour Marie la
                  source de tous ses privilèges et prérogatives depuis
                  sa conception jusqu'à son Assomption, en passant par
                  sa mission de rédemptrice, de corédemptrice et de
                  médiatrice. Et c'est pourquoi elle est entièrement présente et
                  agissante en chacune de nos Eucharisties. Elle est
                  présente et agissante, ici même en cet instant. Et
                  c'est ainsi pour elle un labeur, une oeuvre, un
                  travail, un travail qui doit lui coûté. Car de même
                  que son Fils sera en passion et en agonie jusqu'à la
                  fin du monde, elle, ses douleurs de l'enfantement,
                  elle les souffrira jusqu'à la fin du monde pour chacun
                  d'entre nous. Et cela, au moment de fusion vraiment,
                  qu'est pour elle comme pour nous l'Eucharistie. Alors, confions-lui l'année qui commence aujourd'hui.
                  Non pas l'année dans l'abstraction, comme ça. Non,
                  mais nous-mêmes, chacun d'entre nous, confions-nous à
                  elle. Elle n'aura pas de repos, comme je viens de le
                  dire, elle ne goûtera aucune paix qu'elle ne nous ait
                  entièrement transformé en l'image de son premier né
                  Jésus, Lui qui doit être le premier né d'une multitude
                  de frères. Et ses frères, c'est chacun d'entre nous,
                  n'est-ce pas ! Naître à la vie divine, de Dieu et de Marie
                  conjointement, voila mes frères quel est notre destin.
                  C'est un destin magnifique. Assumons-le avec foi,
                  assumons le avec confiance et abandonnons-nous sans
                  réserve à l'amour qui nous porte, à cet amour qui est
                  Dieu à cet amour qui sans cesse coule de Dieu, à
                  travers son Verbe Incarné, et qui arrive jusqu'à nous
                  par cette porte qu'est Marie pour l'éternité.Amen. Chapitre : L’année de Saint Benoît. 02.01.80*Première réalisation !Mes frères,Depuis quelques temps, il y a un petit problème qui
                  me préoccupe, et je pense que le moment est venu d'y
                  apporter une solution. C'est celui des communications
                  téléphoniques vers l'extérieur, ou venant de
                  l'extérieur, et destinées ou provenant de membres de
                  la communauté. Il faut se rendre à la porterie, et
                  cela crée des difficultés, surtout en cette saison. Le
                  local là-bas est glacial. Il y a parfois un long
                  chemin à parcourir. Parfois il fait très noir, il
                  pleut, il y a de la neige. Alors en plus il faut se
                  rendre à la porterie, et on rencontre toutes sortes de
                  monde, parfois ! Et ça ne convient pas, me semble-t-il
                  ? En outre, je ne veux pas faire de la démagogie, mais
                  il me semble qu'il y a tout de même une certaine
                  égalité qui doit s'instaurer entre les membres de la
                  communauté, quel qu'il soit, que ce soit l'Abbé ou que
                  ce soit le tout dernier arrivé des novices. Pourquoi
                  faudrait-il que certains disposent d'un appareil
                  téléphonique dans leur bureau ? Là, ils peuvent très
                  facilement, à tout moment, recevoir, téléphoner, alors
                  que les autres devraient s'exposer. Enfin voyez ! Il y
                  a quelque chose là qui n'est pas tout à fait juste. Mais ça ne veut pas dire maintenant que chacun dans
                  sa chambre doit avoir un appareil téléphonique ; ça
                  existe peut-être aux USA, ou ailleurs, je ne sais pas,
                  ils sont déjà plus avancés dans le domaine des
                  communications. Mais enfin, ici il y a tout de même
                  quelque chose à régler de ce côté là. Cela a été un peu aigu au moment de tous les ennuis
                  de santé l'année dernière. Pour communiquer avec
                  l'extérieur pendant la nuit, parfois il faut appeler
                  un médecin la nuit, et bien, c'est chez moi que cela
                  devait se faire. C'est le seul appareil pour
                  communiquer avec l'extérieur. Donc, il faut éveiller
                  l'Abbé pour téléphoner à l'extérieur, ou le portier
                  alors, mais pour le portier, il faut encore aller là.
                  Voyez, il y a là tout de même quelque chose. Alors voici ce qu'on va faire : nous allons installer
                  une cabine téléphonique du genre de celle qu'on trouve
                  dans les gares, donc insonorisée. On va l'installer
                  ici à l'intérieur de la communauté, au bas des
                  escaliers qui montent à la bibliothèque. C'est un
                  endroit qui n'est pas très éloigné du central. Il est
                  bien situé par rapport à l'ensemble de la communauté.
                  Et voilà, j'ai demandé au Frère François d'étudier la
                  question, et je pense que cela ne tardera pas avant
                  que ce soit réalisé. Maintenant l'appareil de la porterie ? Il sera
                  réservé aux retraitants et aux parents. Mais l'accès
                  de l'appareil ne sera pas libre ; ça veut dire qu'il
                  sera verrouillé, et qu'il faudra chaque fois demander
                  au portier qu'il déverrouille l'appareil. Et lorsque
                  la communication est terminée, automatiquement, il est
                  de nouveau verrouillé. On trouve ça dans les
                  cliniques, partout dans les endroits publics. On ne
                  peut pas décrocher un appareil et téléphoner à
                  l'extérieur.Donc voila mes frères, une petite amélioration de notre
                état de vie. C'est la première réalisation de l'année de
                Saint Benoît, n'est-ce pas, mais ce n’est pas la
                dernière. Chapitre : Oraison funèbre du Père. 02.01.80Mes frères,Aujourd'hui on a déposé en terre notre Père M. La
                communauté a été représentée aux obsèques par le Frère J
                et le Frère P, et les innombrables amis du Père M ont
                été représenté par Joseph Son. Le voyage a été très difficile à l'aller et au retour
                aussi, l'ensemble a pris plus de 7 heures de route. A
                Achel il fait très froid, il y gelait à - 6°. L'église
                et le réfectoire sont glacials. Et je pensais, nous
                avons eu une petite panne ici à la chaufferie, on
                sentait déjà un peu le froid ici à notre église ; mais
                en entendant raconter ce qui se passait à Achel je me
                suis dit : mais quelle affaire, ici nous sommes presque
                au purgatoire tellement il fait chaud par rapport à
                Achel. Alors, le Père M, vous le savez, il est entré ici à
                l'Abbaye très jeune. A plusieurs reprises je l'ai
                entendu dire qu'il n'avait jamais compris comment il
                s'était trouvé ici ? C'était, disait-il, une folie de
                jeunesse, mais c'est une folie qui a duré jusqu'à la
                mort. Il est resté 50 ans ici à Rochefort. Il est resté
                8 ans là-bas à Achel. J'ai eu l'occasion de travailler
                assez bien avec le Père M, je pense un peu le connaître. Lorsque avec mon Frère P, nous avons remis en route la
                brasserie, le Père M a été un des collaborateurs de la
                première heure. C'est lui, les jours de soutirages, tous
                les jours dès 3 heurs du matin au moins, c'est lui qui
                mettait en état de marche la petite chaudière à basse
                pression qui se trouvait dans le coin de l'actuelle
                buanderie qui à cette époque était la salle de
                soutirage. Il a fait ça avec une ponctualité exemplaire
                et un soin. Si bien que le soutirage commençant très
                tôt, et lorsqu'on arrivait, tout était en ordre et on
                pouvait commencer. Il a aussi entretenu tout un temps le chauffage des
                deux caves, les deux premières caves où on commençait à
                chauffer la bière après le soutirage. Il y avait là un
                tout petit poêle colonne. Et voila, c'était encore lui
                qui faisait ça, et il a toujours été d'une disponibilité
                exemplaire. Faut dire, qu'il commençait à chauffer au
                moins à trois heures du matin. Et ça veut dire que pas
                question d'Office de nuit, ni rien. Il était à son
                travail n'est-ce pas. Alors après je l'ai retrouvé à la culture, où il a
                déversé sur les routes des centaines, sinon des milliers
                de camions de pierres reçues à titre de cadeau de
                Monsieur L Père. Oh, ça a été quelque chose, je me
                souviens à l'époque. J'ai fait une fois le relevé de ces
                camions par après parce que Monsieur L commençait à
                trouver que c'était peut-être un peu exagéré. Je pense
                bien que à l'époque ça représentait, ce qu'on aurait dû
                à Monsieur L, une affaire de 800.000 Frs de pierres, à
                l'époque n'est ce pas. Voyez un peu ! Eh bien, ça c'était le Père M. Il lui fallait des
                travaux à sa mesure, un grand travailleur, mais à sa
                façon hors série ainsi. Si bien que lorsque la Brasserie
                a évolué, elle s'est modernisée, elle s’est automatisée,
                il ne s’y est pas adapté, il n'y trouvait plus sa place.
                Et voici qu'on reconvertit l'exploitation agricole ! Et
                il a ainsi perdu, il a perdu ici le théâtre de ses
                activités, il se restreignait de plus en plus. Il ne
                trouvait plus le champ, l'espace nécessaire pour se
                déployer. Et alors à Achel, il l'a retrouvé. Il l'a retrouvé, il m'a raconté tout ce qu'il faisait
                là, à son âge, des choses impossibles encore dans cette
                fameuse boutique dont il était le pourvoyeur en tout ce
                qu'on voulait. Et voila, cela c'était le Père M. C'était
                un homme d'une race d'entre-deux. Il n'était plus le
                trappiste Rancéen, mais il n'était pas encore le
                cistercien en voie de redécouverte. Il voguait là entre
                les deux. Et il avait aussi des qualités qui tenaient encore un
                peu à l'enfance. Ce n'était pas de l'infantilisme, mais
                des réflexes d'enfant. Par exemple : un attachement
                sentimental à l'Abbé. C'était, ça n'avait l'air de rien,
                mais c'était pour lui toujours un problème : qu'est-ce
                que l'Abbé va en penser ? Qu'est-ce que le Père Abbé va
                en dire ? Et voila, ça, toujours. Pour un rien il avait
                la larme à l'oeil s'il s’agissait de l'Abbé ; ça, pour
                lui, c'est toujours resté jusqu'à son dernier moment. Quand il revenait, et il est encore revenu à
                l'enterrement du Père D, c'est sa dernière visite ici je
                pense, mais il m'a encore parlé alors de Dom E. Et je me
                disais : comment est-il possible ? Voila un homme qui a
                75 ans, et un tel attachement à son Abbé. Il aurait
                voulu exercer une sorte de protection sur l'Abbé. Voyez,
                comme un enfant, un garçon, un fils devenu plus âgé
                prendrait en charge son père, qu'il sentirait devenir
                plus faible. C'était très complexe, mais au fond c'était
                très beau. Alors, il était très sincère dans sa recherche de Dieu,
                mais toujours, toujours à sa façon. Il se donnait tout
                entier à son travail. On peut presque dire qu'il avait
                une spiritualité du travail. C'est autre chose que le
                frère convers, qui lui venait dans le monastère, et il
                le savait, pour lui il devrait surtout s'occuper de
                travail manuel. Lui, c'était différent. Il y avait là
                une note qui lui était personnelle, et c'est pour ça que
                je dis qu'il n'était plus le Trappiste, mais qu'il
                n'était pas encore le Cistercien. Il était dans la
                période d'évolution entre les deux. Je pense que, si je puis porter un jugement d'ensemble
                sur lui, ce serait celui-ci : je pense qu'on peut dire
                que c'était le type du serviteur fidèle, mais sur les
                activités duquel il fallait souvent fermer les yeux. Et
                je pense bien que Dieu l'aura accueilli maintenant avec
                amour, avec grand amour, mais aussi en fermant les yeux
                sur certaines choses. Je pense qu'en disant cela, j'ai
                bien campé l'homme. Et nous devons conserver de lui ce souvenir là. C'était
                un homme qui aimait, je dirais sentimentalement son
                Abbé. Il aimait beaucoup ses frères, même si, même si il
                pouvait parfois être à leur endroit un peu dur...et même
                beaucoup. Mais c'était son genre. Et alors je vous le
                dis, fidèle, fidèle à sa façon et toujours resté très
                attaché ici à Saint Remy. Il a vécu 50 ans ici avant
                d'aller à Achel. Et à Achel, il est toujours resté
                d'ici, resté d'ici dans sa façon aussi de se comporter
                là-bas. Il a été là-bas, je ne dirais pas un modèle, c'est
                beaucoup, mais il était aimé. Il a rendu de très grands
                services. Il avait la confiance de Dom E. Il a fait tout
                son possible, et maintenant il est auprès de Dieu. Il y
                a environ 3 ou 4 semaines, avant son décès, il a accepté
                le fait de sa mort, car il ne voulait pas y croire. Il a
                toujours lutté contre cette perspective d'être atteint
                mortellement. Mais le jour où il l'a accepté, la
                sérénité s'est installée en lui. Il n'a plus eu de
                trouble et s'est vraiment endormi. Et il est mort tout autrement que ce qu'il avait vécu.
                C'est un homme qui a vécu de façon, je dirais, hors
                série, tout en étant très régulier. Il était, disons,
                régulièrement irrégulier, ou je ne sais pas quoi ? Il
                fallait fermer les yeux sur beaucoup de choses. Mais
                c'était un homme attaché sur lequel on pouvait compter. Il est mort tout à fait, je ne dirais pas saintement,
                mais paisiblement, sereinement, et tout à fait remis à
                Dieu ; car il sentait au fond de son coeur, et il le
                savait, qu'il avait toujours aimé le Christ, et que sa
                folie de jeunesse, eh bien, il l'avait conservée jusqu'à
                son dernier soupir. Et cette folie lui avait été
                injectée - cela, ce sont les voies de la Providence -
                par quelqu'un qui le voulait tout à lui. Et vous savez
                que Dieu, lui, appelle tout le monde ; et Dieu façonne
                les hommes comme Lui l'entend. Et nous conserverons de notre Père M un bon souvenir.
                Nous prierons encore pour lui. Et maintenant, nous
                pouvons être certain que là-bas, là où il est, nous
                avons un intercesseur et un protecteur qui nous aime
                tous et qui ne nous oubliera pas. Chapitre : L’offrande de l’encens. 03.01.80Mes frères,Le calendrier liturgique nous présente toute une gamme
                de célébrations Eucharistiques. Elle s'étend des féries
                aux solennités en passant par les mémoires, les fêtes,
                les dimanches. Il est important que cette diversité soit
                mise en valeur par la célébration ellemême. Il y aura
                les ornements, il y aura des chants, il y aura d'autres
                détails encore. Et c'est nécessaire, car il faut savoir que
                l'Eucharistie est la mise en en action, elle est
                l'actualisation du mystère de l'Incarnation. Non
                seulement l'Eucharistie, mais la liturgie dans son
                ensemble, la liturgie sacramentelle surtout, le
                sacrement étant l'action efficace ex opere operato,
                comme on dit en jargon théologique. C'est à dire que le
                geste, l'action posée produit par le fait même qu'elle
                est posée l'effet attendu, c'est à dire la divinisation
                de notre être entier, de notre corps autant que de notre
                âme. Nous ne devons pas privilégier une partie de notre être
                qui serait plus ou moins noble. Non, c'est notre être
                tout entier qui est saisi par le sacrement et qui est
                placé dans un état, qui est la mise en route déjà de la
                résurrection qui nous attend à l'heure voulue par Dieu,
                l'heure que Dieu seul connaît, résurrection de notre
                corps, de notre être entier. Nous devons donc, dans la liturgie, faire jouer en
                plein la symbolique. La symbolique est notre langue
                maternelle. Ce n'est pas quelque chose de conventionnel,
                une certaine construction arbitraire, comme ça. Non, le
                symbole est inscrit dans notre nature d'homme, dans
                notre nature matérielle, dans notre nature charnelle. Par le fait que nous faisons partie d'un ensemble, nous
                sommes une petite portion, une portion choisie de
                l'univers matériel. Et rien que ce qui se passe en nous
                : la parole, les gestes, nos postures, c'est un
                incessant rejeu des interactions du réel. Nous les
                captons en nous et puis nous les rejouons. Et c'est
                ainsi que nous pouvons communiquer entre nous. Il y a
                donc un langage commun à tous les hommes, et c'est le
                langage du symbole. Naturellement il y aura des petites adaptations suivant
                les cultures, les lieux, les endroits, les expériences
                des hommes. Mais il est, je le dis, notre langue
                maternelle. C'est la première que nous connaissons.
                C'est ainsi que les enfants, les tous petits enfants
                s'expriment avant de mettre en oeuvre leurs organes
                vocaux. La voix n'est autre qu'un moyen de communiquer
                aussi par voie de symboles, mais moins dispendieux
                d'énergies que la gesticulation. C'est un mini geste
                pratique. Or, il y a dans notre liturgie un symbole d'une très
                grande richesse. Et je pense que le moment est venu, au
                seuil de cette année, de le remettre en valeur. C'est
                  l'offrande de l'encens, ou si vous le préférez, le
                rite de l'encensement. Mais je pense que le terme de :
                offrande de l'encens, est beaucoup plus vrai. Je vais essayer très rapidement de vous ouvrir quelques
                pistes de réflexions. Vous pourrez les parcourir
                vous-mêmes, si vous en avez envie. Peut-être qu'un jour
                ou l'autre, à une occasion ainsi, j'aurais l'occasion
                d'y revenir. Mais s'il fallait s'y attarder, ça
                prendrait beaucoup trop de temps. Je voudrais être court
                et bref ce soir. D'abord l'encensement met en oeuvre du feu et des
                substances aromatiques. Vous avez des aromates qui sont
                déposés sur un feu. Ces aromates sont consumées
                entièrement, elles sont détruites, elles sont
                soustraites à l'usage de l'homme, elles sont sacrifiées.
                C'est un véritable holocauste. Les Juifs, les Hébreux,
                les Israélites le connaissaient déjà. Il y avait à côté
                de l'offrande de viandes, il y avait aussi une offrande
                d' encens. Naturellement il faudrait étudier maintenant
                les rapports entre les deux. Mais enfin, vous comprenez
                l'importance de la chose. Vous avez un feu... Maintenant pensez un peu ce que signifie le feu pour un
                homme. Nous ne saurions pas vivre sans feu. Le jour où
                l'homme a maîtrisé le feu, c'est alors que la famille
                est née, la véritable famille, donc la famille à
                l'intérieur de la tribu. Et aujourd'hui encore, on va
                dire que ce village compte autant de feux, pour dire
                qu'il y a autant de familles. Alors ce sont des substances aromatiques qu'on va
                offrir. Mais cette offrande, elle est accompagnée de
                gestes. Et ce sont des gestes de tout le corps. Il y a
                les bras, il y a les mains, il y a le corps. C'est un
                geste d'offrande. Ce doit être souple, dégagé, ce doit
                être beau, ce doit être élégant. Dans des écoles de
                chorégraphie, on va pendant longtemps apprendre aux
                élèves à effectuer le geste de l'offrande. Et ce n'est
                pas facile ! Le rituel cistercien disait auparavant - mais c'est
                encore valable aujourd'hui, c'est valable pour toujours
                - que l'encens devait être offert gravi et decoro
                  motu, dans un mouvement lent, et decoro, et
                élégant, beau. Voyez, c'était pourtant de ces anciens
                trappistes enfin j'ai encore connu cela, ce n'est pas si
                vieux, si vieux - c'était des hommes qui étaient malgré
                tout des hommes durs pour le travail. J'ai parlé du Père Michel hier. Voyez encore les
                prédécesseurs, c'étaient des gens durs. Mais malgré tout
                ils savaient que ce geste d'offrande devait être lent,
                dégagé, qu'il devait être beau dans le mouvement de
                l'offrande. Il y a aussi un geste de tout le corps, car lorsqu'il
                faut encenser l'autel, il y aura une démarche
                circulaire. Et cette démarche circulaire doit être aussi
                une véritable marche, ça ne doit pas être désordonné. Et
                ici, elle s'apparente à la danse sacrée. Ce doit être un
                vestige des danses sacrées qui existaient, qui existent
                encore dans les rites, appelons-les païens, qui
                existaient dans le rite Israélite, qui existent encore
                dans certains rites chrétiens. Eh bien, c'est cela, vous
                voyez. Mais naturellement, tout cela est chargé et lourd,
                lourd d'expression gestuelle. Car souvenez-vous de
                l'honneur que nous devons rendre à Dieu par notre
                attitude. Dieu est créateur de beau, et ce que nous lui
                offrons dans un holocauste où nous ne retenons
                absolument rien pour nous, ce ne doit pas être un geste
                qui nous crispe. Non, c'est tout nousmêmes, dans la
                beauté, qui devons nous offrir à Dieu avec cet encens. Et cet encens, ce sont des aromates. L'encens est une
                des portions de ces aromates : c'est un grain. Mais il y
                a d'autres choses que de l'encens. Ce sont des aromates,
                et ces substances aromatiques dégagent un parfum. Ce
                parfum doit être agréable. Il y a des aromates ainsi,
                qui sont vraiment bonnes. Et ce parfum ? Il doit nous rappeler et il nous
                rappelle ce que l'Apôtre Paul nomme : la bonne odeur du
                Christ que le chrétien doit répandre partout, mais
                surtout au moment où il offre le sacrifice
                Eucharistique. Et cette bonne odeur du Christ, elle
                chasse la puanteur des démons. Ils sont comme lui des
                "mis à mort" pour la vérité, en témoignage de ce que
                Dieu est vrai, de ce que Dieu est Amour. L'autel est un tombeau. Mais il est aussi l'endroit sur
                lequel descend l'Esprit de Dieu, qui va se saisir de ce
                qui est là pour faire apparaître corporellement,
                mystiquement le Christ devant nous ; mais le Christ
                ressuscité alors, le Christ transfiguré, le Christ
                triomphant et le Christ qui va se donner à nous comme
                nourriture et comme breuvage. Voila ce qu'est l'autel. Eh bien, cet autel est alors parcouru, et il est
                encensé, encensé toujours avec ce parfum qui est
                l'évocation de l'embaumement du Christ. Il a été
                embaumé, il a été frotté, enduit de parfums au moment où
                il a été enseveli. Et ça nous rappelle aussi que nous
                devons enduire, ou verser sur la tête, sur le corps du
                Christ le parfum de notre vie, ce qu'a fait Marie de
                Béthanie, quelques jours avant la mort du Christ. Elle a
                versé sur le Christ ce parfum d'un prix extraordinaire,
                en prévision de mon embaumement, disait le Christ. Eh
                bien, c'est cela qu'évoque pour nous l'encensement de
                l'autel. C'est là aussi le langage que nous utilisons lorsque
                nous allons encenser l'évangéliaire, évangéliaire qui
                est le porteur de la Parole de Dieu. Le Christ Parole de
                Dieu, ici Verbe de Dieu, va s'adresser à l'assemblée
                directement, immédiatement. Et avant qu'il ne parle,
                dans un acte de foi et d'amour, on va reconnaître sa
                présence, encore une fois, en parfumant la Personne du
                Christ qui est là présente dans le Livre Saint. Il y a alors l'encensement des oblats, du pain, du vin
                qui sont là, qui vont être transsubstantiés. Ici, ces
                oblats, comme le terme le dit, vont être donnés. Je le
                donne à Dieu, je m'en prive. Ils ne sont pas
                holocaustes, c'est à dire qu'ils ne sont pas brûlés,
                mais ils sont tout de même tout à fait soustraits à
                l'usage profane, car ils vont être entièrement
                sacralisés, sacralisés par la transsubstantiation. L'Esprit de Dieu va descendre sur eux va s'en emparer,
                va les pénétrer, et alors va les faire Corps et Sang du
                Christ ressuscité. Voila donc le sacrifice qui est là
                mémorialisé, réactualisé devant mes yeux, devant les
                yeux de toute l'assemblée. Ces oblats, maintenant, vont
                être encensés. Ils vont être encensés parce qu'ils vont
                subir le sort de l'encens. Regardez l'encens ! Ici, il faut laisser jouer les
                yeux, la vue en plus de l'odorat, peutêtre même
                d'avantage ici la vue ? Cet encens est brûlé dans le
                feu, il s'élève en fumée et cette fumée disparaît. Elle
                disparaît et il n'en reste alors que le parfum. C'est
                l'image de ce qui se passe à ce moment. Les oblats dans
                leur état naturel disparaissent, ils sont enlevés chez
                Dieu et ils deviennent Corps et Sang du Christ. Ils sont
                devenus autre chose sous les mêmes apparences. Et il reste là : non plus du pain et du vin, mais
                uniquement les apparences du pain et du vin car en
                réalité c'est Corps et Sang du Christ. La fumée qui s'en
                va montre que ces oblats sont emportés ailleurs. Ils
                sont emportés chez Dieu, qui les fait devenir Dieu, et
                le parfum qui reste nous montre que ce qui est là
                maintenant, c'est la bonne odeur du Christ, c'est le
                Christ lui-même. Il y aura aussi la prière. C'est un geste de prière.
                Nous le disons tous les jours maintenant à l'ouverture
                de l'Office des Vêpres : que ma prière monte devant toi
                comme un encens, comme l'encens de l'offrande du soir.
                Et cette prière, c'est l'offrande de nous-mêmes, c'est
                l'offrande ici de tout nous-mêmes. Voyez dans la vision
                de l'Apocalypse, les vieillards tiennent chacun une
                coupe d'encens. Et cet encens monte devant Dieu. Lorsque lors d'une procession d'entrée, un jour de
                solennité, c'est le thuriféraire, c'est l'encens qui
                ouvre la procession. Et alors, cette bonne odeur du
                Christ chasse les démons. Dans l'enceinte du temple de
                Dieu, il n'y a plus place pour le démon. Et cette bonne
                odeur du Christ emplit le sanctuaire. Elle doit aussi
                emplir nos âmes. Il ne faut plus qu'il y ait trace chez nous de péché à
                ce moment. Nous devons laisser à la porte du sanctuaire
                tout ce qui peut nous rendre étranger au Christ. Voyez,
                c'est pour cela qu'il faut que ce parfum pénètre tout et
                que le démon soit mis en fuite. Alors, l'offrande de l'encens sollicite nos organes des
                sens. D'abord la vue. Lorsque l'encens est offert, pour
                que ce soit, ça devrait être vraiment, on devrait être
                tourné vers l'autel pour voir le spectacle. Ce doit être
                quelque chose de beau, d'agréable, de réjouissant, à
                regarder. Il y a la démarche, il y a le geste, il y a la
                fumée qui s'élève, il y a je dirais toute l'ambiance.
                C'est à voir ! Et puis entre en jeu ici, est surtout sollicité :
                l'odorat. Et ça, c'est très important pour nous, car
                nous allons aussi vers Dieu par l'odorat. Vous savez que
                le moine va à Dieu - je parle du moine parce que nous
                sommes dans un monastère - le moine ira à Dieu tout
                d'abord par l'ouïe, écouter d'abord. Il ira par
                l'odorat, il ira par le toucher, il ira par la vue. Tout
                ça c'est la vie contemplative, la recherche de Dieu.
                Mais l'odorat aussi, et l'odorat, on en parle très peu,
                pourtant il est important, très, très important, car
                l'odorat est une pré dégustation. Les dégustateurs de bière le savent très bien. Il faut
                d'abord respirer les arômes volatiles de ce liquide
                merveilleux qu'est la bière dans un beau verre, bien
                servie, avant d'en découvrir le bon goût par les
                papilles gustatives. C'est tout un rite de dégustation. Et ici, cette odeur, ce parfum est déjà une préparation
                à la dégustation que nous allons faire après du Corps et
                du Sang du Christ. Voyez, toujours cette bonne odeur du
                Christ qui est en nous, qui nous réjouit déjà, qui est
                un rafraîchissement, qui exerce une séduction, une
                séduction qui éveille le désir et qui nous porte au
                seuil de la dégustation proprement dite, de la
                jouissance et du plaisir ; au seuil de la sagesse, car
                la sagesse c'est le sapor boni, c'est le bon goût
                de ce qui est bien. Voila un peu très rapidement
                schématisé la symbolique du parfum dans une célébration
                liturgique. Ce parfum va aussi, mais c'est alors le terme, nous
                éveiller à la présence de la Divinité...et nous rendre
                désireux d'entrer en rapport avec elle, de la voir et
                d'être comblé par elle. Je dirais presque : de la
                déguster ! Il y a un goût, il y a un goût de la
                dégustation de Dieu. Voyez le contemplatif, imaginez-le
                ce contemplatif qui voit le Christ. Il voit la Lumière
                du Christ qui ruisselle vers lui comme un ruisseau,
                vraiment comme une source. Elle arrive à lui et il la
                déguste, et elle lui donne un goût, le goût de la Vie
                Eternelle. Et alors il ne sait plus se posséder. Eh
                bien, tout cela est évoqué déjà par ce parfum de
                l'encens qui se répand et qui arrive en nous. Il y a alors le rite de l'encensement proprement dit.
                Il y a l'encensement de l'autel. L'autel, c'est l'icône
                du Christ, mais du Christ mort, du Christ enseveli, du
                Christ sacrifié. Il est comme une image du tombeau. On a
                scellé dans l'autel des ossements de martyrs, les
                martyrs qui sont les compagnons les plus proches du
                Christ, qui ont vraiment partagé son sort, le plus près.
                Et cet encens, ce sont les offrandes, les prières des
                saints. Et c'est la raison pour laquelle il faut maintenant
                encenser les personnes. Il faut encenser le célébrant,
                mais il est essentiel aussi d'encenser l'assemblée, car
                c'est tous ceux qui sont présents ici qui sont pris dans
                cette fumée qui s'élève, et qui s'élève et qui monte, et
                c'est leurs prières qui montent vers Dieu. Et le parfum
                qui reste, c'est que leurs prières ont été agréées par
                Dieu et Dieu leur répond.Voilà, mes frères, j'ai essayé d'expliquer cela très
              rapidement. Vous comprendrez que pour bien faire, il
              faudrait s'arrêter longuement à chaque point. En pratique maintenant, qu'allons-nous faire ? Eh bien,
                nous allons remettre en vigueur ce rite de l'encensement
                ou cette offrande de l'encens. Les jours de solennité,
                nous pratiquerons ce qu'on appelait autrefois le grand
                encensement, donc entrée avec encens, encensement de
                l'autel au début, encensement de l'évangéliaire,
                encensement des oblats et de l'autel au moment de
                l'offertoire. Il y aura aussi encensement du prêtre, comme ça se
                fait, mais aussi encensement maintenant du chœur :
                lorsque le serviteur aura encensé le prêtre, il viendra
                se placer sur les degrés du presbytère, et de là
                encensera les moines, les frères qui se tiendront debout
                en cérémonie et tourné vers lui, comme ça se pratiquait
                auparavant. Il faut bien savoir pourquoi. J'ai
                  essayé peut-être trop rapidement de vous l'expliquer.
                  Mais je pense que vous l'aurez tout de même saisi en
                  gros. Et alors les dimanches et les jours de fête nous
                  encenserons uniquement les oblats. Et pour les féries
                  et les mémoires, eh bien nous les laisserons dans
                  l'état où elles sont maintenant. Et ainsi nous aurons
                  bien une gradation dans les célébrations
                  Eucharistiques. Cela nous aidera à mieux saisir la
                  valeur de la journée que Dieu nous prépare. Et ainsi, mes frères, je pense que entrant dans ce
                  jeu des symboles, nous pénétrerons mieux dans ce que
                  Dieu veut nous dire, nous nous laisserons d'avantage
                  saisir par lui et nous le laisserons travailler en
                  nous à plein pour que le plus vite possible et le
                  mieux possible nous puissions devenir ses véritables
                  enfants. Eh bien, voilà, ceci nous fera, mes frères, la
                  deuxième réalisation de notre année de Saint Benoît.
                  Mais n'ayez pas peur, ce ne sera pas ainsi jour après
                  jour. Il y en aura certainement encore une ou l'autre,
                  mais in tempore opportuno … Chapitre : Récollection du mois de janvier.
                    05.01.80Mes frères,Les Solennités de Noël nous replacent au coeur de
                  notre destinée d'homme si bien condensée dans cette
                  formule de Saint Benoît : ad caelestem patriam
                    festinare, se hâter, se dépêcher vers notre
                  véritable patrie qui est le ciel. 73, 22. Et cette
                  patrie est atteinte lorsque nous sommes devenus avec
                  Dieu un seul Esprit, de la même manière que lui est
                  devenu avec nous une seule chair. Il y a une difficulté et la voici : c'est que nos
                  mesures, nos unités de mesures spatiotemporelles n'ont
                  pas cours chez Dieu, dans son Royaume, dans ce qui est
                  notre vrai patrie. Mais cette difficulté, elle n'est
                  pas insurmontable. Le Christ, en effet, est venu nous
                  montrer que, non pas nous pouvons contourner cette
                  difficulté, mais qu'il était possible dès maintenant
                  de vivre dans cet aujourd'hui éternel de Dieu. Et il
                  suffit pour cela de nous glisser à l'intérieur de la
                  volonté de Dieu, de faire de cette volonté de Dieu
                  notre habitat, notre vêtement, notre nourriture. Car, la volonté de Dieu, elle est pour nous toujours
                  ponctuelle et actuelle. Ponctuelle, parce qu'elle nous
                  atteint en un point précis de notre histoire
                  personnelle. Elle est actuelle, parce qu'elle devient
                  à l'intérieur de nous un principe d'action, d'agir,
                  qui nous élève à un état de noblesse insoupçonnable au
                  départ. C'est de devenir co-auteur, co-acteur de la
                  création, de devenir le collaborateur à cette oeuvre
                  de Dieu qu'est la création et la transfiguration de
                  l'univers. Mes frères, notre fidélité aux vouloirs - et ici je
                  mets vouloirs au pluriel - à tous ces vouloirs de
                  Dieu, elle est ainsi présence permanente et agissante
                  du mystère de Noël, mystère de Noël qui est saisie de
                  l'humain par le divin, qui est assomption de l'humain
                  dans le divin mais pour une transformation, une
                  transfiguration totale qui va faire de nous des
                  lumières. Et nous voici au point de jonction entre cette fête
                  de Noël proprement dites et celle dans laquelle nous
                  sommes déjà entrés et qui est l'Epiphanie. Chaque fois
                  que nous faisons amoureusement la volonté de Dieu,
                  nous ouvrons une fissure dans l'opacité de la chair et
                  de la matière. Et par cette fissure peut s'échapper la
                  Lumière, cette Lumière Divine qui est comme
                  emprisonnée dans le charnel, dans le matériel. Et cette lumière qui s'est échappée, elle peut alors
                  se répandre, elle peut agir. Elle peut faire avancer
                  le monde un peu plus près de son sommet, de son état
                  de perfection. Naturellement pour nous, à notre
                  échelle, ce n'est pas pour demain ? Et c'est ici que
                  nos unités de mesure ne jouent pas ! Mais pour Dieu ? Pour Dieu c'est bientôt, pour Dieu c'est aujourd'hui
                  ; et c'est ainsi que notre union de volonté à celle de
                  Dieu nous introduit dans cet aujourd'hui intemporel,
                  éternel qui est celui de Dieu, Dieu pour lequel le
                  monde est déjà arrivé à sa totale transfiguration en
                  lui. Dieu est déjà tout en tout
                  maintenant. Mais cela doit apparaître à notre niveau à
                  nous. Et chaque fois ainsi que nous parvenons à nous
                  unir à Dieu de tout notre être, grâce à la clef de
                  notre volonté, à ce moment là nous libérons la
                  Lumière. Mes frères, l'année de Saint Benoît, nous allons la
                  placer sous le signe de la Lumière, de cette Lumière
                  qui attend d' être libérée en nous. Cette lumière, qui
                  une fois libérée, une fois apparue, attend d'être
                  admirée, applaudie, vénérée, adorée, aimée. Car la
                  Lumière de Dieu, nous le savons, c'est la Personne du
                  Verbe Incarné, la Parole du Christ aujourd'hui
                  ressuscité et transfiguré. Et nous ne le dirons jamais
                  assez ! Il faudrait le répéter. Il faudrait presque
                  l'inscrire partout. Mais n'est-ce pas inscrit partout,
                  du fait que nous sommes ici chez lui dans la maison de
                  Dieu, que nous sommes ses hôtes, ses invités. Eh bien,
                  le Christ ressuscité, il est vivant et présent ici
                  parmi nous. Voilà, mes frères, nous devons essayer d'avancer dans
                  l'année de Saint Benoît sur les traces de cette
                  Lumière, à la quête de cette Lumière. Et comme le dit
                  Saint Benoît : courir. La note spécifique qui va
                  distinguer le moine du chrétien ordinaire, c'est que
                  le moine c'est un homme qui se hâte, qui se dépêche,
                  qui se presse comme le dit Saint Benoît, qui court.
                  Mais il ne court pas à la légère, il sait où il va. Il
                  court pour essayer de saisir Celui par lequel il a
                  déjà lui-même été saisi. Mes frères, cette Lumière, elle est en nous parce que
                  nous sommes des hommes. Mais disons, qu'elle a été
                  ranimée, elle a reçu une intensité plus puissante en
                  nous du fait que grâce au baptême, maintenant nous
                  avons été greffés, hantés sur le Christ. Nous ne
                  faisons plus avec Lui qu'un seul Corps. Sa Vie circule
                  en nous. Eh bien, nous allons maintenant nous
                  replonger mystiquement dans les eaux de notre baptême
                  afin de ranimer cette vie en nous, de donner un nouvel
                  éclat à cette Lumière.Nous allons demander à l'Esprit de Dieu de descendre
                  sur cette eau, nous en serons aspergés. Elle va nous
                  purifier de nos souillures. Et au seuil de cette année
                  de Saint Benoît, elle va nous donner la force de
                  courir jusqu'au terme de notre espérance, qui est de
                  devenir nous-mêmes une lumière ; Lumière dans le
                  Christ, le Christ Lumière en nous, Lumière qui pourra
                  alors se propager, s'infiltrer dans tout l'univers et
                  hâter l'avènement tant désiré du jour de Dieu.
 Chapitre : La xenitheia. 07.01.8012. Je ne suis pas appelé seul !(Voir précédent : le 18.12.79)Mes frères,
 Lorsque je me suis présenté à la porte du monastère,
                invité par Dieu à habiter ici en ce lieu, dans sa
                demeure, dans sa maison, quand je suis entré à
                l'intérieur et que j'ai commencé à y vivre, je me suis
                aperçu que cette maison était occupée. Elle n'était pas
                vide. Et le premier occupant de cette maison, c'était
                Dieu. Naturellement étant encore un pauvre postulant, je ne
                me rendais pas compte de ça. J'avais très bien
                conscience, ma fois, d'être étranger quoi ! C'est pas
                moi qui suis chez moi et les autres qui seraient pas
                chez eux. Non, c'était l'inverse et je me tenais bien
                tranquille comme un postulant qui se recommande. Mais je n'avais pas du tout conscience que la maison
                était d'abord occupée par Dieu. Je ne l'ai découvert que
                peu à peu, insensiblement. Cette conscience de la
                présence de Dieu pénètre, et alors ça modifie en
                beaucoup l'attitude, le comportement, la façon de se
                tenir. Cette maison est donc la maison de Dieu. Il y
                habite, il y est partout présent. Mais surtout à un
                endroit, comme nous le dit Saint Benoît, qui est
                l'oratoire. On pourrait très bien ici se demander : oui, Dieu est
                partout présent, mais il y a des endroits où il est plus
                présent qu'ailleurs ? Qu'est-ce que c'est que pour un
                drôle de Dieu ? On pourrait commencer maintenant tout un
                exposé sur les différents modes de présence de Dieu.
                Mais enfin pour ça, vous pouvez vous référer aux livres
                de Théologie ou de Spiritualité qui vous expliqueront
                cela beaucoup mieux que moi. Prenons les choses plus simplement comme des
                contemplatifs doivent les prendre et pas comme des
                spéculatifs, et disons : voila, nous sommes chez Dieu.
                Et lorsque je vais à l'église, je me rends bien compte à
                ce moment là, où je vais m'adresser à Dieu avec tous
                ceux qui sont là, que Dieu est beaucoup plus présent. Un
                groupe va s'adresser à Dieu, et du fait qu'il va déjà
                écouter, il est présent parmi nous. Car Dieu, pour nous, c'est toujours la Personne de
                Jésus Christ. Il est impossible d'aller au Père en
                faisant l'économie du Christ. On doit toujours passer
                par Lui. Il est la route. Il l'a bien dit : personne
                  ne va au Père si ce n'est par moi. Et il fallait
                déjà une belle audace pour qu'un homme dise cela ! Eh
                bien maintenant nous le croyons et nous le savons. Alors
                nous comprendrons peut-être un peu mieux, nous, que le
                Christ soit présent plus dans un endroit que dans un
                autre ; ou plutôt que Dieu soit présent et qu’il risque
                de s'évanouir dans l'absolu des idées abstraites. Mais la maison de Dieu n'est pas seulement occupée par
                Dieu. Elle a aussi d'autres occupants, d'autres hommes,
                d'autres invités. Je ne suis pas seul à être invité ici.
                Ces hommes, comme moi, ont répondu à un appel de Dieu,
                ils se sont donnés à Dieu, maintenant ils appartiennent
                à Dieu. Dieu leur confie un travail, il leur confie une
                mission. Dieu a pris possession d'eux. Eux ont remis
                toute leur vie, tout leur être, tout leur avoir, ils
                l'ont remis entre les mains de Dieu, ils ne
                s'appartiennent plus. Moi alors, qui vit avec eux, je
                n'ai donc absolument pas le droit de me les approprier. Ah non, ils sont la propriété de Dieu, ils le servent.
                Ils sont ses serviteurs ; mieux que cela, du fait qu'ils
                se sont voués à Dieu après avoir répondu à l'invitation
                de Dieu, ce sont maintenant des consacrés. En chacun
                d'eux quel qu'ils soient, il brille une lumière, cette
                Lumière de Dieu, cette Lumière qui est la Vie
                Christique, cette Lumière qui est la Vie de l'Esprit.
                Cette Lumière, elle brille en eux de plus en plus. Naturellement elle est dissimulée derrière le voile de
                la chair, c'est à dire derrière le voile de ce qui
                m'apparaît de ce frère, de cet homme. Et ce qui
                m'apparaît, ce n'est pas le véritable frère, ce n'est
                pas le véritable homme, c'est ce qui me tombe sous les
                sens. Mes sens ne peuvent jamais voir que l'apparence.
                Avec un raisonnement, si je suis psychologue, je
                pourrais déduire ce qui se passe, je pourrais induire
                plutôt ce qui se passe à l'intérieur de cet homme. Mais
                je reste toujours au plan psychologique, au plan
                naturel. Il y a un niveau de profondeur auquel mon regard et mon
                analyse psychologique n'atteignent pas. C'est là que
                brille cette Lumière de Dieu, c'est là que travaille le
                Vie Eternelle que nous appelons la Grâce. Parfois, cette
                lumière, elle filtre au dehors, un éclair transparaît.
                Mais le regard de la foi qui est le mien, et qui est
                adapté à la vision de cette lumière, me permet de voir
                le regard de chacun et ça, c'est l'homme en train de
                construire son visage d'éternité à partir de cette
                lumière. C'est donc cela un consacré. Et ces consacrés ont été chargés par Dieu de différents
                travaux. Ils travaillent à son oeuvre, cette grande
                Oeuvre de Dieu, cet Opus Dei qui est la création,
                et la transformation, et l'achèvement du monde. Ces
                consacrés sont des liturges. Ils seront des prêtres dans
                le sens biblique du terme, dans le sens royal du terme,
                tous, quels qu'ils soient. Je ne parle pas ici du
                sacerdoce ministériel, mais de la fonction liturgique et
                sacerdotale que chacun, ici, remplit dans le monastère,
                quel que soit sa place. Voici donc des hommes qui sont éminemment dignes de
                respect. Saint Benoît le dira. Il dira : honore
                  invicem praevenientes, 63, 39. Dans le monastère,
                les uns les autres, les frères vont se prévenir
                d'honneur. Prévenir, cela veut dire que je n'attendrai
                pas que l'on m'honore, moi, pour que j'honore l'autre.
                Non, à l'envi, l'un l'autre on va se prévenir de mutuels
                égards, donc d'honneur, par les gestes, par les paroles,
                par les pensées, par tout. Je ne peux donc pas m'approprier ces hommes, ces
                frères. Pourquoi et comment pourrais-je me les
                approprier ? La façon la plus facile de me les
                approprier est la familiarité, mais une familiarité
                déplacée. Et ça, je n'ai pas le droit. Chacun, comme je
                viens de le dire, porte la livrée, porte l'image et
                porte le nom de ce Dieu qui est le premier occupant de
                la maison. Je ne peux donc pas me mettre à copiner,
                copain copain avec les frères ; ça c'est la façon la
                meilleure de me les approprier et de les mettre à mon
                service...et ça peut se faire mutuellement. Et c'est une
                façon très commode de neutraliser ce frère. Il pourrait très bien arriver, si j'ai une tendance à
                traiter les autres comme des copains, que c'est parce
                que j'en ai peur, que c'est parce que je suis complexé,
                que c'est parce que je dois les réduire à l'impuissance,
                et alors je les diminue. Mes frères, Saint Benoît ne veut absolument pas que
                cela arrive. Et il dira ceci :  nulli liceat puro
                  nomine appellare, 63, 27. On ne peut appeler
                personne, dans le monastère, de son nom tout simple,
                  puro nomine. Ce n'est pas un nom pur, dans le sens
                de pureté rituelle ou de pureté de coeur. Non, le purus,
                ici, le purum du nomen, c'est le nom tout
                nu, et on ne peut pas ! Il faut toujours le faire
                précéder d'un appellatif qui marque le respect, qui
                marque la déférence, la révérence même, et qui marque
                aussi la distance. Il faut toujours, dit-il, qu'on
                s'appelle frère. Pourquoi ? Et alors maintenant dans la pratique, mes frères,
                aujourd'hui, qu'est-ce qui se passe ? Dans la pratique
                aujourd'hui, eh bien je pense qu'on peut presque donner
                une décoration à ceux qui prendront encore la peine de
                dire frère, le Frère un tel ou le Père un tel. Voila, je
                vais vous donner un exemple. Si je dis, demain, mes frères, Eugène doit partir. Il a
                reçu un coup de fil à l'improviste aujourd'hui. Voila,
                il est venu me trouver tantôt et il m'a dit : écoutez,
                j'ai une affaire, il faut que je parte demain. Je dirai
                la messe, j'essayerai d'être rentré pour les Vêpres, si
                ça s'achève bien. Bien, Eugène va faire ça. Bon, voyez,
                vous sentez tout de suite si je parle ainsi, qu'il y a
                quelque chose qui ne va pas. Comment est-ce que je le
                traite? Mais non, je dirai : écoutez mes frères, le Père Eugène
                a reçu un coup de fil et demain il doit s'absenter.
                Voila, et tout de suite il est à un niveau. Le niveau
                bas ? Non, il est au niveau qui est le sien, qui est un
                niveau où je lui dois le respect, où je lui dois
                l'honneur, où je lui dois une véritable fraternité. Eh bien mes frères, lorsqu'on évite ainsi comme le
                demande Saint Benoît d'employer le mot Frère, qu'est-ce
                qui arrive ? Et bien, on désacralise les gens. Ce ne
                sont plus des consacrés, ce sont des copains, ce sont
                des bons amis, ce sont des camarades avec lesquels on
                aime bien vivre. On se sent bien, oui, peut-être ? Ou
                bien on peut blaguer, on peut tout faire, on peut tout
                demander. Non, ça ne va pas ! Ce n'est pas ça la vie
                monastique, ce n'est pas ça la vie dans la maison de
                Dieu. Là, on doit, en parlant de chacun, faire sentir qu’on
                l'estime, qu'on l'aime, qu'on le respecte, qu'on a à
                faire à un consacré, qu'on parle à un homme qui
                appartient à Dieu ; et à travers cet homme, c'est Dieu
                que je honore. Vous voyez, lorsqu'on laisse tomber ce tout petit mot
                de  frère, c'est un affaiblissement de la foi,
                c'est la foi qui est affaiblie. On ne voit plus
                l'étincelle de lumière qui se trouve dans cet homme.
                Non, on ne voit plus, on voit l'extérieur. Cet homme me
                plait ou il ne me plait pas. Et voilà, dans la façon
                dont je vais dire son nom, on sentira bien que je l'aime
                ou que je ne l'aime pas. Vous voyez, on est à un niveau
                purement humain. Alors si vous le voulez bien, ce que nous pourrions
                peut-être faire, eh bien, c'est de remettre en honneur
                ce mot frère, de ne plus jamais nous appeler
                  puro nomine, de notre nom tout nu. Mais chaque
                fois le faire précéder du mot Frère ou du mot Père comme
                on était habitué, comme ça doit se faire.Et si vous le voulez bien, ce sera notre troisième
                réalisation pour l'année de Saint Benoît. Nous nous
                sommes promis au début de cette année de nous revoir,
                que ce soit une année de rénovation intérieure, une
                année d'intériorité.
 Et vous comprenez bien que ce que je vous demande,
                c'est beaucoup plus difficile que d'organiser une visite
                guidée à l'intérieur, des jeunes, ou bien une fois,
                tien, les dames pourraient visiter à Rochefort, elles
                auraient une fois vu ; ça ce n'est pas difficile, et
                puis c'est fini. Non n'est-ce pas ! Car ici il faut se
                surveiller, c'est notre intérieur qui doit redevenir ce
                qu'il doit toujours être. Nous devons nous laisser
                reprendre par cet esprit de foi qui nous fait voir Dieu
                vivant dans nos frères, et qui nous montre que nous
                sommes les uns à côté des autres dans la maison de Dieu
                tous des serviteurs à nous respecter mutuellement et à
                nous aimer, et à aimer Dieu, le Christ qui étincelle en
                chacun d'entre nous. Voila mes frères ce que je vous propose. Je pense que
                vous serez d'accord, que nous ferons
                  tous ensemble l'effort. Et si jamais il y en a un qui
                  trébuche encore, eh bien, n'ayons pas peur de lui dire
                  : attention, c’est l'année de Saint Benoît et c'est au
                  programme. Chapitre : La xenitheia. 12.01.8013. Les rapports entre frères.Mes frères,Nous aurons peut-être estimé que Saint Benoît parlait
                  avec une rigueur un peu intransigeante, pour ne pas
                  dire trop intransigeante, des rapports fraternels à
                  l'intérieur d'un monastère. Vous savez qu'il dit, pour
                  le rappeler : il ne faut pas qu'un frère se joigne à
                  un autre frère en dehors des heures permises. Il ne
                  faut pas qu'un autre ait la prétention d'assurer une
                  certaine protection sur un frère, ou de le couvrir de
                  sa protection, ou de le défendre même, dit-il, s'ils
                  sont parents par la chair. Il est interdit, dit-il,
                  d'appeler un frère par son nom tout nu. Cela peut, du
                  moins dans notre mentalité d'aujourd'hui, créer un
                  certain malaise. On va dire : mais alors, que va devenir un monastère
                  ? Nous allons être tous les uns à côté des autres
                  comme des statuettes, comme des potiches dans une
                  vitrine. On ne peut même plus se regarder, on ne peut
                  même plus échanger un mot, ni un geste de sympathie !
                  Non mais vous voyez ce que ça va devenir ? Nous allons
                  tous devenir tristes, nous allons devenir déprimés,
                  nous allons finir par devoir suivre des traitements
                  reconstituants dans des cliniques spécialisées. Oui,
                  voilà, ce sont des réflexions que nous portons
                  peut-être en nous, que nous échangeons peut-être ? Ecoutez ! Cette intransigeante rigueur de Saint
                  Benoît, ce n'est rien d'autre que la rigueur
                  évangélique. Saint Benoît ne fait rien d'autre que de
                  reprendre les paroles da Christ et de les pousser
                  jusqu'à leurs dernières conséquences. Je ne vais pas
                  ici commencer à rappeler toutes les Paroles du Christ,
                  vous les connaissez. Il y a une logique dans la vie
                  chrétienne. Et cette logique, nous devons, nous, la
                  conduire jusqu'à son terme dans un monastère. Il faut
                  bien nous le dire. Ou alors nous sommes un homme du
                  monde et nous avons conservé notre âme de mondain sous
                  une défroque monastique. Voilà, le moine est un lutteur, il doit lutter contre
                  lui-même, contre ses tendances. Il existe une
                  fraternité, une parenté qui est d'autre nature que la
                  fraternité des affinités charnelles, des sympathies,
                  c'est cette fraternité spirituelle qui est déposée en
                  nous que nous devons cultiver. Nous sommes dans le
                  monastère invités par Dieu. Nous ne sommes pas chez
                  nous, nous sommes chez Lui. Nous devons nous
                  respecter, nous aimer, mais comme des hommes invités
                  par Dieu, comme des enfants qui sont en train de venir
                  au monde. Et si ces enfants ne viennent pas au monde dans des
                  conditions normales, ce sont des handicapés exactement
                  comme dans une naissance charnelle. Si certains
                  éléments font défaut, alors, lorsque l'enfant vient au
                  monde il est handicapé pour toujours. C'est la même
                  chose dans la maturation spirituelle d'un homme. Et
                  c'est pourquoi Saint Benoît peut paraître si sévère... Je vais user d'une comparaison pour essayer de me
                  faire comprendre. Nous ayons pour observer le monde,
                  les choses, les hommes, un instrument optique d'une
                  précision admirable, à condition qu'il soit bien
                  réglé. Cet instrument a deux lentilles. La première
                  est celle de notre être charnel.. Et puis en face. il
                  y a celle de notre être rené en Christ, de notre être
                  nouveau, de notre être en voie de divinisation, de
                  notre être en voie de spiritualisation. Si ces deux lentilles ne sont pas bien accordées,
                  s'il y a un défaut de réglage, alors notre vision du
                  monde et de nos frères devient floue, elle est vague,
                  elle est fausse. Pour que l'instrument fonctionne
                  comme il doit fonctionner, il faut que les deux
                  lentilles soient axées sur la même ligne, il faut que
                  les deux foyers soient concentrés sur le même point. A
                  ce moment notre vision, notre appréhension est filtrée
                  par la seconde lentille qui est la lentille
                  spirituelle, la lentille de notre être nouveau en
                  Christ. Et à ce moment, notre perception des choses et des
                  hommes devient vraie. Nous voyons tout à travers,
                  toujours, nos yeux, notre intellect, notre
                  appréhension charnelle. Nous commençons à voir toutes
                  choses, et nous les voyons dans leur vérité, dans leur
                  beauté, dans leur force, tel que Dieu lui-même les
                  voit. Et toute l'ascèse prévue par la tradition monastique
                  et reprise ici par Saint Benoît, c'est de procéder à
                  ce réglage pour que les deux lentilles soient toujours
                  dans le même champ, bien réglées et pour que notre
                  jugement devienne le jugement même de Dieu ; ou bien
                  que le jugement de Dieu prenne possession de notre
                  jugement à nous et que nous soyons toujours en
                  possession de la vérité. Et c'est ainsi que Saint Benoît peut paraître un peu
                  dur dans la réglementation des rapports entre frères.
                  Mais cette apparente dureté n'est rien d'autre que la
                  mise au point de l'appareil. Et cet appareil, il faut
                  peut-être un peu forcer ; mais dès l'instant où c'est
                  bien réglé, il n'y a plus de problèmes. Mais on va
                  dire : oui, mais ça c'est au terme ! Oui c'est au
                  terme, mais nous sommes déjà engagés sur cette route
                  dès le départ, et Saint Benoît le dit très bien. Voici comment Saint Benoît voit les choses. Il dira :
                  Tous les regards, les regards de tous doivent être
                  centrés sur la Personne du Christ, du Christ qui est
                  dans son être Dieu, du Christ qui est Lumière et du
                  Christ qui est Vie. Alors, par le fait même, tous et
                  chacun participent à cette Vie, à cette Lumière qui
                  sans cesse coule de la Personne du Christ, qui envahit
                  chacun des frères. Et cette participation à la même
                  vie crée une union dans une saine amitié spirituelle. Nous fêtons aujourd'hui Saint Aelred qui a été un peu
                  - pas le docteur, c'est un grand mot, ni le promoteur
                  - mais le chantre de cette amitié spirituelle, donc de
                  cette amitié qui a sa source dans l'Esprit de Dieu,
                  cette amitié qui va unir les personnes divines, cette
                  amitié qui va unir les deux natures de la Personne du
                  Christ, cette amitié qui va unir le Christ à son
                  Eglise, qui va unir tous les hommes entre eux. Et cette amitié, c'est autre chose que l'amour. C'est
                  à un niveau, je dirais, plus universel, plus humain
                  que l'amour. L'amour est un sentiment déjà assez
                  spécial et assez spécialisé. L'amitié est plus
                  spontanée. -L'amour est plus recherché. L'amour est
                  plus sélectif et plus électif. L'amitié est un
                  sentiment beaucoup plus général, beaucoup plus facile.
                  L'amitié est la base d'un véritable amour. Il ne faut
                  pas s'imaginer qu'il y aura de l'amour là où il n'y
                  aura pas d'amitié. Et c'est pour ça que Aelred va parler d'abord de
                  cette amitié spirituelle qui est la base de toute
                  véritable relation à l'intérieur d'une maison qui
                  s'honore d'être la maison de Dieu, où vivent des
                  hommes qui sont des fils de Dieu, des hommes qui ne
                  vivent que pour Dieu. Et cette amitié spirituelle,
                  naturellement, elle va engendrer le respect, l'estime,
                  l'admiration. le service. une authentique fraternité. Et voici ce qu'en dit Saint Benoît. Enfin vous le
                  connaissez tous, c'est en soi le dernier chapitre de
                  sa Règle, où il parle du zèle bon que doivent avoir
                  les hommes. Le zèle, c'est le mot grec qui signifie le
                  bouillonnement. C'est donc de l'eau qui bouillonne,
                  qui est sur le feu, ça remue, et puis il y a toutes
                  sortes de bulles qui viennent au dessus. Il y a une
                  vapeur qui se dégage. C'est cela le zèle
                  étymologiquement. Saint Benoît va dire, mais je ne vais pas commencer à
                  commenter cela, je vais simplement le rappeler, le
                  lire Il dira : ce zèle, il faut que les moines
                  l'exercent ferventissimo amore, 72,6, avec un
                  amour brûlant, bouillant, ferventissimo. Entre
                  zèle et ferventissimus, c'est une synonymie,
                  c'est donc un zèle à une puissance quasi infinie ; ça
                  veut dire que pour l'exercer convenablement il faut
                  être soi-même brûlé par l'amour divin. Et ça veut dire, dit-il, à savoir : il faut se
                  prévenir d'honneur les uns les autres. Il ne faut pas
                  attendre que mon voisin m'ait d'abord salué, même si
                  je suis l'Abbé. Non, je dois prendre l'initiative de
                  saluer celui que je rencontre. Et nous devons faire ça
                  les uns les autres, se prévenir ! Je prends cette
                  petite chose du salut, mais il y en a bien d'autres
                  dans une vie. Alors, dit-il, il faut supporter avec
                  une patience infinie les infirmités des corps et des
                    morum, les infirmités corporelles, physiques et
                  psychiques et psychologiques : les siennes propres
                  d'abord et puis alors celle des autres. Mes frères, retenez bien ceci : s'il y en a parmi
                  nous qui ne savent pas supporter leur voisin, c'est
                  parce qu'ils ne savent pas, d'abord, supporter leur
                  propre misère, n'est-ce pas. Frère Jules, il me fait
                  un grand signe d'approbation. Voila un homme
                  d'expérience qui sait, lui, supporter tout le monde,
                  vous voyez ! Mais nous devons d'abord savoir ça. Et
                  soyons bien prudent, parce que ça, ça nous trahit. Et
                  je vous donne la recette, ne l'oubliez pas. Alors, dit-il, il faut que les frères se : 
                    impendant certatim sibi oboedientiam, 72, 10,
                  qu'ils se.... Ici vous voyez, c'est pesé, impendere.
                  J'ai pesé mon poids, un poids juste, c'est juste. Et
                  puis alors je le donne aux autres, l'obéissance. Mon
                  obéissance, c'est moi. Et mon obéissance, elle est
                  toujours à son poids juste, il n'y a pas de fausse
                  mesure. Et alors voilà, je la donne et on fait ça les
                  uns les autres. Il n'y a donc pas de fausseté dans les
                  balances dans l'obéissance qu'on se donne. Alors, dit-il, personne ne doit suivre ce qu'il juge
                  utile pour lui-même mais d'abord ce qui est utile à
                  l'autre. Et ça va bien, mais c'est toujours comme ça
                  m'arrange, et puis les autres suivront. On entend dire
                  si souvent ça. Pas ici, vous savez, mais dans le
                  monde. Elle est toujours d'accord, dira un époux de sa
                  femme, ou les enfants de leur mère, elle est toujours
                  d'accord à condition que ça l'arrange ; et comme ça
                  l'arrange, tout le monde doit suivre. Vous voyez, c'est çà, et c'est surtout très grave de
                  la part de l'Abbé, qui ne peut jamais, lui, choisir ce
                  qui l'arrange lui, mais ce qui arrange les autres.
                  Mais c'est vrai pour chacun de nous, alors ! Alors, dit-il, il faut que, encore une fois, ils se
                  donnent chastement la  caritatem fraternitatis,
                  l'amour de cette fraternité. Et voila, nous y sommes.
                  C'est là que Saint Benoît veut arriver. C'est cela la
                  véritable amitié spirituelle, celle qui naît d'une
                  harmonieuse fusion entre la xenitheia, vous
                  voyez, l'expatriation hors de chez soi, hors de sa
                  famille, hors de soimême. Cette expatriation qui fait
                  que nous appartenons au Christ, chacun, mais alors
                  unis à une participation à la même vie divine. C'est cet harmonieux équilibre, cette harmonieuse
                  fusion qui va amener le moine à pouvoir ainsi donner à
                  tous ses frères - chastement veut dire lumineusement -
                  cet amour fraternel. Et pourquoi ? Et Saint Benoît
                  réserve ça pour la fin, parce que c'est le point de
                  visée, c'est alors que les deux lentilles sont
                  parfaitement réglées. Si, dit-il, Christo omnino
                    nihil praeponant, 72, 14. Il faut que absolument
                  rien ne soit placé pour eux avant le Christ. C'est ça le point de visée ! C'est ce que je disais
                  tantôt : tous les regards tournés vers le Christ de
                  qui vient la Lumière et la vie pour chacun ; cette
                  Lumière, cette Vie nous transforment chacun et alors
                  elle nous fait partager vraiment la même Vie Divine,
                  et non pas les uns à côté des autres, mais les uns
                  dans les autres. Alors, nous ne formons plus qu'un
                  seul Corps. Et voilà, mes frères, j'espère que nous y
                  arriverons. Nous y sommes déjà engagés. Mais j'espère
                  que nous parviendrons à pousser ce bel idéal qui est
                  le nôtre jusqu'à son entière perfection. Chapitre : Clôture du Temps de Noël. 13.01.80Mes frères,Nous voici arrivés au terme du temps de Noël. Nous
                pourrions nous arrêter encore quelques instants et
                essayer de dégager des conclusions, dans la pensée de
                cette année qui est consacrée à Saint Benoît. Noël se dresse au seuil de cette année comme une
                lumière, une lumière qui trace la route sur laquelle
                nous sommes invités à marcher, et qui la dessine
                jusqu'au plus lointain, jusqu'à cet infini qui se perd
                en Dieu. Voyez en pleine nuit une autoroute éclairée, de
                magnifiques courbes, et on peut suivre ce tracé jusqu'au
                plus lointain, jusqu'au moment où-on n'aperçoit plus
                rien, où la lumière se perd elle-même dans l'obscurité.
                Voila Noël, mes frères ! Mais Noël est aussi pour nous une lumière qui nous
                donne la sécurité. La sécurité, parce que cette lumière
                est nourriture. Elle est notre approvisionnement pour
                que nous ne défaillons pas en chemin. Et enfin, Noël, la
                lumière de Noël au seuil de cette année, elle est notre
                récompense. Car lorsque nous serons arrivés au terme de
                la route, nous serons tout à fait assimilés à elle. Nous
                serons nous-mêmes devenus lumière, perdu en elle. On ne
                saura plus voir si c'est elle qui nous donne d'être
                lumière, ou si c'est nous qui lui donnons à elle d'être
                lumière... Je vais reprendre chacun de ces points. D'abord Noël
                est au seuil de notre année le tracé de notre route.
                Pourquoi ? Mais parce que Noël est la présence active de
                notre vocation d'homme. Dieu est devenu homme. C'est
                beaucoup plus que Dieu qui habiterait dans un homme. Les
                hérétiques, au début de l'ère chrétienne n'ont pas voulu
                croire, n'ont pas pu croire. Ils ne pouvaient pas donner
                leur foi à cette réalité que Dieu était homme. Mais Dieu est homme, il le devient encore maintenant.
                Le fait de Noël n'est pas terminé, le fait de Noël se
                poursuit encore. Dieu devient homme à tout moment en
                chacun de nous. Il deviendra homme jusqu'à ce que il
                n'ait plus d'homme sur la terre. Et à ce moment là,
                toute l'humanité sera devenue son Corps, toute
                l'humanité sera devenue Dieu. C'est jusque là que doit
                arriver cette route. Et ainsi nous voyons que Noël, que la Lumière de Noël
                est à côté de nous. Elle est cette présence de ce
                travail d'incarnation de Dieu, à côté de chacun de nous,
                et à côté de toute l'humanité jusqu'à ce que le grand
                Corps soit constitué. Ainsi, Dieu en devenant homme, il a effectué le saut
                décisif par dessus l'abîme qui sépare le divin de
                l'humain. Et ce pont, une fois jeté entre les deux, ne
                peut être coupé. Voici que notre route devient un pont. Au début, au départ de cette route, il y a  l'homo
                  pecator, il y a l'homme pécheur que je suis. Au
                terme de la route, il y a l'homo deificatus, il y a
                l'homme divinisé que je suis devenu. Et entre les deux,
                il y a ce pont, ou cette route que Saint Benoît a si
                bien définie. Il l'a définie parce qu'il l'a découverte
                dans la personne du Christ, qui Christ, Dieu devenu
                homme, marche devant nous sur cette route, dessine cette
                route, l’ouvre devant nous. Et c'est la fameuse  via obaedientiae de Saint
                Benoît, cette route de l'obéissance, la seule par
                laquelle il soit possible d'aller à Dieu. Car c'est elle
                que le Christ ouvre devant nous, lui qui étant Dieu a
                voulu devenir homme afin de pouvoir être obéissant
                jusqu'à la mort et ainsi parvenir à la plénitude de la
                gloire, de retour auprès de ce Dieu duquel il était
                sorti. Voilà mes frères le tracé de cette route que
                Saint Benoît, lui, connaissait très bien, que Saint
                Benoît a parcouru avant nous, et qu'il nous demande de
                suivre à son exemple. Et Noël va être ainsi pour nous
                lumière, parce que Noël sera route pour nous. Mais Noël est aussi ce qui nous donne la sécurité. Il
                est une Lumière qui nous donne la sécurité parce que
                elle est fortifiante présence de l'amour que Dieu nous
                porte. Dieu a tellement aimé le monde qu'il a voulu
                  devenir homme, qu'il a voulu donner son fils pour que
                  nous ayons en lui la vie perdurable, la Vie Eternelle,
                  la Vie qui est la sienne. Et cette sécurité, cette sécurité nous donne confiance,
                parce qu'elle va s'exprimer dans cette formule si belle
                encore de Saint Benoît, celle qui nous fait nous jeter
                dans l'amour de Dieu, qui nous fait nous nourrir de cet
                amour. Car cette Lumière qu'est Noël, elle devient notre
                nourriture. Et cette formule, la voici :  de Dei misericordia
                  numquam desperare, 4, 90, ne jamais désespérer de
                la miséricorde, de l'amour que Dieu nous porte, de
                l'amour qu'est Dieu. Dieu a voulu devenir homme, pour
                que jamais nous n'ayons à perdre confiance. Il savait
                très bien qu'en devenant homme, il devenait péché sans
                être pécheur. Eh bien, il m'aime comme je suis. J'aurais
                donc confiance parce que je vais apprendre à m'aimer
                moi-même tel que je suis. Et pourquoi ? Mais parce que le plus grand honneur, le plus grand
                bonheur, la plus grande joie que je puisse lui donner,
                c'est de m'aimer tel que je suis. Car c'est tel que je
                suis qu'il veut devenir, qu'il devient en me divinisant.
                Naturellement, comme il est Lumière, toutes les ombres
                qui sont en moi finiront par s'effacer. Mais il est déjà
                en moi maintenant, et c'est ce qui me donne confiance. Mais cette confiance qui me fait m'aimer tel que je
                suis, va m'apprendre à aimer mes frères tels qu'ils
                sont. Et alors va se tisser entre nous ces liens de la
                vraie fraternité, celle dont j'ai parlé hier, la
                  caritas fraternitatis, cette charité, cette
                  agapè qui fait de nous des frères. Mais ce ne sont
                pas des frères au sens analogique du terme, mais des
                frères réels parce que partageant la même vie, parce que
                partageant la même nourriture, qui est cet amour et qui
                est cette Lumière. Et enfin, devenant ainsi chacun et tous des lumières
                dans le Christ, nous formons un temple mystique, un
                temple spirituel, un temple divin dans lequel Dieu
                habite. Et ce temple que nous sommes, il devient l'âme
                de cette maison de pierre qui est la demeure de Dieu. Voilà, mes frères, en quoi Noël peut nous donner la
                sécurité. Le moine, c'est un homme qui ne devrait jamais
                avoir peur, quoiqu'il arrive. Pourquoi ? Mais parce
                qu'il est ainsi habité par Dieu, il est maison de Dieu,
                il est nourrit par Dieu, il est porté par l'amour de
                Dieu, par cette Lumière. Dieu devient en lui, de
                nouveau, Christ ! Et alors enfin, Noël est Lumière au seuil de cette
                année de Saint Benoît parce que Noël est la présence sur
                notre route de notre récompense, car nous sommes en
                train de devenir lumière dans le Christ. Et ici, Saint
                Benoît est encore très explicite. Il nous dit : Eh bien,
                ouvrez les yeux tout grand vers la Deificum lumen,
                P, 25, vers cette Lumière qui vous divinise, qui vous
                fait devenir des dieux. Ouvrez-les, parce que c'est par
                vos yeux que cette Lumière va entrer et transformer
                toute votre chair. Et ici, il n'y a plus de mots, il faut abandonner cette
                expérience au secret de chacun. Et Saint Benoît le sait
                encore lorsqu'il dit : alors taisons-nous parce que
                attendons ce que l'Esprit Saint va daigner manifester en
                chacun, Spiritu sancto dignabitur demonstrare,
                7, 188. Il va le manifester dans l'invisible du regard
                charnel ; mais à travers la lentille spirituelle, dont
                j'ai encore parlé hier soir, cela deviendra perceptible. Voila, mes frères, en quoi au seuil de cette année de
                Saint Benoît, Noël peut devenir et rester pour nous une
                Lumière, une présence, présence de notre route, présence
                de notre sécurité, présence de notre récompense. Le 1° Janvier, je vous avais proposé de placer cette
                année consacrée à Saint Benoît sous le signe de la
                Lumière. Eh bien, nous essayerons qu'il en soit ainsi.
                Cette Lumière, nous la connaissons, c'est la Personne de
                Jésus Christ. Car cette Lumière, ce n'est pas encore une
                fois un symbole, ce n'est pas une réalité purement
                mystique. Non, c'est de la chair, c'est un homme. Et cet homme,
                il peut être mangé, ne l'oublions jamais. Il se donne à
                manger à nous chaque jour dans l'Eucharistie, il y est
                bu. C'est une Lumière liquide, c'est une Lumière solide.
                Et il est né, il est mort, il est ressuscité, il est
                transfiguré pour que nous puissions, nous, faire cette
                expérience. Tous les hommes doivent la faire. Mais il demande, il
                attend, il espère que nous, dans notre monastère, dans
                sa maison, ici, nous la fassions en plénitude, afin qu'à
                partir de nous elle puisse se répandre dans tous les
                hommes. Voila mes frères, c'est notre programme, c'est le
                programme de notre vie. Nous allons nous y donner avec
                amour, avec confiance et surtout avec cette espérance
                qui jamais ne déçoit. Chapitre : La xenitheia. 14.01.8014. Le respect de mes frères, le respect de
                  moi-même.Mes frères, Me voici donc vivant ici dans ce monastère,
                où plutôt dans la maison de Dieu, avec Dieu, et avec des
                hommes qui comme moi ont répondu affirmativement à
                l'invitation de Dieu. Je suis avec des consacrés à Dieu,
                chez Dieu. Et mon être tout entier est saisi de respect,
                un respect pour Dieu qui m'a invité, un respect pour ces
                hommes qui m'acceptent parmi eux comme un frère. Saint Benoît nous demande que cette disposition nous
                habite à tout moment, jusqu'à la fin de nos jours. Il
                faut même qu'elle croisse en nous. Elle ne peut pas
                s'évanouir, elle ne peut pas se dissoudre malgré les
                chocs que je puis recevoir, malgré les déceptions que je
                puis rencontrer. Non, ce respect doit demeurer. Et Saint
                Benoît va l'appeler du beau nom d'humilité. Et ça doit
                se trouver surtout dans la personne de l'Abbé. Remarquez combien de fois Saint Benoît lorsqu'il parle
                soit de l'Abbé, soit d'un ancien, soit de quelqu'un qui
                est soi-disant apparemment élevé en dignité, il usera
                d'un comparatif. Il dira "plus", il dira ce doit être
                mieux, ce doit être d'avantage. Non pas que cet homme
                doive donner l'exemple aux autres, mais c'est parce que
                ça répond vraiment à sa situation. Plus il est élevé en
                mission par rapport aux autres qui l'ont choisi
                justement pour cette mission - je pense ici à l'abbé -,
                qui lui ont demandé de prendre sur lui cette charge -
                car c'en est une - à ce moment-là il doit être plus que
                tout autre saisi par ce respect. Car lui surtout doit
                avoir conscience qu'il est chez Dieu et qu'il a à faire
                à des hommes qui sont consacrés à Dieu, qui
                appartiennent à Dieu. Mes frères, le fait que je vive chez Dieu avec des
                consacrés m'oblige à opérer un retour sur moi. Et je
                constate que ma personne acquiert, du fait de cette
                situation qui est mienne, que ma personne acquiert une
                dignité nouvelle. Mais je ne parle pas ici de
                l'Abbatiat, non, simplement d'un frère parmi les autres.
                Je parle à la première personne parce que c'est peut
                être plus facile pour le sujet qui nous occupe
                maintenant. Je suis devenu un domesticus Dei,
                comme Saint Paul dira que nous sommes des domestici
                  fidei. Notre maison, c'est la foi, dira-t-il. Eh bien, ma maison ici c'est chez Dieu. Je n'ai plus
                d'autres maisons que celle-là. Je me suis expatrié de ma
                maison, de ma parenté, de mon endroit de travail, du
                lieu où je gagnais ma vie. Je m'en suis expatrié, j'ai
                traversé un vide, je n'étais plus chez moi. Je n'étais
                encore nulle part, et puis je suis arrivé chez Dieu. Et maintenant la maison de Dieu est devenue la mienne.
                Mais j'y suis  au titre d'hôte. Mais Dieu, lui,
                a des vues sur moi. Il ne veut pas me laisser à un
                niveau qui pour Dieu est encore trop bas. Je serais
                toujours étranger dans la maison de Dieu, je devrai
                toujours m'en souvenir, j'aurai été un invité. Mais Dieu
                ne veut pas m'accabler par ce sentiment que je serais
                étranger. Non ! Je ne dis pas que Dieu veut effacer ce sentiment
                de moi. Non, il y sera toujours, il demande qu'il y soit
                toujours vivant. Mais ça ne peut pas devenir un
                complexe, ça ne peut pas devenir un traumatisme chez
                moi. C'est un état qui est tel, et je ne saurais pas le
                changer. J'ai été invité chez Dieu, et je ne suis pas là
                de plein droit. Mais Dieu, lui, va me faire évoluer. Il va faire de moi
                son familier. Cela veut dire qu'il va me faire entrer
                dans sa famille. Car ce Dieu qui habite cette maison,
                c'est une famille de trois Personnes. J'emploie le terme
                de famille, parce que faute de mieux, c'est
                naturellement une famille, mais beaucoup plus qu'une
                famille. Me voila parmi ces trois Personnes, qui sont le
                modèle type de ce que doit être toute relation à
                l'intérieur d'une famille, à l'intérieur d'une
                communauté, à l'intérieur d'une société. C'est sur ce
                modèle type que doit se fonder tout groupement humain. Mais alors, si je deviens un familier de Dieu, Dieu va
                pouvoir me demander des services. Je deviens un
                serviteur de Dieu. Il va me demander des services. Il va
                aussi me faire partager ses soucis et il va finir par me
                confier des secrets, des choses qu'on ne dit qu'entre
                soi. Et nous entrons alors dans le domaine de ce qu'on
                appelle la vie intérieure. Et Dieu va m'apprendre à habiter chez lui dans la
                mesure où je vais habiter chez moi, avec moi...pour
                reprendre la belle expression de Saint Grégoire à propos
                de Saint Benoît. J'espère bien qu'un jour ce sujet sera
                quelque peu approfondi ici. Lorsque Dieu m'aura introduit là, il ne sera pas encore
                contant. Car de ce serviteur auquel il confie certains
                de ses secrets, il va faire un de ses enfants. Il va
                commencer à lui confier ce qui est son plus grand
                secret, c'est sa propre vie à lui. Je vais pouvoir vivre
                de la propre vie de Dieu et je le saurais. Je serais
                entraîné dans ce mouvement Trinitaire qu'on ne saurait
                expliciter. Voyez, on nous a encore parlé à midi du projet de ce
                théologien, qui est un grand théologien, qui est un des
                plus grands d'aujourd'hui. Et pendant une vingtaine
                d'année il va réfléchir sur ce problème de la relation
                entre la Trinité et sa créature. Comment ce Dieu Trinité
                peut s'emparer de sa créature. Mais il ne faut pas que
                cette plongée de Dieu dans la chair que je suis devienne
                une immanence, c'est à dire une confusion, qu'on ne
                sache plus distinguer ce qui est Dieu et ce qui est
                homme. Mais non, il n'y a pas de confusion entre les natures,
                il n'y aura pas de confusion entre Dieu et moi. Je serai
                devenu un Dieu par adoption. Mais je serai encore
                toujours par adoption, et je serai encore toujours cet
                étranger. Alors, il est difficile de parler de ces
                choses. Il est plus facile de les expérimenter que de
                les exposer. Eh bien voila, il va faire de moi son fils. Mais à ce
                moment il va commencer à mettre certain de ses biens à
                ma disposition. C'est déjà plus ! Si je suis fils, je
                deviens héritier, comme dit l'Apôtre Paul. Je serai un
                peu plus chez moi en étant chez Dieu, beaucoup plus que
                le serviteur, que le familier. Je suis un fils. Mais il
                est possible alors que Dieu ne se contente pas encore de
                cela. Il veut peut-être ? Et si je suis dans le
                monastère, dans un monastère contemplatif, je pense
                qu'on peut affirmer sans trop risquer de se tromper,
                qu'il veut certainement, si j'y consens, si j'accepte,
                si je ne recule pas, si je n'hésite pas, il veut
                peut-être encore me conduire un peu plus loin. Oui, il veut me conduire jusqu'à cet endroit qui est le
                dernier endroit, cette cellule intérieure, là où il n'y
                a personne qui entrera que Dieu et moi. Il peut vouloir
                faire de mon âme son épouse, cette fameuse sponsa
                  Verbi dont ont parlé les Pères, les Pères de
                Cîteaux surtout, Saint Bernard, et puis celui qui a
                continué après lui ses sermons à ce sujet, et puis
                d'autres encore. Mais à ce moment, qui est le sommet de
                tout, Dieu fait participer l'homme à ses facultés, à
                cette puissance de génération et d'engendrement qui fait
                que un homme puisse engendrer d'autres hommes à la vie
                divine. Et ça, dans l'invisible naturellement. Je ne pense pas ici à la paternité spirituelle, c'est
                encore autre chose. Mais dans l'invisible, dans le
                secret, dans le secret de cette cellule où il n'y a plus
                rien d'autre au fond de l'homme, Dans cette habitare
                  secum, il n'y a plus que la Trinité, il n'y a plus
                que l'âme, il n'y a plus que le Verbe, il n'y a plus que
                le Père et l'Esprit. Voila cette dignité à laquelle Dieu
                m'appelle dès l'instant où j'habite chez lui. Mais alors ? Alors, c'est là que nous devons en venir,
                je dois à ce moment me respecter moi-même. Il ne s’agit
                pas seulement de respecter Dieu, ni les hommes de Dieu
                avec lesquels je vis, je dois aussi me respecter
                moi-même. Car cette dignité que Dieu me confère, ce
                n'est pas une qualité plaquée de l'extérieur, une sorte
                d'uniforme, de livrée que je pourrais enlever ou mettre
                à ma guise. Je pense ici par exemple à ce colonel - mais ce n'est
                pas le nôtre vous savez, c'est un autre - qui tous les
                jours au matin revêtait son uniforme afin d'avoir le
                droit à la caserne de commander haut et fort, comme sa
                fonction l'exigeait. Et qui le soir, le soir, était tout
                contant d'avoir le droit de ceindre le tablier pour sous
                les ordres de son épouse essuyer la vaisselle. Ce n'est
                pas ça vous voyez ! Ce n'est pas quelque chose qu'on met
                pour s'acquitter d'une fonction, et puis après on le
                dépose au vestiaire et on met autre chose, une fonction
                tout autre. Non, c'est une dignité qui est attachée à
                l'intérieur de moi, qui fait partie de mon être. Et alors, vous voyez un peu ce qu'est ce rite baptismal
                dont on nous a parlé hier. Je ne pense pas ici au
                baptême de l'eau, mais à ce baptême, à cette plongée, à
                cette immersion dans l'Esprit et dans le feu dont on
                nous a parlé. C'est ce baptême que confère le Christ.
                L'eau, elle ruisselle à la surface de mon être, elle me
                lave, elle me purifie, elle ne pénètre pas à
                l'intérieur. Mais ce vent, ce souffle, c'est lui que je
                respire, c'est lui qui me fait vivre et c'est lui qui
                m'anime. Et je suis immergé en lui. Et ce feu auquel je
                ne sais pas échapper, et lui qui va aussi me brûler,
                consumer mes chairs, consumer tout mon être jusque dans
                ses dernières profondeurs. Voyez ! C'est cela cette onction, cette onction
                spirituelle qui va faire de moi un temple de Dieu, parce
                que l'Esprit de Dieu va m'habiter, l'Esprit de Dieu va
                me mouvoir. Or, c'est à cela que Dieu veut me conduire,
                et c'est la raison pour laquelle cette dignité qui est
                mienne, qui devient mienne, qui peut être poussée
                jusqu'à ses ultimes conséquences - ultime parce que je
                puis ultimement commencer à créer, à procréer à la
                manière de Dieu, étant devenu sponsa Verbi - vous
                comprenez que ça exige que j'aie pour moi un respect, et
                un respect digne de Dieu qui m'appelle à une telle
                destinée.Mais nous allons maintenant à l'église, et si vous le
              permettez, nous continuerons cette petite réflexion
              demain. Chapitre : La xenitheia. 15.01.8015. Tu parviendras.(Suite le 04.02.80)Mes frères,
 Nous allons pendant quelques minutes contempler et
                admirer l'état du moine qui consent à devenir un temple
                de Dieu, le moine qui accepte de se laisser exproprier
                par Dieu afin que Dieu vive en lui. Cette expérience
                doit pouvoir se ramener sous trois chefs principaux :
                une expérience d'éternité, une expérience d'amour et une
                expérience d'énergie. D'éternité d'abord, et ça signifie ceci : cette
                expérience de vie divine voit la durée se ramasser, se
                concentrer, se condenser dans l'aujourd'hui éternel de
                Dieu. Et ça se produit par une surintensité de présence
                à Dieu, de présence à soi-même et de présence au monde.
                C'est la façon dont Dieu est, c'est la façon dont Dieu
                vit. Et l'homme dans lequel se trouve cette vie divine,
                il participe à cette expérience. Si bien qu'il se trouve consciemment présent à tous les
                instants de ce que nous autres nous appellerons la
                durée, que ce soit dans le passe, mais aussi bien dans
                l'avenir. C'est ainsi que le Christ maintenant vit,
                c'est ainsi que vivent les saints qui sont dans la
                gloire. Et c'est ainsi que déjà nous, à notre toute
                petite mesure, nous commençons déjà à vivre. Il y a aussi une expérience d'amour. Et cette
                expérience d'amour, elle a pour effet d'abolir l'espace.
                Par l'amour je suis proche, je suis contigu à celui que
                j'aime. Et il arrive que nous soyons deux, trois,
                plusieurs, une multitude en une seule chair. Là où se
                trouve celui que j'aime, là je me trouve aussi. J'habite
                en lui, il habite en moi. Et ce que Dieu fait lorsqu'il vient en moi pour s'y
                installer, pour faire de moi son temple, il me permet
                lorsque je participe à sa vie de faire une expérience
                analogue vis à vis de mon frère. Le frère devient le
                temple dans lequel moi je vis, et moi je deviens pour
                mon frère aussi le temple dans lequel il peut vivre. Alors vous voyez, à l'échelle maintenant de l'univers
                entier, du cosmos, cette inter inhabitation des saints
                les uns dans les autres fait qu'il n'y a plus d'espace.
                Un homme qui vit cette expérience sait très bien qu'il
                est présent partout au même moment. On entend parfois dans les récits des saints des
                exemples ainsi qui nous paraissent un peu bizarres, d'un
                saint qui se trouvait à deux ou trois endroits
                différents en même temps : on l'a vu ! Naturellement,
                disons que tout ça ce sont des façons d'exprimer cette
                réalité qui est là, que cet homme a atteint une telle
                intensité de vie divine, que voilà, l'espace n'existe
                plus pour lui. Et cet homme le sait très bien. On raconte, ça me revient à l'esprit maintenant, qu'une
                personne ainsi pendant la dernière guerre visitait les
                camps de concentration en Allemagne et allait vraiment
                aider certains prisonniers. Et pourtant, cette personne
                était toujours là où elle était. Eh bien c'est ça, on
                veut exprimer cette réalité extrêmement belle qui n'est
                rien d'autre que la façon avec laquelle, le Christ, Dieu
                vit avec nous, tellement proche qu'il n'y a plus
                d'espace. Et enfin aussi une expérience que j'appellerai une
                expérience d'énergie. C'est la possession et la
                diffusion d'une surabondance de vie par le
                bouillonnement incessant de l'Esprit dans un homme.
                C'est ainsi que Dieu vit, encore une fois. Il est
                tellement surabondant de son être qu'il crée, il crée.
                Il ne peut presque pas faire autrement que de créer.
                C'est cet excès de vie qui l'a déterminé à avoir en face
                de lui, à côté de lui, quelque chose qu'il allait
                pouvoir animé de sa propre vie, tout le créé. Mais tout
                cela, en Dieu est une même et seule réalité, c'est sa
                vie. Et l'éternité, que nous appelons ainsi, l'amour,
                l'énergie, c'est son être. Eh bien voilà, tout ça est déposé en nous en germe au
                moment de notre baptême. Et dans le monastère, dans la
                maison où Dieu habite, où je vis avec lui, avec d'autres
                qui sont appelés à la même vocation que moi, il veut
                faire grandir, s'épanouir cette vie en nous et la
                conduire à sa plénitude. Eh bien nous, à notre petit niveau déjà, ou bien à
                notre niveau déjà peut-être plus élevé- mais nous n'en savons rien, il faut laisser cela à
                l'expérience, à la conscience et au secret de Dieu -
                mais à ce niveau où nous sommes, nous vivons et nous
                sommes doublement étrangers. Je deviens étranger à mon
                ancienne condition de pécheur, et je suis étranger à ma
                nouvelle condition de fils de Dieu.
 Ma condition de pécheur, c'est mon ancienne condition.
                Comme le dit l'Apôtre,  un homme qui est né de Dieu
                  ne pèche plus, et pourtant je porte encore
                toujours en moi les cicatrices du péché. Et plus je me
                purifie, plus la vie divine devient intense en moi, et
                plus ces cicatrices deviennent cuisantes, plus elles
                deviennent visibles aussi à mes yeux. C'est vous voyez
                la conscience que prend de sa situation le moine qui
                gravit l'échelle de l'humilité ; où au dessus il se
                tient devant Dieu comme le pécheur qu'il est et que
                pourtant il n'est plus. Mais les cicatrices sont là. Et
                il sait très bien que si Dieu ne le soutenait pas par la
                puissance de l'amour, eh bien, ses cicatrices
                commenceraient à suinter de nouveau le péché, et puis à
                s'ouvrir. Eh bien, je suis devenu étranger à cette
                ancienne condition, et pourtant cette condition est
                toujours, toujours collée à moi. Voyez l'étrangeté ! Mais je suis aussi bien étranger à ma nouvelle
                condition, cette condition du fils de Dieu que je suis
                en train de devenir. Je sais très bien que c'est un don
                magnifique que Dieu me fait à tout moment. Et ce don, je
                le reçois avec reconnaissance et en tremblant. C'est un
                trésor que je porte dans un vase d'argile, un vase tout
                à fait commun, mais c'est un trésor. Et ce trésor, je le
                porte. Et je ne peut pas laisser choir le vase, sinon je
                risque de perdre le trésor. Et voilà, cette condition nouvelle à moi, c'est une
                condition que je reçois, elle n'est pas mienne. Me voila
                donc affligé, si je puis exprimer cela ainsi, ou bien
                orné, ou bien doté d'une double xenitheia, d'un
                double dépaysement, d'une double expatriation. Je suis
                ce que je ne suis plus et en même temps je deviens ce
                que je suis déjà. Voyez quel paradoxe ! Et alors quelle tension, une tension énorme entre ces
                deux pôles Et c'est de cette tension que va surgir et
                sans cesse agir la force qui me fait naître, qui me fait
                naître à cette vie divine. Il faut qu'il y ait une
                souffrance, il faut qu'il y ait une douleur continuelle
                pour que je puisse grandir pour que je puisse naître,
                pour que je puisse devenir ce fils que Dieu veut faire
                de moi. L'ancienne théologie, je veux dire la théologie du bon
                vieux temps, la théologie scolastique, elle avait un
                terme magnifique pour désigner cet état de la double
                  xenitheia, de la double expatriation, la double
                émigration. On disait qu'on était in via, on
                était en route, on était en chemin. Et Saint Benoît qui
                est un homme d'expérience, il a toute une série de
                vocables pour signifier au moine qu'il est un étranger
                en chemin. Il y en a quelques uns qui me viennent en
                tâte. Il dira ambulare, marcher ; il dira
                  procedere, avancer ; il dira festinare, se
                hâter, se dépêcher ; il dira curere, courir. Et il a un mot qui est peut-être le plus beau de toute
                sa Règle. Il l'a placé au sommet, comme un
                encouragement. Il dit tout au commencement : écoute
                l'admonition d'un père pii patris, Pr, 4, un père
                qui a des entrailles d'amour, très bon. Et alors, ce
                père très bon qu'il est, il va nous donner un
                encouragement. Et cet encouragement il le plante au
                terme, au sommet de toute sa Règle comme un drapeau que
                nous ne devons jamais perdre de vue. C'est le tout
                dernier mot de sa Règle, où il dit pervenies, tu
                y parviendras dit-il, 73, 26, tu y arriveras. Eh bien, voilà mes frères, ce mot là, plantons-le dans
                notre coeur et laissons-le travailler dans notre coeur
                pour que toujours nous ayons la force, le courage,
                l'endurance, la foi, l'espérance, l'amour de marcher,
                d'abandonner notre patrie charnelle, notre état premier
                de pécheur ; et puis de nous avancer, de nous hâter de
                courir là où Dieu nous attend pour faire de nous son
                temple, mais un temple achevé où il est le seul maître ;
                et faire de nous son fils, un autre lui-même. Et alors,
                gardons au coeur cette parole de Saint Benoît
                  pervenies, tu y parviendras, tu y arriveras... Maintenant nous irons à l'église, mes frères, et nous
                penserons à chacun d'entre nous, ici, nous tous qui
                espérons arriver là où Saint Benoît veut nous conduire.
                Nous remercierons Dieu, nous nous remercierons je dirais
                les uns les autres pour l'aide que nous nous apportons.
                Et nous laisserons venir le jour de demain et tous les
                jours qui vont suivre en portant, je le rappelle encore
                une fois, en portant toujours au coeur cette dernière
                parole de Saint Benoît : Tu y parviendras ! Chapitre : Fête de Saint Antoine. 17.01.80Pourquoi Saint Antoine est-il considéré comme
                  Patriarche ?Mes frères,Venons-en à la fête d'aujourd'hui. Saint Benoît est
                honoré comme le patriarche des moines d'Occident. Saint
                Antoine, lui, est vénéré comme le Père de tous les
                moines sans exception, les moines d'Orient aussi bien
                que les moines d'Occident. Il est donc le père de Saint
                Benoît, et il est un peu notre grand père. Donc, ils sont considérés comme Pères, et pourtant ils
                n'étaient pas les premiers dans la vie monastique. C'est
                évident pour Saint Benoît, et c'est aussi évident pour
                Saint Antoine qui a été initié, qui a été entraîné
                pendant des années au labeur ascétique par un Maître,
                par un autre que lui. Mais pourquoi alors Saint Benoît
                et Saint Antoine sont-ils considérés comme des
                Patriarches, c'est à dire comme des Pères qui se
                trouvent en tête d'une lignée ? Eh bien, tout simplement parce que leur vie, leur
                expérience, leur enseignement aussi, mais surtout leur
                vie a donné naissance à un philum nouveau, un
                  philum qui donc donne des rejetons, des
                  propaginès toujours nouveaux, toujours vivants. Et
                il en sera toujours ainsi, espérons-le, jusqu'à la fin
                du monde. Les enfants de ces Patriarches, et nous en sommes, ne
                font jamais que d'élucider, de porter au jour, à la
                clarté, tous les germes qui sont déjà tous sans
                exception déposés par Dieu dans la vie de ces hommes.
                Ils sont une sorte de personnalité corporative comme les
                Patriarches d'Israël : Abraham, Isaac, Jacob, ses
                ancêtres, les premiers ; comme le Christ luimême. Ils
                ont tous deux connu un moment analogue dans leur vie. Et c'est sur cet épisode que je voudrais m'arrêter ce
                soir. Car il me semble riche d'un enseignement qui nous
                permet de découvrir les sens de la vie monastique. Nous
                devons bien percevoir ce que Dieu veut nous transmettre
                par l'expérience de ces deux hommes, expérience
                analogue. Ce n'est pas tout à fait au début de leur vie
                monastique. Mais c'est tout de même par rapport à leur
                vie, à tout ce qu'ils ont fait, c'est dans les débuts. Antoine, dans le désert, vit reclus pendant vingt ans
                dans un fortin abandonné. Il ne voit personne. Il n'est
                vu de personne. Deux fois par an, tous les six mois, on
                lui apporte de la nourriture, des biscuits qui se
                conservent très longtemps. Il a de l'eau sur place, il y
                a une source. Saint Benoît, lui, vit dans une grotte.
                Personne ne le sait, sauf un ami qui vient le
                ravitailler. Et Saint Benoît est tellement loin de tout,
                qu'il ne sait même pas que c'est le jour de Pâques.
                Voyez comme il est loin ! Mais les admirateurs de ces hommes, car finalement ça
                se sait tout ça, les admirateurs finissent par forcer
                l'entrée. On force, on enfonce les portes de ce fortin.
                On en extrait Antoine. On oblige Benoît a quitté sa
                grotte. Oui, il y a des éléments d'affabulation dans ces
                récits, c'est certain ; il y a une outrance dans ces
                récits. On met en évidence l'insolite, le paradoxal, le
                spectaculaire. Mais pourquoi ? Pourquoi Dieu permet-il cela ? Oh, ce n'est sûrement
                pas pour nous porter à imiter Benoît, à imiter Antoine,
                loin de là ! Mais c'est parce qu'il désire frapper notre
                imagination. Il veut frapper notre mémoire. Il veut
                aussi frapper notre intellect. Il veut attirer notre
                attention. C'est donc là une Parabole en acte. Et cette
                Parabole, dans le cher de ces deux hommes, est porteuse
                d'un enseignement qui vaudra jusqu'à la fin des temps.
                Et je pense qu'à travers ce petit épisode, il nous est
                possible de découvrir ce que Dieu veut nous communiquer
                d'essentiel dans la vie monastique. Mais pour le
                comprendre, il faut aller un peu au delà, il faut voir
                ce qu’il s'est passé après. Lorsque Benoît d'abord, mais d'une façon moins
                frappante qu'Antoine, il ne faut pas oublier que Benoît
                est déjà un fils d'Antoine. Mais de façon extraordinaire
                chez Antoine, il se passe quelque chose. Lorsque Antoine
                sort du fortin, il apparaît aux regards de tous, de ces
                hommes qui ne l'avaient plus vu depuis 20 ans et qui le
                connaissaient, il leur apparaît transfiguré. Antoine est
                rayonnant. Maintenant, ici, faisans attention ! Nous devons bien
                prendre garde de ne pas projeter sur Antoine et sur
                Benoît nos propres idées préalables concernant la vie
                monastique. Nous devons essayer d’être objectif. Nous ne
                devons pas déposer dans l'épisode Antoine Benoît ce que
                nous avons l'intention d'aller y trouver. Nous devons
                essayer de voir les choses comme ça, comme elles se
                présentent à nous.Et à mon sens, elles se présentent de cette façon ci. Je
              vais essayer d'expliquer cette Parabole en acte, elle se
              présente de façon je pense suffisamment claire. Le désir de ces hommes, leur propos, leur intention
                même subconsciente - je veux dire ici le désir qui les
                porte, le désir qui les pousse en avant, qui leur fait
                entreprendre ces choses là - un désir qui est déposé en
                eux par Dieu. Ils sont propulsés par l'Esprit de Dieu.
                Mais que désirent-ils donc ? Ils le verront après. A ce
                moment la, ils le vivent. Mais nous qui sommes maintenant devant la scène, nous
                pouvons voir de suite. Et leur désir doit être celui-ci
                : ils veulent renouer avec l'histoire qui a été
                interrompue, qui a été rompue par le péché. Et le péché,
                premier péché, péché qui est encore actuel aujourd'hui,
                qui est encore le nôtre, ce péché a été de vouloir
                devenir des dieux, de vouloir devenir comme Dieu, de
                vouloir devenir Dieu par ses propres forces en faisant
                l'économie de ce que Dieu préparait à l'homme comme
                chemin pour le conduire jusqu'à là.Le péché a été un refus de ce que Dieu désirait donner.
              L'homme a voulu le prendre lui-même ; et voici l'homme
              blessé, et voici l'homme maintenant complexé. Eh bien, le désir du moine est de renouer avec cette
                histoire primitive qui a été brisée à un moment donné
                pour alors recevoir selon les règles, comme un cadeau
                magnifique de la main même de Dieu, le don de la
                déification, de la divinisation. Devenir Dieu, mais
                recevoir de Dieu la Vie Divine, non pas essayer de la
                prendre comme un voleur. Que faire alors pour renouer ?
                Il n'y a qu'une seule route, et c'est la route que nous
                donne ici Antoine et que nous donnera aussi Benoît, par
                leur vie. C'est ce dont nous parlons déjà depuis la
                dernière Conférence Régionale, c'est pratiquer la
                  xenitheia. Il faut donc s'expatrier. Il faut quitter tout ce monde
                qui est le monde du refus, qui est le monde de ce péché,
                qui est le monde où on essaye par ses propres forces
                d'être comme Dieu, autosuffisant, auto puissant, auto
                divinisant. Il faut quitter ce monde, entrer dans le
                désert, là où il n'y a plus rien d'attirant. Voila la
                première chose ! Et puis alors à partir de cette expatriation physique,
                corporelle, il faut pratiquer la seconde xenitheia,
                l'expatriation spirituelle, c'est à dire quitter tout
                l'univers intérieur du refus, l'univers du péché,
                l'univers des vices et des péchés dont parle Saint
                Benoît ; quitter ce qui est faussé, abandonner son
                jugement, abandonner sa volonté, abandonner ses goûts,
                abandonner ses sentiments, abandonner tout ce qui est le
                terreau sur lequel peut pousser le péché ; abandonner
                toute ambition, sortir de soi, mourir à tout ce qui est
                contraire au vouloir et au jugement de Dieu. Voila la
                seconde, mais les deux vont ensembles. Il est pratiquement impossible de pratiquer la seconde
                sans d'abord pratiquer la première. Mais pratiquer la
                première sans entamer et conduire à bien la seconde,
                c'est inutile. Alors on se trouve dans ce désert
                physique et désert intérieur, on se trouve plongé dans
                un bain, dans un feu purificateur, un feu qui va
                transformer l'homme. C'est cette lutte, cette guerre que mène pendant 20 ans
                Antoine dans son fortin. On raconte que ceux qui
                venaient roder autour entendaient jour et nuit le fracas
                de cette lutte : les démons qui attaquaient Antoine,
                Antoine qui ripostait, qui répondait aux démons. Voila !
                Vous voyez, naturellement là c'est un peu insolite. Mais
                voyons ici la Parabole en acte qui nous dit que cette
                lutte intérieure doit être la nôtre, et Saint Benoît le
                sait très bien. Il nous l'explique dans sa Règle, il y
                fait des allusions. Naturellement ce n'est pas encore un Maître de
                spiritualité, mais à partir de son expérience - même
                s'il a puisé ailleurs les termes dans lesquels il
                s'exprime - c'est cela qu'il veut dire. Et au bout, il
                verra dans son moine purifié des vices et des vertus,
                l'état qui était celui d'Antoine au moment où il sortait
                de son fortin. Et alors Antoine, comme Benoît plus tard,
                peuvent devenir des engendreurs, des générateurs, des
                hommes qui peuvent alors engendrer d'autres à la vie de
                l'Esprit. Eh bien voilà, mes frères, ce qui était aussi, ne
                l'oublions pas, le propos des Fondateurs de Cîteaux.
                Voila des hommes, j'en ai déjà parlé, mais je vais
                devoir y revenir parce que ce n'est pas encore fini,
                voila des hommes qui se sont enfoncés dans le désert
                d'une forêt inhospitalière. Et là, ils ont aussi lutté.
                Ils ont lutté contre les éléments, ils ont lutté contre
                les démons qui les habitaient, eux. Ils ont voulu
                devenir dans leur nouveau monastère, dans leur nouveau
                monde, ils ont voulu devenir des hommes nouveaux. Après avoir contemplé les normes de vie que leur cédait
                Saint Benoît, après les avoir contemplé avec un regard
                nouveau et devenu des hommes qui à l'exemple de Saint
                Benoît et d'autres pouvaient alors se dire parce qu'ils
                l'étaient sponsa Verbi, donc des hommes tout à
                fait purifiés, en dessous, sous la carapace de leurs
                défauts encore naturellement, de leur tempérament
                fougueux, impétueux, violent, outrancier. Non. ils
                l'étaient quand même. Eh bien voilà, mes frères, je pense que nous pouvons
                retenir ça de la fête d'aujourd'hui. Et nous pouvons le
                ramasser peut-être dans une petite sentence de Saint
                Paul qui le résume très bien. Il dit : Vous êtes
                  morts… pensons à Antoine dans son fortin, à Benoît
                dans sa grotte, pensons à ces cisterciens dans leur
                forêt d'autant plus intéressante qu'elle est
                inaccessible ...vous êtes morts, et votre vie, elle
                  est cachée avec le Christ, en Dieu.Vous voyez, c'était cela le mouvement de la vie monastique
              : mourir à tout ce qui est contraire à Dieu pour alors
              vivre d'une vie nouvelle, cachée en Dieu, devenir d'autres
              Christ. Mes frères, voila ce que au cours de cette année de
                Saint Benoît nous allons essayer de poursuivre avec plus
                de conviction encore. Et pour ma part je suis certain
                que si nous sommes confiants dans notre foi, forts dans
                notre espérance, et constants dans notre amour, Dieu
                nous accordera ce que nous poursuivons. Il comblera ce
                désir qui nous pousse. Et à l'exemple de Saint Antoine,
                à l'exemple de Saint Benoît, nous deviendrons nous aussi
                des hommes de Dieu, des hommes transfigurés, des hommes
                qui sont aussi capables d'être des engendreurs, dans
                l'invisible toujours naturellement, et sans rien de
                spectaculaire ; mais saisissant la moelle, la
                substantifique moelle de la vie monastique qui nous est
                bien explicitée ainsi à travers la vie parabole en
                  acte de ces grands saints que sont nos Pères. Chapitre : Semaine de l’Unité. 21.01.80Pas d’ambiguïté : Unité selon le vouloir de Dieu.Mes frères,De la causerie que le Père Land de Chevetogne nous a
                donné vendredi, nous pouvons entre autre retenir ceci.
                C'est que si nous voulons oeuvrer au rétablissement ou
                au maintien, ou à la consolidation de l'Unité à
                l'intérieur du Corps du Christ, à l'intérieur de
                l'Eglise, nous devons absolument éviter toute ambiguïté.
                Cela veut dire que nous ne devons pas nous laisser
                guider par des motivations d'ordre sociopolitique, mais
                bien plutôt travailler à l'oeuvre de cette réunion des
                Eglises du Christ, parce que c'est la volonté du Christ.
                Le Christ a prié à cette intention, c'est son vouloir. Comme il l'a très bien fait remarquer, les motivations
                sociopolitiques ne manquent pas aujourd'hui. Lorsqu'on
                pense que la plupart des Eglises Orthodoxes vivent sous
                un régime communiste, ou bien à côte ou sous la botte
                des Turcs leurs ennemis de toujours, si donc ils peuvent
                s'unir à l'Eglise Latine, ils se sentiront beaucoup plus
                fort. Ils ont déjà l'exemple d'autres Eglises : l'Eglise
                de Pologne, l'Eglise catholique de Hongrie, de
                Yougoslavie, des Eglises qui unies à Rome savent tenir
                tête à l'oppresseur athée. Mais ce ne sont pas ces motivations là qui doivent
                animer ce travail de réconciliation des chrétiens entre
                eux, mais uniquement parce que c'est la volonté de Dieu
                qui veut que tous les membres de son grand Corps
                mystique soient unis les uns las autres en harmonie,
                pour que le Corps soit en bonne santé et, comme le
                Christ l'a dit, que le Corps puisse s'épandre, se
                répandre à travers la terre entière. Mais il faut
                demeurer réaliste. Et nous devons bien savoir qu'il y
                aura toujours des interférences humaines qui vont jouer.
                Mais ça ne doit pas nous inquiéter. A travers ces faiblesses qui demeurent qui sont
                attachées à notre état d'homme faillible, fragile, état
                qui s'est encore aggravé du fait de nos péchés, ça ne
                doit pas nous inquiéter. Nous devons nous dire que c'est
                à travers et à l'intérieur de cette faiblesse que la
                puissance de l'Esprit peut se manifester car l'union des
                chrétiens, c'est le travail de l'Esprit de Dieu. Cela ne
                peut pas être une construction, une élaboration, une
                édification humaine. Non, c'est l'Esprit de Dieu et ça
                doit paraître comme tel ; or ça ne paraîtra qu'à travers
                la faiblesse. Et nous, mes frères, nous pouvons apporter notre
                collaboration à ce travail de réunion des Eglises. Et
                nous le ferons si nous vivons purement et saintement
                notre vie monastique. Purement et saintement, je veux
                dire ceci : si, suivant la recommandation du Père Land,
                qui est une recommandation de bon sens surnaturel, eh
                bien nous ne nous laissons pas déterminer par des
                motivations humaines mercantiles : vous voyez, agir dans
                le monastère pour des motifs humains. Oui, parce que
                cela nous arrange, parce que ça nous rapporte, parce que
                ça nous permet des petites choses ici où là. Si on est
                bien avec le cellérier ou avec l'Abbé, ou avec un autre,
                on peut espérer avoir de petites choses. Vous voyez ! Non, non, hein ! pas de motivations comme ça
                mercantiles, de marchandages ou d'intérêts humains. Mais
                uniquement et toujours juger et agir dans notre vie
                selon la rectitude de la foi. Or mes frères, la
                rectitude de la foi, elle passe tout entière par ce
                petit mot que Saint Benoît a placé au début de sa Règle
                à propos de l'Abbé : creditur, 2, 5. L'Abbé doit
                être cru comme étant dans le monastère le Christ en
                personne. Et c'est là je pense que va se trouver le centre et le
                noeud de notre unité. De même que la communion à
                l'intérieur de l'Eglise est centrée sur la personne du
                Christ, de même dans le monastère la communion est
                centrée sur la personne de l'Abbé qui n'est rien moins
                que le Christ. Et aussi mes frères, une petite suggestion. Dans le
                cadre de l'année consacrée à Saint Benoît, nous
                pourrions peut-être continuer à travailler ici à notre
                place à cette belle oeuvre de Dieu qu'est la
                réconci1iation des chrétiens dans une seule et unique
                Eglise visible du Christ. Et ça, nous pouvons le
                réaliser si Saint Remy, ce petit monastère inconnu, il
                faut bien le dire on en parlait encore il y a quelques
                minutes, c'est un monastère inconnu en Belgique. On ne
                sait même pas qu'il existe, il faut bien se le dire,
                même dans le clergé - donc ce petit monastère caché,
                inconnu, qu'il devienne une Eglise, une Eglise une, bien
                unie autour de ce centre d'unité qu'est le Christ vivant
                dans la personne de l'Abbé. On parviendrait ainsi à
                réussir ici, dans notre petit groupement sur lequel
                repose l'Esprit de Dieu, ce que le Christ veut réaliser
                au niveau de sa grande Eglise, de son grand Corps... Mes frères, voila encore un objectif que nous devons
                tenir devant les yeux au cours de cette année de Saint
                Benoît. Je pense que ça vaut la peine, car ça dépasse
                des préoccupations purement égocentriques, ça nous
                élargit aux dimensions du Corps du Christ, aux
                dimensions de l'humanité. N'allons pas moins ! Et
                comment faire alors ? Par exemple une petite idée : voir les frères, voir
                chacun des frères comme le Christ, c'est à dire comme
                l'Abbé le voit. Et ça demande un effort de purification
                de notre regard. Et je donne l' exemple, je n'ai pas
                peur de le donner : voir le frère comme moi, Abbé, je le
                vois. Voyez, dans un monastère qui est digne de ce nom,
                l'Abbé doit être les yeux de chaque frère, de même que
                le Christ est les yeux de l'Abbé. L'Abbé doit voir
                chacun des frères avec le regard du Christ, qui vit dans
                la personne de l'Abbé. Alors, que chacun des frères voit
                chacun des autres aussi avec le regard que l'Abbé porte
                sur chacun ; et c'est toujours un regard d'amour, un
                regard de bienveillance, un regard de lumière et de
                chaleur, jamais un regard qui détruit, un regard qui
                critique, un regard qui juge, un regard qui perce, un
                regard qui tue. Non, c'est un regard qui doit donner
                vie. Et alors, mes frères, aussi nous regarder nous-mêmes.
                Vous regarder chacun d'entre vous comme le Christ, c'est
                à dire dans le monastère comme moi, Abbé, je vous
                regarde chacun. Donc, se regarder soi-même aussi avec
                amour, avec indulgence, avec une certaine chaleur
                humaine, et être heureux d'être soi. Et ainsi, mes frères, il y aura en chacun d'entre nous
                du contentement, il y aura de la paix, il y aura de
                l'amour et tout cela dans une certaine lumière, une
                lumière qui nous habite, une lumière qui rayonne autour
                de nous, qui nous enveloppe et qui nous porte. Et ainsi, cette lumière qui n'est rien d'autre que
                l’Esprit Saint, à partir de nous, dans l'invisible de ce
                petit monastère caché, inconnu, elle va rayonner et elle
                va atteindre jusqu'aux extrémités du monde, jusqu'aux
                extrémités de ce Corps qu'est l' Eglise du Christ et il
                y aura une meilleure santé dans cette Eglise. Et les hommes, alors, qui travaillent à la réunion, les
                responsables et aussi les simples fidèles, les simples
                croyants vont se sentir meilleurs et vont se sentir
                porté à se rapprocher, à s'aimer, et à se réunir. Chapitre : Fête de la Conversion de St Paul.
                  25.01.80Clôture de la Semaine de l’Unité des chrétiens.Mes frères,Nous clôturons aujourd'hui la Semaine de Prières pour
                l'Unité des chrétiens par la Conversion de celui qui
                devait devenir l'Apôtre Paul. Vous savez que cet homme
                au moment où il ne s'y attendait pas du tout, en plein
                midi, a eu le privilège de voir le Christ, le Christ
                Lumière du monde, le Christ ressuscité, le Christ
                transfiguré. Il ne faut pas s'imaginer qu'il a vu comme ça une
                lumière quelconque. Non, c'est le Christ lui-même qu'il
                a vu. Le Christ lui a dit : Maintenant tu vas être
                témoin de ce que tu m'as vu. Il a été alors vraiment
                dans une situation qui est restée la sienne jusqu'à sa
                mort, une situation de converti. A travers tous ses écrits, à travers tous ses discours
                qui nous sont rapportés, nous sentons que cet homme n'a
                jamais eu fini d'assimiler l'expérience qu'il avait
                faite de voir le Christ ressuscité. Je cours,
                dit-il, tendu vers l'avant pour enfin essayer de
                  saisir Celui par lequel j'ai été moi-même saisi.
                C'est tout cela la conversion. Or depuis ce moment, peut-être à cause de lui, il y a
                dans l'Eglise un appel viscéral à la conversion, à une
                illumination qui donne un regard nouveau, un regard qui
                permet de voir les choses dans leur vrai jour, un regard
                qui est celui d'un homme qui est devenu vrai parce qu'il
                est dans la ligne exacte de ce que Dieu demande de lui. Voyez donc ce grand Corps qu'est l'Eglise ! Eh bien, ce
                Corps, cet homme immense qu'est l'Eglise et dont la tête
                est le Christ, essaye toujours, toujours de se situer
                dans la ligne exacte de ce que Dieu demande de lui.
                C'est cela ce besoin d'une illumination qui permet de
                voir tout comme Dieu le voit. Or, c'est cela l'appel qui se trouve là inviscéré dans
                l'Eglise et dont l'exemplaire premier et le plus beau de
                tous est l'Apôtre Paul. Et cette grâce de la conversion,
                cette grâce de l'illumination, elle est offerte à tout
                chrétien et spécialement à nous, aux contemplatifs, nous
                qui allons nous engager par vœux, par promesse à
                travailler constamment à la conversion de notre être.
                L'entrée dans la vie monastique est le premier geste que
                nous posons pour la transformation de toute notre vie. Ce ne peut plus être après comme avant et, demain ça ne
                pourra plus être comme aujourd'hui. Et ça veut dire que
                chaque jour, que presque chaque instant est un
                commencement. C’est une montée, c'est une ascension. Ce
                n'est pas un bouleversement ? Non, le bouleversement
                peut s'opérer une fois, mais disons qu'il n'est jamais
                terminé, c’est cela notre vie ! Il y a, actives toujours, des forces de désagrégation à
                l'intérieur de nous, à l'intérieur de notre communauté
                petite Eglise, petite cellule, à l'intérieur de la
                grande Eglise, ces forces de désagrégations que nous
                appelons le péché. Le péché fait tourner le vivant à
                l'état de cadavre. Le cadavre, c'est ce qui se
                décompose. Mais à l'inverse, il y a une force plus puissante. Et
                c'est avec celle-là que nous devons collaborer. C'est
                celle qui recompose. C'est celle qui au lieu de
                désagréger, congère, si je peux me permettre ce
                néologisme, elle amoncelle, elle regroupe. Et cette
                force plus puissante qui est toujours en oeuvre en nous
                et autour de nous, c'est l'Amour. Cet Amour qui est la
                vie divine, c'est la Vie qui est à l'intérieur de la
                Trinité. Elle est tellement vraie, qu'elle est une
                Personne. Nous l'appelons l'Esprit Saint. Mais cette réalité d'Amour qui est en nous, et qui est
                plus forte que les puissances de désagrégation, elle est
                aussi dans une communauté le lien de la communion. Une
                communauté monastique ne peut vivre si elle n'est pas
                animée par cet amour qui crée la communion. Toute
                communauté divisée contre elle-même, disait déjà le
                Christ, elle est vouée à la ruine. Et ce qui est vrai en nous, ce qui est vrai dans la
                communauté, est aussi vrai à l'intérieur de cette
                Eglise. Or, comme l'Eglise vit, et qu'elle est le Corps
                du Christ, il y a toujours en elle ce besoin encore une
                fois, cet appel lancinant vers la conversion qui n'est
                rien d'autre qu'un vouloir de collaborer avec les
                puissances infinies de l'Amour pour que le Corps se
                construise. Ces forces d'Amour, elles seront agissantes
                en chacun de nous grâce à la vigilance, notre vigilance,
                notre attention, notre sobriété. Vous savez que les anciens appelaient le moine le
                vigilant, celui qui fait attention à ce qu'il dit,
                attention à ce qu'il pense, attention à ce qu'il fait.
                Et alors à cette vigilance, joindre la prière. La
                prière, c'est le contact établi avec Dieu. La prière,
                c'est d'être branché sur cette force qu'est l'Amour,
                qu'est l'Esprit Saint. Et les deux, vigilance et prière,
                parviennent à éliminer les puissances du mal. Souvenez-vous de ce que le Christ disait :  Cet
                  espèce de démon, on ne peut le chasser que par le
                  jeûne et la prière. La prière, ça se comprend,
                mais le jeûne ? Le jeûne, ce n'est rien d'autre qu'une
                attitude de vigilance, de sobriété et d'attention. Et le
                Christ, il a été le premier à nous donner l'exemple. Il allait si souvent se retirer à l'écart pour y
                jeûner, c'est à dire pour y faire attention et pour
                prier. Car il savait déjà que à l'intérieur de ce petit
                noyau naissant, de ce petit groupe de disciples, il y
                avait déjà des discordes, il y avait déjà des
                dissensions : rien qu'à savoir lequel était le plus
                important parmi eux. Il y avait déjà des disputes. Mais
                alors, au moment où il allait partir, où il allait les
                laisser, presque les abandonner à eux-mêmes, il demande
                expressément qu'ils soient UN. Qu’ils soient UN, mais d'une unité qui aurait sa
                référence dans l'union qui existe entre son père et lui.
                Donc ce n'est pas une fusion où l'un disparaît en
                l'autre. Non, mais une unité qui fait que chacun puisse
                vraiment devenir soi-même. C'est la communion dans
                l'Amour où chacun devient parfaitement ce qu'il est sans
                préjudice de l'autre et sans porter préjudice à l'autre. Mes frères, l'histoire de l'Eglise depuis ses origines,
                elle est porteuse d'une leçon, d'une quantité de leçons.
                Ces leçons sont des paroles, des paroles de l'histoire.
                Dieu nous parle à travers l'événement. Il suffit de
                pouvoir déchiffrer ce langage, le décrypter, le décoder.
                Et ce soir je voudrais retenir une seule de ces leçons.
                C'est une leçon de patience. Mais je prends patience
                dans ses deux sens étymologiques. D'abord savoir
                attendre, et puis savoir souffrir. D'abord attendre ! Attendre, c'est avoir le sens de la
                purification, de la cicatrisation, d'un renouvellement
                des tissus d'une blessure. Un homme qui a été blessé
                sait très bien que la blessure ne se rétablit pas en une
                seconde. Il faut des jours et des jours de patience. On
                donnera parfois des semaines d'incapacité temporaire ou
                totale pour que la cicatrice puisse vraiment se fermer,
                ou que le membre puisse se reconstituer, la fracture se
                ressouder. Eh bien, c'est la même chose à l'intérieur de l'Eglise.
                Il y a tellement des fractures, tellement des blessures,
                tellement des cicatrices qu'il faut savoir attendre,
                avoir la patience de laisser agir cette puissance
                d'amour, laisser agir l'Esprit pour que tout cela se
                répare. Car ça doit se réparer par une évolution d'abord
                des mentalités. On doit apprendre à se rencontrer,
                apprendre à se connaître, apprendre à s'estimer, à se
                respecter, à s'aimer. Je pense que de ce côté là on a fait de fameux progrès,
                disons depuis la guerre, depuis quelques dizaines
                d'années. Eh bien, ça doit continuer. Le Père Land a
                fait quelques allusions à des situations qu'on trouvait
                encore dans les Pays Orientaux, où ils n'ont pas évolué
                si rapidement que nous. Et pour certains prêtres,
                certains Evêques aussi, le catholique, c'est une espèce
                de démon qu'on doit convertir. On doit le rebaptiser, il
                ne fait même pas partie de l'Eglise. Cette mentalité
                était la nôtre il n'y a pas tellement longtemps. C'est pourquoi, mes frères, si ça évolue un peu plus
                vite ici, ça évolue plus lentement ailleurs. Mais
                laissons faire l'Esprit, laissons-le agir et les
                cicatrices et les blessures parviendront à se guérir.
                Mais ça ne se fera pas, et c'est ici le deuxième sens de
                cette vertu de patience, ça ne se fera pas sans
                souffrance. Il faut savoir souffrir. Et ça veut dire
                ceci : une souffrance qui doit rester dans notre coeur.
                Nous ne devons jamais prendre le parti de nous contenter
                de la survivance de cette division. Nous ne devons JAMAIS en prendre notre parti, ça doit
                rester en nous comme une écharde, comme un morceau de
                bois dans notre chair, et on ne sait pas l'enlever, et
                ça suppure. Il faut donc que ça existe toujours en nous.
                Nous ne devons pas prendre le parti de dire un jour : Eh
                bien tant pis, qu'ils tirent leur plan ! C'est bien
                ainsi, ce sera comme cela jusqu'à la fin du monde, ça ne
                changera jamais. Non, Dieu ne pense pas ainsi, le Christ
                ne pense pas ainsi, et nous ne devons pas penser ainsi
                non plus. Au contraire, le spectacle de cette division
                doit devenir pour nous un stimulant à être généreux. Car, pour en revenir à nous maintenant, la solution du
                problème de l'Unité des Chrétien, elle passe par chacun
                d'entre nous. Il ne faut pas penser que cela va se
                réaliser au niveau du Pape et des Evêques, et des
                Patriarches, ou des Commissions Théologiques. Oui
                certainement il faut passer par là, mais c'est d'abord,
                c'est d'abord en chacun de nous, rétablir ou établir
                l'unité de notre être personnel ; que nous ne soyons
                plus tiraillés par toutes sortes de passions, par toutes
                sortes de désirs, de convoitises, mais que notre être
                soit unifié. Qu’il soit unifié et dirigé vers un seul but qui est :
                accueillir la volonté de Dieu, la faire nôtre, nous en
                nourrir de façon à devenir UN avec le Christ, et aussi
                devenir UN entre nous. Pour que dans notre communauté
                nous formions un Corps, mais un véritable Corps, où dans
                le respect des diversités de chacun une même âme fait
                circuler la vie et un même coeur fait circuler l'Amour. Et à partir de là, la vie et la santé peut se diffuser
                à travers le grand Corps qu'est l'Eglise. C'est un peu
                ce que voulait réaliser la petite Thérèse de Lisieux
                lorsqu'elle disait : Dans le coeur de l'Eglise, ma
                  Mère, c'est moi qui serais l'Amour. Car s'il n'y a
                plus d'amour dans le coeur de l'Eglise, eh bien, il n'y
                a plus rien qui va marcher, tout va s'arrêter, et ça va
                périr. Eh bien, si nous parvenons à réaliser, à créer l'unité
                en nous, et l'unité entre nous, voyez un peut quel
                surcroît de vigueur et de santé va circuler dans le
                Corps de l'Eglise. Et tous ces hommes, maintenant, dont
                le rôle est de travailler directement, eux, à l'union
                des Eglises parce que telle est leur fonction, leur
                charisme voulu par l'Esprit, mais ces hommes alors vont
                sentir le dynamisme de cet amour qui va travailler en
                eux partout où ils sont. Voilà, mes frères, je pense que nous pouvons clôturer
                cette semaine de prière sur cette pensée. Elle est
                encourageante, elle nous révèle la beauté de notre vie.
                Et je suis certain que dans cette année jubilaire de
                Saint Benoît, elle sera un stimulant, un nouveau
                stimulant pour nous aider à mieux comprendre notre rôle
                ici, mieux comprendre notre rôle dans l'Eglise et bien
                sentir qu'il est indispensable. Chapitre : Fête de nos Saints Fondateurs. 27.01.80Le charisme de nos Fondateurs.Mes frères,Hier, nous avons fait mémoire de ces trois hommes, de
                ces trois saints qui furent les initiateurs de notre vie
                cistercienne. Nous ne devons pas les colloquer dans des
                niches préfabriquées. C'étaient des hommes comme nous,
                habités par les mêmes démons, hantés par les mêmes
                rêves, mais ils partageaient un idéal. Ils avaient au
                coeur un même projet, une même intention. Et dans la
                diversité de leurs caractères, de leur personnalité, ils
                marchaient tous d'un même front dans la même ligne. Et surtout, ils avaient en commun une grâce qui est
                très rare. Ils avaient le charisme de la paternité, ce
                sont des fondateurs, des réformateurs. Et ce charisme
                est encore vivace et fécond aujourd'hui. Tout effort de
                ressourcement doit nécessairement transiter par ces
                trois hommes. Et c'est important ! Nous ne devons
                jamais le perdre de vue surtout en cette année ou nous
                allons commémorer le quinzième centenaire de la
                naissance de Saint Benoît. Si nous voulons, à l'issue de cette année, être
                d'avantage bénédictin, nous devrons l'être à travers ces
                trois hommes. Il n'y a pas un chemin qui passerait à
                côté, ou alors nous ne serions plus des cisterciens. Ce
                charisme est vivant. Nous devons essayer toujours d'être
                branché sur lui pour capter une vie, une vie qui nous
                est destinée, une vie qui va nous faire devenir ce que
                Dieu attend que nous devenions. Nous allons essayer de voir un peu ce qu'ils ont
                entendu et réalisé, et ainsi conclure les entretiens que
                nous avons eu au sujet de la Charte de Charité. Car leur
                intention, ils ont voulu l'écrire, la graver, de façon à
                ce qu'il n'y ait pas du moins humainement - c'est un
                idéal encore une fois - qu'il n'y ait pas trop de
                déviations et que leur idéal demeure pur, que nous ayons
                à notre disposition un signal, une lumière a laquelle
                toujours revenir en cas de doute. Ce qu'ils ont voulu faire, vous le savez : c'est vivre
                une spiritualité du désert dans le cadre de la Règle de
                Saint Benoît. Je ne vais pas revenir la dessus, ce
                serait beaucoup trop long, et on en a assez parlé. Et
                cela, ils l'ont découvert en portant sur le texte
                littéral de la Règle de Saint Benoît un regard neuf,
                un regard rafraîchi, un regard jeune. Cette lecture nouvelle de la Règle de Saint Benoît, ils
                ont voulu en instruire leurs successeurs, et ils ont
                voulu la préserver. Il ne fallait pas que ceux qui
                n'avaient pas été possédés par l'enthousiasme et la
                ferveur de la conversion première, et de l'expérience
                première, et de la recherche et de l'établissement de
                Cîteaux, il ne fallait pas que ceux qui viendraient
                après introduisent dans la lecture de la Règle un autre
                sens, alium sensum. Ils savaient bien, eux, qu'on pouvait aborder la Règle
                de Saint Benoît selon des angles différents. Ils le
                savaient, puisque eux étaient passés d'un sens qu'ils
                avaient connu, expérimente pendant des années à un autre
                sens qu'ils venaient de découvrir. Il fallait donc que
                ce sens nouveau fut préservé. Et c'est là le but de la
                  Charte de Charité. En conclusion de cette Charte ils demandent qu'il n'y
                ait parmi les monastères aucune discorde, nulla
                  discordia, c'est à dire aucune discordance, aucune
                dissonance, aucune fausse note, aucun accord défectueux,
                mais que l'ensemble des monastères forme une symphonie.
                Donc un ensemble de voix qui se fondent toutes ensembles
                afin de constituer une harmonie agréable à entendre, une
                harmonie qui séduit, une harmonie qui est oeuvre de
                beauté. Et voici maintenant en conclusion de ce qu'ils disent
                de cette  Carta, c'est la sentence qui a le plus
                frappé tout le monde, celle qu'on cite d'habitude, celle
                qui est le fondement profond de tout ce qu'ils ont voulu
                faire. Ils disent : una caritate, una Regula,
                  similitaris usque vivamus moribus. Qu'ils soient,
                disent-ils, sous une seule charité, une seule Règle et
                selon des coutumes semblables. Il faut donc vivre. Ce
                qu'ils demandent, ce n'est pas un consensus spéculatif,
                mais c'est une unanimité dans la praxis, donc dans la
                pratique, dans une vie. Il s’agit de VIVRE. Il ne s’agit
                pas de discuter, ni de spéculer. Il y a là, ici, eux n'y pensaient certainement pas,
                mais enfin ça peut être utile pour nous. Il n'y est pas
                dit que vous allez dialoguer à longueur d'années pour
                savoir ce que vous aurez à faire. Ils diront : faites
                d'abord, vivez, vivez selon une même et unique charité
                et puis tout le reste vous sera donné par surcroît.
                C'est la vie qui vous apprendra dans la pratique la Regula,
                c'est la vie qui vous apprendra ce que vous aurez à
                faire au jour le jour. Il y a des sentences du Christ que nous pouvons
                transposer d'un objet à un autre. Lorsqu'il dit par
                exemple : Lorsque vous serez conduits devant les
                  juges, et que vous devrez rendre compte de votre vie,
                  n'allez pas vous casser la tête d'avance, et vous
                  dire, qu'est-ce que je vais bien dire ? Mais non, à
                  l'instant même l'Esprit, mon Esprit mettra sur vos
                  lèvres ce que vous aurez à répondre. Eh bien, il en est de même lorsque on vit, lorsque on
                cherche réellement le Royaume de Dieu. Au moment même,
                Dieu qui est l'occupant de cette maison qui est la
                sienne, Dieu met dans notre esprit unanimement ce qu'à
                ce moment là nous devons faire pour rester dans son
                Royaume. Vous voyez ce qu'Il dit : Tout vous sera
                  donnés par surcroît, une seule préocupation chez vous,
                  cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice
                ! et puis tout le reste viendra. Mais cherchez-le,
                vous savez, cela veut dire vivez, ne discutez
                pas, vivez ! Vivez selon ma loi d'Amour et vous
                verrez que la vie par elle-même sera votre meilleure
                conductrice. Ils disent :  una caritate, une seule charité.
                Ici ils se situent et ils nous situent de suite dans
                l'ordre surnaturel. Ils ne disent pas : uno amore,
                ils ne disent pas d'un seul amour. Il faut revoir un peu
                le texte Biblique de la Vulgate. Eux, ils l'ont dans la
                tâte, ils l'ont sur les lèvres, et aussitôt qu'ils
                doivent trouver un mot, ils ne le cherchent pas, ce mot
                est là, présent. Ils emploient celui de caritas. Or, aussitôt il y a la jonction - ça c'est automatique,
                chez eux, on ne sait pas l'empêcher- Deus caritas est, Dieu est chanté. Lorsqu'ils
                disent une seule charité, cela veut dire : vivez à la
                façon de Dieu qui est amour, c'est à dire dans un
                respect absolu des personnes et des lieux. Et ce
                respect, comment devra-t-il se traduire ?
 Mais il devra se traduire en prenant les hommes, en
                prenant les frères, et aussi en prenant les monastères
                comme ils sont, et en les aimant comme ils sont, et en
                leur donnant le meilleur de vous-mêmes. Il faut que la
                même vie circule dans votre grand organisme qu'est cette
                petite Congrégation qui est en train de se former. Mais
                il faut d'abord qu'elle vive dans chaque âme, puis dans
                chaque monastère, et ainsi dans tout l'Ordre. C'est ça cette  una caritate, une seule Vie
                Divine qui est l'Amour. Et cet Amour sera la base, il
                sera l'âme, il sera le progrès, il sera le sommet. Ce
                vers quoi nous devons tendre, c'est que l'amour soit en
                plénitude à l'intérieur de nous, à l'intérieur de nos
                communautés, à l'intérieur de l'Ordre entier. Car
                l'Amour n'est rien d'autre que, à notre portée terrestre
                ici, ce qui se passe au sein de la Trinité. Ce qui se passe au sein de la Trinité, nous ne pouvons
                pas le savoir parce que c'est d'un autre ordre. Mais
                nous participons tout de même à cet ordre, et nous
                participons par l'Amour. Lorsque quelqu'un aime, mes
                frères, si vous rencontrez quelqu'un qui aime, ditesvous
                bien que cet homme là, même s'il l'ignore, est déjà en
                train de vivre chez Dieu, à la manière de Dieu. Et c'est
                là que nous devons arriver ! Ils disent aussi  una Regula, selon une seule
                et même Règle. Naturellement ici il y a la Règle de
                Saint Benoît, mais il faut aussi aller plus loin. C'est
                une seule aisthesis, une seule sensibilité, une
                seule façon de sentir, une seule façon de percevoir la
                Règle, donc ce qui nous est demandé à travers ce texte
                que Saint Benoît nous a laissé et dans lequel il a
                condensé le meilleur de la tradition qui était avant
                lui. Il faut avoir une même façon de réagir à cette
                Règle, ce doit être identique. Voyez cette aisthesis,
                il n'y a pas de mot français correspondant, sauf
                peut-être sensibilisation ? Mais alors, que va-t-il se produire ? Il va se produire
                que vous allez commencer à créer. Vous allez présenter
                une façon de voir Dieu et de vivre avec Dieu qui sera
                esthétique, une théologie esthétique, une théologie de
                la beauté. Vous allez commencer à produire des oeuvres
                belles. Et ce fut réellement ainsi. Ils ont produits, ces premier$ cisterciens, une
                architecture qui était belle, des chants qui étaient
                beaux, une liturgie qui était belle, et une littérature
                qui était belle, et des hommes qui étaient divinement
                beau, c'est à dire des saints. Il faut aller jusque là
                lorsqu'ils disent una Regula, il ne faut pas voir
                une façon quasi militaire ou régimentaire de marcher
                tous au même pas. Non, c'est autre chose ! C'est vibrer
                de façon identique aux beautés qui transparaissent à
                travers le texte littéral de la Règle de Saint Benoît. Et alors ils disent pour terminer  similimus
                  moribus. Regardez un peu quelle discrétion et
                quelle vérité. Ils disent : une seule charité, une seule
                Règle. Mais ils ne disent pas une seule façon
                d'appliquer cela, non, mais selon des coutumes
                semblables. Les coutumes, dans les différents monastères
                ne doivent pas être identiques, elles doivent être
                semblables. Ce n'est pas identiques mais similitude.
                Il est indispensable qu'il y ait des adaptations au
                lieu, à l'endroit, aux personnes, au pays. Nous avons déjà là, mes frères, ce que les derniers
                Chapitres Généraux essayent à grand peine de mettre sur
                pied. Mais c'était déjà dans l'intention des Fondateurs
                : cette unanimité dans une saine diversité, un
                pluralisme dans une unité. Le Statut sur l'Unité et le
                Pluralisme, ce n'est rien d'autre que la mise en oeuvre
                de cette Charité unique, de cette Règle unique
                mais dans des coutumes semblables. Voila mes frères, je pense que nous avons du pain sur
                la planche pour tous les jours de notre vie. Nous devons
                nous convertir. Nous devons toujours revenir à cette
                unique charité, à cette unique façon de réagir à ce que
                nous demande Dieu à travers la Règle, mais à la mesure
                de chacun d'entre nous, à la mesure de ce que nous
                sommes. Et nous ne devons pas ouvrir de grands yeux, ou jeter
                de grands cris si notre frère, notre voisin fait
                autrement que nous, à condition qu'il ait au coeur la
                même charité, et qu'il ait le même idéal. Mais il le vit
                à sa façon. Et l'ensemble, alors, fait une  concordia, il
                ne faut pas qu'il y ait de discordance. Dans un bel
                orchestre, il y a une quantité d'instruments, et ces
                instruments jouent tous la même partition. Mais chacun
                dans leur registre, suivant l'instrument qu'ils sont. Et
                l'ensemble forme une symphonie qu'il est beau
                d'entendre, qui repose, qui réconforte et qui encourage. Voila mes frères, c'est ainsi que les premiers
                cisterciens ont voulu faire dans leur communauté, et
                étendre cela à un ensemble de monastère. Nous allons en
                rester là pour ce qui est de la Charte de Charité. C'est
                sans doute ici, arrivé à cet endroit, la toute première
                élaboration de cette Charte. Le reste n'est rien d'autre
                qu'une amplification au sujet de l'organisation des
                Chapitres Généraux, des visites régulières, des visites
                des Abbés et des Frères dans les monastères les uns des
                autres. Mais il est probable que lorsque les premiers
                frères partaient pour s'établir ailleurs, on leur
                remettait ce petit carton, une carta, sur
                laquelle étaient posés ces principes. Et d'après cela
                ils devaient vivre. Et mes frères, nous allons essayer de faire de même,
                surtout en cette année où nous allons nous ressourcer
                sur la Règle de Saint Benoît, en passant à travers la
                paternité de ces trois hommes, de ces trois Saints qui
                ont voulu réaliser une oeuvre. Ils ne pensaient jamais que Dieu se servait d'eux pour
                lancer un Ordre nouveau. Mais voilà, il en fut ainsi. Et
                aujourd'hui, c'est à travers eux que nous irons vers un
                progrès, dans notre conversion, et il faut toujours le
                dire, dans notre épanouissement et notre bonheur. Chapitre : Conclusions du référendum. 31.01.80La Télévision peut-elle filmer librement dans
                  l’Abbaye ?Mes Frères,Dieu est un être qui n'aura jamais fini de nous
                dérouter. Il a des façons d'agir qui lui sont propres,
                mais aussi tellement originales, tellement surprenantes,
                que lorsque c'est arrivé nous ne pouvons à peine en
                croire nos oreilles et surtout nous yeux. Il a un
                caractère primesautier. Et lorsqu'il est arrivé à ses
                fins, il a comme un petit air moqueur, mais gentiment
                moqueur pour dire : Voilà mes routes à moi, elles sont
                distantes des vôtres de la hauteur du ciel à la terre. Et lorsqu'il a réussi, ainsi, à camper un de ses
                projets avec un homme, devant un homme, c'est un peu
                comme les prémices de ce qu'il réalise, lui, au plan de
                l'univers. Et à la fin des temps, lorsque sa création
                sera achevée, lorsque son plan sera parfaitement
                terminé, ce sera pour nous une surprise. Nous n'en
                n'aurons jamais assez pour voir la beauté de ce qu'il
                aura fait. Voici, par exemple, une de ces façons d'agir. Elle
                n'est pas fréquente, mais elle est tout de même là.
                Lorsqu'il veut arriver à une chose, parfois il enlève de
                la mémoire de l'homme intéressé, le souvenir d'un
                événement. Si cet événement était présent à l'homme, le
                plan de Dieu ne se déroulerait pas. Que fait Dieu ? Il enlève carrément de la mémoire le
                souvenir de l'événement, comme ci cet événement n'avait
                jamais existé. Et lorsque la chose que Dieu veut amener
                à l'existence est là, il remet l'événement dans le
                souvenir de l'homme. Et l'homme, alors, est surpris car
                Dieu l'a conduit là où il n'aurait jamais pensé aller. Eh bien, c'est ce qui est arrivé avec moi à propos de
                cette affaire de télévision. J'avais totalement oublié,
                ce l'était vraiment, ça a été enlevé de ma mémoire, que
                l'affaire était déjà réglée depuis plusieurs semaines.
                Si je l'avais su, si je m'en étais souvenu, mais il ne
                serait rien arrivé du tout. J'aurais dit au répondant :
                Bien voilà, il faut répondre que c'est non, puisque
                c'est décidé. C'est pendant les vacances de Noël, aux environs du
                Nouvel An, un peu avant ou un peu après je ne saurais
                plus le dire. J'ai plutôt l'impression que c'est un peu
                après le Nouvel An. Il s'est présenté ici deux
                Messieurs. Et ces Messieurs ont demandé si on leur
                permettrait de venir prendre des vues de la vie de la
                communauté en vue de réaliser un programme, des
                séquences au sujet de la vie Bénédictine, Cistercienne. Et ils ont dit qu'ils avaient visité des monastères en
                France, où ils avaient reçu un accueil largement
                affirmatif et positif, exactement les termes que nous
                trouvons ici dans la lettre qui vient maintenant de
                Klaarland. Je n'ai même pas eu l'idée de demander le nom
                de ces hommes. Sans doute ils ont décliné leur identité
                au Frère Gérard quand ils se sont présentés ? Mais lui
                aussi a oublié, vous comprenez, il voit tellement de
                monde. Mais ces hommes ont été extrêmement honnêtes. Ils ont
                dit : Voici, nous venons d'Orval et nous arrivons chez
                vous. A Orval, nous avons présenté la même demande. Et
                le Père Abbé nous a répondu qu'il jugeait qu'il n'était
                pas permis de filmer l'intimité d'une vie communautaire,
                qu'il le regrettait beaucoup. Et maintenant, disent-ils,
                nous voici à Rochefort. Quelle a été la réponse ? Mais
                la réponse qui leur a été donnée est celle-ci : Mais
                vous comprenez bien, Messieurs, que ce qui vaut pour
                Orval vaut aussi pour Rochefort. Nous regrettons
                beaucoup, mais nous aussi nous ne permettons pas qu'on
                vienne filmer notre vie communautaire dans son intimité. Alors ces deux Messieurs se sont excusés, et puis ils
                sont partis. Est-ce que ce sont les deux noms donnés
                ici, Philippe Dasnoy et Raoul Rolant ? Ou bien est-ce
                deux de leurs collaborateurs, car vous comprenez bien
                qu'ils ne sont pas seuls dans cette équipe ? Mais
                toujours est-il qu'ils savent qu'ils ne peuvent
                sélectionner notre monastère pour venir y filmer des
                séquences destinées à la télévision. Mais c'était totalement, vous voyez, totalement sorti
                de ma mémoire, c'est à dire que Dieu l'en avait
                littéralement retiré. Et voila que hier, hier quand
                toute l'affaire est lancée, quand j'en ai déjà parlé,
                quand j'ai annoncé une consultation, que tout est
                préparé, que tout est fini, hier, il me le remet dans la
                mémoire. Vous voyez les façons humoristiques d'agir de
                Dieu. Mais où voulait-il en venir avec cela ? Eh bien, il voulait en venir ici - et ça j'en suis sûr
                - son intention était d'éveiller en nous ce qu'on
                appelle aujourd'hui une conscientisation, c'est à dire
                nous faire prendre conscience que si nous étions engagés
                dans la célébration d'une année jubilaire de Saint
                Benoît, nous devions le faire avec sérieux et avec
                vérité, que notre effort de ressourcement sur la Règle
                Bénédictine, à travers les Fondateurs de Cîteaux, ce
                devait être quelque chose de vécu, quelque chose de
                vrai. Non pas, comme je le rappelais hier, un prétexte à
                cessions, un prétexte à discussions, un prétexte à
                voyager. Je pense que notre dernier conférencier sur
                Saint Benoît-Cassiodore, y a encore fait allusion, et
                pourtant il ne savait rien. Vous voyez la conscience de
                la communauté qui parlait aussi par la bouche de ce
                conférencier. Et ce sont là tous des petits coups de pinceaux que
                Dieu donne pour brosser un tableau. Et ce ressourcement
                à travers la relecture cistercienne, ce doit être
                l'objet d'un effort persévérant, d'un effort vécu,
                n'est-ce pas. Et si je voulais à nouveau dire de quoi il
                s’agit, je pense qu'on pourrais choisir aujourd'hui ce
                que Saint Grégoire dit de Saint Benoît. Il dit une toute
                petite chose, mais qui défini très bien le projet
                cistercien. C'était : soli Deo placere desidera,
                il désirait plaire à Dieu seul. Or, mes frères, l'Ecriture nous dit qu'il est
                impossible de servir deux maîtres à la fois. Il est
                impossible de plaire en même temps et à Dieu et au
                monde. Et les premiers cisterciens, qu'ont-ils fait ?
                Ils ont choisi de plaire à Dieu seul. Et pour cela ils
                ont tourné le dos au monde, sans mépris pour le monde
                naturellement. Mais ils l'ont fuit, ils ont pratiqué la
                  fuga mundi, ils se sont enfoncés loin du monde
                dans une forêt. Ils ont dressé entre le monde et eux la
                barrière d'une forêt désertique. Et là, dans cet endroit
                où ils étaient seuls avec Dieu, ils ont essayé d'entrer
                dans l'Univers de Dieu. Ils se sont mués en véritables
                soldats du Christ. Ils sont partis à la conquête de ce Royaume de Dieu
                qu'on ne peut conquérir que par la violence qu'on se
                fait à soi-même. Et ce Royaume de Dieu n'est pas de ce
                monde. Souvenezvous de ce que Jésus disait au moment où
                il était questionné devant le tribunal : Tu es donc Roi
                ? Oui, disait-il, je suis Roi, mais mon
                  Royaume n'est pas de ce monde. Et ces premiers
                cisterciens partaient à la conquête de ce Royaume-là,
                qui n'est pas de ce monde. Or, mes frères, la télévision, il faut bien le savoir,
                c'est le monde. C'est le monde qui fait irruption dans
                le monastère avec toute sa virulence, ou bien c'est le
                monde auquel on se livre. Hier, on m'a signalé le cas
                d'un monastère en Belgique où il arrivait qu'on
                modifiait l'heure des Offices, surtout de l'Office de
                Vêpres, pour que ceux qui le désiraient puissent
                regarder à la télévision les péripéties d'un match
                international de football. Quid hoc ad monacos ? , demanderait Saint
                Bernard. Quid hoc ad spirituales viri ?,
                qu'est-ce que cela a à faire avec des moines ?
                demanderait Saint Bernard. Mais qu'est-ce que cela a à
                faire avec des hommes spirituels ? Vous voyez, c'est
                cela la différence entre Cîteaux primitif et quoi
                aujourd'hui ? Quid hoc ad monacos ? Qu'est-ce que
                cela a encore à faire avec des moines? Mais mes frères, il y a aussi l'inverse. Si je me
                livre, moi, à une caméra de télévision, qui va capter ma
                vie intime, ma vie de prière - car je suis un homme dont
                le but est la prière continuelle - ma vie de relation
                avec Dieu, je commets presque un sacrilège, car ma vie
                ne m'appartient plus. Je ne suis pas seul dans
                l'affaire. il y a Dieu qui est avec moi. Et alors, comme
                un autre me disait hier, ça frise l'impudeur, si ce
                n'est pas carrément de l'impudeur...Et à ce moment là
                vous voyez, c'est moi qui me jette dans les bras du
                monde, même si physiquement je reste encore ici. Vous voyez que cette affaire de télévision, elle est
                lourde d'une charge symbolique explosive. Et nous devons
                en tenir compte. Il y a derrière cela toute une option,
                une option pour ou contre la pureté de notre idéal de
                recherche exclusive de Dieu, du Royaume de Dieu...ou
                bien quelque chose qui va se diluer et perdre son
                identité et nous avec. Alors, mes frères, je dois maintenant vous remercier et
                vous féliciter d'avoir choisi la liberté dans la vérité,
                dans cette vérité-là. Car voici ce qu'il ressort de
                cette enquête :Il y en a 30 qui n'ont pas accepté. Il y en a 4 qui
                acceptent. Et il y en a un qui ne savait pas ce qu'il
                devait faire et qui n'a pas choisi. Il s'est sans doute
                abandonné au jugement des autres. Je pense que ce choix
                que nous avons fait tous ensembles, est un choix qui va
                nous encourager. Car, voyez encore une fois ce que Dieu
                a voulu faire, je vous le dis, l'affaire était déjà
                réglée depuis un mois et il enlève ce souvenir de ma
                mémoire. Je propose alors toute une affaire, qui dans le
                fond, je dirais au niveau de la décision était inutile
                puisque la décision était déjà prise.
 Mais c'est l'occasion que Dieu nous donne de prendre en
                main maintenant vraiment notre programme de
                revitalisation, de je dirais d'un nouvel embrayage sur
                la pureté de notre idéal cistercien ; autrement vous
                voyez ça reste dans le coeur, c'est certain, mais ça
                reste dans la volonté une décision. Mais cette volonté s'est exprimée comme maintenant, par
                une décision écrite. C'est presque une charte qui a été
                écrite hier, comme un engagement qui a été pris comme
                cela par toute la communauté. Et je pense que c'est très
                beau, et encore une fois c'est très encourageant. Maintenant n'allons pas nous imaginer que la position
                que nous avons prise, qui est tout de même assez
                radicale, elle est unique, que nous sommes des gens qui
                sortons de l'ordinaire. Non, elle n'est pas unique. Cet après-midi sont passés ici l'Abbé d'un monastère
                Irlandais de Roscrea qui était le délégué de la
                Conférence Anglo-irlandaise, Australienne,
                Nouvelle-Zélande au Concilium Generale qui vient de se
                terminer à Tilburg. Il était accompagné de Dom Jean, le
                définiteur de langue Française qui a parlé ici, vous
                vous en souvenez, avant la Conférence Régionale, et
                aussi du Frère Bruno cellérier d'Orval. Ils ont visité
                le monastère, ils sont restés deux petites heures, le
                temps de faire un petit tour. Ils venaient de Brialmont
                et allaient sur Orval. Mais on a tout de m&me eu le temps de demander au
                Frère Bruno : Qu'est ce qu'on va faire à Orval comme
                célébration, je dirais comme manifestation à l'occasion
                du 15° Centenaire de Saint Benoît ? Il a répondu: Mais
                rien du tout. Il n'y a rien à faire, ça va se vivre au
                plan de l'intériorité, comme la Conférence Régionale l'a
                recommandé et l'a demandé. Il y aura simplement ceci :
                Monseigneur Maetens viendra présider la concélébration
                le 12 Juillet, jour de la f&te de Saint Benoît et ce
                sera tout. Pour le reste, nous ferons cela entre nous. Le père Abbé, a-t-il dit, se rendra à Maredsous la
                veille, où il y a une réunion de moines et de moniales.
                Mais il ira seul quand toute la communauté avait été
                invitée, comme toute la communauté de Rochefort
                d'ailleurs aussi. Voila mes frères, n'allons pas nous imaginer que nous
                sommes en pointe. Non, je vous le dis, c'est un esprit
                qui est ailleurs qu'ici, et c'est un esprit qui est dans
                l'Ordre. C'est Dieu qui travaille. Mais il a voulu à
                cette occasion-ci, encore une fois, nous conscientiser,
                c'est à dire nous faire prendre conscience de cela. Et
                comme je vous l'ai dit, avant d'être aimablement
                remerciés ici les opérateurs venaient d'Orval où ils
                avaient déjà, disons essuyé un refus aimable et poli.
                Nous ne sommes donc pas seul. Chapitre : Récollection du mois de février.
                  02.02.80Mes frères,Un mois s'est déjà écoulé depuis le début de l'année
                1980, et nous respirons encore le parfum de Noël avec
                plus d'intensité aujourd'hui. Et pourtant nos regards se
                portent ailleurs, ils se portent vers le lointain. Nous
                savons qu'ici bas nous n'avons pas de demeure
                permanente, nous n'avons pas d'établissement fixe. Nous
                attendons une cité que Dieu nous a préparée. Nous
                espérons la manifestation plénière de son admirable
                Lumière à lui, cette Lumière dont il va nous rassasier
                dans son Royaume. Mes frères, pendant tout le mois de janvier, nous avons
                encore longuement médité sur notre statut d'étranger,
                sur notre état de voyageur. Nous sommes ici dans la
                maison de Dieu, et cette pensée nous pénètre d'un
                respect profond pour les lieux que nous habitons ; et
                aussi pour les frères qui partagent notre vie. Cette maison de pierre, elle est solidement encrée dans
                le schiste, mais en réalité elle est un mystérieux
                esquif qui nous transporte là où nous espérons aller. Il
                nous transporte audelà du sensible, il nous transporte
                vers notre véritable patrie. Et notre vraie patrie,
                c'est la société des 3 Personnes Divines. Cela, nous le
                savons. Notre statut d'étranger nous donne un comportement qui
                n'est pas un comportement purement humain. Nous essayons
                d'emplir nos yeux de ce que notre foi nous fait
                percevoir de cet univers divin qui est si beau, de cet
                univers de lumière. Et alors, nos yeux projettent cet
                univers sur le milieu qui nous environne, sur les frères
                que nous rencontrons. Et ces frères alors, par le regard
                de lumière que nous posons sur eux deviennent beaux en
                eux-mêmes, non seulement à nos yeux, mais aussi dans
                leur profondeur à eux. Mes frères, comment, en pensant à cette patrie qui sera
                bientôt la nôtre, qui l'est déjà en espérance, comment
                ne pas nous rappeler Saint Benoît, Saint Benoît dont
                nous fêtons cette année le 15° Centenaire de la
                naissance, et aussi tous les fondateurs de notre Ordre.
                Nous les avons rappelés voici quelques jours. Ces hommes
                qui ont découvert à l'intérieur d'eux-mêmes un nouveau
                courant Bénédictin. Et ce courant, nous allons essayer de le remonter
                jusqu'à sa source afin de nous abreuver au jaillissement
                même de leur esprit et ainsi devenir un peu plus ce que
                eux-mêmes espèrent que nous devenions. Ce que nous
                allons essayer de réaliser au moins inchoativement au
                cours de cette année jubilaire, c'est d'être pour notre
                temps ce que eux ont été pour le leur. Nous allons donc continuer à nous exercer -
                maladroitement peut-être, mais avec tant de bonne
                volonté - nous exercer à la condition qui sera un jour
                la nôtre, celle de fils de Dieu adulte, de fils de Dieu
                achevé, parfait. Et nous allons nous y exercer au jour
                le jour, en essayant de rayonner un peu cette Vie Divine
                qui déjà bat dans notre coeur. Nous nous y exercerons en prenant comme mobile de notre
                agir : l'Amour. Que sur notre passage, il y ait après
                nous un peu plus d'amour. Et ainsi nous deviendrons,
                comme je l'ai rappelé ce matin, nous deviendrons les uns
                pour les autres : Lumière - Force et Paix. Et ici, je pense pouvoir faire allusion au Synode des
                Evêques Hollandais. Ce Synode qui vient de s'achever,
                qui a été une réussite malgré les appréhensions qu'il
                avait suscitées un peu partout. Ces hommes viennent de
                rentrer chez eux. Ils sont rentrés, mais cela va
                commencer pour eux. Ils sont rentrés avec leurs soucis,
                ils se trouvent devant les problèmes concrets. Ils se
                trouvent devant l'exigence de leur conversion
                personnelle. Et les questions qu'ils ont débattues,
                elles sont des questions agitées partout dans l'Eglise.
                Il est certain que ce Synode aura un retentissement
                extraordinaire. C'est un événement d'Eglise autant que
                l'événement d'une petite Eglise Nationale. Mes frères, nous devons apporter notre pierre à
                l'édification de ce travail que ces hommes, maintenant
                doivent entreprendre, et qu'ils doivent conduire à
                l'achèvement. Et nous pourrons les aider, si ici à notre
                place, nous faisans les choses comme nous devons les
                faire, si à notre tour nous n'avons pas peur de prendre
                en main notre conversion, cette conversion qui est au
                coeur d'une existence monastique. Le moine est un homme
                qui sans cesse se détourne des idoles, se détourne des
                illusions pour se tourner vers la Vérité, pour se
                tourner vers celui qui est la Vie. Il sait très bien que
                du côté de Dieu est la vie, et que de l'autre côté est
                le rien. Mes frères, nous les aiderons donc par la vérité et le
                sérieux de l'entreprise de cette année. C'est dans les
                mois qui vont venir que ces hommes auront le plus
                difficile. Eh bien mes frères, c'est dans les mois qui
                vont venir que nous, nous allons continuer à travailler
                à ce projet que nous avons mis au point. Et je le
                répète, c'est en nous ressourçant au jaillissement de la
                source bénédictine captée par nos Fondateurs : être
                  pour aujourd'hui, pour notre temps, ce que eux ont été
                  pour le leur. Dans une petite quinzaine de jours nous allons nous
                trouver devant le Carême. Ce temps de Carême va nous
                rappeler notre faiblesse. Nous ne devons pas nous faire
                d'illusions, c'est la grâce de Dieu en nous qui peut
                réaliser quelque chose de durable, quelque chose
                d'éternel. Mais ce temps de Ca rame va nous rappeler
                aussi que notre faiblesse, elle est aimée de Dieu. Dieu
                n'aime pas les hommes qui sont sûrs d'eux-mêmes. Il aime
                les hommes qui s'appuient sur Lui, les hommes qui se
                savent fragiles, mais qui savent aussi qu'ils peuvent
                absolument tout en Celui qui les habite, en Celui qui
                les rend fort. Mes frères, l'eau que nous allons bénir et que nous
                allons recevoir dans quelques minutes, cette eau va une
                fois encore nous remettre devant notre état, notre état
                de créature pauvre, mais aussi notre état de créature
                promise à un destin fantastique : partager la Vie Divine
                et voir la Lumière de Dieu avant notre mort pour en être
                rassasié pour l'éternité. Et pas seulement nous, mais
                prendre aussi nos frères les hommes avec nous. Mes frères, nous vivons maintenant des temps exaltants.
                Et ces temps, ils seront nôtres si nous-mêmes sommes des
                hommes vrais. Laissons donc venir sur nous cette eau.
                Plongeonsnous en elle, c'est nous immerger dans
                l'Esprit. Et cet Esprit nous enveloppant pourra nous
                porter là où notre espérance nous fait déjà habiter,
                chez Dieu. Et cette maison, qui est la maison de Dieu
                deviendra alors pour nous-mêmes et pour tous, le Temple
                de l'Esprit. Chapitre : La xenitheia. 04.02.8016. Nous sommes un temple de Dieu.Voir Chapitre précédent le 15.01.80
              Mes frères,L'analyse que nous faisons de notre statut d'étranger,
                elle ne vise pas un but d'érudition, nous devons bien le
                savoir. Elle nous aide à chercher notre véritable
                identité. Elle nous aide à entrer dans notre vérité.
                Elle a donc un but essentiellement pratique. Elle est
                orientée vers un mieux vivre, vers une praxis, vers une
                pratique plus intelligente, plus réfléchie, plus hardie
                aussi de notre vocation. La maison de Dieu que nous habitons, cette maison, cet
                édifice de briques, de pierres, de bois, cet édifice où
                nous partageons une intimité bien réelle avec le premier
                occupant de cette maison, cette maison elle est en fait
                le signe d'une réalité beaucoup plus haute. Elle nous
                rappelle à tous moments, ou du moins elle doit nous le
                rappeler et nous devons avoir notre attention ouverte à
                cela, elle nous rappelle que nous-mêmes nous sommes dans
                notre corps un temple de Dieu. Je suis, dans mon être unique au monde, je suis une
                maison de Dieu. Dieu vit en moi. Et il y vit tellement,
                qu'il m'invite mais sans me forcer, il m'invite à lui
                céder toute la place pour que finalement ce ne soit plus
                moi qui vive, mais que ce soit Lui qui vive en moi.
                Donc, que mes yeux soient des yeux de Dieu, que mes
                lèvres soient des lèvres divines, que mon coeur soit un
                coeur nouveau, un coeur divin. Alors vous comprenez que dès ce moment là, ma
                  xenitheia me propulse vers l'impossible. Elle me
                fait atteindre les frontières de l'impossible. Elle me
                les fait même franchir. C'est là un des côtés les plus
                exaltants de notre vie, mais aussi des plus inquiétants.
                Tout ce qui touche de trop près au divin a toujours ce
                double aspect d'attirance, de séduction, mais aussi de
                peur, de recul, de crainte. Et quel est le sentiment qui
                va l'emporter en moi ? Je suis toujours en lutte. C'est une joute entre Dieu
                et moi, entre l'attrait et l'inquiétude et la peur. Je
                pense qu'il n'existe pas des hommes qui d'un coup cède à
                l'attrait que Dieu exerce sur eux. Non, d'ailleurs je
                pense que ce ne serait pas dans la vérité de notre être
                pécheur. Notre étude encore une fois, notre analyse
                comme je le disais au début, doit nous faire découvrir
                mieux la vérité de notre être, tous ces aspects-là qui
                nous permettent de mieux comprendre, de mieux intelliger
                notre vie, et alors de mieux la vivre. A cet état de Temple, de Maison de Dieu, mais je suis
                disposé, je suis appelé. Pourquoi ? Mais dès l'origine,
                Dieu m'a créé à son image. Il m'a donc prédisposé à
                devenir un jour une image parfaite de lui. Pour
                l'instant, je ne suis jamais qu'une ombre, qu'une
                silhouette de ce qu’il est. Le terme original d'ailleurs
                veut dire image. Voyons un homme debout dans le soleil. Son ombre
                s'étend sur le sol, ou bien elle se projette sur un mur.
                Voilà ce que je suis, une ombre. Mais malgré tout, une
                ombre qui donne déjà quelque chose de ce qu'est Dieu.
                Que va-t-il se passer ? Mais Dieu, alors, est un être
                contant de ce qu'il fait, parce que tout ce qu'il fait
                est réussi. Il se félicite. Il dit toujours : oh, ce que
                j'ai fait est bon, ce que j'ai fait est beau. Il est
                contant de lui. Il est contant aussi pour ce qu'il a
                créé. Dieu est bon ! Or le bon, comme le dit le
                philosophe,est  diffusivum sui, c'est à dire
                qu'il a tendance à se répandre autour de lui, à se
                diffuser à d'autres. La gloire de Dieu, comme le dira
                Saint Irénée et comme l'on repris bien d'autres après
                lui, mais la gloire de Dieu ce sera l'homme vivant et
                  la vie de l'homme, ce sera la vision de Dieu. Voici donc un homme qui commence à voir Dieu. Saint
                Paul le dit :  Maintenant nous le voyons comme dans
                  un miroir. Mais n'oublions pas que les miroirs à
                l'époque de Saint Paul étaient des métaux polis. Ce
                n'étaient pas les miroirs d'aujourd’hui. C'est donc une
                image très floue, indistincte, mais enfin c'était
                toujours ça. Mais alors plus tard,
                continue Saint Paul, nous le verrons face à face et
                  je connaîtrai comme je suis moi-même connu. Alors cela, c'est la vie parfaite de l'homme. Et à ce
                moment là, Dieu peut se féliciter d'avoir parachevé un
                chef d'oeuvre. C'est la gloire de Dieu. Vous voyez mes
                frères, où nous voici emmenés. Or je suis disposé à
                cela, parce que dès l'origine Dieu m'a créé comme son
                image. Alors qu'arrive-t-il lorsque je me trouve emporté par
                cet agir créateur et amoureux de Dieu ? Je suis alors
                projeté vers cet univers. Je n'y suis pas seulement
                disposé et appelé, mais m'y voici projeté comme par une
                fronde. Vous savez ce que c'est qu'une fronde ? Autre chose que
                dans l'histoire de Goliath ! Peut-être que lorsque vous
                étiez jeunes vous avez travaillé avec une fronde ?
                Maintenant, je ne sais pas comment ça se passe ? Enfin à
                l'époque ça se faisait avec une fronde. Et je me vois alors tournoyant dans la poche de cette
                fronde, on tournoie et puis alors c'est de plus en plus
                rapide, le vertige vous saisit, il faut fermer les yeux,
                et à un moment donné, vous êtes lâchés, et vous êtes
                lancés dans l'inconnu, dans cet inconnu qu'est Dieu. Car, ne l'oublions pas ici, tout ce que nous pouvons
                dire de Dieu, ce n'est jamais que des mots. La
                théologie, c'est un discours sur Dieu. Mais les mots ?
                Les mots, je vais reprendre ce que nous dit Job. Oh,
                dit-il, j'avais entendu raconter beaucoup de choses de
                toi, et je pensais te connaître. Et d'ailleurs, j'ai
                raconté beaucoup de bêtises à ton sujet - Job, docteur
                en théologie ! - Mais maintenant, dit-il, mes yeux t’ont
                vu - et alors le réflexe - je mets la main sur ma bouche
                et puis je me tais, je n'ai plus rien à dire. Les mots trahissent ! Seule alors la vision pourrait
                nous permettre d'entrer dans ce qu'est Dieu. Mais ne
                nous faisons pas d'illusions, ce n'est pas pour tout de
                suite même si dans une semi obscurité je peux apercevoir
                quelque chose ! Et me voici donc lancé dans l'inconnu. Sur terre je suis chez moi, je suis vraiment chez moi,
                je suis dans mon domaine. Je suis vraiment dans ce qui
                me convient parce que je ne suis rien d'autre qu'un
                morceau de terre. Je suis de la terre, je suis un
                terreux, je suis un boueux ; un terreux qui a un peu
                émergé de la terre et qui ne sait pas s'en décoller même
                si maintenant il parvient à voler de plus en plus haut,
                il va tout de même finalement se retrouver les pieds sur
                terre. Et alors quand ce sera terminé, il le sait, il va
                retourner à la terre et puis c'est fini, on n'en parle
                plus sauf dans le nécrologe. Mais Dieu qui m'a fait à
                son image, il a déposé en moi quelque chose de Lui. Il y
                a donc en moi une flamme qui brûle, une flamme qui vient
                d'ailleurs, ou plutôt une flamme que j'ai reçue
                d'ailleurs. Et voici que cette flamme prend en moi de plus en plus
                de place. Et je me découvre de plus en plus étranger
                dans mon milieu naturel. Et en même temps, je me vais
                devenir naturalisé citoyen d'un autre univers, d'un
                autre monde. Etranger chez moi et naturalisé citoyen de
                l'univers de Dieu. Oh, la terre, je continue à l'aimer la terre, c'est moi
                la terre ; la flamme, c'est Dieu. Ce n'est pas parce que
                je vais languir après ma patrie d'adoption où je serais
                naturalisé Dieu, que je vais pour cela renié ma patrie
                d'origine qui est la terre. Nous avons ici toute la
                différence entre le néo-platonisme et le Christianisme. Le platonicien, lui, c'est un être qui vient du ciel.
                Il est chez lui dans sa véritable et première patrie au
                ciel. Et par un malheur, un accident, un hasard
                malheureux, il est tombé sur la terre. Et le voici
                emprisonné dans une maison de terre qu'on appelle un
                corps. Et il aspire après le moment où ce corps va se
                briser pour que son âme alors, pour que lui puisse de
                nouveau d'un coup repartir dans l'empiré, dans le ciel
                d'où il est tombé parce qu'il s'est peutêtre mis trop
                près ! Voilà, mais ça ne fait rien, il va pouvoir y
                retourner. Le Chrétien, lui, c'est autre chose. Il est chez lui
                sur la terre. Mais il va recevoir comme un cadeau de la
                part de son Créateur la faveur de pouvoir accéder dans
                ce ciel qui est la véritable et première demeure de
                Dieu. Mais à ce moment, mes frères, l'amour de la terre va
                acquérir son véritable sens. Car dès l'instant où je
                suis devenu ce que Dieu veut faire de moi, où je suis
                vraiment un citoyen mais ne l'oublions pas, toujours par
                naturalisation - de son univers, c'est alors que je
                commence à aimer la terre comme lui l'aime, et que je
                puis dire que tout ce qui est sur la terre est beau, que
                tout ce qui est sur la terre est bon. Mes frères, il y a une force qui nous propulse comme
                cela dans l'univers de Dieu, cette force qui anime la
                fronde et puis qui soutient, je dirais, ma course pour
                arriver jusque là où Dieu m'attend. Et nous verrons à
                une autre occasion ce qu'est cette force. Nous verrons
                qu'elle agit en nous et que l'art, vraiment la finesse
                de l'art monastique, c'est de collaborer avec elle, de
                collaborer pour lui permettre de déployer toutes ses
                énergies. Chapitre : La xenitheia. 09.02.8017. La puissance de la résurrection.Mes Frères,Nous avons vu qu'en nous habitait et agissait une force
                qui nous arrache à la pesanteur du terrestre et qui nous
                lance dans les espaces inconnus du Divin. Et à mesure
                que nous avançons, que nous progressons dans la
                direction qui est la nôtre, nous nous reconnaissons de
                plus en plus comme étranger à ce monde. C'est un monde
                qui n'a aucun rapport avec le nôtre. Lorsque je dis
                arraché au terrestre, c'est sans aucun mépris pour le
                terrestre. Le terrestre est notre véritable patrie. Nous
                sommes de la glaise, et de la glaise nous sommes formés,
                et à la glaise nous retournerons. Et nous voici enlevés à cette glaise pour partir dans
                un monde qui n'est pas le nôtre. Et pourtant, à mesure
                que nous avançons en lui, nous le reconnaissons quasi
                comme nôtre. Nous y sommes de plus en plus étranger, et
                en même temps nous pressentons que là sera notre
                véritable patrie. Ce ne sera plus la glaise, ce sera le
                monde de Dieu mais toujours une patrie d'adoption. Serait-ce la conscience que nous prenons de cette
                adoption, qui nous rend de plus en plus étranger à cet
                univers ? Je pense que c'est d'abord l'univers comme
                tel. Et c'est l'adoption qui fait que nous soyons en
                état de nous y adapter, de nous y intégrer et de nous y
                sentir presque chez nous. Et la force qui nous arrache
                ainsi pour nous lancer chez Dieu, c'est la puissance de
                la résurrection. Mais la résurrection, qu'est-ce que
                c'est ? Ici, nous devons avouer notre ignorance absolue. La
                résurrection, nous ne pouvons absolument pas savoir ce
                qu'elle est. Elle dépasse nos sens, notre imagination,
                notre intellect. Elle est d'un autre ordre, ce n'est pas
                le nôtre. Nous sommes dans l'ordre de Dieu. Nous ne
                sommes plus dans l'ordre des hommes, même si c'est
                l'homme qui ressuscite. L'homme, à ce moment, va entrer
                ailleurs, vous voyez. Et cette puissance de résurrection qui agit en nous,
                c'est elle qui nous rend étranger à l'univers qui
                devient le nôtre et en même temps, et c'est ça qui est
                le plus difficile, elle nous rend étranger à l'univers
                que nous quittons. Si bien que nous sommes toujours
                entre les deux. C'est une posture difficile à tenir,
                nous allons le voir dans un instant. Mais cette résurrection, elle fait de nous une créature
                nouvelle. Et quand on parle de créature, il y a le mot
                création. Création est toujours synonyme de nouveau, de
                neuf. Toute création est neuve. Créer, ce n'est pas
                faire de rien, créer c'est faire du neuf. L'homme ne
                fait pas du neuf ! L'homme prend du même pour refaire du
                même. L'homme transforme, l'homme réajuste. Dieu seul
                peut créer. C'est la production d'absolument neuf et ça,
                c'est le travail de Dieu. Et voici donc que je deviens une créature nouvelle. Je
                deviens un être doué d'une vie qui n'est pas
                naturellement la mienne. Me voici entré dans l'univers
                divin. Et lorsque la résurrection arrive, lorsqu'elle
                arrivera - car elle arrivera un jour pour tous les
                hommes - à ce moment là, l'univers entier va être
                transformé. Mais pourquoi ? Mais parce que chaque être ressuscité sera comme une
                lumière, il sera comme un soleil, il sera ce que le
                Christ dit : la lampe placée au dessus du lampadaire. A
                présent, la lampe qui existe déjà - c'est ça la
                puissance de la résurrection - elle est cachée sous le
                boisseau, elle est cachée en dessous du lit. On ne la
                voit pas, elle ne remplit pas encore sa fonction mais
                elle est là. Et un jour, Dieu la prendra, il la placera sur le
                lampadaire. Et alors, toute la création sera illuminée,
                toute la création en sera transformée. Les moindres
                détails de cette création apparaîtront aux regards de
                tous. Ce sera le rôle du ressuscité, ce sera de
                transfigurer le monde. Voyez cette lumière neuve, cette
                lumière divine qui sera projetée partout. Mais je suis déjà, et ici c'est difficile peut-être à
                comprendre, je suis déjà eschatologiquement ressuscité
                dans le Christ. Et qu'est-ce que cela veut bien dire, ça
                ? Mais cela veut dire que tel que je suis maintenant, je
                suis déjà ressuscité. Le christ, qui est la tête, est
                ressuscité. Si la tête est ressuscitée, le Corps aussi
                est déjà ressuscité, mais cette résurrection n'apparaît
                pas encore. Elle apparaîtra lorsque le Corps entier sera
                achevé, parfaitement structuré. Alors, il apparaîtra
                dans son état de résurrection. Ce sera à l'eschaton,
                ce sera au dernier jour. Mais cette résurrection, pour employer une autre
                expression, elle est déjà acquise maintenant dans la
                Tête. Elle est acquise aussi dans le Corps. Elle
                apparaît dans la Tête. Elle n'apparaît pas encore dans
                le Corps, mais elle est déjà là. Et cette résurrection
                acquise eschatologiquement agit déjà en moi. Et c'est
                cette action de la résurrection qui fait que je suis
                enlevé à l'univers uniquement terrestre, pour accéder à
                l'univers qui sera le mien lorsque ma résurrection sera
                parfaite. Lorsque je parle de résurrection, ce n’est pas une
                façon allégorique d'exprimer une transformation. Non,
                c’est cette fameuse résurrection des morts. Ici, nous
                sommes en plein mystère. Voyez, lorsque Saint Paul dit :
                  Si vous êtes ressuscités avec le Christ, ne cherchez
                  plus les choses de la terre, cherchez les choses d'en
                  haut, là où le Christ est à côté de son Père.
                Voyez, c'est cette réalité là que nous devrions essayer
                de méditer, nous devrions essayer de nous en pénétrer
                car c'est le fondement de toute vie humaine, mais c'est
                surtout le fondement de toute vie monastique. La vie monastique ne serait donc rien d'autre qu'un
                apprentissage de notre vie de ressuscité. Comme je le
                disais il y a quelques jours, il y a quinze jours
                peut-être, c'est apprendre à collaborer avec cette force
                de résurrection qui travaille en nous. C'est ça qu'il
                faut apprendre, c'est ça le fin mot de l'art spirituel. Donc, cette puissance de résurrection déjà acquise, qui
                travaille en moi, je peux très bien la neutraliser et
                j'aurais même envie de la neutraliser ; par peur,
                d'abord car je ne sais pas du tout où elle me conduit !
                Mes sécurités sont derrière moi et mes sécurités sont la
                glaise dont je suis sorti, c'est la boue dont je suis
                formé. Et ça je le connais, parce que c'est moi. Et ces
                sécurités, je dois les abandonner les unes après les
                autres. Or, je vais m'y accrocher. J’aurais donc peur et
                je vais essayer de neutraliser ça en moi. Le plus souvent ce sera inconscient, cette tentative de
                neutralisation. Je n'en prendrai pas conscience, sauf
                lorsque j'y réfléchirai. S'il y a dans la journée du
                moine des moments de halte où on essaye de se reprendre,
                ce qu'en terme de spiritualité moderne on appellera examen
                  de conscience, ce n'est pas pour voir ce qu'on
                aurait fait de mal peut-être dans les heures qui
                précèdent, mais c'est pour essayer de saisir si à un
                moment ou l'autre, peut-être sans le savoir, j'ai
                neutralisé la force qui agit en moi, cette puissance
                qui, il faut le dire, est infinie. Elle est tellement
                infinie, qu'elle pourrait m'emporter en une fois.Mais justement parce qu'elle est infinie, elle est aussi
              infiniment respectueuse de ce qu'elle fait. Et lorsqu'elle
              m'a créé libre, elle ne forcera jamais mon consentement. Je vous dis, lorsque nous entrons dans cette façon
                d'agir de Dieu, nous ne sommes plus chez nous. Et du
                quel côté que nous nous tournions, nous voyons Dieu,
                mais Dieu dans tous ses aspects déroutants car Lui, qui
                pourrait faire de moi un fils de Dieu, un être divinisé
                en un instant, il ne le fera pas, parce qu'il ne veut
                pas un pantin qu'il aurait réussi d'un coup. Non, il
                veut collaborer avec un être qui ne se laisse pas faire,
                avec un être qui va résister, un être qui va lutter
                contre lui. Dieu est un lutteur. Mais vous comprenez que dans ces conditions, il est
                nécessaire pour nous d'entrer de plus en plus dans la
                vérité de ce que nous sommes, dans la vérité de notre
                être, ne jamais oublier ce que nous sommes. Il faudra
                aussi revenir peut-être un peu plus tard sur cette
                petite réflexion de Saint Benoît qui dit qu'il faut
                absolument fuir l'oubli. Qu’est-ce que c'est que l'oubli
                ? Il y a des toutes petites phrases ainsi dans la Règle.
                On dirait presque qu’elles sont tombées par hasard là
                dedans. Non, il y a derrière une énorme expérience, pas
                seulement celle de Saint Benoît, mais celle de ceux qui
                ont précédé Saint Benoît. Et voilà : nous ne devons pas
                oublier ce que nous sommes, entrer dans notre véritable
                être, dans notre vérité, dans notre identité vraie. Et
                alors, c'est une nécessité, parce que notre identité
                vraie, encore une fois, elle est de la terre mais elle
                est aussi cette puissance de résurrection qui est en
                nous et qui nous projette là où nous n'espérions même
                pas un jour aller. Et alors, si nous entrons dans la vérité de notre
                condition, nous devons essayer, et c'est là ce qui va
                peut-être encore nous porter à neutraliser cette force,
                nous devons engager notre responsabilité d'homme et être
                des adultes. Vous savez aujourd'hui, ça revient souvent,
                ça, qu'il faut être adulte ! On ne sait pas trop bien ce
                que ça veut dire. Il ne faut pas trop y insister, parce
                que alors on entre dans le domaine de la psychologie, et
                ce n'est pas le moment maintenant. Mais enfin nous devons bien savoir que dès l'instant où
                nous avons choisi, dans le monastère, de collaborer de
                cette façon avec ce travail de Dieu en nous, nous
                engageons notre responsabilité. Et pour engager sa
                responsabilité, il faut savoir ce qu'on fait. Il faut
                d'abord être un être réfléchi, un être mûr. Il ne faut
                pas être un petit gosse. Et ça encore, c'est tout un
                apprentissage. Je me souviens d'une lettre circulaire - oh, il y a
                très longtemps de cela - d'un Abbé Général, je pense que
                c'était de Dom Sortais, peut-être une des toutes
                premières. Il faisait remarquer qu'un des dangers,
                qu'une des plaies dans les monastères pouvait être
                l'infantilisme, de ne pas parvenir à ce niveau où
                l'homme choisit. Et voilà, mes frères, à cette puissance de résurrection
                qui agit, le moine est donné. Il est donné à elle, il
                est réservé pour elle, il s'est donné à elle. Regardez,
                le jour où il se lie définitivement à Dieu, donc où il
                se jette à la merci de cette force, il dit : Reçois-moi,
                accueille-moi Seigneur dans ta miséricorde et je vivrai,
                et je vivrai ! Il y a là une vie. C'est cette vie à
                laquelle il aspire ; c’est cette vie qui va être la vie
                de Dieu, cette vie qui va le faire entrer dans une
                condition divine, mais purement divine. Et alors, il se
                donne à cette vie, il se livre à elle. Mais voyez un peu
                l'audace et la folie de ce geste ! Et, mes frères, je pourrais ici vous poser une question
                : Est-ce que la vie vaut la peine d'être vécue, si elle
                n'est pas faite de folies ? La vie monastique, c'est une
                vie de folie, ce n'est pas une vie de bourgeois ! Et on
                se donne à cette vie le jour où on s'abandonne à cette
                force de la résurrection. Et alors on se réserve pour
                elle. On n'est plus que pour elle. Et on va toujours
                essayer d'écarter toutes les influences qui pourraient,
                pour reprendre le mot de tantôt, neutraliser, pour ne
                pas dire inhiber ou retarder l'action de cette force. Et
                dans le langage, dans le jargon classique, ça
                s'appellera l'ascèse. L'ascèse, ce n'est rien d'autre
                que cela, c'est s'habituer à écarter ce qui peut gêner
                cette puissance en nous. Or cette puissance, elle va surtout agir, mais surtout
                agir parce que la source est là, dans l'Eucharistie. Il
                faut bien se le dire, c'est à ce moment là, c'est à
                partir de là que cette puissance de résurrection agit en
                nous. S'il fallait maintenant s'étendre là-dessus, eh
                bien, ça prendrait encore des soirées et des soirées. Je
                n'aurais garde de le faire. Mais enfin, vous comprenez
                bien, vous le savez aussi bien que moi. Mais il faut de
                temps en temps nous en souvenir que la puissance de la
                résurrection travaille surtout dans l'Eucharistie. Et
                chaque jour, elle vient en nous. Mais une Eucharistie qui se prolonge, alors, toute la
                journée par une prière. Je reprends le terme classique
                de prière. Vous savez que ces moines, dès l'origine, dès
                les débuts, ils essayaient d'accéder au niveau de la
                prière continuelle, la continua oratio, donc sans
                arrêt. Ils ne devenaient plus que prière. Ils n'étaient
                plus, eux, que cri, imploration. Ils étaient jubilation
                aussi, ils étaient regard, ils étaient écoute. C'était
                cela leur vie,c'était cela la prière. Or tout cela, ce n'était rien d'autre que l'action
                prolongée en eux de l'Eucharistie même s'ils ne la
                recevaient au début qu'une fois par semaine. C'était
                cela qui travaillait en eux tout le temps. Mais c'était
                encore beaucoup plus que cela, car au fond, c'était ce
                que Saint Paul dit. Cette puissance de la résurrection,
                elle porte un nom, elle est la Personne Divine de
                l'Esprit. C'est elle qui descend sur les oblats au moment de
                l'Eucharistie, c'est elle qui couvrait le Christ au
                moment de son baptême, c'est elle qui couvrait Marie au
                moment de la conception du Christ, c'est elle qui nous
                couvre et qui nous enveloppe, et qui entre en nous,
                c'est cette Personne de l'Esprit. Et c'est elle, qui en
                nous prie, elle crie dans des gémissements
                inexprimables, disait l'Apôtre Paul. Et c'est cela, vous
                voyez, la prière continuelle, c'est cela la résurrection
                qui travaille en nous. Eh bien voilà, mes frères, nous pouvons terminer notre
                semaine sur cette vision, car c'en est une, d'hommes qui
                grâce à cet Esprit qui est en eux, à cette puissance de
                résurrection qui travaille en eux par l'intermédiaire de
                cette Personne Divine, sont arrachés au terrestre et
                sont lancés dans l'univers de Dieu, là où ils se
                découvrent étrangers et où malgré tout, ils savent
                qu'ils ont leur demeure permanente, une demeure qui leur
                a été préparée dès avant la création du monde, là où ils
                sont attendus, là où ils sont espérés. Chapitre : Introduction à la Visite Régulière.
                  10.02.80Mes frères,Aussitôt après le Chapitre, le Frère Jacques et le
                Frère Julien vont prendre la route. Ils vont chercher
                Dom Emmanuel qui va arriver cet après-midi afin d'ouvrir
                demain, probablement, la Visite Régulière. Mais Dom
                Emmanuel vient aussi pour prendre un peu de repos, voir
                d'autres visages, respirer un autre air, prendre un bain
                de calme, de solitude, de paix ici à Saint Remy. Les
                deux sont compatibles, et Visite Régulière et repos, du
                moment qu'il s’agit de Rochefort Eh bien, nous entrerons
                dans son intention. Autrefois, vous le savez, la Visite Régulière était
                entourée d'un certain appareil de solennité. C'est déjà
                si loin, les jeunes n'ont jamais connu cela. Les trois
                jours qui précédaient l'arrivée du Visiteur, on lisait
                le soir avant Complies, un chapitre du Directoire
                Spirituel qui traitait de la Visite Régulière. Lorsque
                le Père Visiteur se présentait à l'hôtellerie, on
                sonnait les deux cloches à la volée. Il était reçu par
                l'Abbé accompagné de quelques anciens. On le conduisait
                dans ses appartements. Le lendemain, lorsque sonnait l'heure du rassemblement
                pour l'ouverture officielle de la Visite, il adressait
                un petit mot de circonstance à la communauté. Puis on se
                rendait processionnellement à l'église, et là, entouré
                de son secrétaire et du sacristain, il inspectait le
                tabernacle. Puis il donnait la bénédiction à la
                communauté prosternée sur les articles, avec le ciboire.
                Il continuait alors la visite par la sacristie. Puis
                s'ouvrait le fameux scrutin secret. Et alors, dans les jours qui suivaient, l'Abbé,
                naturellement, était dans ses petits souliers. Et on
                attendait la fin, les uns avec curiosité, les autres
                avec anxiété, quelques uns dans l'indifférence. Mais
                malgré tout il y avait, il régnait, il flottait partout
                dans la maison une atmosphère unique. Aujourd'hui, tout ça se passe avec beaucoup plus de
                simplicité et de bonhomie. Mais ça ne veut pas dire que
                la Visite Régulière a dégringolé au rang d'une formalité
                administrative sans valeur. Auparavant, elle se faisait
                tous les ans et maintenant c'est à peu près tous les
                trois ans ; ça veut dire que nous devons collaborer à
                cette Visite Régulière avec plus de sérieux que jamais.
                Le seul terrain vrai sur lequel nous devons nous situer
                et rester, c'est vous vous en doutez bien le terrain de
                la foi, et à un double niveau. D'abord le visiteur, nous le connaissons, c'est un très
                brave homme. Il nous connaît aussi très bien. Mais
                malgré tout dans cette circonstance spéciale, nous
                devons ouvrir les yeux, c'est à dire les yeux de notre
                esprit, nos yeux habités par cette force de résurrection
                dont j'ai parlé hier soir, nos yeux de demain. Nous
                devons les ouvrir et dans cet homme, voir Dieu qui vient
                ici nous rendre visite. Mais Dieu dans un homme, c'est
                le Christ. Et il vient inspecter sa maison. Il vient
                nous rappeler à la vérité, ou nous confirmer dans cette
                vérité. Ce que nous sommes, ce que nous faisons ici à
                Saint Remy, est-ce bien ce que le Christ attend de nous
                ? Voila la question ! Et alors d'un bond nous remontons aux origines de notre
                Ordre. Et nous voyons que c'était déjà l'intention de la
                  Carta Caritatis. Donc, dans cette charte de
                Charité, où le Visiteur, l'Abbé de la maison fondatrice
                devait se rendre compte sur place si dans cette nouvelle
                communauté ne s'introduisait pas subrepticement un sens
                autre que celui que les Fondateurs avaient voulu au
                départ, une autre lecture que la leur, une autre lecture
                de la Règle que celle que eux avaient découverte. Mes frères, voila comment nous devons collaborer avec
                le Visiteur. C'est avec le Christ lui-même que nous
                collaborons. Et ici me revient à l'esprit cette petite
                notation encore de Saint Benoît qui dit : voilà, il peut
                très bien arriver que se présente pour un séjour dans la
                communauté un moine qui vient d'une région étrangère
                très lointaine, 61. Et puis cet homme voit avec un
                regard autre, un regard nouveau ce qui se passe dans la
                communauté. Et il adresse à l'Abbé ou à la communauté
                une ou l'autre petite remarque, une chose qu'il a vue.
                Eh bien, dit Saint Benoît, il ne faut pas prendre ça à
                la légère. C'est peut-être bien pour ça que Dieu l’a
                fait venir de si loin pour attirer notre attention sur
                ce détail. Voyez, c'est cela mes frères, l'esprit de FOI. C'est
                savoir voir les choses comme Dieu les voit. Et pendant
                cette semaine, nous allons nous exercer à cela. Oh, je
                sais que c'est déjà notre exercice habituel. Mais dans
                cette circonstance spéciale qui ne se présente que tous
                les trois ans, nous y serons encore attentif d'avantage. Et puis, nous allons aussi exercer notre esprit de Foi
                à un autre niveau. C'est à celui de notre discours.
                Comment allons-nous parler au Visiteur ? Il va nous
                recevoir, nous allons nous entretenir avec lui. Il va
                peut-être nous poser des questions ? Eh bien, nous
                devons lui parler avec honnêteté, avec probité, avec
                droiture, avec vérité. Nous devons lui parler comme nous
                parlons à Dieu, mais surtout avec vérité. Mais pour cela
                nous devons nous comporter en adulte, pas en petits
                gosses qui vont rouspéter parce qu'ils ne sont pas
                contents. Non, en hommes mûrs et en frères. Si le Visiteur
                perçoit dans notre discours de l'acrimonie, de
                l'aigreur, de l'agressivité, oh, ne nous faisons pas
                d'illusions, à ce moment là, il nous retire sa
                confiance. Oh, il écoute très poliment, c'est un homme
                poli, bien élevé, il va bien nous écouter. Mais il ne
                tiendra aucun compte de ce que nous disons, ça, il ne
                faut pas nous faire d'illusions. Il ne tient compte que
                de ce qu'il lui est dit dans la paix, dans l'honnêteté,
                dans le calme. Eh bien, mes frères, je vous exhorte beaucoup à lui
                parler de cette manière. Si vous avez quelque chose sur
                le coeur, dites-le lui mais dites-le lui avec honnêteté,
                dans la vérité. Si vous avez à parler, à faire une
                remarque à propos d'un frère, à propos de l'Abbé,
                faites-le aussi sans aigreur. Il doit sentir que ce qui
                à ce moment là vous anime et vous fait parler, c'est la
                charité. Il doit percevoir que c'est l'Esprit qui vous
                habite, l'Esprit du Christ qui est en vous et qui se
                sert de vous pour lui révéler quelque chose. Et à ce
                moment là, il est ouvert, il accueille, il en tient
                compte. Alors, s'il doit adresser une remarque à un frère ou à
                l'Abbé, comme cette remarque vient de Dieu, alors elle
                sera reçue avec reconnaissance, elle sera reçue avec
                joie parce que ce sera la découverte d'une nouvelle
                volonté de Dieu. Voila mes frères, comment je vous
                exhorte à parler. Et ainsi, le passage du Visiteur dans notre communauté,
                il sera pour nous tous une grâce de renouvellement, une
                grâce de ressourcement. Elle se situera dans le cadre de
                l'Année jubilaire de Saint Benoît. A mon avis, c'est une
                grâce spéciale que cette Visite Régulière ait lieu cette
                année-ci. Nous avons pris la résolution de placer cette
                année 1980 dans la lumière de Dieu, d'essayer de raviver
                en nous la veine Bénédictine et de la raviver à travers
                l'esprit qui animait nos Fondateurs. Et ainsi mes
                frères, c'est cela que nous allons essayer de vivre les
                jours qui vont suivre. Je vous remercie déjà à l'avance de votre
                collaboration. Je vous remercie en mon nom propre, au
                nom du Visiteur aussi. Vous savez combien il aime notre
                communauté, combien il aime de se retrouver ici. Eh
                bien, nous lui faciliterons sa tâche. Et nous retirerons
                alors de son passage un encouragement pour continuer
                dans la ligne que nous nous sommes tracées. Chapitre : La xenitheia. 11.02.8018. Perdre sa volonté dans celle de Dieu pour se
                  trouver soi-même.Mes frères,Nous avons vu que nous étions possédés par une force
                qui nous arrache à la pesanteur du terrestre et qui nous
                projette dans l'inconnu, dans les espaces inconnus du
                divin, où là, nous nous découvrons de plus en plus
                étranger. Et cette force qui est le moteur de cette
                progression en Dieu; n'est rien d'autre que la puissance
                de la Résurrection, Résurrection déjà acquise
                eschatologiquement, mais déjà aussi en action en nous
                dès à présent. Cette puissance de Résurrection, elle s'infiltre jusque
                dans les replis les plus secrets, les plus cachés, les
                plus intimes de notre être, de notre être charnel tout
                autant - j'oserais presque même dire - si pas plus que
                de notre être spirituel. Car lorsqu'il est question de résurrection, c'est
                toujours résurrection de la chair, ça ne veut pas dire
                réanimation d'une chair. Non, nous avons vu que la
                résurrection était une réalité qui dépassait notre
                entendement et que nous devions ici rester sagement au
                niveau de la foi. Cette puissance de résurrection se propage en nous
                quasi à notre insu, mais jamais contre notre vouloir
                libre. Et ici se pose la question : mais qu'est-ce que
                la liberté ? A quel moment suis-je libre ? Or ça, ça
                nous échappe ! Cela nous échappe et c'est peut-être
                notre salut. Car cette puissance divine peut alors jouer
                en nous en faisant fi de tout ce qui se passe en nous.
                Je suis parfaitement libre, lorsque ma volonté ne fait
                plus qu'une avec celle de Dieu. Et à ce moment, chose paradoxale, je suis devenu
                totalement étranger à moi-même et au même moment, je me
                possède totalement. Donc, je n'ai plus de volonté
                propre. Ma volonté est celle de Dieu. Je suis mu par un
                autre qui est Dieu, qui est cet Esprit de Dieu, qui est
                cette puissance de résurrection qui alors agit en moi
                parfaitement. Mais alors, moi-même dans ce qui me constitue, étant mu
                par un autre, qu'est-ce qui me reste ? Mais il me reste
                qu'à ce moment je deviens identique dans mon être intime
                avec le projet que Dieu a sur moi. Je deviens donc
                réellement moi, dans la mesure où je me perds,
                dans la mesure où je m'oublie, dans la mesure où je
                sacrifie ma volonté propre à celle de Dieu. Et vous
                voyez ici toute la ligne de crête de la vie Bénédictine,
                de la vie monastique : perdre sa volonté dans celle de
                Dieu pour se trouver soi-même dans sa véritable
                identité. Eh bien c'est cela que cette puissance de résurrection
                essaye d'opérer en nous. On comprend alors qu'elle soit
                assimilée à une brise, à un souffle, à un parfum, à une
                onction. Vous voyez, il n'est pas de termes abstraits
                disons capable de définir clairement ce qu'elle est. Il
                faut user d'allégories empruntées au monde que nous
                connaissons. Et alors l'ensemble de ces images tirées de
                l'univers matériel nous permet de saisir un peu en quoi
                elle consiste. Et nous comprenons mieux qu'il nous est difficile,
                disons qu'il nous est quasi impossible d'échapper à son
                action. Il nous est impossible d'opposer un obstacle
                qu'elle ne pourrait pas franchir. Voyez, une brise, un
                parfum, une onction ça passe toujours, ça pénètre, ça
                amollit, ça dissout. Voyez, un fait ici ! Voici donc l’amour de Dieu qui se
                manifeste aux hommes qui ont, eux, opté pour le refus
                absolu. C'est ce que nous appellerons les damnés. Donc
                je suis condamné, je suis condamné définitivement, je
                l'ai choisi et je refuse Dieu et tout ce qui a trait à
                Dieu. Eh bien ce parfum disons qui est cette puissance
                de résurrection, il va pénétrer ces hommes, ces hommes
                qui sont morts, qui sont condamnés. Il va les pénétrer
                et il va en quelque sorte les amollir, les attendrir, il
                va les détendre, il va les décrisper. Si bien qu'ils
                seront en état, mais toujours librement, en état pour la
                première fois peut-être d'accueillir l'amour et d'y
                répondre. Ceci pour dire qu'il ne faut jamais désespérer de
                personne, que nous ne devons pas classer les gens :
                celui-là est en enfer et celui-là au paradis. Non, voyez
                cette puissance de résurrection qui agit partout à tout
                moment, et comme je le disais, quasiment à notre insu.
                Elle est souffle, elle est brise, elle est parfum, elle
                est onction,ça nous rappelle qu'elle est Esprit. Ce sont
                tous les vocables sous lesquels nous dissimulons ou par
                lesquels nous essayons de mettre au jour, de dévoiler la
                Personne Divine de l'Esprit, cet Esprit qui est l'Amour,
                Amour qui est lui-même brûlant et transformant. Au cours de l'homélie que nous avons entendu hier, le
                Frère Gilbert nous a rappelé cette vérité que l'Amour
                qui est Dieu et qui est l'Esprit de Dieu est un feu,
                c'est brûlant. Et si ça brûle, ça transforme. Et si ça
                transforme, ça transforme dans le sens du feu, aussi de
                la lumière. L'amour ne peut faire que du pareil à ce
                qu'il est. S'il transforme, c'est pour transformer en
                amour. Et vous voyez, c'est cette puissance de résurrection
                qu'est l'Esprit de Dieu en Personne. Il est en nous, et
                il travaille, et il nous fait devenir Amour, il nous
                fait devenir des fils de Dieu, il nous fait devenir des
                êtres divins. C'est jusque là qu'il nous conduit, et
                c'est la raison pour laquelle ça nous paraît de plus en
                plus étrange, et que nous nous trouvons de plus en plus
                étrangers. Car si nous nous laissons à ce que nous
                sommes, l'Amour est pour nous une aventure que nous
                préférerions éviter. C'est une aventure prodigieuse, mais dangereuse aussi
                car qui se frotte à l'amour va se brûler et il va, s'il
                se fait brûler, il va se faire consumer et détruire.
                Voyez, nous revenons à ce que je disais pour commencer.
                C'est dans la mesure où je vais me perdre donc où je
                vais m'oublier, où je vais renoncer à ce qui me semble
                être ma personnalité, c'est à dire ma volonté et mon
                jugement, c'est à ce moment là que l'Amour va prendre
                possession de moi et qu'il va me faire devenir pareil à
                lui, c'est à dire un fils de Dieu et un être divin. Donc, c'est donc là que me projette cette puissance de
                résurrection qui agit en moi, faire de nous des hommes
                qui ne seront plus rien que des révélations de l'Amour.
                C'est là encore une fois une vérité, une réalité vraie
                qui dépasse ce que noue oserions jamais espérer. Et
                lorsqu'on le dit ainsi avec des mots, ça paraît
                peut-être difficile à comprendre, ou bien ça paraît tout
                simple, ou bien ça paraît de la rhétorique ou de la
                poésie. Nous expérimentons, nous, l'amour que nous
                donnons aux autres, nous l'expérimentons un peu comme un
                arrachement à nous. Mais imaginons maintenant l'homme qui est tout à fait
                arraché à lui, et qui n'est plus devenu qu'Amour ! Mais
                à ce moment là, cet homme vit, cet homme agit
                naturellement et il commence à procréer naturellement.
                Ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en
                lui, c'est l'Esprit qui agit en lui, et alors il devient
                lui-même collaborateur de Dieu. Voyez un peu dans cette
                ligne de pensée tout ce que dit l'Apôtre Paul. On est en
                train de lire maintenant pendant l'Office de nuit
                l'Epitre aux Galates, l'Epitre aux Corinthiens. Essayons d'ouvrir les oreilles et de voir là, derrière
                cette expérience de l'Apôtre Paul, qui à un moment donné
                quand il ne s'y attendait pas - cette puissance de
                résurrection qui travaillait en lui et qui l'arrachait à
                sa condition charnelle sans qu'il le sache - mais un
                moment donné il en a pris conscience. Il l'a vue, il a
                vu la Lumière, il a vu le Christ ressuscité. Et alors
                pour lui c'était fini. Il s'est trouvé, lui - il était
                un être unique naturellement, il avait une mission
                unique - il s'est trouvé projeté d'un coup là où nous
                allons, nous, lentement. Mais à travers ce que lui a vécu, et ce qu'il nous dit,
                nous devons bien savoir que c'est l'expérience qui nous
                attend demain, qui est déjà peut-être la nôtre
                aujourd'hui, mais à 1aquelle l'Esprit de Dieu nous
                prépare en nous arrachant à nous-mêmes pour nous amener
                là, où nous devons aller, chez lui. Voila mes frères, nous verrons la fois prochaine que
                cette expérience nous fait entrer dans un univers qui
                nous est, lui, absolument étranger. Il faudra réfléchir
                un peu à cela et à partir de là, encore aller plus loin
                et comprendre un des éléments de base de notre vie
                monastique, ce qui fait la définition toute première du
                mot moine, qui est - on n'y pense pas, on n'y pense plus
                - qui est tout simplement célibataire ; c'est à
                dire un homme qui est un habitant des cieux, qui est un
                fils de la résurrection, et qui pour ce destin a renoncé
                à tout. Il y a dans notre vie monastique une unité foncière.
                Nous devons toujours essayer de revenir à cette unité.
                Mais c'est difficile parce que nous sommes très
                dispersés, éparpillés du fait de notre nature humaine,
                mais aussi du fait de nos occupations, de tant de choses
                que nous avons à faire et à penser, à organiser pour
                vivre terrestrement. C'est pourquoi la vie monastique doit être réduite au
                plan matériel à son minimum de nécessités pour que nous
                puissions comme ça revenir à l'unité de notre être, à
                l'unité de notre vie qui est de devenir des citoyens des
                cieux. C'est à dire des hommes qui ne sont plus rien
                d'autre que des exemples, ou des rayonnements, ou des
                lumières d'amour pour eux-mêmes, pour leurs frères et
                pour tous les hommes. Chapitre : La xenitheia. 14.02.8019. La divinisation de notre être charnel.Mes frères,La divinisation de notre être charnel - car c'est de
                cela qu'il s’agit - c'est là que désire nous conduire la
                force de résurrection qui agit en nous. Et cette
                divinisation de notre chair, elle serait proprement
                impensable si nous n'avions pas le précédent de
                l'Incarnation du Verbe de Dieu. Dieu s'est fait chair et
                il a voulu aussi que cette chair qu'il avait assumée,
                ressuscita après sa mort, après son ensevelissement au
                tombeau. Il a voulu que cette chair ressuscite, et aussi
                qu'elle soit enlevée, qu'elle soit transportée là où est
                la demeure de Dieu. C'est un endroit mystérieux que nous
                ne pouvons pas imaginer ! Nous ne pouvons pas
                d'ailleurs, c'est inutile. Voici donc cette chair d'homme, la nôtre, qui est
                vraiment, mais vraiment devenue par adoption ce que Dieu
                est par nature. Il y a là quelque chose d'incompatible.
                Une chair divinisée, c'est presque une contradiction
                dans les termes. Voilà donc cette chair élevée à un
                statut qui lui est absolument étranger. Il est donc
                fatal, il est presque normal qu'elle oppose une certaine
                résistance à l'action de cette force qui la travaille. Il faut dire, ne l'oublions pas, que cette force agit
                déjà en nous maintenant. Nous ne devons pas imaginer la
                résurrection comme un fait ponctuel, qui arrive après la
                mort, on ne sait pas quand ! Non, ça agit déjà
                maintenant, et si ça n'agissait pas maintenant, ça
                n'agirait pas alors. Il faut que nous soyons déjà
                prédisposés à cet achèvement qui sera le nôtre un jour. La chair oppose donc une certaine résistance. Pourquoi
                ? Parce que la chair est lourde, elle est opaque, elle
                est sensuelle, elle est jouisseuse, elle est rapace,
                elle est égocentrique. La chair se referme sur
                elle-même. Ici, une toute petite chose : lorsque nous sommes en
                face d'un autre, nous aurons peutêtre le réflexe de nous
                dérober à son regard. C'est cela un réflexe charnel.
                Pourquoi ? Parce que nous avons peur de l'autre. Il
                faudra que j'en parle un jour. C'est très important
                parce que ça fait partie de notre statut d'étranger.
                Mais voici donc cette chair, Cette chair qui est lourde,
                elle doit devenir légère, elle doit devenir diaphane,
                elle doit devenir ouverte, offerte, donnée, donc,
                exactement le contraire de ce qu'elle est au naturel. Mais ça, ce n'est encore que les effets, les effets,
                disons visibles, perceptibles d'une métamorphose qui
                s'opère à la racine de notre être. Et la nature de cette
                métamorphose, c'est cela la résurrection en route. Mais
                il n'y a pas de mots pour la traduire, pour l'exprimer,
                parce que c'est une réalité qui est d'un autre ordre.
                L'Apôtre le dit. Ce que nous serons un jour
                  n'apparaît pas encore, dit-il, mais lorsque ce
                  sera arrivé, alors nous serons semblables à lui
                  puisque nous le verrons tel qu'il est. Voila
                comment l'Apôtre Paul essaye d'exprimer un peu ce qui se
                passe maintenant, et qui est le prodrome de ce qui se
                passera plus tard. Alors, que devons nous faire, nous ? Ce que nous devons
                faire, c'est d'essayer de maîtriser, de neutraliser et
                de paralyser cette résistance que notre être charnel
                oppose à l'Esprit qui nous travaille. Car c'est l'Esprit
                qui ressuscite, c'est l'Esprit qui transforme et qui
                transfigure. En d'autres mots, nous devons pratiquer ce
                qu'on appelle l'Obéissance. L'obéissance, j'en ai assez
                bien parlé lorsque nous avons réfléchi à notre état
                d'esclave, de serviteur de Dieu dans le cadre de la
                louange que nous devons lui rendre dans l'Opus Dei. Mais l'Obéissance, c'est un peu la partie que nous
                devons jouer dans une immense chorégraphie dont Dieu est
                le Maître, l'inspirateur et l'improvisateur. Notre
                réponse, c'est l'obéissance. Et pour cela nous devons
                avoir, je le rappelle, une oreille très fine pour
                entendre les moindres inspirations de l'Esprit. Et nous
                devons être aussi doués, dotés d'une extrême souplesse
                pour épouser les moindres ondulations de cette brise. Et ici encore, voyez comme notre vie monastique forme
                un tout. Au cours de l'Office divin nous nous déplaçons,
                nous nous mouvons, presque nous pirouettons, nous nous
                inclinons, nous nous prosternons, nous nous relevons ;
                tout ça exige une souplesse physique. Et cette souplesse
                physique, elle est le signe, elle est le langage qui
                exprime à l'extérieur cette souplesse intérieure qui
                doit être la nôtre. Il n'est rien dans la vie monastique qui soit corporel,
                physique et qui ne soit en même temps symbole, signe,
                expression d'une réalité spirituelle. N'oublions jamais
                ça ! Il ne faut jamais cracher sur les observances,
                toute observance corporelle, je le répète, est un
                langage mystérieux pour exprimer une disposition
                intérieure d'ordre spirituel. Nous devons donc nous efforcer de donner notre
                assentiment plein et entier à l'action de l'Esprit en
                nous. Et cette action de l'Esprit, nous ne devons pas
                l'appréhender, nous ne devons pas la craindre. Nous
                devons lui faire confiance car, encore une fois, nous ne
                pouvons pas savoir ce que l'Esprit de Dieu va réaliser.
                Nous sommes dans son domaine à lui, c'est une force de
                résurrection hors de notre captus intellectuel. Saint Benoît le dit aussi. Faisons confiance, dit-il,
                ce que l’Esprit dignabitur demonstrare, 7,188,
                ce que Dieu par son Esprit daignera faire apparaître.
                Mais comme l'Apôtre le disait tantôt : ça n'apparaîtra
                qu'après, lorsque mon être ressuscité aura la
                possibilité, la faculté et la force de regarder en face
                le Grand Chorégraphe que sera Dieu Trinité. A ce moment,
                tout sera démontré ; cela veut dire, deviendra public,
                cela deviendra visible pour tout le monde et à commencer
                par moi. Mais en attendant je dois agir dans une
                certaine obscurité que nous appellerons la Foi. Et puis il y a un danger, nous devons bien prendre
                garde. C'est la tentation par excellence du milieu
                monastique, et avant lui aussi naturellement, mais c'est
                surtout dans les monastères parce que dans les
                monastères, on n'a rien, il ne reste rien dans la main.
                Et cette tentation, c'est celle d'asservir l'Esprit,
                c'est d'utiliser l'Esprit. Utiliser ce que l'Esprit peut
                me donner, ce qu'il voudrait me donner pour parader.
                J'ai là en moi une certaine puissance spirituelle qui
                travaille. Eh bien, je vais essayer de l'utiliser pour
                acquérir du prestige, pour me faire un nom, pour
                dominer, pour briller. C'est une tentation qui est
                vieille, aussi vieille que le christianisme. Vous connaissez l'histoire d'un certain Simon le mage,
                qui voulait acheter à l'Apôtre Pierre l'Esprit Saint
                pour que lui aussi pût opérer des actions prodigieuses
                qui l'auraient mis en valeur, qui lui auraient rapporté
                gros peut-être ? Il aurait pu ouvrir une officine
                quelque part. Eh bien, c'est la tentation du monastère
                ou plutôt du moine dans le monastère. Or, ce que l’Esprit demande est exactement le
                contraire. C'est qu'on soit absolument désintéressé, que
                ce soit gratuit chez nous, que nous devenions donc
                diaphanes, transparents, pour qu'il puisse nous
                traverser, pour à travers nous alors aller plus loin,
                pour que nous devenions légers ; pour que nous puissions
                encore une fois épouser les moindres mouvements qu'il
                désire nous imprimer et alors, pour faire de nous ce
                qu'il désire faire, ce qu'il désire accomplir. Voilà mes frères, prenons bien garde ! Je pense qu'il
                n'y a aucun d'entre nous qui soit exempt de cette
                tentation. Elle nous travaille tous. Et chaque fois que
                nous trébuchons à cause de l'Obéissance, c'est peut-être
                à cause de cela, parce que à ce moment-là nous percevons
                combien il ne nous est pas possible de monnayer
                l'Esprit. Voyez donc quelle gymnastique est requise de nous ?
                C'est pourquoi Saint Benoît dira que le monastère est
                une école où on apprend ainsi à servir Dieu, une
                initiation à la façon de se comporter dans ce jeu
                sublime que l'Esprit entreprend avec nous. Et puis aussi
                il nous fait acquérir le savoir-vivre, les -règles de
                savoir vivre qui sont celles de la nouvelle société qui
                sera la nôtre, la société des Personnes Divines. Mes frères, il ne faut pas penser que c'est si simple,
                que dès l'instant où on est dans un monastère, où on a
                revêtu un habit, où on a fait une profession, on peut
                tout se permettre et on peut avancer des exigences. A ce
                moment-là, je monnaye l'Esprit, je profite de ma
                situation même à l'endroit d'un supérieur, à l'endroit
                d'un confrère. Je ne suis plus rien ! A ce momentlà, je
                deviens comme le magicien qui voulait acheter l'Esprit.
                Prenons bien garde parce que c'est dangereux ; ça peut
                un instant réussir, peut-être au plan humain, au plan
                charnel, mais au bout, c'est l'avortement, c'est la
                ruine. Que va faire de nous l'Esprit ? Il veut faire du moine
                un seul être avec le Christ, un seul Esprit avec Dieu.
                Et alors mes frères, si nous devenons un seul Esprit
                avec Dieu, notre joie, notre bonheur doit être cette
                ressemblance avec Dieu qui devient nôtre. Or, Dieu, il
                est dans le monde l'inconnu, l'inexistant, celui dont on
                ne tient pas compte. Oh, disons que c'est la situation
                de Dieu à l'endroit de la majorité des hommes. Eh bien, le moine qui est devenu un seul Esprit avec
                Dieu, lui aussi il doit devenir un inconnu, un
                incompris, un laissé pour compte, un inexistant. Voilà
                son véritable sort ! Et cela voudra dire que lui - je ne
                pense pas à des persécutions, loin de là savez-vous ! -
                mais il sera dans son milieu d'abord, il sera pour
                l'extérieur, effacé, humble, modeste. On n'entendra pas
                sa voix raisonné sur les places publiques. Non ! N'allons pas penser maintenant qu'un homme qui est
                devenu un seul Esprit avec Dieu est un être falot. Non,
                toute le puissance de Dieu habite en lui. Mais cette
                puissance est tellement énorme qu'il n'est pas
                nécessaire qu'elle s'étale. Dieu crée le monde, Dieu
                fait évoluer le monde, Dieu soutient le monde par sa
                puissance qui est infinie et qui est la sienne. C'est
                pour ça qu'il peut se permettre de passer inaperçu,
                d'être inconnu, d'être nié. Eh bien, le moine dans lequel travaille à fond la
                puissance de la résurrection, il participe à cette
                puissance de Dieu et aussi à ce privilège de Dieu d'être
                inconnu. Vous comprenez alors encore un peu mieux la
                raison de ce geste premier des moines de s'enfoncer dans
                le désert. Voyez ce que faisait Antoine, voyez ce que faisait
                Benoît, voyez ce qu'ont fait les Fondateurs de Cîteaux !
                Un instinct les pousse 1à, i1s veulent devenir comme
                Dieu. Ce n'est pas seulement pour aller attaquer le
                démon dans son repaire. mais c'est aussi pour
                disparaître et devenir invisible comme Dieu 1ui-même est
                invisible. Mais à ce moment là, étant devenu comme Dieu,
                porter tout par la puissance de son être. Voilà, mes frères, à quel niveau de  xeniteia,
                de dépaysement nous devons parvenir. Encore une fois
                notre chair oppose de la résistance. C'est normal, mais
                nous ne devons pas nous laisser faire, nous laisser
                dominer par cette crainte. Nous devons plutôt donner
                notre confiance totale à l'Esprit qui prend possession
                de nous, qui nous transforme, qui nous métamorphose et
                qui alors grâce à nous, et par nous, peut réaliser en
                notre faveur d'abord, mais aussi pour l'Eglise, et
                au-delà encore pour toute l'humanité, des choses grandes
                et belles qui ne sont rien d'autre que le salut et la
                divinisation de tous les hommes sans exception. Chapitre : La xenitheia. 16.02.8020. Avertissement avant de continuer.Mes frères,Depuis quelques jours déjà, nous sommes en train
                d'explorer le noyau de notre vie monastique, de notre
                vie chrétienne, même de notre vie humaine si nous
                plaçons comme terme ultime de notre vie d'homme,
                l'heure, le moment où nous participerons parfaitement à
                la vie de Dieu, et où nous pourrons voir alors Dieu face
                à face, pour ne pas dire le voir par l'intérieur de
                lui-même, mais alors sans aucune ombre, sans aucun
                obstacle. Or il y a un noyau, pour à partir de là comprendre
                cette vie. Et à la suite d'une réflexion sur la
                xenithea, j'ai été amené jusque là, jusque dans ce
                noyau. Et je dois avouer que c'est une tâche ardue,
                c'est difficile ; ce sont des mystères, ce sont des
                secrets divins et il n'y a pas de mots aptes à les
                rendre parfaitement. Mais j'estime que nous devons faire
                l'effort, que cet effort non seulement est payant, mais
                qu'il est indispensable. Car il est utile, il est nécessaire pour nous, de
                savoir à qui nous avons à faire : Qui est Dieu ? Comment
                Dieu s’y prend avec nous lorsqu'il veut nous infuser sa
                vie ? A quel endroit de notre être il va déposer ce
                germe pour alors, avec une patience infinie, une
                patience divine, la sienne, le faire germer de façon à
                ce que nous soyons totalement transformés. Et je pense ici à la difficulté qu'est la nôtre, et
                elle est fameuse, savez-vous ! J'en ai un peu peur ! Je
                me suis engagé dans une entreprise hasardeuse parce que
                à mon avis elle n'est pas beaucoup explorée. Je dois
                avouer que je ne l'ai jamais rencontrée nul part. Ce
                sont des choses qu'on n'ose pas aborder dans des livres
                car nous réfléchissons là sur notre vie personnelle. C'est donc une science, un savoir, une connaissance qui
                est basée sur l'expérience d'une vie de foi, mais d'une
                foi vécue dans l'amour. Il est impossible de spéculer
                là-dessus, il est impossible de construire ces choses à
                partir de données qui seraient purement intellectuelles,
                parce qu'il s’agit de choses divines. On ne peut donc
                les percevoir et on ne peut les connaître qu'à travers
                une expérience. Mais alors lorsqu'il faut traduire cette
                expérience dans le langage courant, on se trouve devant
                une difficulté. mais nous ne devons pas avoir peur de
                l'aborder. Et je pense ici à une autre science du noyau. C'est la
                science nucléaire, ce qui veut dire Science du Noyau, du
                noyau de l'Atome. Vous avez des équipes de savants
                partout dans le monde qui, à l'aide de moyens de plus en
                plus énorme il faut le dire, des investissements
                financiers et aussi matériels, et de la substance grise,
                s'efforcent de pénétrer les secrets de l'atome,
                d'arriver à l'endroit où à l'intérieur de l'atome il n'y
                ai plus, il n'y ai presque plus rien que l'énergie
                pure...un grain d'énergie. Or, à l'intérieur de cet infiniment petit qu'est le
                noyau de l'atome - l'atome étant déjà infiniment petit -
                ils découvrent encore maintenant des centaines de
                particules toujours plus petites, et ça va toujours plus
                loin. Si bien que ils n'ont plus de vocabulaire pour
                l'exprimer, ça n'existe plus. Ils doivent forger des
                noms, n'importe lesquels, pour arriver à expliquer et à
                comprendre et aller vers une nouvelle surprise, de
                nouvelles recherches, de nouvelles découvertes. Et ainsi
                jusqu'au moment où, espèrent-ils, ils arriveront à la
                limite de la matière et de l’esprit. Or mes frères, ce
                n'est encore, cela, que de la science, de la matière. Mais dès l'instant où on doit entrer dans la science de
                la Vie Divine, et qu'on doit explorer, scruter les
                secrets, les mystères de ce noyau, voyez un peu quel
                effort et aussi quelle passion ça ne demande pas ? Or,
                pour nous c'est nécessaire. Dieu l'attend de nous. Le
                moine est un savant. Oh, ce n'est pas un savant qui va
                publier beaucoup de grands ouvrages sur toutes sortes de
                choses, qui dans le fond sont extrêmement faciles. Du
                moment qu'on a les moyens financiers et intellectuels,
                on peut en sortir. Mais non, le moine est un savant dans
                une science spirituelle et divine où encore une fois on
                ne pénètre que par l'expérience. Donc là, il faut vraiment se nucléiser soi-même. Il
                faut s'abîmer soi-même dans une vie de foi, d'amour,
                d'humilité pour recevoir de Dieu la grâce de pénétrer
                dans ses secrets. Dans les jours qui viennent, je m'en
                vais aborder une Parole, une Parole qui est tombée des
                lèvres du Christ, et elle est au centre de tout.
                Naturellement, je vous dis, on n'a jamais fini
                d'approcher du centre de ce noyau. Et je pense à un homme qui l'a exploré, c'est l'Apôtre
                Paul. Or voyez un peu. On est en train pour l'instant de
                lire à l'Office la seconde Lettre de Paul aux
                Corinthiens, et à l'Office de Nuit, une Lettre aux
                Galates. Or ces Corinthiens et ces Galates, mais qui
                étaient-ce ? Ce n'étaient pas les savants d'Athènes ?
                Non. Ce n'étaient pas non plus les savants de l'Asie
                Mineure ? Non. C'étaient des ouvriers, des débardeurs du
                port de Corinthe, c'étaient des paysans de la Galatie. Allons, disons pour prendre les choses maintenant un
                peu brutalement : c'étaient des paysans d'Havrenne,
                attachés à leur bétail, à leurs champs, et là-bas aux
                Marolles attachés à leur Manekens Pis. Or, ces mystères
                de Dieu, il les dévoilait à ces gens là. Et ces gens là,
                estce qu'ils comprenaient ? Mais il est probable qu'ils
                ne comprenaient pas beaucoup. Mais enfin, ils
                l'acceptaient et la Vie Divine travaillait en eux, et
                c'est arrivé jusqu'à nous. Mais nous, qui avons deux mille ans de tradition
                dernière nous, et près de deux mille ans aussi de vie
                monastique qui nous porte, eh bien, nous devons avec
                persévérance continuer à scruter ces secrets. C'est cela
                aussi le but et la fin de la Lectio Divina. C'est
                ce sens spirituel, qui est le sens de l'Esprit, qui nous
                aide et qui nous permet de recevoir, et à partir de ce
                que nous recevons, de comprendre. Car mes frères, il faut bien savoir ceci : si une vie
                spirituelle, à un moment donné, commence à stagner, puis
                à se liquéfier, puis à s'installer dans la routine - et
                c’est vrai au niveau personnel, c'est vrai aussi au
                niveau communautaire - eh bien, c'est parce que on a
                renoncé à chercher, on a renoncé à réfléchir, à méditer,
                à recevoir, on a refusé d'enseigner. Vous voyez, c'est
                cela ! Mes frères, nous allons donc continuer dans cette
                direction-là. J'ai dit ça aujourd’hui parce qu'il n'y
                avait pas beaucoup de temps. C'était une journée très
                fatigante pour moi, et pour aborder encore un peu plus
                loin au centre de ce noyau, je voulais vous prévenir. ,
                Nous allons entrer un peu plus loin dans la Parole de
                Dieu. Mais c'est la prière qui nous permettra de
                comprendre. Et en nous sentant toujours plus étranger
                dans ce milieu divin, nous nous-y sentirons aussi de
                plus en plus épanouis. Car c'est par LUI que nous sommes
                appelés déjà maintenant, mais alors pour l’éternité et
                avec tous nos frères les hommes. Homélie du 6° dimanche du temps ordinaire. 17.02.80Les Béatitudes.Mes frères,Si nous voulons capter dans sa source le sens de ces
                Paroles que vient de nous adresser le Christ, le
                Prophète et l'Apôtre, nous devons par un effort de cet
                organe surnaturel qu'est la foi nous hisser à la hauteur
                de la vision qui est celle même de Dieu. Le Christ est
                Dieu, ne l'oublions pas ! C'est Dieu qui nous parle par
                sa bouche. C'est lui qui a ouvert les yeux du prophète.
                C'est lui, c'est sa lumière à lui qui soudainement s'est
                emparée de Paul aux portes de Damas, et qui lui a
                découvert le sens ultime de toute chose. Mes frères, essayons de rester à ce niveau de vision
                qui est celui même de Dieu ! Alors nous voyons que, en
                réalité, sous les apparences qui frappent nos sens et
                qui aiguillonnent notre intellect, tout est déjà joué.
                Dans le Christ ressuscité, car c'est de cela qu'il
                s’agit, dans le Christ ressuscité, non seulement l'heure
                dernière est déjà présente, mais même ce qui vient
                après. Dans le Christ ressuscité, nous sommes déjà
                entrés eschatologiquement, mystérieusement,
                mystiquement, dans la création nouvelle, celle dans
                laquelle Dieu est tout en toute chose. C'est déjà
                arrivé, c'est déjà réalisé. La résurrection du Christ,
                c'est l'irruption du Divin dans l'humain, mais c'es
                aussi l'assomption de tout l'humain dans le divin. Le résultat, mes frères, c'est que les lois
                rationnelles qui régissent le comportement purement
                humain - celui de l'homme psychique ou de l'homme
                animal, comme dit l'Apôtre ces lois sont bouleversées,
                elles sont inversées. Maintenant : Heureux les pauvres !
                Heureux les affamés ! Heureux les désolés ! Heureux les
                persécutés, les méprisés ! Mais malheur aux possédants,
                malheur aux fêtards ! Malheur aux repus ! Malheur à ceux
                qu'on félicite et qu'on acclame partout ! Mes frères, voici maintenant les lois qui doivent régir
                le comportement de l'homme qui veut arriver vite 
                  recto cursu, comme dit Saint Benoît, 73,14, - au
                terme de sa vocation d'homme. Oh, ce n'est pas là un
                manifeste révolutionnaire, ce n'est pas non plus l'éloge
                du paupérisme, du misérabilisme ou du dolorisme. Il
                s’agit de bien autre chose. C'est une médication choc que le Christ veut nous
                appliquer, qu'il nous applique d'ailleurs aujourd'hui
                même pour nous rappeler au réel. Nous nous endormons si
                facilement dans les délices, ou nous nous révoltons si
                facilement contre les âpretés de la vie d'aujourd'hui.
                Mais nous ne voyons pas que derrière les apparences nous
                sommes déjà entrés là où nous allons, là où nous devrons
                aller. Et c'est ainsi que la séquence des paradoxes que le
                Christ vient de nous proposer, elle agit, elle peut agir
                si nous nous laissons faire, à la façon d'un séisme qui
                ébranle tout, qui secoue tout. Les prodromes sont déjà
                perceptibles loin, très loin dans les paroles du
                Prophète. Mais l'Apôtre Paul qui a vraiment été
                renversé, même physiquement, par ce séisme, il en situe
                l'épicentre dans le fait de la résurrection du Christ. Pour nous aujourd'hui chrétiens, il faut bien le dire
                avec regrets, presque avec larmes, la résurrection du
                Christ est un thème théologique, un thème de réflexion
                mais ça ne pénètre pas notre vie. Que le Christ soit
                ressuscité ou non, ça ne change rien, dira-t-on !
                Si ça change tout ! Mais à condition que nous nous
                laissions pénétrer par cette force qui vient de la
                résurrection du Christ, qui nous habite, qui nous
                travaille et qui veut nous transformer. Mes frères, le moine, c'est un homme qui a reçu de Dieu
                la grâce, le don, de vivre déjà maintenant dans
                l'au-delà du temps, dans l'état qui sera celui de
                l'homme après la résurrection. Il y est transporté par
                cette puissance de résurrection qui l'habite et qui agit
                en lui. Et alors, il commence à voir les choses tout
                autrement. Il se réjouit comme ne se réjouissant pas !
                Il pleure comme ne pleurant pas ! Il commerce comme ne
                commerçant pas ! Il use de ce monde comme n’en usant pas
                ! Car pour lui la figure, l'apparence de ce monde est
                déjà en train de passer, elle est déjà passée, il est
                déjà au-delà. Mes frères, pouvons-nous nous dire que nous vivons déjà
                habituellement à ce niveau ? Je pense que ce serait très
                prétentieux que de l'affirmer ! Mais enfin nous y
                aspirons et nous savons très bien que nous y allons, que
                nous y sommes portés, transportés. L'Eucharistie, dans laquelle nous sommes engagés
                maintenant, elle est la présence invisible mais malgré
                tout fulgurante de cet au-delà à l'intérieur de notre
                monde d'hommes. Elle est la présence de Dieu parmi nous.
                Elle est la présence panifiée, si je puis m'exprimer
                ainsi, la présence matérialisée du Christ ressuscité
                parmi nous. Elle est cette force qui agit en nous et qui
                tantôt va entrer en nous, et va nous prendre en elle
                pour nous travailler, pour nous transformer, pour nous
                métamorphoser, pour nous transfigurer. Si nous pouvions nous ouvrir tellement qu'elle soit
                mais alors entièrement libre de faire en nous ce qu'elle
                veut à la sortie de cette Eucharistie ; mais nous
                serions là où se trouvait l'Apôtre Paul. Et notre vie ne
                serait plus, à travers toutes les épreuves qui ne nous
                seraient pas épargnées d'ailleurs, elle ne serait plus
                déjà que témoignage pour tous nos frères les hommes de
                cette présence parmi nous de la vie qui nous attend, de
                notre vie de ressuscité. L'Apôtre Paul nous le dit bien, mes frères :  Si le
                  Christ n'est pas ressuscité, nous sommes les plus
                  malheureux de tous les hommes. Et d'ailleurs, ceux
                qui sont hors de l'Eglise et qui voient comment nous
                vivons, ne se privent pas de nous le rappeler...surtout
                dans notre Occident ici qui vit trop bien, trop
                matériellement bien. Mes frères, essayons donc pour notre part, ici, puisque
                c'est à cela que Dieu nous a appelés, essayons de nous
                rendre de plus en plus transparent à cette puissance de
                lumière qui vient du Christ, ici parmi nous, qui va
                entrer en nous dans l'Eucharistie et qui va nous prendre
                en Lui pour que nous soyons chacun dans notre milieu,
                chacun pour nos frères, pour tous ceux que nous
                rencontrerons, que nous soyons les témoins de ce que
                Dieu veut faire, de ce qu'il a préparé pour chacun
                d'entre nous.Amen. Chapitre : La xenitheia. 18.02.8021. Scruter le noyau.Mes frères,C'est avec une certaine crainte, pour ne pas dire une
                certaine peur, que je m'aventure à l'intérieur du noyau
                de notre vie Divino-humaine. Pour en parler dignement,
                pour en parler respectueusement et en toute vérité il
                faudrait soi-même être entièrement divinisé. Il faut en
                effet raconter des choses qui sont tellement étrangères
                à notre univers purement humain, à l'homme encore animal
                centré sur lui, que j'ai l'impression quasiment de
                commettre une trahison, de déflorer une beauté sur
                laquelle ne peut se déposer aucune buée. Mais enfin, c'est un devoir de parler. C'est un devoir
                de parler, parce que il faut admirer la vie à laquelle
                Dieu nous convie. C'est sa propre vie à lui. Toute notre
                éternité se passera à jouir de cette vie. Il n'est donc
                jamais trop tôt pour essayer d'en percer les secrets.
                Dieu nous y convie puisqu'il a voulu devenir homme
                précisément afin de nous parler de cette vie qu'il nous
                destine. Et aussi, nous devons pouvoir dès maintenant - parce
                que c'est maintenant que se prépare notre vie éternelle
                - nous devons pouvoir saisir le mouvement de cette vie,
                son élan, sa courbe, un peu le chœur de danse qu'elle
                veut déjà organiser avec nous maintenant pour que nous
                puissions y entrer, nous y couler et alors le suivre
                sans jamais le précéder, sans jamais l'anticiper, mais
                une sorte d'improvisation avec Dieu, une sorte de
                création. Dieu crée parce qu'il est improvisateur. Et
                alors dans cet élan, déjà appréhender le terme, le but,
                vers lequel Dieu nous achemine. Et enfin, il faut je pense réfléchir à cette vie, la
                contempler déjà, afin de pouvoir remercier Dieu tout de
                suite, afin de pouvoir le louer. Nous passons des heures
                et des heures au chœur à chanter les louanges de Dieu.
                Mais nous devons bien savoir pourquoi ? Et c'est d'abord
                en premier lieu parce qu'il nous fait le cadeau de son
                être et de sa vie. Je suis donc obligé de vous en parler aussi parce que,
                en vertu ma foi de toutes sortes de circonstances
                providentielles me voici en train d'occuper parmi vous
                la place du Christ. Je dois donc être son porte-parole,
                sa voix. Lui étant toujours la Parole, il faut donc que
                ma voix s'adapte à la sienne. Et c'est ce qui crée
                malgré tout dans mon être un sentiment, non pas
                d'insécurité mais de crainte, de crainte, de respect
                devant cette tâche qui dépasse les forces normales d'un
                homme. Car il n'y a jamais qu'un seul qui a le droit de parler
                : c'est le Christ. Nous devons inconditionnellement,
                entièrement nous soumettre à ce que lui nous dit, à
                cette Parole de Dieu. Les affirmations que le Christ
                nous donne de sa propre personne, de Dieu, de la Vie à
                laquelle Dieu nous appelle, nous devons les recueillir
                avec un respect infini et alors essayer, essayer
                toujours de les mettre à notre diapason pour que nous
                puissions les comprendre et que nous puissions encore
                une fois les manger, les ingurgiter, qu'elles deviennent
                notre être même et que nous devenions chacun Parole de
                Dieu. Le Christ a seul le droit et le pouvoir de parler avec
                autorité. Il l'a dit d'ailleurs luimême dans son
                entretien avec Nicodème. Vous savez, Nicodème, c'est un
                homme très bien intentionné, mais ces choses là le
                dépassent ! Nicodème est docteur en Israël, on dirait aujourd'hui
                Docteur en Théologie. Il a pour mission d'enseigner ses
                compatriotes. Mais il ne comprend pas. Voyez un peu ! Le
                Christ lui dit des choses et cet homme il l'admet, oui,
                il l'admet, il fait confiance. Il n'est pas de ces juifs
                qui réclament des signes parce qu'ils n'y croient pas.
                Non, il y croit mais cela le dépasse tellement qu'il se
                demande : mais comment, comment cela peut-il se faire ? Et alors, Jésus lui dit ceci :  Ce que nous savons,
                  eh bien nous en parlons. Et ce que nous voyons, c'est
                  de cela que nous portons témoignage. Et alors, mon
                  témoignage, vous devez l'accepter tel que je vous le
                  livre. Vous comprendrez plus tard ! Jésus l'a dit aussi aux Apôtres :  Plus tard vous
                  comprendrez. Maintenant, la première fois que je vous
                  en parle, vous ne savez pas comprendre parce que vous
                  êtes encore trop charnel. Mais lorsque l'Esprit aura
                  pénétré en vous, vous serez en harmonie avec mes
                  paroles, avec mon être. Et alors vous comprendrez et
                  vous commencerez à collaborer ! Vous voyez, mes frères, tout repose dans notre vie
                chrétienne sur le témoignage. Le premier témoin c'est le
                Christ. Et puis alors il y a eu les Apôtres. Et les
                Apôtres, pour eux c'est la même chose, ils ne peuvent
                parler que de ce qu'ils ont vu de leurs yeux, de ce
                qu'ils ont entendu de leurs oreilles, de ce que leurs
                mains ont touché. Ou comme l'Apôtre Paul, pendant toute sa vie, mais tout
                ce qu'il dit, même les choses qui nous paraissent à nous
                les plus éloignées de cela, tout ce qu'il dit, ce n'est
                rien d'autre. Il ne fait rien que raconter cette vision
                qu'il a eue du Christ, en plein midi, lorsqu'il
                approchait de la ville de Damas. C'est ça qu'il voit
                tout le temps, c'est ça qu'il raconte. Il ne fait que de
                parler de cela : tout ce qu'il a vu dans cette vision,
                et tout ce qu'il en tire comme conséquences personnelles
                pour lui. Mais alors tous les autres ? Car le but du Christ, le
                but des Apôtres n'est rien que celuici : c'est de créer
                une communion. Ce n'est pas pour étaler une science, un
                savoir ; ce n'est pas pour briller aux yeux des hommes,
                pour paraître au dessus d'eux. Non, c'est pour entraîner
                les hommes sur la route d'une expérience identique - je
                ne dirais même pas analogue ou semblable, mais identique
                - afin, dit-il, que notre communion soit achevée dans la
                même vie, et alors que notre joie à tous soit parfaite.
                Le Christ a dit : Je vous donne ma joie. Et les
                Apôtres disent : nous voulons vous faire partager notre
                joie. Voyez, c'est la raison pour laquelle nous devons, nous,
                scruter ce noyau, afin que cette vie nous pénètre et que
                nous connaissions nous aussi cette joie. Mais voila, mes
                frères, il y a le drame qui est là. Et le drame, c'est
                que ce témoignage, c'est que ces témoins, ces hommes qui
                savent et qui ont le droit de parler, eh bien, ils
                rencontrent la méfiance, ils rencontrent l'incrédulité,
                ils se heurtent à l'hostilité des hommes. Et ça, c'est
                vraiment à ne pas comprendre ! Pourquoi cela arrive-t-il
                ? Pourquoi ? Cela devra faire aussi l'objet de notre recherche, ce
                pourquoi ça arrive, parce que ce conflit qui dresse les
                hommes contre le témoin, il nous traverse nous aussi, il
                divise notre être en deux. Nous le vivons à l'intérieur
                de nous. Il y a une partie de nous qui ne veut pas. Mais
                pourquoi ? En gros, on peut dire dans une première
                approche : mais c'est parce que Dieu est un indésirable,
                Dieu est un gêneur, Dieu empêche de vivre ! Dieu m'empêche de vivre à ma façon ; il m'empêche de
                vivre, de réaliser ces aspirations égoïstes qui sont en
                moi, de domination des autres, d'auto-exaltation,
                d'agressivité. Il m'oblige, Dieu, si je m'abandonne à
                lui, à m'oublier, à me vider de moi, à me recevoir des
                autres plutôt que de les accaparer, que de les dévorer à
                mon projet. Alors on comprend qu'il est préférable, alors, de nier
                Dieu...ça se fait ouvertement' Chez les meilleurs
                dirait-on, ça se fait ouvertement. Chez les autres, ça
                ne se fait pas ouvertement, ça se fait sans qu'on le
                remarque, quasi inconsciemment, et on est emporté. Or
                ça, nous le vivons à l'intérieur de nous ! Mais voilà, mes frères, nous allons alors avec beaucoup
                de prudence et de respect nous mettre à l'écoute du
                Christ et entrer dans cet univers étranger, où nous nous
                sentirons vraiment étrangers. Et pourtant nous y serons
                chez nous. Chez nous, parce que c'est là que Dieu nous
                appelle, et c'est là que Dieu nous attend... Chapitre : Carême 1980. 19.02.801. Ouverture du Carême.Mes frères,La nature créée, inanimée aussi bien que vivante, est
                un fourmillement de signes et de symboles qui nous
                parlent d'un univers qui est comme caché, dissimulé
                derrière la nature, qui aussi est en elle, qui la
                soutient, qui la fait changer, qui la fait évoluer, qui
                la fait vivre. C'est l'univers de Dieu et l'univers des
                Saints. Car Dieu n'est pas seul ! Il est dans sa Trinité, mais
                il a aussi toute une Cour, une Cour Angélique, une Cour
                de Saints. Et ces êtres, déjà entrés dans l'intimité
                parfaite de la Sainte Trinité, collaborent avec Dieu à
                l'avancement du monde vers son plérome. La nature est donc un discours prononcé par Dieu et mis
                à notre portée. Nous pouvons donc voir comme trois
                niveaux dans la Parole de Dieu. Au premier niveau, cette
                nature qui est un produit de sa Parole et un fruit de
                son amour. A un second niveau, l'Ecriture qui est la
                Parole de Dieu mise par des hommes. Et puis au troisième
                niveau, la Parole de Dieu incarnée par le Christ. C'est le Christ qui crée le monde et alors le Christ et
                ses collaborateurs, c'est à dire les hommes qui sont
                déjà christifiés dans l'au-delà. Mais aussi ceux qui ici
                bas sont en voie de chritification et qui sont déjà
                efficaces dans l'évolution du monde. Chaque chose,
                chaque événement est donc une Parole. Et les anciens
                moines voyaient ainsi dans ce monde l'objet de ce qu'ils
                appelaient la contemplation première, ou la
                contemplation physique c'est à dire pouvoir lire,
                déchiffrer les Paroles que sont ces choses. Vous savez que dans le langage de la Bible, c'est
                exactement le même mot qui va rendre parole, action et
                chose. La parole qui est énoncée, l'action qui exprime,
                qui traduit cette Parole et puis la chose produite,
                c'est un seul et même mot. Vient ensuite après la seconde contemplation qu'ils
                appelleront la contemplation mystique. Ce ne sera plus
                maintenant voir la Parole produite, mais ce sera de voir
                celui qui énonce la Parole, de voir le Logos
                lui-même, de voir le Christ lui-même. Je vais vous citez, vous lire un petit apophtegme. Il
                est très connu. Il se trouve dans la collection la plus
                ancienne des apophtegmes. Ce sont dix apophtegmes que
                Evagre le Pontique a inséré à la fin de son traité sur
                le moine. Un des sages d'alors vint trouver le juste Antoine et
                lui dit : Comment peux-tu tenir, oh Père, privé que tu
                es de la consolation des livres ? Antoine répondit : Mon
                livre, oh philosophe, c'est la nature des êtres. Et il
                est là quand je veux lire les Paroles de Dieu. .. Vous voyez, c'est tout à fait cela ! Antoine dans son
                désert n'avait pas de livres. Il n'avait pas une
                bibliothèque comme nous avons maintenant. Il n'avait pas
                de télévision, naturellement, il n'avait pas de radio,
                il n'avait pas de journaux. Il n'avait rien. Et alors
                voyez ce philosophe, cet homme des livres ! Comment
                peux-tu vivre là dans le désert sans cette consolation
                des livres ? Comment pouvez-vous tenir, vous, dans le
                monastère sans la consolation de la télévision ou de la
                radio ? Voila ce qu'on entend comme réflexion
                aujourd'hui. Il suffit de dire : Mais voilà, mon livre à
                moi, ce sont tous ces êtres, c'est toute cette création,
                et je la lis ! C'était cela ! Antoine se mouvait
                naturellement dans ce monde de signes et de symboles. Eh bien mes frères, tout cela à l'occasion du carême
                que nous allons commencer demain. Nous avons aujourd'hui
                aux Vêpres, selon la formule consacrée, déposé le
                cantique Alléluia, hodie depositur canticum alleluia.
                Et c'est fait. Nous entrons donc dans le carême. Or le carême, le carême est un temps qui parle à notre
                être entier. Mais ça, j'y reviendrai peut-être demain.
                Je veux simplement m'arrêter aujourd'hui sur deux petits
                symboles : celui des cendres et celui du voile. J'ai demandé qu'on lise aujourd'hui à midi un petit
                article qui nous a permis d'entrer dans la signification
                symbolique des cendres et du voile. Je ne vais pas
                recommencer maintenant, mais simplement rappeler que les
                cendres. Dans les cendres, eh bien voilà, nous nous
                avouons coupables. Nous avons mérité un châtiment. Et ce
                châtiment, c'est à dire les peines, toutes les misères
                qui tombent sur nous, eh bien, nous ne les avons pas
                volés. Et pour le reconnaître, eh bien, nous nous
                mettons sur la tête les cendres, de la poussière car
                nous sommes simplement dignes de retourner dans cette
                poussière dont nous sommes extraits. Mais nous n'allons pas en rester là. Nous allons nous
                reprendre en main. Nous allons repartir. Nous allons
                nous corriger. Nous allons nous convertir. Et alors,
                Dieu va nous rendre sa faveur. Mais en attendant aussi,
                nous nous jugeons indigne de vivre chez Dieu, d'être
                admis à le regarder. Notre place, elle n'est plus dans
                sa maison. Elle est dehors, sur le seuil. Nous nous
                sommes profanés. Nous avons commis à notre endroit, nous
                qui sommes des temples de Dieu, une autoprofanation.
                Donc, nous devons être devant le temple, hors du temple,
                hors de la maison de Dieu. C'est ça le signe du voile. Naturellement, nous allons demain recevoir les cendres.
                Mais depuis belle lurette on a enlevé la fameuse
                courtine. Les jeunes n'ont jamais connu cela. C'était
                toute une affaire pour le sacristain de devoir
                l'installer. Et une seconde affaire pour le serviteur
                d'église de pouvoir la manoeuvrer sans provoquer
                d'accidents. Il y en avait qui transpirait des gouttes,
                ce n'était pas facile. Mais il faudrait tout de même que
                nous ayons là sous les yeux un petit signe discret qui
                nous rappellerait que nous sommes en période de carême,
                qui nous rappellerait les engagements que nous allons
                prendre pour vivre concrètement et sérieusement notre
                temps de carême. Et alors, nous allons à partir de demain voiler
                discrètement la croix qui se trouve derrière le
                maître-autel. Si bien que chaque fois que nous entrerons
                à l'église, que nous ferons l'inclination, que nous
                monterons pour l'Eucharistie nous aurons cette croix
                voilée devant les yeux. Et nous saurons que, voilà,
                c'est le moment de réfléchir à notre conduite présente
                et à notre conduite future, donc de nous convertir, de
                remettre dans notre coeur l'amour qui s'était peut-être
                un peu évaporé, et de renouer la charité qui nous unit
                parce que nous sommes tous pécheurs. Et nous sommes tous
                malgré tout appelés à partager le même destin final de
                fils de Dieu. Chapitre : Carême 1980. 20.02.802. Ne pas courir en vain.Mes frères,Hier, nous avons vu que le carême était un univers
                symbolique qui atteignait tout notre être, qui se
                saisissait de lui dans toutes ses parties. La
                conversion, en effet, qui nous est demandée, elle ne
                peut s'effectuer que globalement dans notre chair, dans
                notre coeur, dans notre esprit. Il y a toujours
                interaction réciproque entre les différentes
                constituantes de notre personne. Et ce carême qui est tellement riche en symboles et en
                signes nous rappelle aussi que le monastère est une
                école. C'est une école de service du Seigneur, nous le
                savons. Mais ce service ne sera effectué correctement
                que si nous entrons dans les symboles qui nous sont
                proposés. Cela veut dire que le monastère est aussi une
                école dans laquelle on s'initie au rudiment de ce
                langage de signes. Et, à la suite d'un progrès qui doit être continu, on
                peut arriver à une maîtrise. Si bien qu'on est capable
                d'interpréter tout ce qui peut se présenter dans la vie
                monastique, non seulement au niveau des événements qui
                nous touchent personnellement, mais l'ensemble de ce qui
                se passe dans le monastère et ce qui le constitue. Il n'est rien, dans un monastère, qui ne soit pas signe
                ou symbole de réalité Divine. Et cela va de soi puisque
                nous sommes ici dans la maison de Dieu. Nous habitons
                chez Dieu. Donc absolument tout ici nous parle de choses
                de Dieu. Si nous nous arrêtons à ce que nos sens perçoivent, eh
                bien on dira : mais ce que vous racontez là est absurde,
                ce n'est pas vrai ! Ce n'est donc accessible qu'à notre
                être surélevé déjà au niveau de ce que Dieu veut nous
                dire. Ce sera donc l'oreille de notre Foi qui nous
                permettra d'entendre ce langage. Et n'allons pas penser
                que nous l'entendons facilement. Lorsqu'un homme, dans un monastère, ne se sent plus à
                sa place, lorsqu'il est triste, lorsqu'il est accablé,
                lorsqu'il ne se sent pas bien dans sa peau, c'est
                uniquement parce qu'il n'entend pas ce langage. Donc,
                tout ce qu'il fait tout ce qu'il voit, tout ce qu'il vit
                lui paraît absurde. Mais c'est certain que c'est
                absurde, c'est humainement déséquilibrant. Il est donc nécessaire de toujours vivre, respirer,
                entendre, voir à ce niveau supérieur de la foi. C'est
                uniquement là que nous percevons les réalités divines et
                que nous entendons, et que nous comprenons le langage
                que Dieu nous adresse à travers tout cet univers
                symbolique que constitue le monastère. Et non seulement encore une fois la liturgie ou les
                choses qui s'approchent de Dieu plus directement, mais
                TOUT, même les prières, les arbres, les fleurs, les
                animaux, TOUT, tout ce qui fait le monastère. C'est très
                exigeant, c'est certain, mais c'est indispensable si
                nous voulons y vivre. Notre vie exige un réalisme qui
                est rarement atteint dans le monde. Dans le monde, il y a une quantité de distractions
                possibles. Dans le monastère, il n'yen a pas, à moins
                que on ne s'en crée, c'est à dire qu'on essaye de vivre
                malgré tout dans le monastère comme si on était dans le
                monde. Donc alors, on fausse toutes les interprétations
                et on s'enfonce de plus en plus dans l'absurde. Et ça
                devient une roue, comme un écureuil qui fait tourner une
                roue et qui ne bouge pas de place. On se fatigue pour
                rien. Et c'est ce que les anciens moines disaient
                souvent : courir en vain, se fatiguer en vain
                ! Et c'est triste parce qu'on peut mieux utiliser ses
                énergies. Il faut donc prendre garde de ne pas courir le reproche
                que Jésus adressait à ses disciples, nous l'avons
                entendu raconter dimanche, où il leur disait : Mais
                enfin ! Est-ce que vous avez des yeux pour ne pas voir ?
                Avez-vous des oreilles pour ne pas entendre ? Avezvous
                un esprit pour ne pas comprendre ? Est-ce que vous êtes
                tellement bouchés, tellement obtus que vous ne
                compreniez pas encore ? Attention ! disait-il, prenez
                garde au levain des Pharisiens et au levain d'Hérode !
                Et eux, ils discutaient parce qu'ils n'avaient emporté
                qu'un pain avec eux. Voyez un peu à quel niveau de différence se trouvait le
                Christ ? Il leur parlait, vous voyez, le symbole, le
                signe du levain de ces Pharisiens et d'Hérode. Et eux
                alors, bêtement n'est-ce pas, ils étaient là à se dire :
                Quoi ? Nous n'avons qu'un pain ! Nous allons nous faire
                ramasser, nous n'avons qu'un pain ! Vous voyez, c'est
                cela ! Il est vrai que lorsque nous réagissons encore ainsi,
                nous sommes en bonne compagnie. Les disciples ont dû
                aussi apprendre. Ils avaient comme instructeur la
                Parole, de Dieu, Dieu lui-même qui avait à leur endroit
                une patience sans borne, une patience infinie à sa
                mesure à lui. Donc, ne nous décourageons jamais si
                parfois encore, ou même souvent nous avons l'esprit
                bouché. Mais ça ne veut pas dire que nous devions
                toujours rester ainsi. Le temps du carême, c'est justement le moment de nous
                remettre sur les rails, d'ouvrir une fois les yeux, de
                nous laver une bonne fois les oreilles et puis de
                décrasser notre coeur. Cette année ci, nous devons nous
                y mettre avec plus d'ardeur parce que c'est une année
                consacrée à Saint Benoît. Il faut donc qu'au terme de
                cette année, nous soyons un peu plus lumineux. Lumineux
                pour Dieu d'abord, et puis lumineux pour nos frères,
                lumineux pour nous également. Et nous le serons si nous sommes plus propre. Et le
                temps du carême, vous voyez, c'est un bain, mais un bain
                qui va nous régénérer. Je dirais presque une sorte de
                sauna. Il y en a peut-être bien un ou l'autre ici qui
                pourrait nous expliquer exactement ce qu’est un sauna.
                Il paraît que c’est très réconfortant, très
                ragaillardant ; et quand on en sort, on est vraiment
                rajeuni. Pourtant, c'est assez pénible au moment même. Eh bien, c'est un peu cela le carême. Une petite
                épreuve que l'on traverse, mais qui nous rend à notre
                jeunesse première. Saint Benoît le dit. Il dit
                textuellement ceci, mais il faut bien voir les mots
                qu'il utilise. Il dit : Pendant ce temps de carême, il
                faut negligentias aliorum temporum diluere, 49,8
                . Et on traduit ça ainsi: effacer toutes les négligences
                de l'année ! Eh bien, ce n'est pas du tout ça qu'il veut dire. Il
                veut dire autre chose. Ce sont les négligences des
                autres moments. Ce n'est pas comme si chaque année il
                fallait faire une petite cure. Il y en a qui font des
                cures chaque année. On fait une cure d’eau ici ou là, on
                court même très loin. Au plus loin ça va, mieux ça vaut
                parce qu'alors on joint l'agréable à l'utile. Non, ce n'est pas ça ! C'est de tous les autres
                moments,  les négligences de tous les autres
                  moments. On s'est laissé aller, on s'est laissé
                salir, on s'est laissé endurcir par la dureté de la vie,
                par les difficultés dans le monastère. Voilà, la
                lassitude, l’acédie, enfin tout ce qui nous tombe sur le
                dos et qui nous rend morose. Eh bien, tout ça, il faut,
                dit Saint Benoît, le diluere Ce n'est pas l’effacer mais c'est le faire fondre,
                c'est se soumettre à une bonne savonnée. Le savon
                dissout la crasse. Il ne l'arrache pas, il ne l'efface
                pas. Non, il procède beaucoup plus doucement, il la fait
                fondre. Et alors la faisant fondre, il l'emporte et elle
                n'est plus là. On se demande comment? Mais elle n'est
                plus là. Vous voyez, c'est tout à fait ce que je disais. Le
                carême, c'est une sorte de bain dans lequel nous nous
                nettoyons. Nous nettoyons nos yeux, nous nettoyons nos
                oreilles, nous nettoyons notre coeur, et ainsi nous
                pouvons de nouveau être bien éveillé pour vivre au
                niveau de la foi. Car la foi, une foi vivante, c'est
                avoir les yeux, les oreilles et le coeur bien propre et
                ainsi avancer vers plus de clarté, et permettre à Dieu
                d'entrer en nous et de rayonner, que nous soyons un peu
                plus lumière, jusqu'à ce que nous le soyons tout à fait. Voyez un peu ! Il faut déjà abandonner la partie pour
                aujourd'hui. Mais nous devons maintenant descendre dans
                la pratique. Ceci est un principe. Mais comment faire
                maintenant pour bien se nettoyer ? Si vous voulez, nous verrons ça dans les jours à venir.
                Le carême compte quarante jours. C'est le premier
                aujourd'hui. Démarrons tout doucement pour être certain
                d'aller jusqu'au bout. Un moteur qui s'emballe est un
                moteur qui est en danger. Donc, dans les jours qui
                viennent, nous verrons un peu comment nous organiser. Ce
                sera, si vous le voulez bien, notre quatrième objectif
                pour l'année de Saint Benoît. Chapitre : Carême 1980. 21.02.803. Premier pas dans la pratique du carême.Mes frères,Je n'avais pas l'intention de prendre la parole ce
                soir, et pourtant me voici. C'est que hier, j'ai posé
                les principes qui devaient animer notre carême. J'ai
                rappelé que le carême était un ensemble de signes et de
                symboles qui nous atteignaient dans notre chair, dans
                notre coeur, dans notre esprit. Et je ne veux pas
                attendre samedi pour faire avec vous le premier pas dans
                la pratique du carême. Nous devons prendre un bon
                départ, même si ce départ ne doit pas être précipité.
                Car, si on court trop vite, on trébuche, on s'étale et
                on est découragé. Saint Benoît connaissait son métier de moine. Il
                connaît aussi sa théologie. Il sait très bien que depuis
                un certain jour qui s'appelle la Noël, tout le
                divin passe obligatoirement par la chair. Le Verbe de
                Dieu s'est incarné et depuis lors, tout ce qui vient de
                Dieu passe par la chair, la chair de l'homme, bien
                concrète. Et aussi tout ce qui environne cette chair,
                tout ce qui sort d'elle et tout ce que cette chair
                produit ; donc, par tout le corporel, par tout le
                matériel. S'imaginer arriver à Dieu grâce à la vigueur de son
                esprit en faisant fi de l'enveloppe charnelle qui est la
                nôtre, c'est une effroyable illusion. Je dis
                  effroyable, parce que c'est une trahison à
                l'endroit du plan de Dieu. Voyez, dans cette hypothèse,
                c'est pour rien que le Verbe de Dieu aurait pris chair ! Eh bien, Saint Benoît sait cela. Mais il sait aussi par
                son expérience personnelle, et puis par tout ce qu'il
                voit autour de lui, que cette chair est malade. Elle est
                blessée, elle est tordue. Elle va donc laisser passer
                difficilement le divin à travers elle. Il faut donc
                redresser cette chair, il faut la guérir, il faut la
                purifier. Il faut que, non seulement elle ne présente
                plus aucun obstacle à la transmission du divin, mais
                qu'elle facilite ce transfert, qu'elle le porte. Il faut
                donc qu'elle devienne de plus en plus légère. Mais alors légère dans le sens de translucide. Une
                chair translucide, c'est peut-être une contradiction
                dans les termes, mais je veux dire qu'elle doit de plus
                en plus tendre vers un état de pré-spiritualisation,
                cette spiritualisation qui sera la sienne après la
                résurrection. Vous voyez, c'est toujours cette force de résurrection
                qui doit pouvoir agir en nous. Et le carême est le
                moment où nous allons essayer de décrasser notre chair
                pour que cette puissance divine puisse être libérée.
                Elle n'attend que cela ! Or, pour nettoyer notre chair, nous devons de quelque
                façon la maîtriser. Car les désirs de la chair, les
                convoitises de la chair ne répondent pas au désir de
                l'Esprit, c'est à dire de la partie déjà divinisée de
                notre être. Il faut donc remettre notre chair au pas. Or
                Saint Benoît dit que le meilleur moyen pour arriver à
                cela, c'est de concéder à la chair uniquement ce qui lui
                est nécessaire. Et, dira-t-il, il faut même aller un peu
                en deçà. Il dira exactement :  Profitons du temps du carême
                  puisque faire cela à longueur d'année, ce n'est que la
                  force de quelques uns. Nous n'avons pas tous les
                mêmes capacités physiques de priver notre chair d'une
                partie de son nécessaire. Il dit : subtrahat corporis
                  sua, 49,17, il doit soustraire à son corps quelque
                chose. C'est vraiment soustraire, quasi sans que le
                corps s'en aperçoive. Voyez, c'est un peu soustraire comme on soustrait
                quelque chose dans un grand magasin. Vous voyez, c'est
                un sport aujourd'hui, surtout pour les jeunes ! Aller
                ramasser quelque chose dans un grand magasin, et
                personne ne l'a vu ! Maintenant, on ne va plus marauder
                des pommes, des cerises ou des prunes, surtout dans les
                villes. On va marauder dans les grands magasins. Vous
                voyez, c'est soustrait, hop, c'est emporté, c'est dans
                la poche, on sort, personne ne l'a vu...sauf peut-être
                une dame inspectrice de la police qui alors ! Et puis
                c'est le drame chez les parents et le reste. Mais vous voyez, c'est ce que Saint Benoît demande
                lorsqu'il dit soustraire. C'est pas grand chose, mais il
                faut faire quelque chose. Il n'y a rien de tel
                d'ailleurs pour ne pas céder aux convoitises de la
                chair, c'est de lui en enlever un peu, c'est une façon
                de la dresser ! C'est de la tenir toujours en éveil sur
                le nécessaire, comme ça, toute son attention
                physiologique étant branchée sur ce qui lui est
                nécessaire, elle ne cherche pas ce qui lui serait
                superflu. Voilà un peu de la psychologie de Saint
                Benoît, qui est celle de tous les anciens moines
                d'ailleurs. Et Saint Benoît dit ici quelque chose qu'on ne trouve
                pas ailleurs dans sa Règle. Il dit : Il faut faire cela
                  propria voluntate, 49,15. C'est la toute seule et
                unique fois où il parle de la volonté propre dans un
                sens positif. Sinon toujours, la volonté propre, c'est
                ce qui doit être poursuivi, ce qui doit être retranché,
                c'est ce qui doit être vraiment évacué pour faire place
                à la volonté de Dieu. Or il dit ici : il faut de sa
                propre volonté ! C'est le seul endroit. Pourquoi ici, ce
                seul endroit ? Mais parce que je dois ici faire quelque chose qui
                vient vraiment de moi. Ce n'est pas quelque chose qui
                doit m'être imposé de l'extérieur, fut-ce de Dieu
                lui-même ? Non, c'est moi, pour une fois c'est moi. Dans
                ma toute petitesse, je vais faire quelque chose de mon
                propre fond. Mais Saint Benoît, ici, est encore prudent,
                parce que l'illusion peut encore se glisser. Mais d'abord maintenant, qu'allons-nous faire, nous
                ici, en ce carême de Saint Benoît, ici à Saint Remy ?
                Qu’allons-nous faire pour, comme le demande Saint
                Benoît, soustraire quelque chose à notre corps de
                l'alimentation, de la boisson, du sommeil ? Vous
                comprenez qu'il n'est pas possible, qu'il n'est même pas
                permis, ce serait là aussi une illusion, d'imposer une
                norme commune à tous les frères, quand Saint Benoît
                lui-même ne le fait pas. On ne peut pas dire : Mais voilà, nous allons pendant
                le carême de 80 ne plus donner de frites. Supposons cela
                ! Vous voyez, ça ne viendrait pas du propre fond de
                chacun. Il y en a qui serait d'accord, il y en a qui
                ronchonnerait, il y en a qui dirait : mais si je n'ai
                pas mes frites le jeudi, le jour du soutirage, je ne
                saurais jamais travailler ! Vous voyez, toutes choses
                comme ça. Vous comprenez un peu pourquoi Saint Benoît
                laisse cela à la conscience de chacun. Chacun doit
                choisir en conscience. Donc chacun de nous doit faire quelque chose mais
                suivant ce qu'il pense pouvoir et devoir faire. C'est
                une affaire, ici, de conscience. Il faut certainement
                faire quelque chose, mais que chacun choisisse. Mais lorsqu'on a choisi,  il faut, et ici cela
                vient corriger la volonté propre,- cette volonté propre
                alors va s'axer, va vraiment se mettre sur la volonté de
                Dieu - il faut donc que ce que j'ai choisi de faire, que
                ce que je me propose de faire, que j'aille le soumettre
                au jugement de l'Abbé, ou au jugement du confesseur, ou
                au jugement du conseillé spirituel. Et ainsi, se faisant
                avec la bénédiction de celui qui pour moi représente
                Dieu, je suis certain que ce que je vais offrir à Dieu
                ce sera précisément ce que Dieu attendait de moi. Il n'y
                aura donc pas d'erreur de ma part. Et il y aura en plus de cela une sécurité car mon
                conseiller spirituel, quel qu'il soit, lui, va porter un
                jugement sur mes capacités réelles, sur mon désir de
                bien. Mon conseiller spirituel va m'approuver, ou il va
                me corriger. Il va me tenir dans la discrétion, il va me
                tenir dans l'équilibre. Il ne me permettra pas d'aller
                au-delà de mes forces. Il va peut-être modérer mes
                désirs ? mais cela ne fait rien ! Je suis certain alors de ne pas me détruire par des
                excès. Je ne vais pas ainsi tomber dans des records
                athlétiques d'ascétisme à l'occasion du carême. Non, ce
                que je ferai sera contrôlé par un autre. Je resterai
                dans l'équilibre, je resterai dans la discrétion. Je
                serai dans la volonté de Dieu. Et en plus de cela, je
                serai encouragé, car je serai soutenu par la prière de
                mon conseillé spirituel. Comme le dit Saint Benoît, ça
                doit se faire avec sa bénédiction, son accord et sa
                prière. Nous allons donc être deux à travailler ici, et je
                serai encouragé parce qu'il y en aura un dans la
                communauté qui saura ce que je fais. Ce sera un regard,
                ce sera un petit geste, ce sera un rien qui va me
                soutenir parce que, oui, me priver d'une certaine chose
                pendant huit jours, ce sera peut-être facile ! Mais ce
                sera pendant quarante jours ! Voilà mes frères notre premier pas que nous pourrions
                faire pour essayer, pour essayer de remettre, ou de
                maintenir notre organisme charnel dans la droite ligne
                de ce que Dieu attend de lui, pour qu'il devienne de
                plus en plus dégagé du terrestre, dégagé de ce qui est
                disons bassement matériel, qu'il puisse s'ouvrir comme
                une fleur qui s'ouvre au soleil et qui boit les
                rayons... que notre chair puisse par tous ses pores
                devenir avide de la vie divine, que cette vie entre par
                son canal obligé - ne l'oublions pas - qui est notre
                chair, qu'elle entre en nous. Et ainsi, étant plus fils
                de Dieu, déjà nous commencerons à voir le monde matériel
                autrement que ce qu'il est. Nous le verrons aussi comme un signe, comme un langage
                que Dieu nous adresse. Nous serons en consonance avec
                lui. Le monde matériel n'est pas détraqué, lui, c'est
                l'homme qui est détraqué et qui détraque tout ce qu'il
                touche. Mais si moi-même je suis rectifié, redressé, si
                je ne suis plus tordu, alors je suis en consonance avec
                tout ce qui m'entoure, je suis bien dans ma peau, je
                suis bien dans le monde et je suis bien dans l'univers. Et je peux admirer tout ce que je veux. Par exemple la
                danse, la chorégraphie que nous présente tous les jours
                au soir les corbeaux sur ce fond bleuté pourpre avec la
                lune, le croissant de lune, la planète Vénus. Imaginez
                un peu quel spectacle extraordinaire, on pourrait rester
                là aussi longtemps que ça dure. Eh bien, vous voyez, on redevient un peu ce qu'était
                Saint François d'Assise qui vivait avec ses frères et
                ses soeurs les fleurs, les animaux, l'air, le soleil,
                tout ; et même pour finir la mort parce qu'elle n'est
                plus pour lui que la porte qui nous ouvre le palais de
                Dieu où nous sommes attendu, et où nous nous rendons. Voilà mes frères ce que je vous propose pour notre
                premier jour. Je pense que vous serez tous d'accord, et
                que tous nous essayerons avec notre Père Spirituel,
                comme le dit Saint Benoît, d'offrir quelque chose à Dieu
                de notre propria voluntate, 49,16, de notre
                propre fond, et dans la joie de l'Esprit Saint. Chapitre : Visite Régulière. 24.02.801. Conclusions.Mes frères,Le Père Visiteur a exprimé le désir que je reprenne la
                Carte de Visite et que je vous en donne un bref
                commentaire. Voila ce qu'il dit :Votre Père Abbé va vraisemblablement vous expliquer ce
                qui se cache entre les lignes, et faire ressortir
                l'important programme spirituel enrobé dans les
                différents points qui ont été touchés.
 Je pense que c'est là une suggestion heureuse. Car une
                Visite Régulière, ce n'est pas un événement banal dans
                le cours d'une vie monastique. Non, c'est quelque chose
                qui doit imprimer sa marque sur une communauté, et
                pendant longtemps. Une Visite Régulière, c'est le regard de Dieu porté sur
                nous, sur chacun d'entre nous, sur nous réunis en
                communauté. C'est le regard de Dieu, parce que c'est le
                regard d'un homme investi d'une mission par Dieu. Cette
                mission lui vient de ce que il est le Père Immédiat,
                c'est à dire l'Abbé de la maison qui a fondé Saint Remy.
                Et sa mission lui vient au delà du Chapitre Général,
                elle lui vient des origines même de Cîteaux, de la
                  Carta Caritatis qui a prévu cette Visite
                Régulière. Nous voici donc accroché à la fondation de notre Ordre.
                Nous voici revenus à l'inspiration de nos premiers
                Fondateurs. Il faut donc voir la Visite Régulière dans
                cette optique et ne pas avoir peur de revenir de temps
                en temps sur le contenu de cette carte de visite, car
                chaque fois nous serons replacés dans la vérité de notre
                état à ce moment. La Visite Régulière, elle peut nous demander de
                rectifier certaines choses. Elle peut aussi nous
                encourager à continuer dans une ligne qui a été tracée.
                C'est le regard de Dieu sur nous. C'est aussi, disons,
                le regard simplement d'un homme. Voyons l'Abbé Visiteur
                à son niveau humain : c'est un homme qui vient de
                l'extérieur et qui nous regarde vivre. C'est un homme qui est bien disposé, naturellement.
                C'est un homme qui a beaucoup d'expérience dans sa
                propre communauté et puis dans toutes les autres
                communautés qu'il visite. C'est un homme qui est investi
                de la charge Abbatiale et de la charge de Visiteur
                depuis de nombreuses années. Donc, lorsqu'il dit quelque
                chose, nous pouvons le prendre au sérieux, même
                indépendamment toujours de la référence à Dieu. Naturellement, si nous ajoutons Dieu, nous nous situons
                au véritable plan qui est le nôtre. N'oublions jamais
                que nous sommes ici dans la maison de Dieu, que nous ne
                devons pas nous laisser guider par des critères purement
                humains, mais que nous devons toujours faire un effort
                pour nous maintenir à la dignité de notre état actuel
                qui est d'être des invités de Dieu. Donc, Dieu nous regarde maintenant tel qu'il nous voit
                vivant dans sa maison, et il nous donne son avis par la
                bouche de cet homme. C'est aussi le regard que va poser
                sur nous ceux qui fréquentent notre communauté: les
                hôtes. Par les yeux du Visiteur, nous verrons comment
                eux nous perçoivent. Donc vous voyez que la suggestion qu'il a introduite
                dans la carte de visite est tout de même valable, et que
                nous devons nous y arrêter. Or ce dont le Visiteur parle
                en tout premier lieu, ce qui l'a frappé et ce qui est
                comme le trait saillant de notre visage, du visage du
                monastère de Rochefort, c'est la paix. Il dit
                ceci :Cette Visite Régulière m'a procuré un grand contentement,
              parce que j'ai constaté que la communauté vit dans la Paix
              et la tranquillité. La paix ! Vous vous rappelez que l'année dernière je
                vous ai entretenus des composantes de la vie monastique,
                qui étaient la Vérité, la Beauté, la Charité, et la Paix
                ; la Paix étant le couronnement, la Paix étant le fruit
                que naturellement donne la Charité. Si chacun d'entre
                nous aime sincèrement Dieu, si entre nous nous sommes
                liés par l'amour, si nous nous aimons nous-mêmes aussi,
                à ce moment nous nous pacifions nous-mêmes, nous sommes
                en Paix dans nos rapports avec Dieu et nous sommes en
                Paix entre nous. Cette Charité qui est la source de la Paix, elle est
                elle-même le résultat d'une attitude qui nous place dans
                la vérité de notre être. Nous sommes vrais vis à vis de
                Dieu parce que nous entrons dans son vouloir, nous
                entrons dans son jugement, nous épousons son projet, et
                nous essayons de le réaliser. Nous sommes vrais alors en
                nous-mêmes. Nous sommes vrais dans nos rapports
                fraternels. Et cette vérité qui habite dans la maison de Dieu, elle
                est un spectacle de beauté, car la beauté, c'est la
                splendeur de ce qui est vrai. Et de cette beauté sourd
                l'Amour. Et de l'Amour germe la Paix. Voilà donc en gros
                ce que je vous avais expliqué. Et puisque nous sommes dans l'année consacrée à Saint
                Benoît, un monastère réussi, authentique, c'est un lieu
                de Paix. Rappelez-vous que la devise de l'Ordre
                Bénédictin, c'est ce seul mot : PAX...PAIX...Ce
                n'est pas une paix superficielle, ce n'est pas une paix
                artificielle, ce n'est pas une paix créée par le vide
                parce qu'il n'y a rien. Vous savez, c'était la paix de Hitler. La paix, l'ordre
                règne à Varsovie, disait-il, oui, il avait tout détruit.
                Ce n'est pas cette paix là, non, vous comprenez. C'est
                la Paix, encore une fais, qui se répand de chacun des
                membres de la communauté, et qui de la communauté se
                répand à l'extérieur. Or mes frères, c'est ça qui est vraiment réconfortant,
                encourageant, c'est cette impression que le Visiteur a
                recueilli lorsqu'il est entré en contact avec notre
                communauté. Et je sais, et vous le savez aussi, que
                c'est l'impression que recueille la plus part du temps
                ceux qui fréquentent notre monastère. Je me souviens de cette Abbesse Suisse qui s'était
                amenée ici au premier coup des Vêpres, elle se rendait à
                Namur. Et voilà, elle pensait assister aux Vêpres ici.
                Enfin, elle avait été quelque peu déçue. Pendant les
                Vêpres, elle a eu l'occasion de méditer. Elle a cassé la
                croûte après les Vêpres et puis elle a repris la route.
                Mais elle a dit ceci. C'est la première fois qu'elle
                venait et elle ne reviendra sans doute jamais plus. Eh bien, dit-elle, je n’aurais jamais pensé trouver ça
                ! Quelle Paix dans votre communauté ! Et pourtant, elle
                ne l'avait vu que de l'hôtellerie. Quelle Paix, quel
                calme, quel recueillement ici ! Vous voyez ! Pourtant
                ces femmes, hein, elles ne sont pas faciles lorsque
                elles doivent porter un jugement. Eh bien, le constat du Visiteur doit être pour nous un
                encouragement hors pair. Et notre premier réflexe doit
                être celui-ci : c'est de remercier Dieu, n'est-ce pas,
                de nous avoir fait cette grâce. Car la Paix, c'est
                quelque chose, encore une fois, qui vient au dessus, qui
                vient couronner tout un soubassement, tout un édifice. Et notre second réflexe doit être de ne pas nous
                enorgueillir, de nous maintenir humblement à notre
                place, de savoir que c'est un cadeau que Dieu nous fait,
                que nous n'avons pas conquis cette Paix à la force du
                poignet, nous n'avons pas pris d'assaut le ciel. Non,
                nous sommes ici chez Dieu et dans la maison de Dieu, il
                y a partout la Paix. Et il suffit de s'ouvrir à Dieu, de
                s'ouvrir à ce qu’il désire pour qu’aussitôt cette Paix
                nous envahisse, qu'elle nous baigne et pour alors
                qu’elle nous permette enfin de respirer et de nous
                épanouir.Maintenant le Visiteur continue. Il nous dit que la Paix
              qu'il constate ici est le fruit d'un équilibre. Il
              utilise, lui, un autre mot : équilibre. Il dit : J'ai constaté que la communauté vit dans la Paix et la
              Tranquillité et qu'elle a trouvé un équilibre.
 Or, nous savons que par sa nature, un équilibre est
                toujours précaire. Un équilibre doit être maintenu. Il
                n'est jamais acquis une fois pour toute. La Paix doit
                donc toujours être conquise. Elle doit toujours être
                édifiée. Dès l'instant où je m'installe dans la Paix, je
                m'expose aux forces qui vont de l'intérieur et de
                l’extérieur essayer de faire basculer cet équilibre,
                pour que la Paix s'écroule en même temps. Nous sommes, ne l'oublions jamais, habités aussi par
                des forces mauvaises. Nous sommes ce qu'on appelle des
                pécheurs, c'est à dire que notre instinct égoïste nous
                pousse tout le temps à choisir ce qui n'est pas Dieu. Et
                nous sommes encore toujours en plein paradoxe. Lorsque je me laisse entraîner par ces forces
                d'égoïsme, d'égocentrisme, d'autosatisfaction,
                d'autarcie, d'autocratie, d'autosuffisance,
                d'autopromotion...tout ce qui essaye de faire mousser,
                fermenter mon égoïsme, mon petit moi. Et à ce moment,
                mais je me referme sur moi, je me coupe des autres, je
                deviens dans l'édifice monastique un élément
                marginal...marginal, au terme je le deviens...Et alors
                je déséquilibre l'édifice qui va peut-être branler? Et
                si je ne me corrige pas, si je ne me guéris pas vite, je
                risque de le faire chavirer. Par contre, si je m'oublie, si je me perds, si je
                renonce à tous ces AUTO, si je laisse entrer en moi
                Dieu, si je laisse entrer en moi mes frères, si ce n'est
                plus moi qui vit, mais si c'est Dieu qui vit en moi, si
                ce sont mes frères qui vivent en moi...à ce moment, je
                deviens comme un océan de Paix. Je suis dans la Paix de
                Dieu et je suis aussi dans la Paix des autres. Je
                deviens un facteur, un donateur de Paix.Je vous assure que ce n'est pas facile. Aussi le Visiteur
              le sait bien, et il dit : Si vous prenez vraiment à c œur votre vie monastique,
                ça va entraîner sacrifices et efforts et parfois cela
                peut être dur. Et alors, je vous renvoie spécialement au
                Prologue de la Règle. Si, dit le Prologue, il se
                rencontrait dans votre vie quelque chose d'un peu
                rigoureux qui fut imposé par l'équité pour corriger les
                vices et sauvegarder la charité, garde-toi bien sous
                l'empire d'une crainte subite de quitter la voie du
                salut dont les débuts sont toujours difficiles. Donc, mes frères, cette Paix fruit de l'équilibre, elle
                est toujours à conquérir. Elle va donc exiger de nous à
                tout moment attention, vigilance, effort pour écarter de
                nous les forces adverses, pour maintenir à l'extérieur
                de nous à l'extérieur de nos communautés le péché et
                tout ce qui se dresse contre l'amour. Et ça va demander
                sacrifice, ça va demander oubli de soi, ça va demander
                effort pour que cette charité grandisse toujours. Voila mes frères ce que le Visiteur nous dit pour
                commencer. Une autre fois nous verrons en quoi consiste
                concrètement cet équilibre. Nous verrons qu'il est
                édifié, comme dit le Visiteur ici, qu'il est édifié sur
                la vérité. Et ici, j'attire votre attention sur un détail : 
                  Vérité, c'est la traduction française d'un mot que
                nous répétons souvent sans trop savoir ce que ça veut
                dire. C'est la traduction française de amen.
                Vous vous souvenez de l'ancienne traduction des
                Evangiles où on avait : en vérité, en vérité je vous le
                dis. Maintenant on dit : Amen, Amen je vous le dis. On a
                laissé la locution telle qu"elle est sortie de la bouche
                du Christ, mais c'est la même chose. La vérité, c'est
                l'Amen. Or l'Amen, c'est la pierre, c'est le roc sur lequel on
                peut édifier quelque chose qui doit toujours durer.
                Rappelez-vous cette Parole du Christ : Celui qui a
                  construit sa maison sur le roc, les vents peuvent
                  souffler, la pluie peut tomber, les torrents peuvent
                  se déchaîner, cette maison ne branle pas parce qu'elle
                  est construite sur le roc, c'est à dire sur
                l'amen, c'est à dire sur la vérité.Mais voilà mes frères, une autre fois nous verrons
              concrètement en quoi le Visiteur fait consister cette
              vérité. Chapitre : Etre cistercien aujourd’hui ? 25.02.80Mes frères,On a commencé au réfectoire la lecture d'un livre sur
                Saint Bernard et l'Art Cistercien. Ce livre a pour
                auteur le successeur d'Etienne Gilson au Collège de
                France. Une succession difficile, car Gilson était non
                seulement un savant de premier ordre, mais aussi un
                spirituel qui savait comprendre les Saints du Moyen Age
                et particulièrement Saint Bernard, par l'intérieur. Il y avait comme une sympathie entre lui et le Saint,
                ce qui est très rare. Il a, vous le savez, parlé de
                Saint Bernard avec une maîtrise qui n'a pas encore à mon
                sens été égalée jusqu'aujourd’hui. Son livre sur la
                Théologie mystique de Saint Bernard est capital, il est
                unique en son genre. Et je pense que pendant longtemps
                il demeurera la norme de réflexion à laquelle chaque
                cistercien peut en toute sécurité se référer pour
                conduire sa vie spirituelle. L'auteur de ce livre, ce Monsieur Duby, est loin
                d'égaler Etienne Gilson, ça va de soi ! Il ne va donc
                pas se lancer dans des entreprises de prospection
                spirituelle, quoi que pourtant, il doive y toucher. Il
                va essayer de situer Cîteaux et Saint Bernard dans la
                grande mutation historique qui s'est jouée au XII°
                Siècle. C'est à ce moment qu'on voit surgir un peu
                partout les grandes villes commerçantes, ces villes qui
                vont petit à petit cristalliser autour d'elles d'autres
                bourgades et constituer pour finir de véritables états
                de plus en plus organisés. Ces villes, ces bourgades sont dirigées par des hommes
                surgis d'elles qu'on va appeler les bourgeois. C'est
                autre chose, c'est une nouvelle classe sociale qui
                arrive, et c'est eux qui finalement tiendront en main le
                pouvoir. Dans nos régions, vous vous souvenez
                certainement de vos années d'étude, vous aviez Bruges,
                vous aviez Gand, vous aviez Liège, vous aviez même
                Namur, toutes ces villes qui vont finir par tenir tête à
                un pouvoir suzerain éloigné qui devient de plus en plus
                nominal. Il y a aussi une autre mutation dans le domaine de la
                recherche intellectuelle. Viennent à la naissance, au
                jour, les écoles dites Cathédrales, et puis les
                Universités. On aura comme objectif de faire la somme de
                l'Universalité du Savoir. C'est toujours ce qui pousse
                l'homme, faire la synthèse de ce qu'il connaît. Ce
                seront l'apparition alors des grands maîtres à penser.
                Dans le domaine de la Théologie, vous savez, il y a
                Saint Thomas avec sa Somme. C'est tout autre chose qui
                vient au monde. Et à la charnière de l'ancien monde et du nouveau, il y
                a Cîteaux avec Saint Bernard. L'auteur va donc tenter de
                brosser une immense fresque dans laquelle émerge, et que
                domine Cîteaux avec son représentant le plus autorisé et
                le plus représentatif c'est à dire l'homme appelé
                Bernard. Mais un homme de son temps ! Comme si tout ce Moyen Age
                qui passe d'une ère à l'autre se condensait dans sa
                personne, avec ses qualités, ses aspirations les plus
                chevaleresques, les plus belles, les plus folles mais
                aussi avec ses défauts, ses outrances, son
                intransigeance, et parfois - n'ayons pas peur de le dire
                - disons encore une certaine âpreté, grossièreté ! C'était, disons, l'homme barbare qui est en train de
                muté. Il conserve encore des traits de ce qu’il est, et
                ça va jaillir ça et là vraiment comme des geysers dans
                les sermons et dans les lettres de Saint Bernard. Et ça
                ne doit pas nous scandaliser, au contraire ! Au
                contraire, nous devons admirer les faiblesses et les
                outrances de Saint Bernard. Pourquoi ? Mais parce que
                c'était un homme qui était de son temps. Et ce temps se
                voyait en Saint Bernard comme dans un miroir. Son temps,
                disons avec ses défauts mais aussi son temps avec son
                idéal. Et c'est ce qui devrait arriver pour nous
                aujourd'hui. Vous savez, le grand problème pour aujourd'hui : 
                  comment être cistercien aujourd'hui sans sombrer
                dans un archéologisme mort, ni non plus s'endormir dans
                une spiritualité cistercienne idéalisée, donc
                inexistante, qui n'a jamais existé ! Comment être
                aujourd'hui ? Comment le monde pourrait-il se dire en
                voyant un moine cistercien : mais c'est moi celui-là ? C'est moi, tel que j'aspirerais d'être un jour, mais
                c'est moi aussi avec tout ce que je suis, avec ma
                faiblesse d'homme d'aujourd'hui, et c'est ça le grand
                problème ! C'est le problème autour duquel est sans
                cesse en train de tourner le Chapitre Général depuis une
                bonne dizaine ou une douzaine d'années. C'est le projet
                rêvé par le Statut sur l'Unité et le Pluralisme et tous
                ces documents qu'on essaye de faire sortir... Quand on assiste à une Conférence Régionale, eh bien,
                on sent que en dessous c'est toujours ça : comment être
                d'aujourd'hui tout en étant pleinement dans l'idéal
                défini par les Fondateurs de Cîteaux et incarné en son
                temps par Saint Bernard et ses disciples ? C'est un
                projet qui est exaltant, mais ça demande des hommes, ça
                ne demande pas des femmelettes ! C'est à dire, ce sont
                des hommes dans les monastères cisterciens qui n'ont pas
                peur d'affronter le monde, donc ce ne sont pas des
                fuyards, ni des déserteurs du monde. Ce sont des hommes qui savent très bien ce qu’ils font.
                Ils ont quitté quelques chose de très beau, avec aussi
                beaucoup de péchés - mais le péché est toujours
                séduisant, il a toujours un côté attirant - mais ils ont
                quitté tout cela pour empoigner en pleine chair leur
                propre être, pour essayer de le transformer ou de le
                laisser transformer par la grâce de l'Esprit. Et alors,
                être un homme d'aujourd'hui, mais entièrement divinisé,
                spiritualisé. C'était ça le projet de Cîteaux. Et c'est
                à ça que Saint Bernard est arrivé et d'autres avec lui. L'auteur essaye ainsi de situer Cîteaux et Saint
                Bernard en son temps. Ce n'est pas facile ! Il y a ici
                et là des choses qu'on pourrait évidemment contester, ou
                dire autrement, ça va de soi ! Mais voyons un peu : il y
                a Cîteaux et Saint Bernard. Saint Bernard donc dans sa
                mystique et avec toutes ses faiblesses, et aussi avec
                son utopie, son utopie grandiose. Vous voyez, cette utopie que je viens d'essayer de
                définir, mais qui sans le savoir va infléchir l'histoire
                dans une direction même en luttant, ou s'opposant, ou
                essayant de dresser une digue ou un barrage contre je
                dirais la force de l'évolution historique. Mais en
                faisant cela, il maîtrise des forces, il les canalise,
                il les rend encore plus vigoureuses pour après, mais
                dans une direction qui est bonne.Vous voyez, des forces qui auraient été anarchiques si
              elles avaient été abandonnées à elles-mêmes, elles sont
              saisies, maîtrisées par Cîteaux, et alors elles peuvent
              avancer. Donc cette utopie grandiose avec sa réussite
                extraordinaire, mais aussi une réussite trop hors du
                commun pour les hommes faibles qui ont succédé et qui
                ont eux sur les bras cet héritage trop lourd pour eux.
                Ils étaient des dégénérés par rapport à Saint Bernard.
                Et puis, ils étaient déjà 2, 3, 4 générations après. Et
                voilà, c'était trop pour eux. Cette réussite, je ne dis
                pas que ça les a grisés, mais ils n'ont pas su tenir à
                cette hauteur, ce n'était pas possible d'ailleurs. Et alors aussi Cîteaux et Saint Bernard, à côté de
                cette réussite extraordinaire avec ses échecs
                providentiels ! Car tout n'a pas été parfait. Il y a eu
                des tentatives, comme je le disais tantôt, de bloquer
                l'histoire. Et ce n'était pas possible ! Saint Bernard a
                vaincu, écrasé Abélard, mais Abélard est ressuscité en
                Saint Thomas, vous voyez ! Mais si Bernard n'avait pas
                lutté contre Abélard qui lui était aussi à l'origine de
                ce mouvement qui allait devenir la scolastique, de ce
                mouvement de recherches rationnelles en s'appuyant sur
                les grands Maîtres du Paganisme, de la réflexion
                païenne, des philosophes Grecs et Arabes. Et si Saint Thomas n'aurait pas été là, voyez, ça se
                serait perdu. Il a fallu que Saint Bernard lutte contre
                ça, se dresse comme une digue. Mais alors, tout a été
                pris dans un canal et a pu faire tourner et mettre en
                route, lentement mais sûrement, avec une puissance,
                jusqu'aujourd'hui, la réflexion scolastique. Voyez, des échecs providentiels ! Il y en aura d'autres
                encore ! Mais n'appelons pas ça des échecs, disons que
                c'était les moyens dont Dieu se servait pour réaliser
                son plan. Voilà mes frères ! Et tout cela va être je
                dirais presque incarné dans la pierre, dans une
                architecture, surtout dans un art, un art de l'écriture,
                un art de l'ornementation très sobre, infiniment sobre.
                Et c'est cela qu'on va essayer de dégager. Mais vient alors de suite à notre esprit : et nous ici
                ? Ici, il y a un problème qui se pose. C'est le problème
                de l'aménagement de notre église. Et ça, c'est aussi
                quasiment une utopie. Comment est-il possible de
                métamorphoser un bâtiment existant, sans toucher à rien
                d'essentiel, pour qu'il puisse incarner ou exprimer dans
                l'espace ce qui se passe en chacun de nous ? C'est à
                dire la transfiguration d'un homme charnel en un homme
                spirituel, d'un homme voué à la mort en un fils de Dieu
                dans lequel se déploie de plus en plus puissamment la
                force de la résurrection ? Comment notre église pourrait-elle dans ce qu'elle est
                se métamorphoser pour qu'elle devienne l'image spatiale
                de ce qu'est un moine cistercien de Saint Remy ? MAIS un
                moine qui essaye de vivre et qui laisse vivre en lui,
                dans tout son être, cette grande utopie divine de faire,
                je le rappelle, d'un paquet de chair un fils de Dieu, un
                fils de la résurrection. Où en sont les choses maintenant ? Dernièrement encore,
                deux assistants des Architectes sont venus pour prendre
                des mesures. Et si vous me demandez comment cela va se
                présenter, ce qui va se passer, eh bien, je vous
                répondrai que je n'en sais rien ! Je n'en sais pas plus
                que vous ! Disons que, ce n'est pas le secret du roi,
                disons que c'est la veine artistique de ces hommes qui
                doit travailler. Mais une naissance, la naissance d'une
                chose qui doit durer, qui doit être belle, ça prend du
                temps ! Il faut du temps pour qu'un bébé vienne au monde. Il
                faut du temps pour que ce bébé devienne adulte. Et il
                faut du temps pour que cet adulte devienne un Saint.
                Donc, laissons faire ces hommes. Je ne sais pas quand,
                mais enfin cela va certainement arriver un jour, ils se
                présenteront ici avec un projet sur papier. Et alors, il
                sera toujours temps de regarder, d'admirer, certainement
                de donner son avis, de discuter. Et puis, ce ne sera certainement pas réussi du premier
                coup, de remettre sur le chantier, de retravailler
                jusqu'à ce qu'il arrive quelque chose qui se rapproche
                le plus possible de la vérité. Voila mes frères, tout cela à propos de ce petit livre.
                Nous allons donc essayer d'en suivre la lecture en
                pensant à notre église, à ce qui va se passer là-bas, à
                ce qui se passe dans notre monastère, à ce qui se passe
                en chacun de nous. N'oublions pas que nous sommes en
                l'année de Saint Benoît, une année doit se placer sur le
                signe - comme nous l'avons convenu de la lumière jaillit
                des origines de Cîteaux, et dans laquelle nous devons de
                plus en baigner pour devenir de plus en plus vrai, de
                plus en plus nous-mêmes. Chapitre : Carême 1980. 26.02.804. Vigilance des paroles.Mes frères,Le carême, nous l'avons vu, blesse notre chair. Mais
                s'il la blesse, c'est pour ouvrir à travers notre chair
                un accès aux profondeurs secrètes de notre être. Ce que
                le carême vise, c'est d'abord notre coeur. Dieu,
                lorsqu'il blesse, ce n'est jamais pour rendre quelqu'un
                infirme mais c'est pour redresser une défectuosité qui
                fait partie de cet homme. Il est peut-être venu au monde
                avec ? Et c'est ce que nous appellerons le péché
                originel. Il en portera toujours la charge, le poids. Il le
                traînera comme un boulet. Mais les séquelles de cette
                infirmité de naissance, Dieu peut les guérir. Et c'est
                la raison pour laquelle à travers la blessure qu'il
                inflige à notre chair, le carême vise surtout notre
                coeur. L'affliction corporelle que nous nous infligeons
                pendant le carême est donc le signe d'une lutte intime.
                Une lutte intime qui va se dérouler, qui va être menée
                sous le regard de Dieu. Dieu seul nous connaît, Dieu
                seul nous voit. Mais Saint Benoît est un homme toujours très équilibré,
                et il dira : mais pour éviter l'illusion, pour que vous
                combattiez vraiment à l'intérieur de vous-mêmes sous le
                regard de Dieu, eh bien combattez extérieurement sous le
                regard d'un Maître Spirituel qui lui alors, va être le
                garant que ce que vous offrez à Dieu est vraiment ce que
                Dieu attend de vous. 49,21. Mes frères, vous voyez, dans notre vie, comme je l'ai
                déjà dit ces derniers temps assez souvent, nous sommes
                entourés de signes et de symboles. Nous vivons dans un
                univers qui sans cesse nous parle de Dieu et de
                nous-mêmes. Le rapport à Dieu passe toujours à travers
                des signes extérieurs qui sont extrêmement important,
                que nous pouvons, que nous devons utiliser, et que nous
                devons aussi déchiffrer lorsqu'ils se présentent à nous. Saint Benoît va donc dire que pendant le carême il faut
                garder sa vie en toute pureté. Il dira : omni
                  puritate vitam suam custodire, 49,6, dans une
                pureté totale, parfaite, Omni puritate, qu'est-ce
                que ça signifie ? Mais il le dit ailleurs, il nous le précise ailleurs.
                Il dira que nous devons à tout heure veiller sur les
                actions de notre vie, 4,56, à toute heure ? Oui, nous ne
                devons pas relâcher notre attention, notre vigilance. Le
                moine est un vigilant. Un moine qui ne fait pas
                attention à ce qu'il fait, c'est un séculier sous une
                défroque de moine ; et finalement, un homme pareil se
                demande ce qu'il fait dans un monastère ? Et c'est vrai ! Il ne sait plus ce qu'il est. Il a bien
                conscience qu'à l'intérieur de lui s'est introduite une
                césure. C'est un peu de la schizophrénie qu'il vit. Il a
                deux personnalités en même temps : celle qui apparaît au
                dehors, et celle qu'il vit à l'intérieur. On dit que
                l'habit ne fait pas le moine, c'est vrai ! Mais je pense
                que le moine fait tout de même l'habit. Et que si nous
                ne faisons pas notre possible pour toujours être
                attentif à ce que nous faisons, pour le faire dans la
                foi, dans l'espérance, dans l'amour, toujours dans cette
                recherche de Dieu. Claudiquant, c'est vrai ! Difficile,
                on tombe souvent, très souvent. Sept fois par jour le
                juste s'étale, dit l'Ecriture. Mais sept fois par jour
                il se relève. Oui, c'est cela garder sa vie à toute heure, veiller
                sur sa vie à toute heure. Et ça veut pas dire être
                impeccable ? Non, mais c'est savoir ce qu'on fait, et
                savoir ce qu'on fait dans un monastère. Saint Benoît
                dira encore ailleurs : Il faut se garder à toute heure -
                encore une fois des péchés et des vices. Et il précise :
                  des péchés et des vices des pensées, de la langue, des
                  mains, des pieds, 7,36. C'est le premier degré
                d'humilité. Mais à toute heure ? A toute heure ? A toute heure, c'est tout de même disons le
                franchement, comme Saint Benoît le dira luimême ici dans
                le chapitre où il traite du carême, c'est paucorum
                  ista virtus, 49,4, c'est une force qui est le fait
                de bien peu de moines dans un monastère. Mais disons aussi : bien peu au début parce que Saint
                Benoît dira :  il arrivera un moment où cet état
                  sera naturel au moine, 7,186, c'est lorsque son
                coeur, le coeur que Dieu aura atteint en pénétrant à
                travers les blessures de la chair, que ce coeur aura été
                nettoyé, qu'il aura été purifié, qu'il sera devenu pur. A ce moment là, ce n'est plus à toute heure que le
                moine fait attention à lui, car cette attention qu'il
                porte à tout ce qu'il vit est devenu son état normal.
                Mais enfin, dit Saint Benoît, ce n'est pas facile. Alors
                il faut avoir un moment où on s'entraîne à cet état, et
                c'est le carême. Le carême est une période d'entraînement intensif
                pendant lequel nous devons prendre des bonnes habitudes.
                Il est aussi facile de prendre des bonnes habitudes que
                des mauvaises, ça demande un peu plus d'effort au début.
                Mais comme dit Saint Benoît, il y a une accoutumance qui
                se crée. Et ce que au début on faisait avec une
                  certaine peur, finalement on le fait avec facilité, et
                  on y trouve une joie ignorée auparavant, 7,184. Mais Saint Benoît est un homme toujours très pratique.
                Vous allez voir jusqu'où il va nous conduire. Il dit que
                pendant le carême, il faut s'exercer à la compunctio
                cordis, 49,10, à la componction du coeur. Qu'est-ce que
                ça veut dire la componction du cœur ? Eh bien, c'est un
                coeur qui ne se meut pas à l'aise. C'est un coeur qui
                est sur des épines, et aussi peu qu'il remue, il se
                pique et il se fait du mal. Si bien qu'il se tient
                tranquille et ne bouge plus. Vous voyez, une des raisons aussi pour lesquelles le
                moine cherche ce que les anciens appelaient la
                tranquillité, l'hesychia, vivre sans trop se
                remuer. D'un moine qui circule beaucoup, Saint Benoît
                dira : prenons attention a nous garder au sujet des
                péchés des pieds ? Mais on va se demander : ce n'est
                pourtant pas donner des coup de pied à ses frères, ou
                bien aux meubles pour les endommager ? Non, le péché des pieds, c'est le péché du moine qui ne
                sait pas tenir en place. Il doit toujours être en
                mouvement dans le monastère et il cherche, il cherche
                une occasion de distraction. Eh bien un moine pareil, il
                n'a pas la componction du coeur, il n'est pas sur des
                épines, alors il circule. Tandis que l'autre qui, lui,
                est sur des épines, il n'ose plus bouger, parce que dès
                qu'il bouge, il se fait piquer par son coeur. Il n'est
                plus sûr de lui. Il se méfie de lui. Il devient humble,
                il n'a pas le verbe haut. Et voyez, du coeur, le Christ nous l'a dit - mais nous
                le savions, il nous l'a rappelé seulement - mais c'est
                du coeur que sort toute la sanie qui va sortir de notre
                bouche. On a des haut-le-coeur comme on dit parfois, on
                a le coeur...enfin ici près du gosier, et on va vomir.
                Il y en a ici l'un ou l'autre qui savent ce que c'est.
                De temps en temps ils ont leur petite maladie et ils
                doivent...comme ça, ça doit sortir. Eh bien, du coeur sortent aussi toute notre malice, les
                pensées, les paroles et les actions malicieuses. Or il
                est d'expérience que toute cette malice, elle est
                surtout et d'abord contre le prochain. Car le prochain,
                il est coupable d'un crime impardonnable : c'est le
                crime d'être différent de moi. Et ça, je ne peux pas
                l'admettre ! Il faut que tout le monde soi comme moi. Je dois
                trouver des répliques de mon image partout. Si le
                prochain est différent, donc c'est qu'il n'est pas comme
                il devrait être, puisqu'il n'est pas comme moi, alors je
                m'en vais le faire savoir à tout le monde que le
                prochain n'est pas comme moi. Alors voyez toute cette
                malice de mon égoïsme qui sort, qui se répand et qui va
                salir. Et bien, il faut que notre coeur se nettoie de
                tout cela. Et cette componction qui est la mienne, toutes ces
                épines qui me piquent, elles créent des blessures et le
                mauvais sang qui est dans mon coeur peut ainsi
                s'écouler, s'échapper de moi, et mon coeur se purifie.
                On pratique des saignées spirituelles comme auparavant
                on pratiquait des saignées pour soulager quand on avait,
                comme on disait, trop de sang. Ici mes frères, encore un tout petit détail d'ordre
                psychologique qui est très pratique. Dites-vous bien
                ceci : c'est que le coeur d'un homme, il bat dans ses
                yeux ! Si vous voulez connaître le coeur d'un homme,
                regardez ses yeux, ça ne trompe pas. Un homme se trahit
                toujours dans son regard, toujours, toujours, toujours,
                donc, soyons prudents ! D'ailleurs ça ne veut pas dire que maintenant nous
                devons marcher les yeux fermés. Non, purifions notre
                coeur, c'est à cela que Saint Benoît nous amène. Et
                comme il est très pratique, il va dire ceci : Oh
                voyez,un peu, c'est un homme d'expérience ! Oh, il
                connaît ses frères et il se connaît surtout lui-même. Il
                dit : Eh bien il faut retrancher de la loquacitas,
                de la loquacité. C'est le prurit de parler, la
                démangeaison de parler. C'est cela, dit-il,
                  qu'il faut retrancher pendant le carême, 49,18. C'est que voilà, disons encore une fois les choses
                comme elles sont. Le bavard, le bavard dans un monastère
                - puisque nous sommes dans un monastère, je dis dans un
                monastère, mais ça vaut pour l'homme en général. Mais
                nous sommes ici entre nous - eh bien le bavard, il
                devient facilement anthropophage. Il se nourrit de la
                chair de son frère. Il s'en délecte. C'est très
                appétissant, savez-vous, de manger la chair des autres !
                Saint Benoît le dit : Si tu parles beaucoup, oh tu
                  n'y échapperas pas, tu va tomber dedans ! C'est
                d'ailleurs là que le démon veut te conduire... Si un moine dans un monastère, et depuis l'origine,
                doit s'abstenir de manger de la viande - voyez, c'est
                encore un symbole, c’est symbolique tout ça ! - ce n'est
                pas parce que la viande pourrait lui donner des allures
                carnassières, félines, fauves, dangereuses ? Non, c'est
                parce que il ne doit pas manger la chair de ses frères
                avec les dents de son coeur. C'est cela ! Et si un homme
                mange la chair de son frère, eh bien, il en devient
                malade. A la longue, il en devient malade et peut même
                en mourir ; ça arrive qu'on en meurt. On en meurt
                spirituellement, parce qu'on peut toujours très bien
                profiter matériellement. Alors mes frères, puisque nous sommes dans l'année de
                Saint Benoît et que nous avons pris la décision de vivre
                notre carême dans l'optique de cette année de Saint
                Benoît, est-ce que nous ne pourrions pas cette année-ci
                nous entraîner à une chose : c'est que de notre bouche,
                de nos lèvres, ne sortent pendant ce carême que des
                paroles de bienveillance à l'endroit des hommes en
                général, mais surtout à l'endroit de nos frères. Ce serait une façon très belle de veiller sur son
                coeur. S'il y a une parole de malice qui arrive, et
                qu'on aurait si bien envie de la partager avec un autre,
                quand ce ne serait que pour se moquer. MAIS NON, à ce
                moment là, ne la laissons pas sortir. Non, avalons-là
                mes frères, ça ne nous fera pas de tort, elle ne nous
                fera pas mourir ? Non, mais notre coeur en sera plus
                beau, il en sera plus pur. Et aussi, mes frères, notre regard ! Nous oserons
                regarder les autres et les autres pourrons nous
                regarder, car ils sauront : celui-là, il n'y a jamais
                une parole mauvaise qui sort de ses lèvres. Et pourquoi
                ? Mais parce que le coeur de cet homme devient bon. Et
                ainsi chacun de nous deviendra un foyer de chaleur et de
                lumière pour les autres. Voilà mes frères, je vous propose cela pendant ce
                carême, et ainsi nous aurons pris une bonne habitude.
                Ecoutez, je sais très bien comme on est, je suis un
                homme comme les autres et je le répète, il est parfois
                si appétissant de manger la chair d'un autre. On ne se
                rend pas compte parfois qu'on le fait, je dirais presque
                comme ça tout seul, et on peut faire beaucoup de tort !
                Alors prenons garde ! Moi en tout cas je vais prendre
                garde. Eh bien, essayez de faire comme moi, essayons de faire
                ça tous ensemble, et vous verrez alors que pour Pâques,
                pour le jour de Pâques, nous serons un peu plus blanc,
                si je puis dire ainsi, puisque à Pâques nous devons
                revêtir un vêtement de lumière. Eh bien, ce vêtement de
                lumière, nous l'aurons tissé jour après jour, à toute
                  heure comme dit Saint Benoît, et nous verrons
                arriver Pâques avec au coeur la joie du désir spirituel. Chapitre : Carême 1980. 29.02.805. Nous sommes un champ de bataille.Mes frères,Le carême ouvre des blessures dans notre chair. A
                travers ces blessures, il pénètre jusqu'à l'intérieur de
                notre coeur. Et de notre coeur, il se répand dans tout
                notre organisme. Mais parler de notre organisme
                spirituel, de notre être spirituel, c'est un peu ambigu.
                Car en effet nous sommes habités par deux esprits
                antagonistes, deux esprits qui sont toujours en guerre
                l'un contre l'autre. Il y a l'esprit du monde avec ses convoitises,
                convoitises des yeux, convoitises de la chair, orgueil
                de la vie qu'on peut gloser peut-être en esprit de
                domination. Et puis, il y a aussi en nous l'Esprit du
                Christ, l'Esprit du Christ qui sera mansuétude, qui sera
                douceur, qui sera bonté, qui sera charité, qui sera
                patience, et puis qui sera surtout - car c'est la base
                psychologique qu'il crée en nous - qui sera oubli de
                nous, opposé à toutes ces convoitises. Et voici ces deux esprits qui se livrent une guerre
                dont nous sommes le terrain, dont nous sommes aussi un
                peu l'acteur : complice si nous sommes du côté du monde
                ou bien collaborateur, si nous sommes du côté du Christ. Si bien que notre vie monastique, elle est - du moins
                pas entièrement, mais en bonne partie - un objectif qui
                sera d'éliminer le monde avec ses convoitises et
                d'essayer d'entrer dans la liberté du Christ. Car ces
                convoitises, je le rappellerai dans un instant, elles
                nous asservissent. Tandis que le Christ qui, réellement
                ici entre en nous et occupe la place, il nous fait
                participer à sa propre liberté. Il y a là quelque chose, encore une fois, d'ambigu. Car
                éliminer le monde, ça ne signifie pas que nous devions
                prendre le monde en aversion. Saint Jean dira :
                  N'aimez pas le monde, et rien de ce qui est dans le
                  monde. Et le même dira ailleurs : Dieu a tant
                  aimé le monde, qu'il a donné son propre fils pour que
                  le monde soit sauvé par lui. Le monde est donc une réalité extrêmement complexe.
                Moi-même, je suis un élément du monde. Et cet élément
                est un élément vicié, mais un élément qui à l'origine
                est bon, et un élément qui doit redevenir bon. Je ne
                devrais donc pas haïr le monde, ni le détester, ni le
                condamner, mais je devrais essayer de libérer le monde.
                Et je libérerai le monde, si je parviens moi-même à me
                rendre libre. Mais que peut signifier cela : libérer le monde ? Le
                monde, comme le dit l'Apôtre - et c'est une
                constatation, ce n'est pas lui qui nous l'apprend - le
                monde, il est livré contre son gré à un autre, à un être
                mauvais, à un tyran, un tyran qui le domine, un tyran
                qui l'empoisonne. L'année dernière, notre Frère René nous a parlé avec
                beaucoup de conviction et dans une saine ligne
                orthodoxe, il nous a parlé des Saints Anges. Si je
                l'osais, je me permettrais de lui suggérer de nous
                parler une fois des démons. C'est très difficile ! Mais
                aujourd'hui, si on ne parle plus des anges, on parle
                encore beaucoup moins des démons, de ce fameux satan.
                Mais je sais que la difficulté ne l'effraye pas, qu'il a
                des ressources en lui. Voyez-vous, la création, elle est soumise contre son
                gré à ce satan. Lorsque les moines entraient dans le
                désert - nous l'avons entendu dans cette vie de Saint
                Antoine - c'était naturellement pour aller y chercher
                Dieu. Vous savez, le désert idyllique de la rencontre
                entre Dieu et Israël, entre Dieu et son épouse, entre
                Dieu et l'homme, entre Dieu et le moine. Mais aussi, ils savaient que dès l'instant où ils
                entraient dans ce désert, ils allaient y rencontrer
                l'adversaire de Dieu, comme si Dieu exerçait sur cet
                adversaire une fascination, fascination qui a son
                origine dans la nature extraordinairement belle de cet
                être spirituel qu'est l'ange déchu toujours fasciné,
                fasciné par Dieu, mais ne voulant pas céder à cette
                fascination, refusant Dieu. Et dans ce désert, cette
                rencontre entre Dieu et satan. Et le moine qui entre dans le désert pour y chercher
                Dieu, il se heurte d'abord à ce satan. Et voici que la
                lutte s'engage. C'est une lutte à mort, un des deux
                devra céder la place, et le moine ne cède pas la place.
                Il avance toujours plus loin dans le désert jusqu'au
                moment où il peuple le désert, où il transforme le
                désert en une ville, une ville qui commence à fleurir et
                à produire les vertus, une ville qui devient une cité
                angélique, qui devient une portion du Royaume de Dieu.
                Et voilà satan repoussé toujours plus loin ! C'est donc, ici, le monde qui commence à être sauvé, le
                monde qui commence à être libéré grâce à quelques
                hommes. Car dès l'instant où un moine est libéré, alors
                il libère aussi le monde. Il ouvre pour le monde un
                nouvel espace de liberté, fut-ce dans le désert. Et le
                monde, alors, retrouve un peu un trait de son vrai
                visage, son visage de beauté, le visage qu'il recevra un
                jour, au dernier jour, le jour où le Christ qui est le Kyrios
                du monde lancera son Esprit pour ressusciter tous les
                morts. A ce moment, le monde sera à nouveau le miroir de la
                beauté de Dieu. Il reflétera partout qui est Dieu. Il
                sera rempli de la Lumière de Dieu. Il deviendra
                transparence de la gloire de Dieu. Voilà le monde ! Or
                ce monde est souillé, ce monde est noirci, ce monde est
                sali par ces puissances mauvaises. Eh bien, le carême ? Le carême, il opère en nous une
                conscientisation, donc une prise de conscience de ce
                fait, que nous sommes habités, nous, par ces puissances
                anti-Dieu. Elles sont en nous, elles nous tiennent en
                esclavage, elles nous emprisonnent à l'intérieur de
                notre propre moi, et elles tentent de nous asphyxier.
                Mais disons que habituellement nous ne le remarquons
                même pas. Vous savez que des personnes qui vivent dans une
                atmosphère confinée, contaminée finissent par s'y
                habituer. Elles commencent par souffrir de toutes sortes
                de malaises, mais elles n'en connaissent pas l'origine.
                C'est uniquement parce que elles respirent un air qui
                est devenu impur. On verra ça surtout dans les grandes
                villes, et plus particulièrement les personnes qui
                habitent les étages supérieurs de ces nouveaux hauts
                buildings qu'on voit grandir dans les villes toujours
                plus haut. Ils s'imaginent qu'étant très haut, dans les derniers
                étages, dans les 30°, 35° étages, qu'ils vont respirer
                un air plus pur qu'au rez-de-chaussée. Mais c'est là
                l'erreur. Car l'oxyde de carbone de tous les
                échappements des véhicules, les dégagements de mazout
                brûlé, des gaz brûlés, tout ça se tient à une certaine
                hauteur du sol, et contamine tous les appartements au
                sommet de ces buildings. Et les personnes qui y habitent
                deviennent malades. Mais elles ne le savent pas. Il faut alors des tas
                d'examens pour en définir la cause. Ce sont des malaises
                qui passent du physique au psychologique, au psychique.
                Voyez ! Et cela peut aller même très loin, ça peut
                mettre des familles en discorde : les enfants, le mari,
                la femme, tous en souffrent. Et bien, c'est un peu ce qui se passe à l'intérieur de
                nous lorsque nous sommes contaminés par ces puissances
                occultes qui nous empoisonnent. Elles ferment toutes les
                issues et elles nous empêchent de respirer, disons l'air
                surnaturel. Elles empêchent l'Esprit de Dieu de souffler
                à l'intérieur de nous pour nous vivifier, pour nous
                revigorer, pour nous ravigoter, pour régénérer notre
                sang et, nous dépérissons par asphyxie. Naturellement j'utilise ici des images, mais je suis
                certain que vous êtes des hommes comme moi. Je vous
                explique un peu ce que je ressens en moi, et je
                n'oserais pas supposer que vous êtes infiniment déjà
                plus loin. Nous sommes tous des hommes et le monastère,
                c'est un champ de bataille. Nous devons essayer de
                briser cette coquille de notre moi, pour laisser entrer
                l'air de l'Esprit, pour qu'il nettoie tout cela. Eh bien, c'est un peu le but du carême de nous faire
                prendre conscience de notre état d'asphyxié et d'essayer
                d'ouvrir une brèche vers l'extérieur pour nous permettre
                de revivre. Et ce qui nous permet d'ouvrir cette brèche
                et de l'élargir, Saint Benoît nous le dit, c'est la
                prière. C'est une arme, la prière ! Souvenez-vous aussi que le Christ a dit un jour à ses
                disciples qui s'étonnaient qu'ils n'avaient pu expulser
                un démon. Mais dit Jésus, c'est vrai, vous avez raison,
                  mais ce type de démon, on ne peut l'expulser que par
                  le jeûne et la prière. Traduit en terme
                d'aujourd'hui, on dirait : on ne peut l'expulser qu'en
                temps de carême ! Car en ce temps de carême on afflige
                sa chair par le jeûne et on essaye de briser son égoïsme
                par la prière. Mais je vois qu'il est temps d'aller à l'église. La
                fois prochaine nous verrons un peu comment Saint Benoît
                voit cette prière à laquelle nous devons nous adonner
                plus spécialement pendant le carême. Il y a une prière
                de carême et il y a une prière des temps ordinaires.
                Nous verrons un peu,ce que Saint Benoît en pense. Chapitre : Recollection du mois de mars. 01.03.80Mes frères,Le mois de Février a été dominé par l'événement
                exceptionnel de la Visite Régulière. Elle était à peine
                terminée que nous entrions dans le carême, ce carême
                qui, aujourd'hui, est déjà pour nous assez avancé. Dans
                une quinzaine de jours nous commencerons notre retraite
                annuelle. Elle va se clôturer par l'ouverture solennelle
                de l'année jubilaire de Saint Benoît. Puis de suite,
                nous serons à la Semaine Sainte et nous déboucherons sur
                Pâques. Mes frères, cet enchaînement, n'est-il pas une image de
                notre vie ? Notre vie qui, à travers des couloirs
                resserrés, puis des voies plus larges, par des vallées
                encaissées ou bien par des chemins de crête, nous
                conduit jour après jour vers notre bienheureuse
                résurrection ; cette résurrection dont la force nous
                habite, dont la force nous travaille et à notre insu
                peut-être nous transforme. L'idéal, c'est de percevoir
                la présence de cette force de résurrection et alors de
                collaborer avec elle ! De toute façon, elle est là ! Et c'est ainsi, mes frères, que le moine est un nomme
                dont le regard pénètre au-delà du sensible et de
                l'intelligible. Derrière ce voile, derrière cette
                façade, il contemple à l'oeuvre le Verbe de Dieu, mais
                ce Verbe de Dieu qui aujourd'hui pour nous est le Christ
                ressuscité des morts. Et le moine voit ce Christ sans
                cesse en train de créer, de sauver, de transfigurer. Mais pour le moine, c'est une contemplation active.
                Cela veut dire qu'il s'expose à ce qu'il voit. Il laisse
                ce qu'il voit pénétrer en lui, agir en lui. Car ce qu'il
                désire, c'est que cette oeuvre de salut et de
                transfiguration, elle le prenne, lui, le premier comme
                objet, qu'il soit sauvé, qu'il soit transfiguré. Et puis
                qu'alors cette force de résurrection puisse rayonner à
                partir de lui sur ses frères, et disons le, sur le monde
                entier. Le carême, mes frères, va nous rappeler sans
                cesse à cette réalité ! Pendant cette récollection, nous devons bien réfléchir.
                Je veux dire ceci : il y a là en nous une force d'Amour.
                Cette force d'Amour n'est rien d'autre que la personne
                de l'Esprit Saint. Elle nous habite. Elle essaye de nous
                transformer et elle nous inspire certains actes. Elle
                nous inspire, par exemple, de mortifier nos appétits
                sensuels et en premier lieu la curiositas, cette
                fringale de découvrir, de savoir ce qui nous permettrait
                - je ne dis pas de grandir au plan surnaturel, car cela
                c'est une science que nous devons connaître - mais de
                nous mettre en évidence. Vous savez que les premiers moines, repris en cela par
                Saint Benoît, voyaient dans cette curiosité, le premier
                pas sur la route de la suffisance et de l'orgueil.
                L'amour va donc nous inspirer de mortifier ces instincts
                égocentriques. Il va nous inspirer, aussi, de tenir en
                laisse notre langue. Cette langue avec laquelle nous
                bénissons Dieu, mais avec laquelle, hélas, aussi, il
                nous arrive parfois de dire du mal de nos frères. Il va nous inspirer également d'intensifier notre
                prière personnelle pour que nous devenions plus vrai,
                plus vrai dans nos rapports avec Dieu, plus vrai dans
                nos rapports fraternels, plus vrais aussi avec
                nous-mêmes pour que, entrant dans les vues, dans les
                projets de cet Esprit d'amour qui est en nous, de cette
                force de résurrection, nous puissions trouver notre
                véritable identité et devenir ce que Dieu attend de
                nous, cette image qu'il a de nous. Et je ne dis pas cet idéal, parce que alors ça pourrait
                paraître trop platonicien, au-delà de tout. Non, il a un
                projet, il a un plan, et lorsque ce plan se réalise sur
                nous, c’est alors que nous sommes comblés dans tout
                notre être, dans cette chair que nous avons mortifié,
                dans cette langue aussi qu'à présent nous maîtrisons. Il
                ne sort plus de notre bouche que des paroles de
                réconciliation, des paroles d'apaisement, des paroles de
                lumière. Et notre prière devient ce qu'elle doit être, une
                flamme. L'homme est transfiguré. L'homme a déjà presque
                son corps spirituel qui sera un jour le sien, la force
                de la résurrection triomphe en lui. Et alors mes frères,
                le projet de Dieu s'achève, et l’heure de notre Pâques
                n'est plus loin. Et nous l'attendons, et nous
                l'accueillons avec au coeur une certaine joie que
                personne ne peut voiler. Il est une chose, mes frères, que le carême nous
                rappelle aussi, c'est que l'homme ancien en nous doit
                savoir qu'il est plus que temps pour lui de mourir, et
                de mourir le plus promptement et le plus proprement
                possible. Il n'a plus sa raison d'être puisque nous
                appartenons au Christ, et que dans le Christ nous
                devenons une créature nouvelle. Quelle société peut-il
                encore y avoir entre la lumière et les ténèbres, entre
                satan et le Christ ? Nous devons cesser d'être des
                partagés. Voilà mes frères, tout ce que le carême nous apporte.
                Pendant ce jour de récollection, nous allons essayer de
                réfléchir à cela, de façon à ce que notre retraite
                annuelle qui va bientôt commencer nous trouve ouvert,
                disponible et aussi heureux. Heureux de-nous savoir
                immergé dans un amour qui nous soutient, un amour que
                nous respirons, et un amour qu'il nous est possible déjà
                maintenant de partager avec nos frères. Mes frères, tout cela c'est la grâce, c'est le cadeau
                que le Christ ressuscité nous prépare. Il n'attend
                qu'une seule chose, que nous l'acceptions. Mais hélas,
                il y a en nous une portion de notre être qui n'en veut
                pas. C'est cette portion de notre être que nous allons
                maintenant lui demander de transformer, non pas la
                détruire, mais la corriger, la redresser, la laver.
                C'est pourquoi nous allons procéder à la bénédiction
                traditionnelle de l'eau. Cette eau va devenir, par notre
                invocation, une eau spirituelle. Nous allons rituellement nous plonger en elle comme
                dans un nouveau baptême. Et nous savons que ce carême
                est une cure de rajeunissement. A la sortie du carême,
                nous serons plus jeune, car nous aurons débouché sur une
                nouvelle vie, plutôt sur un surcroît de cette nouvelle
                vie qui est déjà en nous, qui bat déjà dans nos veines
                et nos artères. Et cette cure de jeunesse, nous la poursuivrons
                jusqu'au grand jour de notre éternité où alors nous
                entrerons dans ce que nous espérons, dans l'éternelle
                jeunesse de notre Dieu, nous, qui à ce moment là seront
                entièrement divinisés. Ce n'est plus nous qui vivront,
                mais c'est le Christ notre Dieu qui vivra entièrement en
                nous. Chapitre : Carême 1980. 03.03.806. Oratio cum fletibus.Mes frères,Nous avons vu que le carême nous faisait prendre
                conscience de notre état de prisonnier. Nous sommes
                enfermés dans notre égoïsme qui nous enserre comme une
                carapace et il nous laisse à peine de quoi respirer.
                C'est un air confiné, un air lourd, empoisonné qui ne
                nous permet pas de vivre. Si on allait jusqu'au bout, il
                nous conduirait à la mort. Mais en attendant il nous
                atrophie et nous ne pouvons pas nous développer. Et alors Saint Benoît, dans la ligne de toute la
                tradition, nous met en main un outil qui va nous
                permettre de briser cette carapace, un peu comme le
                poussin enfermé dans sa coquille et qui, avec son petit
                bec, à force de frapper, va briser la coquille. Et il
                pourra alors en sortir. Cette arme que Saint Benoît nous
                donne, c'est la prière, l'oratio, mais pas
                n'importe laquelle. En temps de carême, il nous dit que
                c'est une oratio, une prière cum fletibus,
                49,9. Qu’est-ce que cela veut bien dire ? C'est une prière avec des gémissements, avec des
                pleurs, avec des sanglots. C'est une prière de deuil.
                Mais ça ne veut pas dire que maintenant nous devons
                commencer à gémir et à nous lamenter. Il nous dit
                d'ailleurs que cette prière doit être le fait du moine
                pendant toute l'année, mais doit se manifester surtout
                pendant le temps de carême. Et cette prière, elle ne doit pas être dite in
                  clamosa voce, 52,9, pas en poussant des clameurs,
                mais, dit-il, cum lacrimis, avec des larmes cette
                fois et intentione cordis. C'est un coeur qui est
                tendu, un coeur qui sait ce qu'il veut. C'est donc une
                prière intérieure. Il existe donc des pleurs, des
                larmes, des lamentations intérieures. Ce sont les
                gémissements que l'Esprit pousse en nous, des
                gémissements inénarrables, inexprimables. C'est donc une prière qui vient de plus loin que nous.
                C'est la prière de cet Esprit qui habite en nous et qui
                nous change intérieurement. C'est, en d'autres termes,
                cette puissance de résurrection qui veut à tout prix se
                manifester. Et elle va se manifester sous forme de
                prière intense, mais une prière qui est encore
                prisonnière et qui gémit. Alors, elle gémit. Saint Benoît nous dit que cette prière, elle est le
                fruit d'un coeur habité par la componction. C'est un
                coeur, nous l'avons vu ça aussi, qui est dans des
                épines. Et ces épines blessent ce coeur. Et en le
                blessant, elles le font saigner. C'est un sang qui doit
                sortir et qui est un sang impur. Le véritable sang, le
                sang spirituel, lui, il circule. Mais il y a comme un
                sang stagnant, comme un sang en voie de coagulation ; et
                c'est ce sang que la componction va faire sortir. J'emploie ici une autre image, l'image du sang, parce
                que ça saigne, on est dans les épines. Mais c'est cela,
                vous voyez, la componction du coeur. Saint Benoît parle
                plutôt, lui, de larmes ou de pleurs. C'est donc quelque
                chose qui doit sortir de nous, et qui doit nous
                purifier. Il paraît, et c'est certain d'ailleurs, que
                les larmes soulagent, que les larmes purifient
                quelqu'un. Il y a quelque chose qui doit sortir, même
                une sorte d'étreinte ou d'angoisse psychique,
                psychologique. Elle va se dégager à l'aide des larmes. Eh bien, nous avons le même phénomène au plan
                spirituel. Je disais aussi que tout ce qui se passe en
                nous et autour de nous est symbole, est signe d'une
                réalité plus profonde, qui est notre naissance à notre
                être éternel. Il faut donc derrière les paroles de Saint
                Benoît ou d'un autre auteur monastique, voir toujours la
                réalité mystérieuse, cachée. Ils doivent, pour
                l'exprimer, utiliser des mots que tout le monde
                comprennent. Mais ces mots ne doivent pas nécessairement
                être pris littéralement comme s'il fallait commencer à
                pleurer et se lamenter ; ça peut arriver d'ailleurs ! Il y a le fameux don des larmes. Mais enfin, je pense
                que ça s'est quelque chose d'assez spécial comme des
                stigmates et tout ça. N'allons pas nous imaginer
                maintenant que nous le possédons, et comme le dit Saint
                Benoît, perturber toute une communauté ! Non, dit-il,
                pas de tout ça, de l'ordre, pas de bruit, un silence ;
                mais à l'intérieur de dans notre conscience, pleurons
                notre état. Alors, par ces brèches qui vont s'ouvrir dans la
                carapace de notre égoïsme, l'air, le souffle spirituel
                va commencer à pouvoir souffler. Il va pouvoir aérer. Il
                va évacuer les miasmes empoisonnantes qui sont à
                l'intérieur de nous. Et petit à petit, il va prendre la
                place, et nous donner un coeur pur. Un coeur pur, est un
                coeur qui n'a plus de carapace. Voici encore une autre image. Ces larmes, ces pleurs
                ont un effet émollient. Cela veut dire qu'ils
                ramollissent. Ils ne vont pas seulement fissurer la
                carapace, mais ils vont la faire fondre. Elle va
                s'amollir et elle va se dissoudre. Il n’y en aura plus.
                Nous aurons alors un coeur tendre. C'est le coeur de Dieu. Dieu a un coeur tendre. Dieu
                est LE tendre. On dit parfois : Dieu plein de
                  tendresse et de pitié. C'est cela ! Mais ne voyons
                pas la tendresse comme quelque chose un peu de trop … je
                ne dirais pas féminine, non, Dieu est féminin autant que
                masculin, mais quelque chose un peu de trop éthéré. Non,
                il y a là une véritable émotion, quelque chose de
                tendre, quelque chose donc de vulnérable. C'est un coeur
                qui laisse pénétrer en lui l'extérieur, donc la misère
                des autres. La douleur, la souffrance, les problèmes des
                autres pénètrent dans ce coeur; Il n'y a plus d'égoïsme,
                et ça entre parce que ça est porté par le souffle de
                l'Esprit. Et voila ce que Saint Benoît essaye de nous rappeler
                pour le carême. Et il nous fait découvrir aussi qu'il y
                a en nous, qu'il y a en moi, un homme ancien qui, lui,
                prend plaisir au péché. N'ayons pas peur de le dire, le
                péché étant tout ce qui me plait ; ça me plaît, ça
                m'arrange, moi ! Donc, ça m'est bon, donc j'y trouve une
                satisfaction et mon plaisir. Tant pis pour les autres et
                tant pis pour Dieu ! C'est comme ça pour moi, et puis
                c'est bon ; ça doit être comme ça pour tous les autres,
                pour tout le monde. Et si ce n'est pas comme ça pour les
                autres, si ça ne les arrange pas, eh bien tant pis pour
                eux. Et ça c'est l'homme ancien ! Et puis à côté de ça, il y a l'homme nouveau. L'homme
                nouveau, lui, c'est un homme qui prend plaisir à la
                volonté des autres, à la volonté de Dieu d'abord, mais
                aussi à la volonté des autres. C'est une fameuse
                gymnastique, un fameux retournement ! Mais, et l'homme
                nouveau et l'homme ancien, ce sont les deux faces d'un
                même homme ; ça se rencontre à l'intérieur de moi. Et
                c'est cet antagonisme et cette lutte toujours entre les
                deux qui fait que je suis un homme déchiré. Je suis déchiré, je suis écartelé, et je sens bien
                qu'il y a une partie de moi qui doit mourir. La mort,
                qui a été déjà réalisée en germe dans le baptême, elle
                doit maintenant devenir une réalité. Cet homme ancien
                doit disparaître. Et comme je le disais samedi, le plus
                promptement et le plus proprement possible, sans trop
                crier. Alors l'homme nouveau, lui, il va pouvoir
                grandir, l'homme nouveau déposé aussi en moi en germe au
                moment du baptême. Et il doit me prendre tout, cet homme
                nouveau étant en moi cette résurrection qui s'achève. Voilà encore une nouvelle image pour dire en quoi
                consiste cette prière avec larmes. C'est le vieil homme
                qui pleure parce qu'il doit mourir ! C'est l'homme
                nouveau qui pleure parce qu'il ne vient pas assez vite
                au monde ! Voyez, c'est tout ce drame qui se joue à
                l'intérieur. Mais voilà mes frères, une petite présentation de notre
                prière du carême. Elle doit être comme ça toute l'année,
                naturellement. Mais nous devons essayer de remonter nos
                mécanismes spirituels pendant ce temps du carême. Et
                Saint Benoît va nous y aider aussi à l'aide de la
                  Lectio. Mais si vous le voulez, nous verrons ça demain car il
                est déjà temps d'aller à l'église, pour intérieurement,
                au plus profond de notre être, là où l'Esprit nous
                travaille, gémir en attendant ineffablement notre totale
                délivrance. Chapitre : Carême 1980. 04.03.806. La lecture de carême.Mes frères,Quand Saint Benoît parle de la  Lectio, il
                s’agit naturellement de la Lectio Divina. Et il
                est remarquable chez Saint Benoît, de voir qu'il fait
                débuter l'année de lecture avec le commencement du
                carême. In caput Quadragesimae, 48,39, dit-il, à
                la tête, au commencement du carême, on doit remettre à
                chaque frère un livre qu'il doit lire en entier et par
                ordre. Donc, sans sauter les chapitres ; ça ne
                m'intéresse pas, bouf, je saute au dessus. Non, il doit
                tout lire. Mais cela ne veut pas dire qu'il doit avoir
                terminé avant la fin du carême. Non, c'est la lecture de
                l'année. C'est donc important de voir qu'on commence, chez Saint
                Benoît, au début du carême. Voyez, il y a une année
                liturgique qui va commencer au début de l'Avent, et il y
                a une année de reprise de la lutte qui va commencer au
                début du carême. C'est l'époque où les rois commençaient
                à sortir pour faire la guerre. Vous vous souvenez ? En
                hiver, pas de guerre dans l'Ancien Testament. Puis, il y
                a un moment où les rois se remettent en guerre, c'est au
                printemps. Il y a là une petite note qui nous montre que la 
                  Lectio doit être une arme de guerre entre nos
                mains. Auparavant,vous le savez, existait, dans les
                monastères et ici, ce qu'on appelait la lecture de
                carême. Elle durait en fin d'après-midi une demi-heure,
                trois-quarts d'heure même, mais le dernier quart d'heure
                pouvait être consacré à l'oraison. On nommait des
                circateurs, tout à fait comme dans la Règle de Saint
                Benoît, qui devaient aller voir si tout le monde était
                occupé à la lecture. C'était très beau ! Mais c'était tout de même une
                littéralité un peu exagérée et d'ailleurs pas tout à
                fait correcte de la Règle de Saint Benoît. On a supprimé
                tout ça. Mais comme on dit toujours : qu'a-t-on mis à la
                place ? Eh bien, on n'a rien mis à la place. On a fait
                confiance aux frères en se disant : Mais voilà,
                maintenant ils sont grands assez. Ils vont donc
                intensifier leur Lectio Divina pendant toute la
                journée, ça ne va pas seulement être pendant tout le
                carême, mais cela va être pendant toute l'année. Mais ça
                ne veut pas dire que tous les jours ils vont avoir leur
                demi-heure de lecture à un tel moment. Non, mais ils
                vont faire leur lecture avec plus de coeur, avec plus de
                sérieux. C'est un peu utopique, des choses pareilles! Car on va
                se dire : ah maintenant il n'y a plus de lecture
                régulière. Donc on va encore rester un peu à son travail
                ! C'est comme ça dans les monastère où on a supprimé
                l'oraison, la demi-heure du matin et le quart d’heure de
                l'après-midi. Oui, ils sont assez grands maintenant,
                chacun trouvera son temps d'oraison dans la journée ! Et
                ça va bien huit jours, quinze jours, chez les meilleurs
                ça va bien un mois, pour l'un ou l'autre ça peut durer
                jusqu'à la fin de la vie. Mais disons alors que le grand
                flot ne fait plus oraison du tout ! Alors attention à la  Lectio ! Ce n'est pas
                parce qu'on a supprimé cette Lecture de carême que nous
                ne devons pas reprendre, maintenant pendant le carême,
                notre lecture bien en main, essayer de réfléchir encore
                à ce qu'elle est, et puis la pratiquer. Car la Lectio
                est quelque chose d'important. Nous avons eu, l'année
                dernière une belle lettre du père Abbé Général à ce
                sujet. On en a parlé longuement ici. Et je voudrais
                simplement rappeler une chose dont lui n'a pas parlé. C'est que Saint Benoît dit quelque part aussi ceci. Il
                dit en parlant de la lecture, ou plutôt de l'objet de la
                lecture qui est l'Ecriture Sainte, il parle de medicamina
                  scripturarum divinarum, 28,11. Il parle de
                médecine, ou des remèdes des Divines Ecritures, qu'il
                faut donc appliquer sur les plaies, sur les blessures
                des moines malades, et ça peut les guérir ! La Parole de
                Dieu est donc un médicament qui dans la lecture va se
                prendre par voie buccale. Attention ! Un moine, à
                l'époque de Saint Benoît - et essayons que ce soit
                encore comme ça maintenant - ne lisait pas avec les
                yeux. Il ne parcourait pas des yeux un texte. Non, un
                moine lit avec sa bouche. C'est sa langue qui
                fonctionne, ses lèvres, sa mâchoire. Il articule tout,
                il prononce tout. Il le mâche, il le mastique, il le
                réduit en bouillie ; et puis il l'avale il le digère, il
                l'assimile à sa substance spirituelle. Et alors, il
                devient lui-même Parole de Dieu. Et son oratio, sa prière, donc ce qui maintenant va
                sortir de sa bouche et qui va être lancé vers Dieu, ce
                sera vraiment une Parole de Dieu. C'est l'Esprit qui
                alors va, réellement, par des gémissements, prier dans
                l'homme. Il faut être très concret. N'allons pas tout de
                suite imaginer des expériences mystiques
                extraordinaires. Non, c'est la Parole ingurgitée qui
                nous fait devenir Parole. Et alors, sans même que nous
                le sachions, nous prions, et c'est l'Esprit plutôt qui
                prie en nous. Voyez alors quelle arme c'est pour lutter
                contre ces influences mauvaises qui essayent de nous
                pervertir, ou de nous faire dévoyer, ou même de nous
                faire mourir. Il y a encore ceci qu'on trouve - c'est tout à fait
                courant - dans le monde monastique ancien : c'est que
                ces Paroles cueillies au cours de la Lectio
                deviennent aussi des armes défensives cette fois-ci, de
                véritables armes contre les pensées, pensées
                diaboliques, pensées mauvaises, toutes les pensées qui
                de notre coeur montent en nous dans notre intellect, ou
                bien qui viennent de l'extérieur. C'est ce qu'on appelle la réplique, ou l'antiréthique.
                Le Christ lui-même était un expert. Le démon lui dit :
                Voilà, tu as faim, et tu as là des pierres. Eh bien, si
                tu es le fils de Dieu, mais qu'est-ce que c'est pour toi
                alors mais qu'elles deviennent du pain ! Et puis tu
                manges et puis tu es bien. Alors le Christ dit : Oui,
                  mais il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de
                  pain, mais aussi de toute Parole qui sort de la bouche
                  de Dieu ! Voyez la réponse, la Parole puisée dans
                la Lectio qui est relancée comme un trait pour
                détruire la suggestion diabolique. Et le démon dira encore : Voilà tous les royaumes, là,
                c'est à moi tout ça. Et je te les donne si tu m'adores !
                Ah oui, dit le Christ, mais il est écrit : Tu
                  n'adoreras que le Seigneur ton Dieu. Puis alors le
                démon prend lui aussi la Parole de Dieu pour attaquer :
                Mais Dieu a dit à ses anges, si tu te jettes en bas du
                temple, de te porter dans leurs mains. Regarde un peu
                comme c'est bien ! Ils te déposeront comme ça, jusque
                sur le sol. Regarde un peu quel spectacle ! Imaginez un
                peu ça ! On se jetterait en bas d'un building à
                Bruxelles, et on descendrait comme ça tout
                doucement...et les anges qui vous porteraient ! Mais
                alors il répond : Mais il est écrit aussi : Tu ne
                  tenteras pas le Seigneur ton Dieu. C'est cela la
                réplique ! Nous ne sommes plus experts, nous, en ce genre de
                combat, parce que nous ne sommes pas éduqués à cela.
                Mais ça ne fait rien. Nous devrions tout de même lorsque
                la pensée est là, lorsque le trait diabolique est là,
                pouvoir toujours dans notre réserve de Lectio
                opposer quelque chose. C'est ça la lutte contre les
                pensées chez les moines, la plus terrible de toutes. Et
                c'est à l'occasion du carême que nous devons essayer de
                nous roder de nouveau dans cette discipline, si nous
                nous sommes laissés quelque peu aller. Mais ça demande un travail ! Saint Benoît dit : 
                  operam dare. Et ça veut dire que il faut …. mais
                voilà, il faut faire un effort, quoi ! Il faut faire un
                effort. C'est un travail dur. Mais cet effort là, c'est
                un acte d'amour, parce que nous savons très bien
                pourquoi nous sommes venus ici, nous savons qui nous a
                appelés, nous savons ce qu'il nous réserve. et nous
                pouvons bien à l'occasion de ce carême essayer de
                reprendre la lutte car encore une fois, nous ne sommes
                pas seul. Nous avons le Christ en nous, nous avons
                l'Esprit qui est avec nous, et puis nous avons alors
                toute la congrégation des frères. Et lorsque un parmi
                les frères est plus fort, c'est toute l'équipe qui est
                plus forte. Chapitre : Carême 1980. 08.03.807. Orationes peculiares.Mes frères,A propos de notre entraînement du carême, Saint Benoît
                nous parle encore d'un petit supplément que nous devons
                ajouter à la charge habituelle de notre service. Et ce
                sont, dit-il, des orationes peculiares, 49,13,
                des prières particulières. A un autre endroit, il dit ce
                qu'il entend par ce genre de prières. Ce sont des prières de  peculiariter, 52,6,
                c'est à dire chacun en son particulier, au bien secretius,
                52,8, an dira plus en secret. C'est à l'intérieur du
                coeur. On est là tout seul avec Dieu et an lui parle
                dans le silence. Lui seul l'entend. Et il se noue entre
                les deux, il se crée une intimité qui n'est peut-être
                pas plus profonde, mais qui est d'une autre qualité,
                d'un autre genre que celle qu'an pourrait trouver au
                cours de l'Opus Dei chanté en communauté. Saint Benoît nous dit que nous devons pendant le carême
                nous entraîner davantage à ce genre d'oraison. Cela
                signifie que nous devons aiguiser, affûter cette arme de
                la prière qui nous permet de lutter contre notre
                égoïsme, donc cette carapace qui nous étouffe à
                l'intérieur de nous-mêmes. Un moine achevé, vous le savez aussi bien que moi,
                c'est un homme qui vit en état de prière, sa prière est
                perpétuelle. Il a toujours l'oeil ouvert pour voir Dieu.
                Il a toujours l'oreille attentive pour entendre les
                Paroles que Dieu lui adresse. Et alors il entre - on ne
                le répétera jamais assez - dans le vouloir de Dieu, un
                vouloir qu'il contemple aussi bien qu'il le reçoit. Et
                petit à petit cet homme se transforme. Il devient un
                autre Christ et il peut vraiment collaborer efficacement
                au travail que Dieu lui confie. Saint Benoît est aussi attentif à ce genre de chose.
                Naturellement il en parle, lui, et avec raison, pour le
                moine arrivé au sommet. Il en parle à propos du 12°
                degré d'humilité, où nous voyons qu'il décrit le moine
                qui est toujours en état de prière. Il dira ceci et
                voyez comme ça se rapporte, c'est très proche de ce que
                Saint Benoît nous dit à propos du carême. Mais vous
                voyez, nous sommes des hommes faibles, nous ne sommes
                pas encore arrivés au sommet de la perfection
                spirituelle. Alors Saint Benoît dit : Mais pendant le carême,
                entraînons-nous, essayons, avançons un petit peu,
                affûtons cette arme qui nous permet de nous oublier pour
                entrer en Dieu. Il dit du moine au 12° degré d'humilité
                : dicens sibi in corde suo semper, 7,173. Voila
                un homme qui répète, qui se dit à lui-même dans son
                coeur, et toujours. Et que dit-il ? Oh ! Seigneur,
                dit-il, je ne suis pas digne mai, moi qui ne suis
                  qu'un pécheur, mais de lever les yeux vers toi qui es
                  au ciel. Vous avez là un modèle de cette prière avec pleurs,
                avec larmes, avec sanglots, avec gémissements. Et cette
                prière est toujours latente dans le coeur de ce moine.
                Elle n'est pas toujours exprimée avec ces mots, mais ces
                mots-ci jaillissent du coeur de temps en temps. Et ils
                sont là, ils viennent quasi naturellement. Saint Benoît
                dira ailleurs : naturaliter, 7,183, pour
                certaines choses. Et ça vient parce que le fond est là,
                le fond d'un homme qui est toujours, mais toujours en
                état de prière. Toujours, dit Saint Benoît ! Ecoutez un peu :  à
                  l'oeuvre de Dieu, à l'oratoire, dans le monastère
                (donc dans les bâtiments claustraux), au jardin, en
                  route - en route, donc ça veut dire lorsqu'il se
                rend à la clinique ou lorsqu'il en revient. Je prends
                cet exemple là puisque nous avons parmi nous des malades
                 au champs, au jardin, partout, dit-il,
                  absolument partout, qu'il soit assis, qu'il marche,
                  qu'il se traîne, debout ! Voilà !Donc, ça veut dire, Saint Benoît entre dans tous ces
              petits détails pour bien signifier qu'il n'y a pas de
              moment, qu'il n'y a pas de lieu où ce moine ne soit pas en
              état de prière. Eh bien vous voyez, mes frères, qu'il y a là quelque
                chose qui est extrêmement attirant. A propos de cette
                prière, Saint Benoît dira aussi : si quelqu'un veut
                  s'adresser à Dieu de façon plus intime, eh bien, qu'il
                  entre tout simplement à l'oratoire et qu'il y prie.
                  Mais, non clamosa, 52,11, donc sans crier, tout se
                passe encore dans le secret de son coeur. Et ici mes frères, je voudrais signaler une petite
                chose qui me peine un petit peu, un peu ! Enfin, vous
                savez, ce peu est relatif. Et c'est que le dimanche, le
                dimanche dans l'aprèsmidi - je dis les choses tout
                simplement - je vais à l'église un bon bout de temps. Un
                petit temps après-midi, voilà je vais là pour
                  secretius orare, 52,8. Or, depuis le temps que je
                fais ça, je ne trouve jamais qu'un seul et unique
                compagnon. Je peux bien le dire parce que tout le monde le sait,
                c'est le Frère Gérard. Et parfois j'en ai vu un autre,
                mais je ne cite pas son nom pour ne pas le faire rougir
                jusque derrière les oreilles. Mais je lui ai dit en
                privé, et il le sait. Mais pour le reste, une église
                VIDE ! Un dimanche après-midi ! Voyez, il y a là quelque
                chose qui ne va pas. Mais on peut dire : C'est vrai, mais Saint Benoît dit
                qu'on peut prier partout. Voilà, en se promenant au
                jardin, assis, debout. Oui, c'est vrai, c'est vrai,
                d'accord, MAIS il y a tout de même dans le monastère un
                endroit, un endroit qui est plus spécialement réservé à
                la prière, et c'est l'oratoire, c'est l'endroit où l'on
                prie. Et c'est là que Dieu réside. Il est là. Et
                est-ce que ça ne lui ferait tout de même pas plaisir si
                un jour comme le dimanche on allait lui rendre une
                petite visite. Qu'il arrive une visite à l'hôtellerie,
                là il n'y a pas d'histoire, allez, on y court. Mais on va dire : Avec Dieu, on est tellement habitué,
                et puis c'est Dieu, il est patient. Enfin il a toutes
                les qualités qu'il faut pour qu'on le laisse un peu tout
                seul. Oui, c'est vrai, mais enfin ? Je dois dire qu'il y
                a une vingtaine d'année ce n'était pas comme ça. Il y a
                une vingtaine d'année, on pouvait aller à l'église, il y
                avait toujours quelqu'un pendant les intervalles ou bien
                surtout le dimanche. Est-ce que, je dirais c'est peut-être depuis qu'on
                s'est habitué aux cellules, à avoir des chambres privées
                ? Et voilà, on est là, on prie tout aussi bien en
                chambre. C'est certain, c'est peut-être une habitude qui
                se prend ? Et alors, il y a un danger qui s'introduit.
                C'est que notre recherche de Dieu, elle pourrait
                peut-être bien devenir trop intellectuelle, plus une
                affaire d'étude, une affaire de réflexion qu'une affaire
                de prière ? La prière, c'est …… il faut du courage pour pratiquer
                la prière, pour prier, pour aller à l'église et y prier.
                Et vous savez pourquoi ? Parce qu'il faut le courage de
                  perdre son temps ! C'est tout à fait gratuit.
                Pendant qu'on est là, on ne fait rien ! On ne fait rien,
                on perd son temps, on est avec Dieu. Je pense que nous
                devrions essayer ! Naturellement il y en a qui ont du
                travail à ce moment là. Même le dimanche après-midi, il
                y a des travaux qu'il faut faire. Il faut être à la
                porterie, il faut traire las vaches, il faut préparer le
                souper ; enfin il y a des tas de choses. Mais il y a
                d'autres moments que le dimanche après-midi ? Qu'est-ce que c'est après le travail, quand on a sonné,
                de passer deux ou trois minutes ? Voilà, ça se faisait
                auparavant, c'était régulier ! On sonnait la fin du
                travail, et dix minutes après, il y en avait toujours
                qui étaient là. Avant de revenir, de retourner au
                  scriptorium, eh bien, on passait cinq minutes à
                l'église. Voyez, je pense que c'est des habitudes qui se perdent.
                Et est-ce que nous ne pourrions pas à l'occasion du
                carême, essayer de les remettre un peu en vigueur ? Et
                ce serait aussi dans la ligne de ce jubilé de Saint
                Benoît, nous rapprocher de ce que lui conseillait. Encore une petite chose. C'est ici à propos de la
                Visite Régulière. Oui, il y en a qui ont été alarmés et
                ils en ont parlé au Visiteur, de ce que j'avais évoqué
                qu'on supprime les adorations du Saint Sacrement, les
                expositions du Saint Sacrement. J'ai demandé comment
                cela se passait à Achel ? Il a dit que cela se faisait
                une seule fois par an, le jour de l'an, et puis c'était
                tout. Donc c'est une coutume, je pense, qui est assez
                propre à Saint Remy. Mais voilà, il faut bien le dire, si ces adorations du
                Saint Sacrement un certain jour n'existe plus, elles se
                seront supprimées d'elles-mêmes parce qu'il n'y aura
                plus personne. Il ne faut pas l'oublier, c'est la seule
                et unique raison. Pourquoi laisser le Saint Sacrement là
                tout seul quand il n'y a personne ? Or c'est arrivé à la
                Noël dernière. C'est pour cela que j'ai tire la sonnette
                d'alarme. Et depuis lors je dois dire qu'il y a un fameux
                changement. Dimanche soir, encore, à l'occasion de la
                récollection, il y avait mais vraiment beaucoup de
                monde. Au moins je suis certain, à un moment donné, la
                moitié de la communauté y était. Donc je pense que le
                Père Visiteur est tout à fait rassuré. D'ailleurs je
                pense qu'il a certainement dit à ceux qui lui en ont
                parlé que c'est quelque chose qui disparaît s'il n'y a
                plus personne. Donc mes frères, si vous voulez bien, pour ces
                questions de prières, nous allons faire encore un petit
                effort et nous en serons les premiers bénéficiaires
                après Dieu naturellement, qui lui nous a envoyé ici pour
                mener la vie contemplative. Cette vie qui est une vie de
                gratuité, qui est perdre son temps pour Dieu, quand
                naturellement on a du temps à perdre ! Ne pas se dire
                maintenant : Pendant le travail je vais à l'église... Chapitre : Visite Régulière. 09.03.802. Chacun selon ses capacités.Mes frères,Aujourd'hui je vais vous parler d'une chose importante
                à propos de notre Visite Régulière et je vous demande de
                bien faire attention. Le Père Visiteur a constaté que
                notre communauté vit dans la Paix et la tranquillité
                parce que, dit-il, elle a trouvé son équilibre. Or cet
                équilibre qui engendre la paix naît d'une certaine
                vision des hommes et des choses. Vision qui se trouve
                dans le chef de l'Abbé, et qui de lui se répand dans
                tous les frères groupés autour de lui. Il dit : Elle a trouvé son équilibre sous la direction du Père
                Abbé, autour du quel vous vous groupez et dont la
                direction et les soucis vous escortent chacun selon ses
                capacités. Et ainsi une certaine souplesse peut trouver
                place en ce qui concerne les façons de vivre et de vivre
                dans la mesure où naturellement cela ne constitue pas
                une gêne pour l'ensemble de la communauté. Donc mes frères, cette vision des hommes, c'est que
                chacun est vu dans la vérité de son être personnel. Et
                cette vérité est double. D'abord ce que chaque frère est
                personnellement et ce que chaque frère peut devenir
                personnellement. Ce qu'il est, c'est sa capacité
                personnelle. Dom Emmanuel dit : chacun selon ses
                capacités. Et quelle est notre capacité ? Il y a des qualités et des possibilités réelles. Mais
                il y a aussi des limites et des défauts réels.
                J'insiste, ici, sur le mot réel. C'est inscrit
                dans la nature de chacun. C'est déjà programmé au moment
                de sa conception. Il ne faut donc pas vouloir demander à
                tout prix à un frère ce qui n'est pas inscrit dans sa
                personne. C'est inutile ! Mais il y a aussi des qualités qui sont là, inscrites
                chez lui. Lui-même n'en a peut-être pas totalement
                conscience. Mais le regard de l'Abbé doit les découvrir
                et doit aider à ce que ces qualités se développent,
                qu'elles arrivent si poss1ble à leur maximum
                d'intensité, de perfection. Mes frères, nous ne devons jamais oublier aussi que
                nous sommes tous, moi comme les autres, affectés de
                handicaps, d'infirmités physiques et psychiques qui nous
                enferment dans des impossibilités, mais qui aussi
                peuvent étouffer, entraver, lier des potentialités qui
                sont présentes, mais qui à cause de ces infirmités ne
                parviennent pas à s'éveiller. C'est aussi le rôle de l'Abbé de voir cela, d'en tenir
                compte et d'aider chacun des frères à sortir un peu,
                dans la mesure du possible toujours, de ce handicap qui
                l'habite. Mais ne l'oublions pas, ce handicap habite
                chacun d'entre nous, et je le répète, moi aussi. Et je le faisais encore remarquer dernièrement à un
                frère, je me souviens duquel maintenant, il n'est pas
                bon qu'un Abbé jouisse d'une santé de fer. Pourquoi ?
                Mais parce que c'est un handicap. Il lui sera difficile
                alors d'entrer dans les infirmités des autres, n'en
                possédant pas en lui, ou bien ayant l'illusion de ne pas
                en posséder ! Donc mes frères, c'est cela : saisir, voir chacun dans
                la vérité de ce qu'il est, mais aussi le voir dans la
                vérité de ce qu'il peut devenir, ce qu'il peut devenir
                au plan naturel, ce qu'il peut devenir au plan
                surnaturel. Au plan surnaturel, il peut devenir un saint. Il 
                  doit le devenir, quel qu'il soit. Ici, il y a le
                germe de vie divine qui est déposé en nous. Et si Dieu
                nous a retiré du monde pour nous amener ici, ce n'est
                pas pour nous faire vivre en serre chaude et construire
                des plantes fragiles, de ces plantes qui grandissent,
                qui deviennent trop belles, mais qui sont artificielles
                quoique vivantes. Non, il veut faire de nous des saints à partir, encore
                une fois, de notre vérité réelle. Et ici, il y a dans
                l'Abbé un devoir, le devoir de tout espérer. Il peut
                rencontrer, avoir rencontré mille déceptions chez un
                frère, mais c'est peut-être la mille et unième
                expérience qui sera décisive et qui permettra à ce frère
                d'accéder dans le monde de la sainteté. Pensez un peu, et ici je ne fais allusion à personne
                naturellement, mais c'est pour prendre un exemple
                extrême : vous aviez sur le calvaire, le Christ Jésus
                qui était crucifié. Et à côté de lui il y avait des
                bandits, mais d'authentiques ! Ce n'étaient pas des
                hommes qui comme le Christ étaient condamnés à tort.
                Non, et ils le disaient d'ailleurs : nous n'avons que ce
                que nous avons mérité. Voilà donc des hommes qui ont causé à Dieu des
                déceptions toute leur vie. Mais à ce moment là, à ce
                moment là, un dit : Oui, voilà j'ai mérité ! Malgré tout
                ça, à cette minute-ci, souviens-toi de moi au moment où
                tu entreras dans ton Royaume. Et alors, le Christ qui a osé attendre...Mais imaginons
                donc le Christ dans la situation dans laquelle il se
                trouve lui-même ! Et il dit : aujourd'hui,
                aujourd'hui, pas demain, mais tout de suite, tu seras
                  avec moi dans mon Royaume. Oui, c'est cela, c'est
                donc cette espérance, cette espérance qui grandit sur
                l'amour, qui doit habiter dans le coeur de l'Abbé. Voilà
                ce que je veux dire : ce que chaque frère peut devenir. Mais aussi, ce que chaque frère peut devenir au plan
                naturel. Il y a en nous des aspirations légitimes à un
                épanouissement humain indispensable pour que le divin
                puisse aussi se développer en nous. Il faut donc que
                l'Abbé voie chacun comme ça, dans ce qu'il peut devenir
                au plan de son épanouissement personnel naturel. Donc mes frères, il y a une ligne de conduite que je
                m'efforce d'adopter. Et vous savez que c'est celle-là
                que je vous demande de suivre aussi. On peut la résumer
                dans une belle sentence de la Carta Caritatis :
                vivre una caritate, d'une seule et unique
                charité, d'une seule et unique Règle, mais selon des
                moeurs, moribus, selon des moeurs semblables. Cela veut dire, mes frères, que nous sommes tous
                habités par un même Amour, nous suivons tous une même
                voie vers un même objectif, mais chacun tel que nous
                sommes. Et c'est ce qui fait la beauté d'une communauté.
                Oui, la beauté d'une communauté, c'est la disparité des
                personnes, la dissimilitude des personnes, mais, mais
                toutes ces personnes vivant d'une même vie et aspirant à
                une même rencontre, celle de Dieu. Mais tout cela alors, dans la mesure où ce n'est pas
                une gêne pour l'ensemble de la communauté, comme le
                rappelle le Visiteur. Car si jamais le comportement d'un
                frère crée une gêne pour l'ensemble de la communauté, à
                cet endroit là commence à s'introduire le déséquilibre.
                Mais c'est que ce frère alors a quitté la route de la
                vérité qui habite en lui. Il se prend pour ce qu'il
                n'est pas. Je ne fais pas allusion ici à de l'orgueil éventuel.
                Non. Mais ce frère est emporté par une illusion, par une
                apparence de vérité. Et alors il crée un trouble en lui
                et va donc communiquer un trouble autour de lui et
                affecter l'ensemble de la communauté. Il faut donc
                veiller à cela également. Auparavant, existait pour
                essayer de prévenir les choses de ce genre, le Chapitre
                des Coulpes et celui des Proclamations. A l'occasion de
                la Visite Régulière, il y en a un ou l'autre qui a
                demandé si on ne pourrait pas de nouveau introduire un
                Chapitre des Coulpes et des Proclamations. Je pense que ça doit venir d'un ou l'autre qui n'a pas
                connu ce temps là ! Il ne savait sans doute pas comment
                cela se passait. Et ça ne va plus, c'était devenu le
                formalisme à l'état pur, c'était un point du Coutumier,
                des US, et on l'appliquait comme ça ; voilà, parce que
                ça devait se faire tous les jeudis ou tous les
                mercredis, je ne sais plus si c'était ce jour là. Et on
                savait quand c'était son tour, et on passait quatre par
                quatre, ça ne va plus ! Mais je pense qu'il y a toujours ici, mes frères, un
                mode de correction fraternelle qui peut exister :
                correction fraternelle de la part de l'Abbé, qui, en
                public, ici, sans citer de nom, peut très bien faire une
                remarque qui est intéressante pour toute la communauté,
                mais qui touchera spécialement tel ou tel frère. Ou bien
                alors, entre quatre yeux en privé ; ou même les frères
                entre eux, discrètement attirer l'attention d'un autre
                sur une petite chose qui commence à ne pas aller. Et ça
                demande beaucoup de doigté mais c'est là aussi une des
                expression de cette una caritate, de cette
                charité qui nous habite tous. Donc mes frères, en fait, ce que nous devons essayer de
                faire, ce que je fais dans la mesure de mes capacités,
                c'est de voir comme Dieu lui-même voit ! Mais cela
                requiert un fameux oubli de soi, oublier sa façon de
                voir égoïste. Ne plus regarder, ne plus juger, ne plus
                sentir humainement mais déjà voir, juger, sentir comme
                le Christ dont je suis le lieutenant parmi vous, voit,
                lui, en toute vérité. Mais pour ça, il faut se vider de soi-même, et c'est
                dur, parce que ça demande une attention constante. Car
                le pécheur qui m'habite, le pécheur que je suis encore :
                cela veut dire l'égoïste, celui qui recherche la route
                la plus facile, celui qui a toujours en lui des
                tendances à l'autonomie, à l'autoritarisme, à tout ce
                qui fait qu'un homme à l'illusion d'être plus fort qu'un
                autre, et bien tout cela, il faut veiller sans cesse à
                ce que ça ne déborde pas en moi - et je parle de moi,
                ici - Mais comme le dit le Visiteur : Groupez autour de
                l'Abbé, il faut que ces dispositions d'oubli de soi et
                d'attention à soi partent de l'Abbé et passent dans tous
                les frères qui sont groupés autour de lui. Il y a donc un courant d'Amour, mais un amour qui lui
                trouve sa source dans la vérité. Il faut que ce courant
                circule en tous. Mais vous comprenez bien, s'il n'est
                pas d'abord dans l'Abbé, il ne sera dans aucun des
                frères. Il faut donc que ce soit d'abord en moi, et puis
                alors qu'étant en moi, comme une source cela puisse
                déborder. Or vous savez bien, vous le savez et je le répète ici
                combien de fois, et je le dis en privé aussi chaque fois
                qu'il y a une petite histoire à arranger : toujours voir
                les choses, voir les frères dans la vérité de leur être
                personnel. Voir ce qu'ils sont réellement avec leurs
                qualités, avec leurs limites, avec leurs impossibilités.
                Et puis alors, voir ce qu'ils peuvent devenir. Mes frères, c'est cela qui dans notre communauté se
                fait déjà. C'est un constat du Visiteur. Ce n'est pas
                une illusion, on ne se prend pas pour ce qu'on n'est pas
                ! Non, lui le constate. C'est donc Dieu lui-même qui
                nous le dit. Nous devons donc remercier le Seigneur pour
                cette grâce qu'il nous fait. Et puis c'est un précieux
                et immense encouragement, car nous ne devons pas nous
                imaginer que c'est fini. C'est toujours perfectible. Cet
                équilibre, comme je le rappelais il y a quinze jours,
                est un équilibre fragile, précaire. Il y a des
                adversaires en nous et à l'extérieur de nous : les
                démons qui vont essayer de renverser cet équilibre ou de
                le troubler. Voilà mes frères, je pense, un beau programme encore
                pour notre carême : c'est prendre d'avantage conscience
                de cette exigence de vérité ; et puis alors de sentir en
                nous un ressort qui se remonte et qui va nous donner une
                plus grande force encore pour achever l'oeuvre, le
                travail que Dieu a commencé en chacun d'entre nous. Et ainsi nous pouvons retenir que la vérité, elle n'est
                pas en nous, elle n'est pas dans nos façons de voir, de
                sentir, de juger, de vouloir, mais elle est en Dieu.Et l'équilibre et la Paix seront toujours dans notre
                communauté, seront toujours en nous-mêmes d'abord, et
                puis dans notre communauté entière, si nous voyons les
                choses, les frères comme Dieu lui-même les voit. Et si
                alors nous vivons en accord avec cette vision qui est la
                vérité.
 Chapitre : Carême 1980. 11.03.809. Le dépouillement.Mes frères,Le carême bénédictin, qui est un carême chrétien,
                comporte une note de dépouillement comme il convient.
                Saint Benoît dit : subtrahat corpori suo, 49,17,
                ce qui veut dire qu'il dérobe, qu'il subtilise. On sait
                bien que le corps ne se laissera pas faire. Il faut donc
                presque le rouler, le mettre en boite, le voler, lui
                prendre quelque chose parce que le corps lui-même ne le
                cèdera pas ! C'est ça que veut dire subtrahat. Il
                ne s'en est pas encore aperçu, on lui a enlevé.
                Lorsqu'il veut l'utiliser, il ne l'a plus et alors il en
                prend son parti. Il crie un peu peutêtre, mais
                finalement il se soumet. C'est que la vie monastique, elle se joue sur un fond
                de dépouillement total. Saint Benoît ne mâche pas ses
                mots. Il dit : nihil omnino, 33,7, rien,
                absolument rien ! Il va plus loin que Saint Jean de la
                Croix. Saint Jean de la Croix est déjà un mitigé par
                rapport à Saint Benoît. Lui, il disait : rien, rien,
                rien, rien ! Saint Benoît dit aussi : rien, rien,
                mais il ajoute absolument. Ils ne leur restent
                rien, ni même leur corps, dit-il, ni même ce qu'ils
                pourraient vouloir, 37,8. Leurs désirs, comme traduit
                Monsieur Rochet. C'est cela les voluntates , ce
                vers quoi on se sent porté. Non, il faut renoncer à tout
                cela. Mais voyez un peu, il faut alors tout espérer d'un
                autre ! Mais c'est quelque chose qui est un peu, du
                moins pour moi, un peu effrayant. Car voyez quels
                pouvoirs exorbitants sont accordés à l'Abbé sur les
                frères. C'est absolument rien, ni son corps, ni
                ses vouloirs et tout ; c'est à dire tout pour le corps,
                tout pour les vouloirs. On n'a plus rien en sa
                possession personnelle. Mais voyez un peu ! Donc un Abbé ne peut s'approcher
                d'un frère, ne peut demander à un frère qu'avec un
                sommet, un maximum de respect, de crainte même ! Car ce
                frère en toute confiance lui a remis et son corps, et
                tout son intérieur. Voyez un peu ! Il faut penser à
                cela. On dirait parfois : Mais cet Abbé, il n'ose rien
                dire, ou bien il n'ose pas faire ceci, pas faire ça. Et
                je comprend qu'il y ait des Abbés qui aient peur, et
                tellement peur qu'ils en soient paralysés. Pourquoi ? Parce qu'ils sentent peut-être trop fort que s'ils se
                laissaient aller, ils pourraient exagérer. Et ça, l'Abbé
                est un serviteur. Il est le serviteur, l'esclave de
                tous. Mais un esclave qui a un pouvoir vraiment absolu
                sur les autres, un pouvoir qui lui vient d'ailleurs. Ce
                n'est pas lui qui a ce pouvoir, c'est Dieu qui a ce
                pouvoir sur les frères, mais à travers l'homme faillible
                qu'est l'Abbé. Donc voyez un petit peu dans les rapports entre frères
                et Abbé, ces échanges de respect réciproque qui doivent
                toujours régner. Et pas à sens unique, hein, pas du
                frère seulement vers l'Abbé, mais aussi et peut-être
                d'avantage encore de l'Abbé vers le frère. Et Saint Benoît est très fin psychologue. Il sait très
                bien que le corporel est révélateur du spirituel. C'est
                pour cela qu'il exige qu'on se dépouille de tout,
                d'abord au plan matériel. Car un arbre se reconnaît à
                ses fruits. S'il n'y a pas de fruits sur l'arbre, mais
                l'arbre est stérile. S'il donne de mauvais fruits, mais
                l'arbre est mauvais. S'il donne du bon fruit, mais c'est
                un arbre bon. Maintenant pour nous : si je ne sais pas renoncer à ce
                qui me plaît, mais à ce qui me plaît corporellement, par
                exemple, si je ne sais pas renoncer à des friandises, si
                je ne sais pas renoncer à avoir en ma possession quasi
                libre des biscuits, des bonbons, du chocolat, ou que
                sais-je moi ? Je prends cet exemple là au hasard. Mais
                comment saurais-je alors renoncer à ce qui à l'intérieur
                de moi me plaît encore beaucoup plus que des friandises
                : mes façons de voir, mes façons de juger, mes façons de
                me conduire, mes façons de décider de ce qui me plaît et
                de ce qui ne me plaît pas ? Voyez, Saint Benoît sait très bien que le spirituel est
                tributaire d'abord du corporel et du matériel. Et c'est
                pour ça qu'il est tellement dur pour ce qui regarde la
                pauvreté. Il faut voir tout ce qu'il accumule à ce
                sujet. J'en ai déjà parlé auparavant d'ailleurs, je m'en
                souviens. Mais alors que nous voici pendant le carême, que
                pourrions nous faire ? Eh bien, il me semble que le
                carême est peut-être l'occasion rêvée de réviser la
                valeur de notre dépouillement. Où en sommes-nous pour ce
                qui regarde le dépouillement ? Ne parlons pas du
                dépouillement intérieur, mais de ce révélateur du
                dépouillement intérieur qu'est le dépouillement
                extérieur. Est-ce que ce carême ne serait pas l'occasion de faire
                un inventaire de la cellule et de voir s'il n'y a rien
                d'inutile, ou rien qui n'aurait pas été .... enfin
                permis, comme Saint Benoît dit ? Il ne faut rien
                  introduire chez soi, dit-il, sans l'accord de
                  l'Abbé, du père spirituel. 33,3. Eh bien alors,
                faire l'inventaire de la cellule et si on découvre des
                choses qui se sont accumulées là, presque
                insensiblement, pendant le courant de l'année, eh bien,
                liquider tout ça. Voilà, le liquider. Mais où le liquider ? Mais on le liquide chez le
                cellérier. Il pourra peut-être tout contant le
                redistribuer. Il y en a peut-être qui ont besoin de ceci
                ou cela, et lui doit acheter dehors ; et ça traîne
                peut-être dans la cellule d'un frère qui ne s'en sert
                pas ? Donc, faire une fois l'inventaire et alors
                repartir à zéro, omnino rem, à absolument rien.
                Mais je ne veux pas dire maintenant qu'il faut entrer
                dans une cellule vide. Ce n'est pas ça que je veux dire. Mais il y a des choses dont on pourrait très bien se
                passer. Il y a des choses qui sont là, qui se sont
                accumulées. Eh bien voilà, faire l'inventaire et
                liquider tout ça, un peu comme on nettoie. Le nettoyage
                ici se fait chaque semaine. On va nettoyer les
                toilettes, on nettoie la cuisine, on nettoie le
                scriptorium ici, autrement la crasse s'entasserait, et
                puis on voit des choses et on les liquide. Donc faire un
                peu ça, le carême est le temps rêvé. Voilà mes frères, je vous propose cette opération
                nettoyage. Et je pense, comme c'est l'année de Saint
                Benoît, nous n'aurons pas trop de pincements de coeur
                lorsque nous devrons nous débarrasser d'une petite chose
                ou l'autre. Chapitre : Carême 1980. 12.03.8010. Le partage.Mes frères,Le dépouillement auquel nous invite Saint Benoît, ce
                dépouillement que nous devons renforcer au cours du
                carême, n'est pas une fin en soi. Il vise à créer en
                nous le désencombrement. Il vise à nous rendre plus
                léger, plus souple, plus rapide dans notre course vers
                Dieu. L'idéal, ce serait d'arriver à ce que les anciens
                appelaient la nuditas, être entièrement nu, ne
                plus avoir rien à porter que le poids de sa propre
                chair, une chair qui s'émacie, une chair qui devient
                quasi transparente et qui permet alors à l'Esprit de
                Dieu de faire du moine ce que bon lui semble. Voilà, c'est vers un tel idéal que nous achemine Dieu.
                Voyez, ce sera arrivé un jour, lorsque nous disposerons
                plutôt de notre corps spirituel. Mais ne nous évadons
                pas dans des vues un peu chimériques, restons les pieds
                sur terre. Rappelons-nous, on l'a lu à l'0ffice de nuit
                il y a un jour ou deux, c'est que ce dépouillement,
                cette nudité que nous créons en nous débarrassant du
                superflu, de l'inutile, il ne sera vrai que si ce que
                nous abandonnons est cédé à d'autres qui, eux, peuvent
                en avoir besoin. Ce qui est inutile pour moi est
                peut-être très utile à un frère. Le superflu, mon
                superflu est peut-être nécessaire à l'extérieur du
                monastère. Il faudra donc pratiquer ce que dans le
                jargon d'aujourd'hui on appelle le partage. Il y a le carême de partage, on en parle beaucoup. Il y
                a même le carême de partage réservé aux religieux ; ça
                veut dire que les organismes qui groupent en leur sein
                tous les religieux de Belgique demandent que ce qui
                aurait été récupéré ou épargné pendant la période de
                carême, leur soit cédé. Et alors, ce sera envoyé à des
                religieux dans des pays qui sont dépourvus de
                ressources. Auparavant an parlait plutôt d'aumônes et de
                miséricorde. Si mon coeur n'est pas sensible aux
                besoins, à la misère des autres, mais le dépouillement
                auquel je vais me livrer à l'occasion du carême, ne sera
                peut-être pas trop pur, ça pourrait être une recherche
                de moi très subtile ! Il faut donc que le détachement
                que je manifeste à l'endroit de ce que je possède soit
                le signe, l'expression d'un détachement intérieur vis à
                vis de ma propre personne. Je m'oublie pour penser à la misère des autres, à leurs
                besoins, pour m'épancher en eux, pour les accueillir
                aussi en moi tels qu'ils sont avec le poids que eux
                doivent porter. Je suis peut-être plus fort qu'eux ?
                Alors je peux les aider. J'ai de trop et il leur en
                manque, et je leur donne. Mais pas seulement de mon
                superflu matériel, mais aussi de mon superflu spirituel,
                de mon amour, de ma bienveillance. Il y a des gens dans le monde, dans les monastères
                aussi, tous nous sommes ainsi naturellement plus ou
                moins, mais surtout dans le monde aujourd'hui, des gens
                qui meurent de ne pas être aimés. Il y a des situations
                indescriptibles, incroyables. Régulièrement j'en entends
                raconter. On se demande : mais comment est-ce possible
                aujourd'hui ? Et ça se trouve dans des ménages, des
                enfants, des parents, des employeurs avec des ouvriers,
                enfin des choses ! Pourquoi ? Parce que il y a des
                frustrations au plan de l'amour. On n'est pas aimé ! Et
                n'étant pas aimé, on ne sait pas aimer soi-même. Voilà mes frères ! Nous devons penser à cela.
                Aujourd'hui nous sommes très avertis de la misère qui
                règne dans le monde. Je parle ici, maintenant je reviens
                à la misère matérielle. Les revues en parlent, les
                journaux en parlent, c'est sans arrêt. Ici aussi c'est à
                ne pas croire les situations qui existent. Enfin vous
                les connaissez aussi bien que moi. Mais ne courons même pas au loin, n'allons pas en
                Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud. Restons ici dans
                nos régions. Il ne se passe pas de semaines que ne se
                présente ici à l'Abbaye, soit en personne, soit par
                correspondance encore plus souvent, des situations
                vraiment à ne pas croire. Je pourrais vous raconter des
                histoires. Et je l'ai déjà dit à d'autres encore ; ceux
                qui sont les causes, l'origine de situations pareilles
                devraient aller en prison pour une durée indéterminée. Vraiment comme le débiteur qui devait 50.000.000, vous
                vous souvenez il y a un jour ou deux dans l'Evangile,
                jusqu'à la fin mon ami, pour rembourser tout cela ! Des
                injustices sociales incroyables et qui mettent alors des
                familles entières dans la misère, mais une misère à ne
                plus pouvoir vivre. Eh bien c'est ça qu'on appelle le
                quart monde. Il y a des personnes qui ne savent pas s'adapter à la
                complexité de la vie sociale d'aujourd'hui. Vous n'avez
                idée comme ça devient de plus en plus difficile ! Et
                s'il vous manque un papier, ou si le papier n'est pas
                correctement rempli, vous perdez tout de suite le droit
                aux allocations de chômage, aux indemnités de mutuelle,
                aux indemnités d'accidents ; et vous êtes là ! Et alors pour récupérer tout cela, ce sont des
                démarches avec de nouveaux papiers ; et puis voilà,
                c'est le cycle qui recommence, c'est la boule de neige
                et il n'est plus possible d'en sortir. Pourquoi ? Parce
                que les gens, beaucoup maintenant ne sont pas éduqués à
                cela. Il y en a qui ne savent pas lire. Il y en a qui
                savent à peine, qui ne savent pas écrire. Il ne faut pas
                courir très loin. Il y en a ici à Rochefort, nous en
                connaissons. Et voyez alors ! Eh bien mes frères, ces misères là, elles viennent ici
                crier au secours à notre porte. Et nous ne pouvons pas
                dire : Il y a beaucoup d'exploiteurs ! C'est vrai, il y
                a des exploiteurs làdedans. Mais ces exploiteurs-là,
                comment en sont-ils arrivés là ? Et pour deux, trois
                exploiteurs qu'on reçoit, on ne peut pas laisser tomber
                ne fut-ce qu'un seul pour lequel c'est très sérieux. Voilà mes frères, tout cela pour vous dire que ce
                dépouillement auquel nous nous livrons maintenant
                pendant le carême, eh bien, ça doit partir hors d'ici,
                ça doit être transvasé, transféré à des personnes qui
                sont dans le besoin. Et ce n'est pas seulement pensant
                le carême, mais ce doit être ainsi pendant toute
                l'année. Et pensons encore à ceci : c'est que le carême nous
                rappelle que nous sommes pauvres, c'est à dire que nous
                devons vivre pauvrement. Oh je sais bien, on pourrait
                presque maintenant se payer ce qu'on veut. Mais NON,
                vivons de ce qui nous est nécessaire, pauvrement,
                simplement, sans exigence, comme le dit Saint Benoît.
                Contentus, 7,132, on doit être contant, satisfait de ce
                qu'on reçoit et ne pas ennuyer la communauté, ni le
                cellérier, ni l'Abbé avec des superfluitates,
                36,8, avec des exigences abusives, comme le traduit ici
                le nouveau texte. C'est très bien traduit, abusives
                ! Non n'est-ce pas, il ne faut pas ! Au contraire, notre  superfluum, ce qui déborde
                un peu de nous, eh bien laissons-le partir. Ce sont des
                petites rigoles qui vont servir à abreuver, à
                désaltérer, à faire vivre des frères en humanité, qui
                eux attendent cela. Et alors aussi mes frères, non seulement vivre
                pauvrement, mais avoir le souci du pauvre. Et pas
                seulement le souci du pauvre qui vit en dehors des murs,
                mais aussi le souci du pauvre qui vit parmi nous. Or
                nous sommes tous plus ou moins pauvre. Ayons donc un
                coeur généreux, généreux pour aider, généreux pour
                donner, généreux pour s'aimer. RETRAITE ANNUELLE 1980 15.03.80Ouverture de la retraite par Dom Hubert.L’idéal monastique chez Saint Benoît et à Cîteaux.Mes frères, notre retraite annuelle est ouverte. En
                cette année où nous fêtons le XV° centenaire de notre
                Père Saint Benoît, elle va revêtir une forme
                particulière, inhabituelle, originale. Elle sera une
                mise en commun d'expériences, de réflexions, de
                questions, de soucis, d'espoirs aussi. Et nous
                l'abordons dans les dispositions les meilleures :
                accueil, écoute, humilité, gratitude. Ce sont des frères
                qui vont s'adresser à des frères en toute simplicité,
                avec confiance. Nous ne devons pas attendre des
                révélations extraordinaires, mais plutôt des fruits de
                vie. Qu'il y ait plus de vérité, qu'il y ait entre nous
                plus de charité, que nous soyons saisis par l'Esprit de
                Dieu avec plus de force, de façon à devenir sous son
                influx plus souples et plus lumineux. Lumineux pour
                notre Dieu qui nous a appelés et lumineux aussi les uns
                pour les autres. Dès le 1° janvier, nous avons décidé de placer cette
                année jubilaire sous le signe de la lumière et de nous
                rapprocher, autant que faire se peut, de l'idéal
                poursuivi par les fondateurs de Cîteaux, à savoir :
                vivre une spiritualité du désert dans le cadre de la
                Règle de Saint Benoît. Cet objectif peut se condenser
                dans cette formule : devenir un seul Esprit avec le
                Christ, Lumière du monde. Le moine est un homme qui veut
                devenir léger, diaphane et invisible. Léger de façon à acquérir une certaine apesanteur pour
                que l'Esprit de Dieu puisse jouer librement avec lui et
                en lui. Diaphane, atteindre la translucidité, de façon à
                n'opposer aucun obstacle à la transmission, à la
                diffusion de la Lumière divine qui nous habite. Et aussi
                devenir invisible ; se laisser travailler jusqu'à une
                totale divinisation, et ainsi échapper aux regards
                investigateurs, curieux, des yeux charnels. Le désert, dans lequel le moine s'enfonce, est le
                symbole de cette invisibilité à laquelle il désire
                parvenir. Les yeux des hommes charnels sont incapables
                de percer le secret de cet homme, qui demeure inconnu
                tout au tant que le Christ qui pourtant, homme, vivait
                parmi les hommes. Mes frères, ce que je dis là est très vrai et très
                beau. Et çà nous fait comprendre la raison fondamentale
                de la clôture monastique qui n'est pas de nous mettre à
                l'abri d'influences perverses venant du monde. Non,
                c'est de nous faire goûter, fut-ce au plan symbolique,
                l'état final qui sera le nôtre, espérons-le. Je vous
                l'ai déjà dit bien souvent : tout, dans notre vie, est
                symbole d'autres réalités qui demeurent, celles-là ; des
                réalités éternelles. Et cet état que je viens de décrire en quelques mots,
                je le vois pour ma part réalisé dans une expérience
                faite par Saint Benoît et rapportée par son biographe
                Saint Grégoire. Il est dit qu'au cours d'une nuit, Saint
                Benoît vit le monde entier rassemblé dans un rayon de
                lumière. C'est l'indice d'un état atteint par notre
                Saint. Benoît était, à ce moment-là, entièrement
                christifié. Devenu lumière dans le Christ, il voyait la
                lumière de la divinité. Habité par le Verbe de Dieu, il
                travaillait avec ce Verbe de Dieu à la création et à la
                rédemption du monde. Possédé lui-même par la puissance
                de Dieu et la possédant, il tenait sous son regard et
                dans sa main l'univers entier. Rappelez-vous l'hymne de Saint Paul,  tout est à
                  vous, dit-il, et il détaille, puis il conclut :
                  et vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu.
                Voilà l'état atteint par Saint Benoît et, dans ces
                conditions, il pouvait voir l'univers entier dans un
                seul rayon de Lumière. Saint Benoît était ainsi un fils
                de Dieu achevé ; la puissance de la résurrection avait
                triomphé en lui. Il était devenu un homme nouveau, entré
                dans la vie éternelle. N'oublions jamais ce qualificatif
                de nouveau que les premiers cisterciens appliquaient à
                leur monastère ; c'était en référence directe à l'homme
                nouveau que leur avait annoncé Saint Paul, cet homme
                déjà entré dans l'éternité. Ici, mes frères, encore un détail : notre voeu de
                stabilité par lequel nous nous engageons à demeurer
                jusqu'à notre mort en ce lieu et dans cette communauté,
                ce voeu de stabilité est, lui aussi, le signe d'autre
                chose. Il est le signe et le symbole de la vie éternelle
                à laquelle nous espérons accéder ; une vie éternelle que
                nous possédons déjà en germe. Mais il faut que cette vie
                devienne notre vie, que le mortel soit absorbé
                dans l’éternel, que le charnel soit absorbé dans le
                spirituel ; la vie éternelle où l'homme goûte
                l'immobilité, le repos, la tranquillité, la paix, mais
                aussi une efficacité suprême en Dieu. L'idéal monastique, mes frères, n'est donc pas la
                conquête d'une perfection d'ordre moral, comme si je
                pouvais devenir un homme sans défaut. L'idéal monastique
                est abandon de soi à Dieu pour une aventure inconnue.
                Saint Benoît le dit expressément, ou plutôt, à un moment
                donné, il ne trouve plus rien à dire et son silence est
                le plus éloquent des langages. Il s'exprime ainsi :
                  quod Spiritu Sancto dignabitur demonstrare, 7,188,
                on verra ce que Dieu par son Esprit,daignera manifester. On le verra, on ne peut rien en dire : c'est
                l'imprévisible absolu, car c'est le divin. Il rejoint, à
                ce moment, une réflexion du Christ à Nicodème, au cours
                d'une nuit encore : Celui qui est né de l'Esprit est
                  comme le vent ; on ne sait pas où il va. Mes frères, l'idéal monastique est d'ordre mystique,
                c'est-à-dire, tout le reste mais absolument tout sans
                exception est là pour soutenir un ordre divin qui est en
                nous et qui doit insensiblement arriver à un état
                d'épanouissement total. Notre capacité de vie divine
                doit être remplie. Voilà, mes frères, en quoi consiste
                notre idéal monastique. Mais il est vécu dans une chair d'homme, dans de la
                matière ; il est vécu comme incarnation. N'oublions pas
                que cela nous porte vers une transmutation de notre être
                en une qualité qui ne nous est pas naturelle, mais qui
                nous est donnée en cadeau. A nous de l'accepter. Les
                vertus, que ce soient les vertus morales ou les vertus
                spirituelles qu'on appellera dons du Saint Esprit et
                même les vertus théologales arrivées à leur sommet, sont
                les symptômes d’un ordre divin se développant et
                arrivant à pleine maturité dans un homme. Elles sont le signe d'un état indicible ; Dieu se
                révélant dans un homme. Voyez à quel sommet nous devons
                situer notre visée. Nous ne devons pas avoir peur, car
                cette espérance ne vient pas de nous ; elle est déposée
                en nous et elle n'attend que notre accord pour nous
                porter là où Dieu nous appelle. Il va de soi que la vie monastique n'est pas une
                entreprise facile. C'est un tâche qu'on peut qualifier
                de surhumaine. Il faut aller à Dieu par ses chemins à
                lui. Or nous ne savons pas qui est Dieu. Nous ne pouvons
                donc connaître le chemin. Nous n'avons qu'une seule
                chose à faire : nous laisser conduire comme s'il nous
                prenait par la main et le suivre. Nous devons renoncer à
                nos idées, à nos plans, à nos volontés, à nos vues,
                abandonner toutes nos cartes routières pour nous laisser
                simplement, gentiment conduire par Lui, n'être, dans le
                Royaume de Dieu, que l'enfant qui, sans prétention, en
                toute confiance, se laisse entraîner. Mais cela signifiera souvent, pour nous, arrachements
                et souffrances ; il ne faut pas se le cacher. Saint
                Benoît exige qu'on ne dissimule pas au moine les
                difficultés de la vie monastique ; elles sont
                nombreuses, elles sont dures, elles sont âpres. Le
                Royaume de Dieu est le fruit d'une conquête. Il n'est
                pas atteint au prix d'une tension volontariste ; il est
                conquis grâce au renoncement. Seuls les violents, les
                courageux, les tenaces parviennent à se laisser
                dépouiller jusqu'à recevoir en eux la plénitude du
                Royaume. Il va de soi, mes frères, que dans ces conditions une
                initiation soit nécessaire. Saint Benoît vient de le
                rappeler à propos du novice ; praedicentur ei, il
                faut lui dire à l'avance. Ne restons-nous pas toute
                notre vie des nouveaux venus dans l'univers de Dieu ? Il
                y a, chez Dieu, toujours à apprendre, toujours à
                recevoir, toujours à assimiler. C'est ce qu'on appellera la Tradition. Une Tradition
                qui n'est pas un bloc monolithique figé, mais une
                Tradition qui vit, une Tradition qui pense un message,
                un enseignement ; une Tradition qui porte Dieu lui-même
                ; une Tradition qui est elle-même portée par l'Esprit ;
                une Tradition qui est, ne l'oublions jamais, incarnée et
                qu'il faut savoir déchiffrer, qu'il faut savoir
                interpréter pour aujourd’hui. Il n'est pas possible
                d'être cistercien à notre époque comme on l'était au
                XII° siècle. Pourtant nous devons l'être pleinement,
                comme l'étaient nos pères ; l'être à notre façon pour
                les hommes de ce temps. Et c'est ici que s'inscrit le
                rôle spécifique de l'Abbé dans un monastère. L'Abbé doit être un initié. L'Abbé est celui qui sait,
                non d'une science livresque - ce serait beaucoup trop
                facile et ce ne serait pas sérieux - mais' d'une
                connaissance expérimentale. C'est un homme qui est
                habité par l'Esprit. Il est vraiment possédé par
                l'Esprit, comme on parlerait, à l'extrême opposé, d'une
                possession diabolique ; mais ici c'est l'Esprit qui
                habite en lui et qui le pousse comme Il poussait Jésus
                dans toutes ses démarches. Cet homme peut explorer le
                Royaume de Dieu. Il en explore les paysages et les sites
                et les sentiers. Il doit le raconter ; il doit initier à
                son tour. Vous comprenez que, dans ces conditions, il ne
                s'appartient plus. Il est devenu, ce qu'était Saint Benoît; un homme de
                Dieu,  vir Dei. Cela signifie qu'il vit avec
                Dieu toujours, partout. Il voit Dieu en tout, à travers
                tout. Vivant avec Dieu, il vit aussi en Dieu. Cela
                signifie qu'il ne s'éparpille plus, il ne se disperse
                plus ; il est devenu ce que les tout premiers moines
                appelaient, un monotrope, c'est-à-dire l'homme d'une
                seule visée, d'un seul élan, d'une seule vision, d'une
                seule façon de vivre. Il ne cherche plus ; il a trouvé. Il reçoit la vie, il
                la reçoit sans arrêt, il la reçoit luimême, il la reçoit
                pour les autres qu'il porte en lui, comme dans un sein
                maternel. C'est une image empruntée au monde féminin.
                N'oublions pas que Saint Bernard en usait. Il disait que
                l'âme devenue sponsa Verbi parturiait en elle
                d'autres hommes, qu'elle engendrait à la vie. C'est cela
                le rôle d'un Abbé. Et c'est pourquoi il sera l'âme du
                  corpus monasterii, de ce corps qu'est le
                monastère. Il en est l'âme ; il en assure l'unité et la
                croissance, par sa présence, par sa parole et par son
                agir. C'est très grave ceci ; Saint Benoît le savait ;
                il le déclare lorsqu'il parle de l'Abbé. L'Abbé doit être ce qu'il dit et il doit dire ce qu'il
                est ; il n'a rien d'autre à faire. C'est un homme, qui
                se tient devant Dieu, qui vit sans arrêt avec Dieu, qui
                vit en Dieu. Tout ce qu'il vit, il le dit, et tout ce
                qu'il dit, il le vit. Et il n'a qu'une chose à dire et à
                répéter : la Parole de Dieu qui habite en lui. Voilà la
                raison pour laquelle il peut assurer l'unité du corps
                qu'est le monastère, qu'il peut lui donner vie et le
                faire croître surnaturellement. Mais il sera également
                le corpus peccati de ses frères. Il portera, dans
                son corps et dans son coeur, les misères, les
                défaillances, les déficiences, les fautes, les péchés de
                tous ses frères. Il les porte et il les expie. Car s'il
                est parmi eux le Christ, il doit, pour eux, faire ce que
                le Christ a fait pour les hommes: il doit porter le
                péché, l'expier et en échange, transmettre la vie. Tel, mes frères, sera l'Abbé pour tous ceux avec
                lesquels il vit. Il est le regard que le Christ porte
                sur chacun : un regard de paix, un regard d'amour, un
                regard qui purifie, un regard qui divinise. Le frère
                doit devenir ce que l'Abbé ? en fait par son regard.
                C'est peut-être un peu éthéré, dira-t-on. Mais non,
                c'est ainsi, car c'est dans le regard que brille
                l'Amour, c'est dans le regard que brillent la vie et la
                lumière. Mes frères, en conclusion pour ce soir, nous pourrions
                retenir ceci : nous sommes venus dans le monastère afin
                de nous laisser façonner en fils de Dieu. Nous ne devons
                pas devenir des surhommes, des hommes sans défaut. Nous
                devons devenir des fils de Dieu. Or, seul l'Esprit de
                Dieu peut faire naître en nous le Verbe; ou plutôt le
                Verbe se trouve déjà en nous et l'Esprit le fait se
                développer, de façon que ce ne soit plus nous qui
                vivions, mais le Christ en nous et que nous soyons
                vraiment d'authentiques fils dans lesquels Dieu se
                reconnaît. Ensuite marcher courageusement sur les chemins que Dieu
                ouvre devant nous. Ne pas avoir peur de nous oublier. Ne
                pas avoir peur de nous renoncer. Ne pas avoir peur de
                nous fatiguer, ni de souffrir. Cette mutation de notre
                être charnel en un corps spirituel demande, disons le
                franchement, des qualités humaines peu communes. Eh
                bien, si Dieu nous appelés, il les a déposées en nous.
                Et nous devons le laisser agir sur ce qui est positif
                afin que le mortel disparaisse pour faire place à la
                vie, une vie éternelle. Pour ce la, marchons en nous
                oubliant. Enfin, mes frères, si je peux me permettre ceci, pour
                terminer : croire en l'Abbé. Croire en cet homme que
                Dieu a choisi parmi les frères et qui est placé par Dieu
                pour être leur médiateur entre eux et l'Amour qui est
                Dieu. Il n'est rien chez les frères qui ne passe
                nécessairement par ce médiateur obligé qu'est l'Abbe.
                L'Incarnation du Verbe de Dieu doit être poussée jusque
                là. Croire en l'Abbé tel qu'il est. Il a aussi des
                défauts, c'est fatal ; c'est même mieux, c'est bien ! Je faisais allusion, il y a quelques jours, aux Abbés
                qui ont une trop forte santé physique. Comment
                peuvent-ils comprendre les faiblesses, les maladies, les
                dépressions de leurs frères ? L'analogie joue pour le
                spirituel. L'Abbé ne doit, ne peut être un hypersaint,
                ni même un saint tout court. C'est un pauvre parmi les
                pauvres ; mais c'est un pauvre qui est parmi ses frères,
                le Christ présent, Dieu présent dans une communauté ;
                pour chacun, Rocher, Lumière et Source de vie. Homélie du dimanche. 16.03.80Jos 5,9a,10-12. * 2° Cor 5,17-21. * Luc
                  15,1-3,11-32.Mes frères,La créature nouvelle que nous espérons tous être un
                jour est une créature réconciliée ; réconciliée d'une
                réconciliation sans limite. Cette créature nouvelle est
                le privilège de l'homme entré dans la vérité de son
                être. Un tel homme est devenu, pour lui-même et pour
                l'univers entier, un soleil, une lumière, un foyer qui
                éclaire, qui réchauffe, un foyer qui pacifie. Mais '1
                faut d'abord se réconcilier; et se réconcilier en tout
                premier lieu avec Dieu. C'est-à-dire, consentir à être
                ce que Dieu eut que l'on soit. En fait, il en va tout autrement. Nous préférons courir
                notre chance, ça veut dire courir les aventures que nous
                offre le monde. Nous préférons faire notre vie
                nous-mêmes. N'est-ce pas un honneur, une gloire d'être
                un se1fmade man, de ne devoir rien à personne, d'être
                devenu par soi-même ce qu'on est ? Mes frères, ne nous reconnaissons-nous pas un peu dans
                le fils cadet de la Parabole ? Le moine, lui, lutte
                contre cette tendance. Il s'est engagé à toujours lutter
                contre elle ; il s'y est engagé par un vœu : celui de
                conversion. Il a promis de toujours revenir sur la route
                que Dieu ouvre devant lui, d'y revenir et dans toute la
                mesure de ses forces de s'y maintenir. Il a choisi la
                voie de la réconciliation. Sans cesse il rentre en
                lui-même et répète en son cœur : Je veux retourner chez
                mon Père. Cette réconciliation est atteinte, lorsqu'il
                fait corps avec le projet que Dieu a sur lui. A ce moment, réconcilié avec Dieu, il est aussi
                réconcilié avec lui-même. Il est installé dans l'Amour
                comme dans un centre d'équilibre. Plus rien ne l'exalte
                vers le haut, plus rien ne le déprime vers le bas. Il a
                cessé d'être comme le fils aîné de la parabole, qui au
                fond n'était pas d'accord avec le sort que lui faisait
                son Père. Réconcilié avec lui-même, le moine est alors réconcilié
                avec les autres, ses frères en premier lieu. Il les
                accepte tels qu'ils sont. Dans ses yeux ne s'allument
                plus les lueurs de la jalousie ou de l'envie. Il est
                heureux avec eux, il est heureux pour eux. Mes frères, un groupement d'hommes réconciliés avec
                Dieu, réconciliés avec euxmêmes, réconciliés entre eux,
                n'est-ce pas le tableau idyllique de la communauté
                monastique idéale ? Saint Benoît y pensait lorsqu'il
                disait : sic omnia membra erunt in pace, 34,9, et
                ainsi tous les membres de ce corps qu'est le monastère
                seront dans la paix. Mes frères, réconcilions-nous donc tout d'abord avec
                Dieu. Entrons sans réticence dans le projet qu'il a
                conçu sur chacun d'entre nous et sur l'ensemble que nous
                formons. Entrons-y, collaborons ! Et alors, réconciliés
                avec Dieu, nous vivrons tous dans le Christ de la même
                vie. Et ici, permettez-moi de vous dire : se réconcilier
                avec Dieu, dans le Christ et par le Christ, cela
                signifie se laisser réconcilier par celui qui ,dans la
                communauté, tient la place du Christ, et qui donne à
                chacun la part qui lui revient. Et ainsi, mes frères, tous ensemble nous entrerons dans
                la terre promise du Royaume de Dieu, là où nous sommes
                tous conviés, là où sera enlevé de dessus nous
                l'opprobre de l'esclavage que font peser sur nous les
                convoitises : convoitises des yeux, convoitises de la
                chair, convoitises de toutes les passions qui essaient
                de nous détourner du bonheur que Dieu nous a préparé et
                qu'il brûle de nous donner, du moment que nous ouvrons
                les mains bien larges pour le recevoir.Amen. Homélie du Lundi. 17.03.80Michée 7, 7-9. * Jean 9, 1-41Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du
                monde, nous dit Jésus.Mes frères, Cette Parole doit nous secouer, elle doit
                insuffler en nous un nouvel espoir. Jésus est ressuscité
                des morts. Il est transfiguré. Il est entré dans la
                plénitude de sa gloire ; cette gloire qui lui avait été
                réservée dès avant la création lu monde. Plus que jamais aujourd'hui, il est présent à ce monde
                pour lequel il a donné sa vie. Ce monde, il le soutient
                de sa Parole toute puissante et, instant par instant, il
                le transforme à l'image de ce qu'il est, jusqu'au jour
                où la Trinité entière sera manifestée à travers la
                création. Mes frères, Jésus le Christ est la Lumière et nous ne
                le voyons pas. Nos yeux ne le perçoivent pas. Pourquoi ?
                Mais parce que nous sommes, nous aussi, des aveugles. Ne
                discutons pas avec le Christ ; reconnaissons humblement
                que nous sommes aveugles. Et ainsi, comme il vient de le
                dire, il n'y aura pas de péché permanent en nous puisque
                nous serons dans la vérité. Mais ouvrons-lui aussi le désir de notre c œur ;
                n'ayons crainte d'être des mendiants. Etre mendiant,
                pour nous, c'est un honneur, c'est une gloire. Nous
                avons tout à attendre, tout à recevoir de lui. Alors
                demandons-lui d'être guéris à notre tour de notre
                cécité. Le moine est un homme qui passe insensiblement de sa
                ténèbre native à la lumière. Il se soumet au traitement
                que le Christ lui applique : de la boue sur les yeux !
                Il lui semble que sa cécité devient plus lourde encore !
                De la boue faite de poussière, cette poussière dont le
                moine a été extrait, lui, comme tous les hommes. Mais
                une poussière imbibée d'un peu de salive, la salive du
                Christ ! Or tout ce qui sort de la bouche du Christ est Esprit
                et Vie. C'est pourquoi le moine se dérange, il se
                fatigue, il persévère, il veut à tout prix prouver sa
                confiance, son amour, l'ardeur de son désir. Car ce
                qu'il veut voir, c'est la lumière. Et voilà que soudain,
                à un moment où il ne s'y attend pas, voi1à que ses yeux
                s'ouvrent et que enfin il voit. Comment cela s'est-il
                passé ? Dès l'instant où il a cru, une fissure s'est ouverte en
                lui. La lumière est entrée en son coeur et elle a
                commencé son travail. Imperceptiblement, elle a chassé
                le trouble des vices, la vase des péchés, jusqu'à ce que
                le coeur soit devenu transparence, translucidité,
                lumière dans le Seigneur. Voici qu'il voit, enfin, le
                Seigneur ! Mes frères, quoi que nous demande le Seigneur, faisons
                le ! Encore un peu, très peu de temps et notre foi sera
                récompensée. Nous le verrons, les yeux dans les yeux
                pour une joie sans fin. Et ceci, avant que nous goûtions
                la mort physique. Mes frères, n'est-ce pas à cela que nous invite Saint
                Benoît lorsqu'il nous dit :  Tout ce que vous
                  faites, ne vous lassez pas de le faire. Suivez le
                Christ jusqu'au bout, à travers tout, à travers les
                choses dures et âpres qu'il vous propose. Ne désespérez
                jamais, afin que vous méritiez de voir un jour dans son
                royaume celui-là qui vous appelle. Or, mes frères, le
                Royaume de Dieu est parmi nous et tout est possible à
                celui qui croit. Homélie du mardi. 18.03.80Ez 47,1-9,12. * Jean 5,1-16.Mes frères,Hier,Jésus prescrivait à un aveugle d'aller se laver à
                la piscine de Siloé. Aujourd'hui, visitant une autre
                piscine, miraculeuse celle-ci, il y guérit un
                paralytique. Nous pensons de suite aux piscines et
                fontaines de Lourdes, Banneux et ailleurs. Depuis les
                âges les plus lointains, les sources, les viviers, les
                étangs ont exercé sur les hommes une fascination sacrée.
                C'est qu'à l'image archétypale de l'eau est liée celle
                de la vie. Ezéchiel voit une eau jaillir sous le seuil du Temple,
                le temple qu'est l'homme habité par l'Esprit. Cette eau
                devient vite un fleuve infranchissable et partout où
                elle arrive, apparaît une vie d'une inépuisable
                fécondité ; elle va jusqu'à franchir les limites du
                monde et ses torrents irriguent les jardins de la
                Jérusalem nouvelle. L'identité de Jésus est infiniment complexe ; n'est-il
                pas Dieu ? Hier, au moment de guérir l'aveugle, il se
                proclamait Lumière du monde ; lumière : condition
                première de la vie. En une autre circonstance, il
                s'était présenté comme le complément obligé de la
                lumière : l'eau. Celui qui a soif, s'était-il
                écrié, qu'il vienne à moi et qu'il boive, et de son
                  sein couleront des fleuves d'eau vivante ! Mes frères, la lumière qui jaillit des yeux du Christ
                ressuscité est source de lumière liquide qui se boit à
                longs traits, qui inonde les entrailles, qui pénètre
                tout de part en part et qui finit par déborder en un
                nouveau, irrésistible torrent. Le moine est un homme qui
                devient, pour les autres, lumière et source d'eau
                vivante. Il le devient, il l'est : il croit et il aime. Il croit au Christ auquel il s'est remis sans réserve ;
                au Christ duquel il attend tout ; au Christ, sa boisson
                de vie. Il croit aussi en l'homme. Il se reconnaît en
                chaque être humain rencontré, en chaque frère. Lui-même
                n'est-il pas un homme ? Il sait, par expérience que
                l'homme est capable de tous les rebondissements, en
                dépit des pires vilenies.Et puis, il aime ; et chaque instant, il donne de sa
              substance vitale, de sa vie, pour que le frère soit
              heureux, pour que tous croient et aiment à leur tour .'_ Mes frères, l'Eucharistie est au centre de notre vie
                bénédictine, de notre vie quotidienne. En elle, nous
                devenons avec le Christ une seule chair et un seul
                Esprit. Lui nous construit tous en un seul corps, un
                corps qui vit de la même vie divine. Mes frères, c'est cela qui serait si beau : les hommes
                du dehors doivent pouvoir dire en nous regardant, en
                nous regardant vivre : Voyez comme ils s'aiment ! Le
                Christ n'a-t-il pas affirmé : C’est à cela qu’on
                  reconnaîtra que vous êtes les miens, si vous vous
                  aimez les uns les autres. Voilà, mes frères, au cours de cette retraite, nous
                nous efforçons de rentrer en nousmêmes et, à partir de
                là, de nous retrouver tous groupés autour de la Source
                de Vie, autour de ce foyer de lumière qu'est le Christ,
                de façon à ce que nous devenions tous ensemble membres
                d'un seul Corps, le sien, pour l'Eternité. Homélie du mercredi. 19.03.802 Sam 7, 4-5a,12-l4a,16. * Rm 4, 13,16-18,22. * Mt
                    1, 16,18-2l,24a.Mes frères,Joseph, le saint, est la figure du contemplatif, de
                  cet homme ignoré, inconnu, invisible mais qui pourtant
                  mystérieusement est présent partout. Homme qui donne
                  dans le secret, à la création, son visage qui sera son
                  visage d'éternité. Joseph n'était pas le père charnel de Jésus, mais il
                  était son père à tous les autres étages. Il l'était
                  tellement que lorsqu'on regardait Jésus, on voyait en
                  transparence, apparaître Joseph. Et il en est encore
                  ainsi aujourd'hui. Le premier devoir du père de famille israélite était
                  d'apprendre à lire à son fils et de lui enseigner un
                  métier manuel. Le Verbe de Dieu a appris de Joseph à
                  se lire, et le créateur du monde a appris de Joseph à
                  parfaire son oeuvre. Telle est l'humilité de Dieu, mes frères, telle est
                  l'humilité et la grandeur de Joseph, lui qui a façonné
                  l'image de Dieu, lui qui a façonné Dieu d'après ce que
                  lui Joseph était. Voyez un peu quel échange
                  merveilleux ! Et il en a été ainsi, vous pouvez m'en
                  croire. Nous devons apprendre de Jésus et de Joseph la
                  simplicité dans l'exercice de l'obéissance et dans
                  l'exercice de l'autorité. Les deux viennent d'une source qui se trouve
                  infiniment au-dessus de nous, les deux viennent de la
                  personne de Dieu le Père qui définit à chacun son rôle
                  et sa mission. Joseph est entré dans sa mission à lui
                  sans faire de manières. C'est pourquoi, au jugement de
                  Dieu, il a été proclamé juste et modèle de justice
                  pour tous les temps à venir. Mes frères, Joseph est présent partout où Jésus est
                  et agit. Et lorsque je dis partout, c'est absolument
                  partout. Or, Jésus ressuscité travaille à tout moment
                  avec son Père à la création et à la divinisation du
                  monde. On nous dit, et c'est vrai, que tout nous vient
                  de Dieu à partir de Jésus par Marie. Mais Jésus
                  lui-même, ne l'oublions pas, je viens de le dire, a
                  été façonné par Joseph qui lui a imprimé une marque
                  indélébile. Au côté du Verbe de Dieu, Joseph n'a prononcé aucune
                  parole, mais sa personne est le discours le plus
                  éloquent qu'il ait jamais prononcé. Si nous voulons
                  l'entendre regardons-le. Ici, mes frères, pour une
                  fois, la parole va arriver jusqu'à nous par nos yeux. Oui, Joseph est vraiment la figure du contemplatif,
                  le contemplatif qui est modelé à l'image de Dieu. Ce
                  contemplatif qui se tient lui aussi à sa place, à une
                  place unique irremplaçable, incomparable,
                  indispensable ; et cette place, mes frères, c'est la
                  nôtre, la nôtre dans le silence, dans un silence où va
                  mûrir, où mûrit la seule Parole qui à jamais demeure. Homélie du jeudi. 20.03.80Ex 32, 7-14. * Jn 5, 31-47.Mes frères,Peut-on dire que Dieu, en se lançant dans la création,
                a pris un risque calculé à la manière de ces hommes
                d'affaires astucieux qui soupèsent habilement le pour et
                le contre, pour mettre le maximum de chances de leur
                côté ? Peut-on dire que Dieu avait prévu ce qui allait
                arriver, ce qui allait suivre, le peuple se dressant
                contre lui ? Le peuple qu'il s’était amoureusement formé, le peuple
                dont il voulait faire son épouse mystique, ce peuple se
                prostituant à toutes les idoles qu'il rencontrait sur sa
                route ! Et pire encore, lorsque Dieu avait voulu prendre
                contact direct, charnel avec ce peuple, voilà qu'il
                s'était vu jeté dehors. On le saisit, on le fit mourir
                en le clouant à une croix ! Avait-il prévu tout cela ? Avait-il prévu la marée noire des meurtres, des crimes,
                des guerres, des trahisons ? Avait-il entendu les cris
                de haine, les cris de peur, les cris de folie, de
                désespoir ? Avait-il vu cet amoncellement de malheurs
                qui allaient s'abattre sur sonœuvre ? Mes frères, je peux pouvoir dire qu'il ne l'avait pas
                prévu. Il n'avait pas à le prévoir. Tout cela lui était
                déjà présent. Non dans le sens d'un scénario imprimé sur
                une pellicule et qu'il devait projeter en son temps sur
                la toile de l'histoire. Non, mes frères, Dieu était
                présent déjà à tous ces événements, d'une présence qui
                lui est propre, qui est la sienne, qui est son être à
                lui. Nous ne pouvons concevoir cette présence aussi
                longtemps que nous ne sommes pas nous-mêmes entrés dans
                la vie éternelle. Le contemplatif, qui participe déjà un peu consciemment
                à la vie de Dieu, peut quelquefois sentir, comme lui, ce
                que cela veut dire être présent a un événement qui, pour
                les autres hommes, se présentera plus tard. N'avez-vous
                jamais entendu parler de cet agneau immolé avant la
                création du monde ? Mes frères, je vais dire ici une chose difficile pour
                essayer de mieux me faire comprendre. Le moine
                contemplatif vit à la fois, en même temps, à la manière
                des hommes et à la manière de Dieu. A la manière des hommes, il sent dans sa chair une loi
                qui le brutalise, qui le tyrannise, qui lui fait faire
                des choses qu'il n'accepte pas. Il se découvre, à son
                grand étonnement, complice et victime de ce fameux péché
                qu'il voit partout et qu'il découvre en lui. Il voit que son coeur est le lieu d'une guerre
                permanente contre les ténèbres et la lumière, entre
                l'Amour et le refus, entre la vie et la mort. Et ce
                combat se déroule dans l'écoulement de la durée. Oh,
                Saint Benoît savait très bien ce qu'il disait lorsqu'il
                appelait le moine un miles un soldat, un
                guerrier, un combattant. Mais le contemplatif vit aussi à la manière de Dieu. Il
                ne s'appartient plus, il appartient à Dieu. Il ne
                s'appartient plus, il est possédé par un autre, il est
                possédé par l'Esprit. Ce n'est plus lui qui vit, c'est
                le Christ qui vit en lui. Et, là ce moment, il est déjà
                au delà de la durée. Si bien qu'il vit à la fois dans la
                durée et hors de la durée. Pour dire la même chose en
                d'autres mots encore, sous notre écorce de misère, nous
                participons à la vie divine. Et cette participation,
                elle sera pour nous : foi, espérance et charité. Foi : c'est la Parole de Dieu qui habite en nous. Cette
                parole n'habitait pas dans les interlocuteurs de Jésus.
                C'est pour ça qu'ils ne le connaissaient pas, qu'ils lui
                étaient étrangers. Mais elle habite en nous. Et
                puisqu'elle habite en nous, elle devient l'âme de notre
                pensée et de notre agir. Nous n'agissons plus exactement
                comme des hommes. Nous agissons déjà, et nous pensons
                déjà, et nous réagissons déjà comme les fils de Dieu que
                nous sommes, que nous devenons toujours davantage. Mais cette manière de vivre à la façon de Dieu
                s'appelle aussi Espérance. Espérance, ça veut dire
                possession. Pour prendre un exemple : dans
                l'Eucharistie, que nous célébrons maintenant, nous
                recevons les prémices du Royaume de Dieu, et des
                prémices bien réelles. C'est le Christ lui-même que nous
                mangeons, qui devient nous. Et nous devenons lui, et
                nous sommes dans son Royaume, mais bien réellement : le
                Royaume est arrivé ! Je donne de ma substance à mon frère. Je reçois sa
                substance à lui. Et ainsi se forme imperceptiblement mon
                corps spirituel dans lequel déjà je ressuscite, dans
                lequel déjà je suis dans le Royaume. Et voilà la
                Charité. Mes frères, notre vie chrétienne, notre vie monastique,
                notre vie contemplative est extraordinairement belle et
                emballante, même à travers les terribles épreuves de
                l'acédie. Rappelons-nous ce qui nous a été dit : à ce
                moment-là, tout au fond de nous, là où notre conscience
                n'accède pas, il s'opère une mutation. Le vieil homme
                meurt et l'homme nouveau naît. Mes frères, ne perdons pas notre temps, ne gaspillons
                pas nos énergies. Nous sommes, nous devons être, et
                disons-le franchement, nous sommes déjà pour Dieu et
                pour nos frères, des hommes de demain.Amen. Chapitre : Clôture de la retraite. 21.03.80Le moine ouvrier de Dieu.Mes frères,Aujourd'hui un peu partout dans le monde chrétien et
                surtout monastique, s'ouvre officiellement et
                solennellement l'année jubilaire de Saint Benoît. Nous
                avons fait précéder cet événement d'une retraite
                originale par sa forme et son contenu. Mais nous n'avons
                pas attendu cette retraite pour remonter à nos origines
                et pour nous abreuver aux eaux de l'Esprit. Déjà au jour de l'an, nous avons décidé que l'année
                1980 imprimerait sa marque dans la chair spirituelle de
                notre corps monastique. A présent, à la suite de cette
                retraite, nous nous sommes forgés une conviction mieux
                assise de notre idéal. Nous allons poursuivre notre
                route avec une ardeur plus vigoureuse et nous ne nous
                arrêterons pas que Dieu n'ai t achevé en nous son
                projet. Je voudrais, à l'occasion de ce dernier entretien,
                soulever une question qui me préoccupe depuis un certain
                temps. Je vais essayer de lui donner une réponse. Oh,
                cette réponse ne sera pas la dernière. Elle ne sera pas
                englobante, elle ne sera pas définitive. Elle nous
                apportera tout de même quelque chose. Elle pourra être,
                dans notre vie personnelle et dans notre vie de
                communauté, un facteur supplémentaire d'unité. Elle nous
                fera mieux comprendre ce que Dieu attend de nous,
                lorsqu'il nous retire du monde et qu'il nous plante dans
                ce jardin qui est le sien. Et cette question la voici : quelle explication peut-on
                apporter au succès prodigieux et à l'inépuisable
                fécondité de la Règle de Saint Benoît ? On a déjà avancé
                nombre de réponses : la discrétion de la Règle, son
                équilibre, sa mesure, sa modération. Des facteurs
                d'ordre politique et d'ordre économique aussi ; par
                exemple la nécessité d'unifier l'empire carolingien.
                Mais vous comprenez que tout cela demeure dans les
                couches superficielles du problème. Il est possible
                d'atteindre le soubassement. Et c'est ce que nous
                tenterons de faire. D'abord, prenons bien garde de ne jamais couper Saint
                Benoît de ses devanciers, Saint Benoît se trouve au
                sommet d'un phylum, d'une tige qui plonge ses
                racines extrêmement bas et très très loin dans le
                terreau monastique. Cette tige s'élève et voilà qu'au
                sommet s'ouvre une fleur; et cette fleur, c'est Benoît.
                Cette fleur donne un fruit arrivé à maturité, c'est la
                Règle. La Règle de Saint Benoît est donc le témoin d'une
                expérience de vie, pas seulement la vie du moine Benoît,
                mais aussi celle de tous ses prédécesseurs. Pourtant, se
                manifeste chez Benoît comme un éclair, un éclair génial,
                une intuition d'ordre surnaturel et c'est elle qui va
                donner à cette Règle de vie, à cette Regula
                  monachorum, sa puissance de pérennité. Une
                pérennité dans l'être et encore une sorte de fécondité,
                comme un sein qui s'ouvre, qui donne naissance,
                toujours, à de nouvelles interprétations, à de nouvelles
                lectures, à de nouvelles avancées. Une Règle qui va
                s'introduire partout, qui va se justifier partout où
                elle se répandra. Une Règle qu'on n'aura jamais fini de
                scruter, à laquelle on n'aura jamais fini de se nourrir. Et cette intuition surnaturelle géniale la voilà : pour
                Saint Benoît, le moine est un operarius, il est
                un ouvrier, il est un travailleur, mais pas n’importe
                lequel. C'est un travailleur, mais dans le sens le plus
                beau, le plus noble, le plus divin du terme ; il se
                tient à côté du travailleur qu'est Dieu. Il est le
                collaborateur de Dieu, Dieu s'emparant du moine, Dieu
                travaillant à son oeuvre grâce à cet homme. Dieu ne
                saurait plus se passer de cet homme: sinon le travail
                qu'il a entrepris, qu'il veut mener à terme, ce travail
                se bloquerait comme un rouage qui se brise dans une
                machine callée : les fusibles sautent, c'est fini. Dès l'instant où nous reconnaissons dans le moine un
                travailleur, nous comprenons qu'il s'adapte à toutes les
                situations, à toutes les cultures, à toutes les époques,
                à tous les milieux : il est indéfiniment p1astifiable.
                Au cours des réunions qui seront organisées à tous les
                coins de l'Europe, les hommes du monde vont expliquer
                que le travail du moine bénédictin a donné à l'Occident
                un certain visage ; non seulement à notre Occident
                européen, mais à ce qu'on appelle notre univers
                occidental. Ce monde ne serait pas tel qu'il est
                aujourd'hui si Saint Benoît n'avait pas existé, si Saint
                Benoît n'avait pas rédigé sa Règle, si cette Règle
                n'était pas devenue souffle de vie pour des milliers et
                des milliers d'hommes et de femmes. Dans quel sens faut-il entendre le mot travailleur ? Je
                l'ai évoqué brièvement tantôt : à présent, je dois
                approfondir quelque peu. Je rappelle que c'est dans un
                sens divin. C'est d'ailleurs ce qui confère au moine ses
                quartiers de noblesse. Le moine pourrait faire sienne la
                devise de la corporation la plus belle, celle des
                brasseurs : Labore nobilis, noble grâce a son
                travail. Revenons maintenant à Saint Benoît. Il veut restituer
                le moine à sa condition originelle. L'homme a été créé
                par Dieu pour oeuvrer. Dieu façonne un homme à partir de
                l'humus terrestre, de la glaise matérielle. Il le place
                dans un jardin et il lui confie une mission : celle de
                cultiver, d'embellir et de parfaire ce jardin qu'il a
                installé quelque part et qui, de ce petit coin, devra
                s'étendre à l'univers entier. Il y a là un homme,
                instauré collaborateur, sur les traces de Dieu, dans le
                travail de création, de transformation, de divinisation
                et de transfiguration du cosmos. Remontons aux origines. Au début il n'y a rien, rien
                que Dieu : Dieu seul avec sa Parole et son Souffle. A
                l'autre extrémité, à la fin, au terme, il y a encore
                Dieu ; mais en face de lui il y a l'univers, l'univers
                devenu le resplendissement de la Gloire de Dieu. Dieu se
                contemple dans l'univers, comme dans un miroir ; il s'y
                reconnaît, il y reconnaît sa propre gloire ; Dieu est
                devenu tout en tout. Dans l'entre-deux il y a ce que nous appelons la
                création. A un stade donné de cette évolution, surgit de
                la terre, un être nouveau : l'homme. Cet être nouveau
                n'est rien d'autre qu'un produit de l'univers ; c'est la
                conscience que l'univers a de lui-même, la conscience
                que l'univers prend de son existence et de sa vocation.
                A partir de cette heure, le monde travaille à se propre
                évolution, à sa croissance, à son perfectionnement. Dieu n'est plus seul à créer ; il existe 2 créateurs;
                le premier, qui est Dieu, et son subordonné, qui est un
                ouvrier, un travailleur : l'homme, modeste artisan aux
                côtés du Maître d'oeuvre. Mais les déboires commencent
                vite pour Dieu. Ce travailleur veut travailler, oeuvrer
                pour son compte personnel, pour son profit personnel. Et
                c'est cela que nous appelons le péché. L'homme se
                corrompt ; il devient malade. Et Dieu doit incessamment,
                continuellement, reprendre ; il ne perd jamais courage.
                Chaque fois qu'un homme vient au monde, Dieu se dit :
                Avec lui, ça ira. Notez que c'est arrivé, nous le
                verrons dans quelques instants ; mais enfin, pour
                l'instant, nous sommes dans la corruption, la maladie et
                le péché. Quel est donc le propos de Saint Benoît ? Pour Saint
                Benoît, le moine parfait, c'est un ouvrier qui a
                retrouvé la santé, l'ardeur au travail, la confiance ;
                c'est un operarius mundus a vitiis et peccatis,
                un ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés,
                purifié de toutes ses maladies. Remarquez ici une toute
                petite particule, un adjectif possessif in operario
                  suo, dit Saint Benoît, c'est son ouvrier,
                c'est l'ouvrier de Dieu. On sent qu'il y a chez Dieu un
                sentiment de fierté ; Dieu est heureux, Dieu est joyeux
                : voilà que son ouvrier est redevenu le sien, en toute
                vérité. Cela fait penser à ce qu'il dit à propos de Job: " 
                  As-tu vu mon serviteur Job ? Ici, au Satan il va
                dire : As-tu vu mon ouvrier ? Maintenant, tu peux
                parler ; je l'ai repris, il est de nouveau à moi. Le
                voici dans ma main, un outil, un instrument de première
                qualité : il est vraiment fait à ma main. Avec cet
                outil, Dieu va pouvoir ciseler une multitude de
                chefd'oeuvres. Lesquels ? C'est son affaire ; c'est son
                secret ; c'est une surprise. Il va produire ses
                chef-d’œuvres, il va les mettre de côté et, un jour il
                va organiser une exposition. Il y a beaucoup d'expositions cette année, même des
                expositions itinérantes ; eh bien Dieu, lui, va tenir en
                réserve ses chef-d'œuvres, non pas dans un musée, mais
                là, dans son coeur, c'est-à-dire dans son secret. C'est
                son affaire à lui et l'affaire de son ouvrier. Au
                dernier jour, toute cette collection sera exposée; elle
                sera le resplendissement de ce qu'Il est, lui, et aussi
                de ce qu'est cet ouvrier. Car le moine, à partir de ce
                moment, prend la responsabilité de ce qu'il fait ; il
                travaille selon ce qu'il est. Dieu lui confie un plan. Le plan, c'est sa Parole mise
                par écrit, l'Ecriture. A partir de là, le moine,
                scrutant cette Ecriture, déchiffre le plan de Dieu, ce
                que Dieu lui demande personnellement comme travail et il
                l'exécute. La première oeuvre d'art que Dieu réalise est
                le moine lui-même. Voici qu'il fait de cet homme, hier
                encore pécheur et malade, voici qu'il en fait une image
                de ce qu'il est lui, Dieu. Lorsque Dieu regarde cet
                homme, il s'y reconnaît ; il peut se dire : Est-ce que
                je me trompe ? Est-ce possible? C'est moi que je vois ! Mes frères, le moine devient alors non seulement pour
                Dieu, mais aussi pour les autres hommes, un prototype :
                le prototype de la création achevée, de la création
                telle qu'elle sera au dernier jour. C'est la raison pour
                laquelle il est un être eschatologique. Il est l'homme
                d'aujourd'hui, parce qu'il travaille. Mais dans ce qu'il
                devient, dans le matériau qu'il est en train de devenir,
                il est déjà l'homme du dernier jour. Saint Benoît place le moine au coeur de l'intention
                divine. L'homme nouveau est là, immobile, dans un foyer,
                un peu à la manière du premier moteur qui n'est autre
                que Dieu, le premier moteur qui meut absolument tout
                sans être mu lui-même. La puissance de Dieu habite en
                lui ; le Verbe de Dieu s'incarne à nouveau en lui et à
                travers lui agit avec puissance. Partout, à tout moment,
                au coeur de ce foyer, il transcende et l'espace et le
                temps. Le symbole du lieu secret où habite le moine est ce que
                Saint Benoît appelle les claustra monasterii, le
                cloître, la clôture, l'endroit fermé, clos, où le moine
                est. La garantie, la caution, que cet homme n'est pas
                dans l'illusion, c'est le fait qu'il travaille de ses
                mains. Telle est la raison la plus essentielle du
                travail manuel pour un moine. Mes frères, voilà donc, à mon sens, ce qui fait la
                valeur permanente de la Règle de Saint Benoît, ce qui en
                explique la réussite, le rayonnement, j'oserais presque
                dire ce qui en garantit la pérennité. Le monastère est
                une école qui forme des ouvriers hautement spécialisés,
                des hommes qui vont coopérer à l'oeuvre, l'opus,
                la plus divine qui soit, à savoir : travailler avec Dieu
                à la divinisation du monde. Les Cisterciens ont repris
                cet idéal. Ils y ont ajouté une note spécifique; ils ont
                vu, ils ont découvert, ils ont admiré un modèle
                d'ouvrier de travailleur. Et ce modèle est Marie, la Mère du Christ Jésus. La
                dévotion - j'emploie ce mot faute de mieux - des
                premiers Cisterciens à la Vierge Marie a fleuri tout
                naturellement dans le contexte de leur époque. On est au
                siècle de la courtoisie : la Dame de mes pensées, celle
                pour laquelle je vais accomplir des exploits
                extraordinaires. D'accord. Mais il faut aller plus loin
                encore et toujours plus loin. Marie a été, pour eux, la
                femme qui, par son oui inconditionnel, est devenue la
                collaboratrice la plus directe, la plus immédiate de
                Dieu dans le travail de création, de sauvetage et de
                transformation du monde. Elle est devenue, ainsi, leur
                inspiratrice. Voyez comme tout cela est beau, comme tout cela
                s'emboîte bien. Ils ont recueilli son testament, le
                testament spirituel de Marie. La toute dernière parole
                qu'elle ait prononcé avant de se taire pour jamais est
                celle-ci : Tout ce qu'il vous dira, faites-le !
                Telle est la devise de l'ouvrier ou de l'ouvrière
                parfait : Tout ce qu'il vous dira, faites-le !
                Collaborez, n'hésitez pas, faites confiance ! Si vous
                n'êtes pas capables de le faire en ce moment, c'est lui
                qui le fera en vous. Il ne vous demande qu'une chose :
                vous ouvrir à lui, par un oui sans condition. Mes frères, au terme de cette retraite et en guise de
                conclusion, je voudrais exprimer un double souhait.
                D'abord que. notre monastère devienne de plus en plus un
                atelier, officina comme dit Saint Benoît, une
                officine où vivent des ouvriers de Dieu. Des ouvriers
                qui réalisent avec Dieu, par Dieu et pour Dieu, des
                oeuvres grandes et belles, toujours plus grandes,
                toujours plus belles. Et un second souhait qui nous regarde ici chacun
                personnellement : efforçons-nous de devenir de vrais
                fils de Dieu, des hommes dans lesquels bouillonne la vie
                divine, dans lesquels l'Esprit est maître, dans lesquels
                bat le coeur du Christ. Des ouvriers qui, grâce à leur
                collaboration avec Dieu, se situent à la fine pointe de
                l'évolution. Et qu'ainsi nous puissions être pour nos
                contemporains, pour ceux qui nous voient, les hommes du
                XXI° siècle. Homélie du vendredi. 21.03.80*Gen, 12 ,1-40. * Col, 3 ,12-17. * Jn, 17,20-26.Mes frères,A l'audition des paroles de l'Apôtre, orchestrant
                puissamment celles du Christ, nous comprenons mieux que
                la Règle de Saint Benoît s'adresse à des débutants, à
                des hommes encore charnels qui font leurs premiers pas
                sur la route qui doit les conduire à être un avec Dieu
                dans l'amour parfait et dans une joie inamissible. Saint Benoît, lui, était arrivé au bout du chemin. Et
                les disciples qui venaient à lui, il ne les écrasait
                pas. Il ne les bousculait pas, ne les pressait pas. Mais
                en père aimant, il marchait à leur petit pas. C'est là, mes frères, la marque de vrai spirituel.
                Saint Benoît avait des entrailles de miséricorde. Il
                était bon, patient, doux, tolérant, conciliant, aimable.
                Il était, pour ses frères, révélation de la Trinité. Il
                était, pour eux, puissance sécurisante, pacifiante du
                Père. Il était présence tendre, chaude, caressante de
                l'Esprit. Mes frères, n'oublions jamais que dans le texte de la
                Règle, dans chaque phrase, sous chaque mot bat un cœur :
                le cœur d'un homme, d'un saint, le cœur de Dieu.
                Permettez-moi maintenant une question. Serait-il
                possible que nous devenions les uns pour les autres, des
                répliques de notre Père Saint Benoît ? J'ose répondre
                catégoriquement : oui, c'est possible. Et cela vaut en
                tout premier lieu pour l'Abbé. Mais comment y arriver ? C'est très simple. Il suffit de nous laisser façonner
                par ce saint qu'était Benoît, c'est-àdire par sa Règle.
                Et cette Règle peut se résumer en 3 mots : croire,
                  écouter, suivre. Croire le Christ, écouter le
                Christ, suivre le Christ dans la personne de l'Abbé. Le
                Père dans le Christ, le Christ dans l'Abbé, l'Abbé dans
                chacun des frères, et nous voici tous consommés dans
                l'unité ; et voici notre communauté devenue une portion
                du Royaume de Dieu sur la terre.Mes frères, remercions Dieu pour la grâce de ce jour et
              puisse cette année jubilaire voir triompher en chacun de
              nous la force de la résurrection ! Amen.
 Fin de la retraite.Mes frères,Chapitre : Conclusions de la retraite. 23.03.80
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de la retraite ?
                Je parle de conclusions, non pas de résolutions. Les
                résolutions sont l'affaire de la conscience de chacun.
                Mais d'abord, je voudrais adresser un merci sincère à
                chacun d’entre vous. Aux orateurs d'abord, car la
                plupart ont du fournir un gros effort de préparation et
                aussi au moment de l'élocution. Je remercie aussi les
                auditeurs pour leur fidélité, leur assiduité, pour leur
                sympathie, pour leur bienveillance. Je n'ai pas entendu une seule parole défavorable. Non,
                tout le monde était ouvert, tout le mande était heureux
                et tout le monde était contant. Il régnait, ça vous
                l’avez remarqué comme moi, il régnait dans toute
                l'Abbaye une ambiance d'intimité, de recueillement, de
                silence. Et ça se remarquait, ça se lisait dans les
                regards, dans les gestes, dans les démarches. C'est le
                signe qu'il se passait quelque chose. Remercions Dieu, la grâce a certainement ventilé nos
                coeur. Et il faut maintenant donner au fruit de mûrir
                dans la patience. Nous ne devons pas laisser s'évaporer
                les grâces que nous avons reçues ; nous ne devons pas
                non plus les tenir là, comme si elles allaient
                s'échapper. Non, laissons-les travailler ! Il va arriver
                à l'heure de Dieu quelque chose que nous ne pouvons pas
                prévoir maintenant, mais qui est déjà là ! C'est la
                grâce de la résurrection qui a trouvé en nous une
                nouvelle vigueur. Laissons-la faire ! Une constatation aussi très belle, on me l'a d’ailleurs
                fait remarquer, je ne l'ai pas trouvé seul : c'est que
                l’Esprit de Dieu repose sur la communauté comme tel. Il
                n'a pas été donné à une personne. Il a été donné à nous
                tous ensemble, dans la mesure où nous formons un Corps.
                De même que l'Esprit a été donné à l'Eglise, ainsi
                a-t-il été donné à la petite Eglise que nous formons. Et
                cet Esprit s’est exprimé par la bouche des frères ; par
                la bouche de ceux qui ont parlé, par la bouche de ceux
                qui ont donné leurs impressions. Et voila ce qui est
                remarquable ! Et la preuve que c'est vraiment l'Esprit de Dieu qui
                nous habite, c'est que nous n'avons perçu aucune
                discordance. Chacun a parlé suivant ce qu'il était,
                suivant je dirais ses idées du moment, ses problèmes du
                moment, ses questions du moment. Mais tout concourait,
                avançait dans la même direction. C'était le même Esprit
                qui disait toujours la même chose, mais sur des modes
                différents suivant les personnes. Et c'est ça qui est
                beau. Et c'est ça qui est la preuve indubitable que nous
                formons une Eglise, et que cette Eglise vit, et que
                cette Eglise est saine. Et alors je vais dire quelque chose d'un peu étonnant
                peut-être ? Ce n'est pas extravagant ? Non, c'est la
                constatation aussi d’une vérité. C'est que une vrai
                communauté monastique, elle est une communauté de
                prophètes, elle est un peuple de prophètes. Rappelez-vous cette expression de Moïse : Oh, si tous
                les fils d’Israël pouvaient être des prophètes ! Parce
                que, vous savez, lorsque l’Esprit était descendu sur
                quelques hommes choisis par Moïse, choisi par Dieu donc,
                il y en avait deux qui étaient restés dans le camp. Et
                voila que ces deux là qui n'étaient pas venus,
                prophétisaient aussi. Il y en avait qui étaient jaloux,
                qui venaient dire : Oh mais Morse attention ! Il y en a
                qui font comme toi là bas. Pourquoi serais-je jaloux,
                demandait Moïse. Ah si tout le peuple pouvait être un
                peuple de prophètes.Eh bien, mes frères, une communauté monastique est aussi
              un peuple de prophète. N'ayons pas peur de le dire,
              n'ayons pas peur de le savoir et de le vivre. Mais dans ce peuple de prophètes il y a tout de même un
                Moïse. Et le Moïse, c'est l'Abbé. L'Abbé, c'est le
                visionnaire, c'est celui qui voit Dieu, c'est celui
                auquel Dieu parle comme un ami à un ami, celui qui parle
                aussi à Dieu de bouche à bouche. Et c'est la raison pour
                laquelle parfois sa langue est comme liée, parce que les
                choses qu'il doit dire le dépasse. Il est aussi le médiateur entre Dieu et les frères.
                C'est lui qui communique aux frères les Paroles que Dieu
                lui a dites. Les ordres, les instructions, les
                ordonnances, les exigences de Dieu, c'est lui qui les
                communique, et ce n'est pas toujours agréable ! Il est aussi le guide. Il a vécu, non pas quarante ans,
                ce qui est beaucoup, mais il a tout de même vécu des
                années et des années déjà, lui, dans le désert. Il en
                connaît les pistes et les étapes. Alors il peut, à
                travers ce désert, conduire les frères vers ce lieu
                promis où Dieu les attends. Voilà le Moïse. Mais ce Moïse n'est pas distinct des frères, il n'est
                pas au dessus des frères. Il est une émanation de la
                communauté. Il est la conscience que la communauté a
                d'elle-même. Il vit en symbiose parfaite avec les
                frères, comme la tête et le corps. Un corps sans tête,
                on ne sait pas ce que c'est ! Une tête sans corps, ce
                n'est rien du tout ! C'est l'ensemble qui forme le
                  corpus monasterii, le corps du monastère.
                L'expression de Saint Benoît est si belle ! Mais voyons
                là dans toute son ampleur. Mes frères, nous avons vécu au cours de cette retraite
                une expérience spirituelle authentique, ne l'oublions
                pas. Et quand je dis spirituelle, c'est dans le sens le
                plus précis du mot : une expérience de l'Esprit qui
                était en nous, qui était tout partout dans le monastère
                et qui a fait avec nous et en nous de belles et grandes
                choses. C'est cela, croyez-m'en, le véritable charismatique,
                c'est cela ! C'est quelque chose que l'on reçoit de
                Dieu, quelque chose qu'on a demandé, quelque chose qu'on
                a mérité de recevoir. Ce n'est pas du farfelu, ce n'est
                pas quelque chose qui arrive ainsi et puis qui ne se
                reproduira plus, et qui met les gens en transe, et puis
                qui les épuise, qui les rend malades, et puis qui les
                rend après inaptes à la vie terne de tous les jours.
                Non, le vrai charismatique, c'est ce que nous avons
                vécu, ne l'oublions pas non plus ! Et alors en conclusion je vais encore dire ceci : plus
                un moine s'oublie, plus un frère laisse en lui la place
                au Christ, plus il devient un spirituel. Ce n'est plus
                lui qui vit, c'est l'Esprit qui l'anime. L'Esprit de
                Dieu devient son âme. Et encore une fois, l'Esprit de
                Dieu c'est l'amour, c'est un amour qui n'aura pas peur
                de se sacrifier pour les autres, de s'oublier pour les
                autres. Il s'oublie pour le Christ, il s'oublie pour le Christ
                qui est dans son frère et qui vient à lui. Et ainsi,
                encore une fois, la communauté monastique, le Corps
                secret grandit, vit de plus en plus violemment presque.
                Voyez, il n'y a non pas une agitation, mais une force
                comme une force volcanique qui parfois fait trembler le
                Corps, mais pour un surcroît encore de vitalité. Et ainsi, mes frères, va grandir en chacun de nous le gaudium
                  Spiritus Sancti, la joie de l'Esprit Saint. Il est
                remarquable que Saint Benoît emploie le mot gaudium,
                le mot joie, uniquement dans le contexte du carême et en
                rapport avec l'Esprit Saint. La vraie joie du moine,
                c'est la joie qui lui vient de l'Esprit. Et la joie qui
                vient de l'Esprit, c'est déjà, comme le signale aussi
                Saint Benoît, la joie de la Pâque qui est en route déjà,
                la Sanctum Pascha, la Pâques éternelle. Elle est
                celle dans laquelle nous sommes déjà entrés, et celle
                pour laquelle nous sommes éternellement destinés. Chapitre : Dimanche des Rameaux. 30.03.80La Liturgie de la Semaine Sainte.Mes frères,Les actions liturgiques de la Semaine Sainte remontent
                à la plus haute Antiquité, et certaines ont pris
                naissance à l'endroit même où les événements se sont
                passés. La Vigile Pascale, par exemple, est le décalque
                évolué, adapté du Seder Juif, du Rituel de la Pâque
                Juive. Ce rituel que Jésus lui-même a célébré, et au
                cours duquel il a instauré son Eucharistie. Nous devons prendre garde en célébrant la liturgie de
                ne pas faire de l'historicisme, c'est à dire ne pas
                avoir le souci de reconstituer exactement dans le détail
                les choses telles qu'elles se sont passées. Mais nous
                devons, par le biais de la liturgie, entrer dans le
                mystère de Dieu et laisser ce mystère prendre possession
                de notre personne. C'est pourquoi les paroles et les gestes que nous
                posons au cours de la liturgie ont une importance
                capitale dans notre sanctification. Il serait utopique
                d'espérer arriver à Dieu, dans les circonstances
                normales naturellement - or ici, nous sommes dans un
                milieu normal d'arriver à Dieu en faisant fi de la
                liturgie. Dieu a voulu devenir homme pour que nous
                puissions participer à sa vie à lui. Mais maintenant qu'il est devenu homme, cette vie
                divine, qu'il porte dans sa chair, doit se diffuser
                partout dans le monde. Elle. se diffuse grâce à l'Eglise
                et à l'intérieur de l'Eglise par les sacrements. Et
                toute la liturgie n'est rien d'autre que l'orchestration
                de cette vie ecclésiale, de cette vie chrétienne, de
                cette vie divine. Et il est impossible de subsister
                surnaturellement à côté : c'est la mort. Donc mes frères, nous allons donc poser des gestes et
                prononcer des paroles qui sont les signes, les symboles
                des réalités divines. C'est une langue que nous devons
                écouter, une langue que nous devons comprendre, une
                langue que nous devons parler. Mais c'est une langue qui
                n'est pas difficile car elle est innée à notre nature. Pour arriver à nous, Dieu n'a pas inventé un langage
                ésotérique. Non, il nous a pris tels que nous étions.
                Seulement dans notre univers d'aujourd'hui qui est
                tellement technicisé, cette langue liturgique risque
                d'être un peu oubliée. Nous devons donc sans cesse la
                réapprendre, la reparler, nous entraîner à la pratiquer. Et pour cela, nous devons déposer toute prétention.
                Nous devons retrouver la spontanéité de l'enfant pour
                qui tout est langage, tout est symbole. Un enfant entre
                de luimême dans la liturgie. Nous autres, nous devons
                faire un effort. Eh bien, cet effort fait partie de
                notre conversion, car le Royaume de Dieu n'est ouvert,
                n'est accessible vous le savez, qu'à ceux qui sont
                redevenus des enfants. Au cours de cette semaine, nous allons essayer de
                retrouver quelques paroles liturgiques qui avaient été
                laissées de côté, depuis la réforme qui avait été
                proposée par Vatican II. Vous savez ce qui est arrivé :
                on voulait revenir à plus de simplicité. Et la
                simplicité est un des traits de la spiritualité, de
                l’architecture, et de la liturgie cistercienne. C'était
                très bien, mais il ne faut pas confondre simplicité et
                vulgarité. La vulgarité, c'est la laideur. La
                simplicité, c'est la beauté parce que ce qui est simple
                est vrai, est parlant, est éloquent, est attirant... Mais voilà, on a un peu confondu au départ et donc on a
                laissé tomber certains gestes liturgiques qui étaient
                presque essentiels à l'appréhension du mystère de Dieu.
                Mais ça ne fait rien ! Lorsqu'il y a ainsi des périodes
                d'adaptation, il y a toujours des petits faux pas. Mais
                tout ce qui était superfétatoire dans les expressions
                liturgiques, ça ne reviendra jamais plus, c'est fini.
                Mais ce qui était essentiel revient, ça s'impose ! On ne
                peut pas l'empêcher de revenir. Voilà par exemple des petites choses comme celle-ci :
                aujourd'hui, nous allons revenir à la distribution des
                rameaux. C'est à dire qu'une fois qu'ils sont bénis,
                c'est l'Abbé qui remet à chacun son rameau. C'est ainsi
                que cela se faisait auparavant dans toutes les
                liturgies, même dans le monde. Naturellement dans le
                monde, lorsqu'il y avait là toute une église remplie de
                gens, c'était parfois difficile. Alors on réduisait
                cela, et le prêtre remettait le rameau à certaines
                personnes, ou ne fut-ce qu'aux enfants de choeur. Mais pourquoi alors cette distribution ? Mais c'est le
                geste tout naturel de la  traditio, de la
                tradition. Tout ce que nous sommes, tout ce que nous
                avons, tout ce que nous possédons, mais nous le recevons
                de Dieu notre Créateur, notre Rédempteur. Il n'est rien
                que nous ne tenions de lui. Lorsque nous lui offrons
                quelque chose, comme le dit un des Canons de la messe,
                c'est encore de ses propres dons que nous lui offrons. Et c'est aussi l'Abbé qui distribue le buis, parce que
                dans le monastère c'est lui qui tient la place du
                Christ, la place du Christ de qui nous tenons tout.
                Et lorsque nous les acceptons, ces rameaux, nous faisons
                gestuellement ce que Saint Benoît recommande : omnia
                  sperare a patre monasterii, 33,5, tout attendre du
                Père du monastère. C'est donc un peu d'une certaine
                façon un renouvellement de l'engagement à Dieu dans la
                personne de l'Abbé qui tient la place du Christ. Voyez
                la beauté du geste, le donner et le recevoir : c'est
                toute la vie monastique, c'est toute la vie chrétienne,
                c'est même toute la vie humaine. Nous allons aussi au cours de la procession reprendre
                les stations. Les stations, ce sont- les anciens s'en souviennent - ce sont des haltes à
                certains endroits des cloîtres au cours de la
                procession. Ces stations sont extrêmement anciennes.
                Elles remontent à l'Ancien Testament. Vous vous en
                souvenez : lorsque on a transféré l'Arche de l'endroit
                où elle se trouvait vers Sion. On avait à peine fait
                quelques pas avec l'Arche, qui était le siège, le trône
                de Dieu, que la procession s'arrêtait et on immolait des
                victimes. Et ainsi de suite.
 N'oublions pas qu'une procession, ce n'est pas une
                manifestation, un meeting comme maintenant : on descend
                dans la rue et puis on processionne pour manifester.
                Non, c'est autre chose. C'est le peuple de Dieu, ici
                dans le monastère c'est la portion du peuple de Dieu,
                qui est en route vers la Maison de Dieu, vers le Temple,
                vers l'endroit où Dieu nous attend. Et c'est le Christ
                qui nous précède. Donc nous marchons posément, et de
                temps en temps - car pour s'approcher de Dieu, pour
                entrer chez Dieu il faut être très pur - eh bien nous
                nous purifions à l'aide d'un sacrifice. Ce n'est plus maintenant un sacrifice sanglant, mais
                c'est un sacrifice de louange. C'est le sacrifice de nos
                lèvres, c'est le sacrifice de notre coeur. On s'arrête
                au coin du cloître, on se tourne l'un vers l'autre, on
                chante une antienne et quelques versets et puis on
                reprend la route. C'est cela une procession monastique,
                une procession chrétienne et même une procession Juive.
                Voyez comme ça remonte loin ! Et lorsqu'on laisse tomber
                ces stations, qu'est-ce qu'on ne perd pas? C'est comme
                si on montait à l'assaut de la citadelle où Dieu habite,
                ça fait penser à Babel. Mais non ! Imaginez un petit peu une communauté d'homme, ici c'est
                presque le paradis, d'hommes qui tous verraient la
                Lumière de Dieu, baigneraient en elle, la respire, la
                boive, la mange. Alors ils s'avancent vers la cité de
                Dieu, cette cité de Dieu qui rayonne sur eux. Ils sont
                pris dans le rayon, ce rayon dans lequel Saint Benoît
                voyait l'univers entier. Vous l'avez entendu dans les Dialogues encore, qu'il a
                vu l'âme de Germain qui montait vers le ciel sur une
                route de lumière. Et lorsque Benoît lui-même est monté
                au ciel, quelques uns de ses disciples qui étaient au
                loin, ont vu aussi une route balayée de lumière. Et
                l'âme de Saint Benoît suivait cette route. C'est cela ! C'est cela la procession d'hommes qui voient Dieu. Et
                alors ils s'avancent avec un respect infini. Ils n'osent
                presque pas avancer. Ils s'arrêtent de temps en temps
                pour de nouveau essayer de se purifier encore. C'est
                cela la procession ! Nous allons reprendre une
                tradition, ne l'oublions pas, qui a été pratiquée ici à
                Saint Remy pendant 750 ans. Et en cette année de
                l'Anniversaire, eh bien, nous rentrons dans ce que nous
                devions toujours faire. Maintenant le Vendredi Saint ? Le Vendredi Saint, à
                l'Office de Tierce, nous allons chanter les
                Lamentations, et à l'Office de Sexte nous allons chanter
                les Psaumes de la Pénitence. Ces Lamentations, mais
                c'est aussi des Psaumes, des chants qu'on adressait à
                Dieu, vous vous en souvenez certainement, auparavant au
                cours de l'Office de nuit, sur une mélodie très belle.
                On reprenait même chacune des lettres Hébraïques :
                Aleph, Beth, Gimmel. Et pourquoi ? Mais parce que ce
                chant des Lamentations, ce jour là, remonte aussi aux
                origines. Vous vous souvenez que Jésus, un jour qu'il s'est
                approché de Jérusalem, mais il s'est lamenté sur le sort
                de Jérusalem ? Et les femmes qui l'ont rencontré
                lorsqu'il montait vers le calvaire, elles ont aussi
                pleuré sur lui. Qu'est-ce qu'elles ont fait ? Elles ont
                chanté des Lamentations. C'est cela ! Alors aujourd'hui, au moment où le Christ est crucifié,
                eh bien, nous aussi de tout notre coeur, nous allons
                pleurer avec l'univers entier qui tue son Dieu et nous
                allons chanter les Lamentations. Nous allons donc
                reprendre quelque chose de très antique. Et alors les Psaumes de la pénitence ? Nous l'avons
                déjà fait l'année dernière, et ça va de soi ! Au moment
                où le Christ est sur la croix, il agonise et il prie. Il
                avait demandé à ses disciples : Mais est-ce que vous
                  ne sauriez pas rester à prier une heure avec moi ?
                Mais non, à ce moment là les disciples sont bien loin de
                tout ça, ils ne savent pas ce qui se passe, ils
                s'endorment. Eh bien nous, nous allons chanter les
                Psaumes de la pénitence pour essayer à ce moment là de
                nous reprendre et de savoir ce que nous faisons dans
                notre vie monastique et dans notre vie chrétienne. Aussi pendant les oraisons ? Mais c'est uniquement pour
                cette année. Il y a donc les Oraisons Solennelles. Nous
                en ajouterons deux cette année-ci : une, pour l'Ordre
                Monastique à l'occasion du Jubilé de Saint Benoît, et
                l'autre pour notre monastère à l'occasion du 7500
                Anniversaire de sa fondation. Au moment de la vénération de la Croix, nous adopterons
                cette année-ci, puisque la croix est voilée, la forme du
                dévoilement. On dévoile donc la croix en trois
                mouvements, et chaque fois la croix se déplace dans le
                presbytère pour arriver en face de l'autel. Il y a
                chaque fois une invocation : Voici le bois de la croix.
                On s'agenouille pour vénérer la croix, puis on se
                redresse. Puis viendra le chant des Impropères, les
                Impropères ou les reproches ! Ici nous suivons le
                missel, le missel qui prévoit le chant des Impropères
                ponctué de l'Agios. Ici il faut bien comprendre encore la différence qu'il
                y a entre la célébration des Rameaux et celle du
                Vendredi Saint. Le jour des Rameaux, on va aussi nous
                lire le récit de la Passion, comme le Vendredi Saint.
                Mais cette année-ci, le jour des Rameaux nous célébrons
                le Fils de David. C'est à dire Jésus fils de Dieu
                toujours, mais dans son humanité en tant qu'il est
                homme. Il est le Fils de l'homme, il est le Messie, il
                est le Roi de l'Humanité. Le jour du Vendredi Saint, nous célébrons le Fils de
                Dieu, le Christ en tant qu'il est Dieu. C'est Dieu qui
                est mis à mort, et c'est Dieu qui meurt ce jour là. Donc
                l'Agios, le Dieu Saint, le Dieu Fort, le Dieu
                Immortel s'adresse au Christ, pas à Dieu le Père mais au
                Christ. Maintenant, les reproches qui sont mises dans la bouche
                du Christ sont empruntées à l'Ecriture. Ce sont les
                Paroles de reproche que le Dieu de l'Alliance, le Dieu
                de l'Ancien Testament adresse à son peuple. Car il l'a
                fait sortir d'Egypte, il l'a comblé de biens sur la
                terre promise et voilà que en reconnaissance, il
                crucifie son Dieu ! Mais que t'ai-je donc fait pour que
                tu me traites ainsi ? C'est le Dieu de l'Ancien
                Testament qui est Jésus Christ. Donc, voilà un contraste ! Cet homme, mais c'est le
                Dieu qui la fait sortir d'Egypte, c'est le Créateur, et
                c'est Lui qui est traité de cette façon là ! C'est
                extrêmement ancien cela, ça date de l'époque où la
                liturgie était encore célébrée an Grec à Rome. On le
                chantait en Grec, et pour ceux qui ne comprenaient pas,
                on le rechantait en latin. On pourrait très bien
                imaginer qu'ici on le rechante une troisième fois e n
                Français, pour ceux qui ne connaissent ni le Grec ni le
                Latin. Et si on était à Bruxelles, on pourrait encore le
                chanter en Flamand pour que tout le monde soit contant.
                Vous voyez, ça remonte très loin, très, très loin ! Et cet Agios est commun à toutes les Eglises
                aujourd'hui encore : les Eglises PreChalcédoniène, donc
                les Coptes, les Byzantins, les Nestorniens, les Latins,
                tout le monde chante cette invocation. Pourquoi ? Mais
                parce que c'est la proclamation que Jésus est le Fils de
                Dieu. C'était dirigé contre l'hérésie Docète. Certains
                prétendaient que le Verbe de Dieu ne s'était pas
                réellement incarné. Il avait pris une apparence
                d'homme. Et l'homme Jésus, ce n'était pas le Fils de
                Dieu. C'était le masque, un peu la persona, le
                masque dans le sens étymologique du terme, derrière
                lequel agissait le Verbe de Dieu. Mais ce n'était pas le
                Verbe de Dieu. Alors pour détruire cette hérésie, pour
                affirmer la vrai foi, on chantait à l'adresse du Christ
                : Dieu Saint, Dieu fort, Dieu Immortel. Et c'est le Saint, ce Saint Dieu qui va être cloué à
                une croix comme un maudit. C'est le Dieu Fort, Créateur
                des mondes qui va être réduit à la plus totale
                impuissance sur une croix. Et c'est le Dieu immortel qui
                va mourir sur une croix. Voyez la vigueur, ici, de
                l'approche théologique, de l'approche de la foi ! Le missel a conservé ça, mes frères, et nous l'avons
                chanté encore ici, depuis toujours. On a interrompu
                quelques années. Eh bien, nous allons le reprendre cette
                année-ci. Mais maintenant vous en comprendrez mieux la
                raison. Il faut toujours savoir ce qu'on fait. Je vous
                le dis, la liturgie, c'est une langue. Il faut faire un
                effort pour l'apprendre et pour la pratiquer. Et plus on
                la pratique, et mieux on la connaît, comme toutes les
                langues d'ailleurs. Les Impropères sont couronnées, conclues par le chant
                du Psaume 66. C'est le Psaume qu'on chante comme
                invitatoire à l'Office des Laudes, précédé et suivi
                d'une antienne à la croix. Cette antienne est aussi
                extrêmement ancienne, elle est d'origine Egyptienne. Et
                le chant du Psaume 66, pourquoi ? Mais nous allons
                ainsi, après les Impropères, après le chant de l'Agios,
                après avoir adoré le Christ en tant que Dieu qui meurt
                pour nous, nous allons affirmer que c'est de lui que
                nous tenons toute bénédiction. Tout ce que nous
                recevons, tout ce que nous sommes, c'est de lui. Et ici nous retrouvons le geste que nous allons poser
                aujourd'hui en distribuant et en recevant les rameaux.
                Tout vient du Christ et tout retourne à lui pour alors
                être en Dieu. C'est Dieu qui devient tout en
                  tout. C'est ainsi que ce sera à la fin, à ce que
                nous appelons, nous, la fin du monde. Maintenant, la nuit Pascale ? La nuit Pascale, nous
                allons aussi reprendre une tradition en l'adaptant un
                tout petit peu. Pendant la lecture des pages de l'Ancien
                Testament à la première partie de la célébration, le
                premier célébrant, qui sera moi, portera un ornement
                blanc simple. Lorsque ces lectures sont terminées, je
                retourne à la sacristie pour revêtir l'ornement de fête.
                Auparavant pendant les lectures, le célébrant portait un
                ornement violet, qu'il déposait après les lectures pour
                revêtir un ornement blanc. Mais maintenant, comme on ne
                porte plus d'ornement violet, ce sera un ornement blanc
                simple, et puis alors un blanc plus solennel. Pendant le
                retour à la sacristie, la communauté entonne l'Hymne de
                la Résurrection : Invités aux noces de l'Agneau.
                Et puis je reviens par le fond de l'église pendant qu'on
                achève ce chant. Cette hymne, c'est la plus belle de toutes, non
                seulement au plan mélodique, mais surtout par le texte.
                Elle est extraordinaire. Elle est la synthèse parfaite
                de la Rédemption et de la Résurrection, mais dès les
                origines déjà, comme les Juifs la célébraient dans la
                Pâque en prévision de la résurrection des morts, de la
                délivrance finale grâce au Messie qui allait arriver. Il
                faudra un jour, ou plutôt pendant des semaines, essayer
                d'expliquer cette hymne. Je m'y attellerais et vous
                verrez que c'est quelque chose d'incroyablement beau. Et puis, après le lecture de l'Epître qui annonce déjà
                le fait de la Résurrection, aura lieu l'invitation à
                reprendre le chant de l'Alléluia. Le chantre s'avance
                vers l'Abbé et lui dit : Père, nous pouvons maintenant à
                nouveau chanter Alléluia. Puis, ensemble nous descendons
                dans le fond de l'église, là où se trouve l'Evangéliaire
                et nous commençons à chanter l'Alléluia en trois fois.
                Il y a trois chants d'Alléluia. Et ces trois chants d'alléluia, primitivement sont le
                rythme encore d'une procession avec stations : à chaque
                station on chante un nouvel Alléluia. Donc, au départ,
                avant de partir, en présentant l'annonce de la
                Résurrection qui est l'Evangile, la Bonne Nouvelle, le
                Christ est ressuscité, le chantre et moi nous chantons
                le premier alléluia, repris par la communauté. On avance
                et à l'embrasure, une seconde fois le chant de
                l'Alléluia. Et arrivé devant l'autel, en présentant
                l'Evangéliaire à toute l'assemblée, une troisième fois
                le chant de l'Alléluia. Puis, c'est moi qui chante
                l'Evangile. Et pourquoi ? Mais parce que c'est l'Evangile de
                l'année. C'est à partir de cette proclamation de la
                résurrection, que toutes les autres annonces découlent.
                Et c'est donc, comme je tiens la place du Christ, ce
                jour là et la seule fois dans l'année où c'est l'Abbé
                qui annonce que le Christ est ressuscité. Encore une petite chose ! Mais ce sera pour le jour de
                Pâques et pour toute l'Octave de P8ques. L'Octave de
                Pâques fait UN avec le jour de Pâques. Donc, pendant
                l'Octave, il y aura tous les jours trois Nocturnes, et
                au soir le Salut. Mais nous allons faire quelque chose
                qui est aussi primitif dans la liturgie. Il en restait
                des indices, un indice, mais on ne savait plus trop bien
                ce que ça signifiait ? Et nous allons reprendre le geste
                dans son entièreté. On le fait dans d'autres monastères
                aussi, sous différentes formes. C'est le geste de
                l'Offrande de l'encens aux Vêpres, juste avant le
                  Magnificat. Pour les anciens, vous vous en souvenez, auparavant on
                chantait l'hymne, et puis après on chantait le
                  Magnificat. Entre les deux il y avait un verset.
                Et ce verset était celui-ci : Dirigatur Domine
                  oratio mea in conspecto tuo sicut insensum in
                  conspecto tuo, Que ma prière s'élève devant toi
                comme un encens. C'est juste ce qui restait de cette
                offrande de l'encens à ce moment là. Dans certains
                monastères, on place devant l'autel une cassolette avec
                des charbons ardents. Alors on, y jette, on y verse une
                poignée d'encens. Et cette poignée d'encens se dégage
                pendant qu'on chante en choeur le verset : Dirigatur
                  oratio mea, en français alors, que ma prière
                s'élève devant Toi comme un encens. Et puis l'encens
                continue à dégager un peu pendant le Magnificat. Mais ici, ce serait un peu encombrant, un peu
                difficile. Il y aura imposition d'encens et puis
                encensement de l'autel pendant que la communauté chante
                : Que ma prière s'élève devant Toi comme un encens. Et
                c'est aussi un rite qui remonte à l'Ancienne Alliance.
                Au soir, chaque soir, dans le temple il y avait le
                sacrifice de l'encens. Donc, c'est un holocauste de
                parfum qui signifie qu'Israël s'offre tout entier à son
                Dieu et attend tout de lui. Ici, il n'est pas possible de le faire tous les jours.
                Nous le ferons naturellement à Pâques et aux toutes
                grandes fêtes : Ascension, Pentecôte, Assomption,
                Toussaint et Noël, par exemple, pour rappeler aussi que
                c'est à ce moment là que Zacharie a reçu l'annonce de la
                naissance de son fils Jean. C'était au moment de
                l'oblation de l'encens. Eh bien, voilà mes frères, je pense que je vous ai
                décrypté un peu le sens de certains gestes liturgiques.
                Vous voyez qu'ils sont extrêmement importants dans notre
                vie monastique. Et je pense que, en comprenant le sens,
                en comprenant ce langage, nous le parlerons avec plus
                d'aisance. C'est une langue qui va devenir la nôtre. Dimanche des Rameaux. 30.03.80*Monition avant la bénédiction des rameaux.Mes frères,Au début du carême nous avons déposé le cantique 
                  Alléluia. Nous le reprendrons avec une vigueur
                renouvelée à la fin de cette Sainte Semaine. Mais pour
                l'instant, nous portons dans notre coeur, et nous
                laissons monter à nos lèvres l'invocation Hosanna
                ; c'est à dire : Seigneur, viens donc nous apporter le
                salut, ce salut, cet espace de liberté qui nous permet
                de respirer, d'être nous-mêmes, de nous dilater,
                d'arriver à notre pleine stature de fils de Dieu.Et nous le savons, ce salut nous est donné par le Christ
              Jésus. Il a voulu revêtir notre faiblesse pour que nous
              puissions entrer avec lui dans la plénitude de sa gloire. Mes frères, le Christ Jésus, il est ici parmi nous. Il
                écoute nos paroles, il regarde notre visage, il voit
                notre coeur. Nous allons en son honneur bénir les buis.
                Nous allons les porter. Nous les déposerons devant
                l'autel. Ils seront les témoins de notre foi et de notre
                amour indéfectible. Ils resteront là, mes frères, non seulement pour nous,
                en signe de notre attachement, de notre confiance, de
                notre fidélité, mais aussi au nom de tous les frères qui
                sont de par le monde, tous ces hommes qui attendent la
                délivrance, qui attendent le salut qui leur est promis.Ce salut est en eux déjà, mais la plupart l'ignorent
              encore et ils vont chercher la délivrance partout, dans
              des idéologies, dans des évasions en eux-mêmes. Enfin, dans cet homme qu'aujourd'hui on exalte, nous
                regarderons un homme, mais un homme cloué à une croix.
                Mais cet homme n'est rien moins que le Fils de Dieu.
                Mais aujourd'hui, c'est l'homme que nous regarderons, le
                fils de David, le fils de l'homme. Et avec lui nous
                entrerons dans son mystère. Et nous savons qu'il nous
                conduira jusque dans la maison de Dieu, là où il règne
                en Roi maintenant ; et non seulement nous, je le répète,
                mais aussi tous nos frères les hommes. Homélie après la bénédiction des rameaux.Mes frères,Chaque fois que j'entends le récit de l'entrée
                messianique de Jésus à sa ville de Jérusalem, je sens un
                petit pincement au coeur. Ecoutez ! Voyez cette cohue
                enthousiaste, délirante qui acclame son Roi ! Les
                disciples ont vu tellement de prodiges, de signes, de
                miracles, qu'ils ne savent plus se tenir. L'heure est
                arrivée ; le Royaume de Dieu est présent ; le Messie est
                là. Il va rétablir la royauté en Israël, il va l'étendre
                au monde entier. Et Jésus laisse faire, il ne les arrête
                pas. Inutile, rétorque-t-il aux pharisiens, si
                  jamais ils se taisaient, ce sont les pierres
                  elles-mêmes qui commenceraient à crier, parce que
                tout ce qu'ils disent est vrai. Ils ont les yeux ouverts
                et me reconnaissent pour qui je suis. Mais vous, votre
                coeur est obscurci, vous ne voyez pas, laissez-les faire
                ! Et dans quelques jours, mes frères, cette foule se sera
                volatilisée, dispersée, disparue dans la nature, tous,
                même celui que Jésus avait surnommé le roc, la
                  pierre ! Et Jésus restera seul ! Mes frères, ça me fait penser à la Parabole du semeur,
                cette semence qui est jetée le long de la route, dans
                les pierrailles où il n'y a pas beaucoup de terre ; elle
                lève de suite, mais dès que le soleil commence à
                chauffer un peu fort, elle sèche sur place, elle ne
                porte pas de fruit. Il n'y avait pas de racines !Les hommes reçoivent l'événement avec joie, ils
              s'emballent de suite. Mais, dès que la difficulté se
              présente, ils s'évanouissent, ils disparaissent, et ne les
              voit plus ! Mes frères, le moine n'est pas l'homme d'un moment. Il
                s'est engagé à suivre le Christ jusqu'à la mort, jusque
                dans la mort. Pourtant l'épreuve ne lui fait pas défaut
                : épreuves grandes et petites, le plus souvent petites
                mais combien pénibles. Malgré tout, il tient. Il a
                entendu la consigne de son père Saint Benoît : qu'il
                  ne se lasse pas, qu'il ne recule pas, qu'il ne cède
                  pas ! Il sent qu'il y a en lui une force qui n'est pas la
                sienne. C'est la force de son Roi, c'est la force de son
                Messie, de son Sauveur, de son Dieu, de celui auquel il
                s'est donné, de celui qu'il suit. Et cette force, elle
                est là. Il a voulu, ce Jésus, ce Fils de Dieu, revêtir
                la faiblesse d'une chair pour que la force de la
                divinité habite en nous. Mes frères, ce Christ Jésus, il est notre Roi, il est
                notre guide. Il nous précède, il est à notre tête. Il va
                nous guider, nous conduire jusque chez son Père, dans ce
                palais où Dieu trône dans sa majesté de Dieu. Lui, il
                prend place à la droite de Dieu. Et nous, nous serons là
                pour former sa cour. Nous allons le suivre. Nous allons l'acclamer, et nous
                lui dirons de tout notre coeur notre confiance, notre
                fidélité, notre reconnaissance aussi. Nous savons, par
                expérience, qu'il nous aime et que tout ce que nous
                avons, tout ce que nous sommes, c'est de lui que nous le
                tenons. Mes frères, maintenant avançons comme les foules de
                Jérusalem, heureuses d'acclamer le Messie. Et n'oublions
                pas cette Parole de Jésus : Si nous ne chantons pas
                notre joie, alors les murs et les planchers de nos
                cloîtres chanteront et crieront à notre place ! Homélie à l'Eucharistie.Mes frères,La puissance de la ténèbres s'est abattue sur Jésus.
                Elle s'est saisie de Lui. Elle ne l'a pas lâché, qu'elle
                ne l'eut détruit. Or, Jésus était Dieu .Ils ne savaient
                pas ce qu'ils faisaient ! Quand donc les hommes
                savent-ils ce qu'ils font ? Un instinct bestial les
                poussait... Cet homme Jésus était trop pur, il était trop limpide,
                il était trop divinement autre : ça devenait intolérable
                ! Ou bien lui, ou bien moi, mais un doit disparaître ?
                Ce sera LUI !Mes frères, si nous avons le courage de prendre en main
                la lanterne de la lucidité et de descendre dans les
                profondeurs de notre être pour en explorer les ombres,
                nous découvrirons tapis dans un recoin obscur, une bête
                ; la bête qui observe, qui attend, qui prépare le
                meurtre de l'autre, l'autre qui est coupable d'être lui,
                coupable d'être différent, coupable d'occuper ma place !
 Mes frères, vous vous en souvenez certainement, le chef
                d'accusation qui aux yeux des nazis justifiait
                l'extermination des Juifs, c'était celui-ci : Ces
                hommes, les Juifs, étaient coupables du crime d'exister
                !
 Au fond, à travers les autres, c'est Dieu que nous
                essayons d'atteindre, Dieu qui m'empêche d'être tout,
                qui m'empêche d'occuper toute la place, Dieu qui
                m'empêche d'être dieu moi-même ! Le péché, quel qu'il soit est toujours de nature
                métaphysique. C'est toujours contre Dieu, contre l'Etre
                qu'il est dirigé. Oui mes frères, vraiment nous ne
                savons pas ce que nous faisons ! Le moine est un homme qui refuse de céder aux
                enchantements de la bête. Mieux encore, il la débusque,
                il la force dans son repaire. Il l'oblige à venir au
                jour, il la livre à un plus fort, au fort, qui la
                maîtrise et qui la détruit. Saint Benoît ne dit-il pas :  les rejetons de la
                  pensée mauvaise, c'est à dire les enchantements,
                les suggestions de la bête, le moine les prend et les
                  brise contre le roc qu'est le Christ en les révélant à
                  un Père spirituel. Mes frères, le moine ira plus loin encore. Il va
                s'attacher au Christ jusqu'à devenir un avec lui. Et
                comme le Christ, il va donner sa vie pour les autres au
                lieu de la leur prendre, pour que les autres vivent,
                pour qu'ils soient eux-mêmes, pour qu'ils soient
                heureux. Il va la donner goutte à goutte ou par pans
                entiers, mais il la donne. En entendant le récit de cette passion, je me
                reconnaissais à la fois, et du côté des bourreaux, et du
                côté de la victime. Je me voyais un parmi cette foule
                qui hurlait : nous ne voulons pas que Dieu règne sur
                nous. Et j'étais aussi dans la victime, car c'est mon
                péché qui était en elle. Elle avait pris sur elle tout
                le mal qui est en moi, et elle était là qui mourrait à
                ma place ! Mes frères, nous allons entrer humblement,
                respectueusement dans le mystère de cette semaine. C'est
                le mystère du Verbe de Dieu devenu homme, pour que moi
                je puisse devenir participant à sa vie à lui. J'y
                entrerai avec confiance. Et n'oublions pas qu'il a donné
                sa vie pour moi, et que c'est pour moi qu'il l'a perdue
                afin que moi, enfin, je puisse vivre, et tous mes frères
                avec moi ; que nous puissions former ensemble une
                famille baignant dans la même lumière, grandissant dans
                la même vie, unie à la Trinité des Personnes et devenant
                le grand Royaume, là où le Christ est enfin reconnu,
                aimé et adoré pour l’éternitéAmen. Chapitre du Lundi Saint. 31.03.80L’onction à Béthanie.Mes frères,Si vous le voulez, ce soir, nous allons revenir
                quelques instants à l'onction de Béthanie. C'est une
                scène merveilleuse. On pourrait s'attarder longuement à
                chaque détail. Mais je voudrais, aujourd'hui, la voir
                dans son ensemble. Mon attention a été attirée sur une
                espèce de vision, sur un discours qu'elle a été pour
                moi. Je la saisis comme une Parabole, une Parabole taillée
                dans le vif de la chair humaine. Elle nous présente deux
                approches contraires du même événement, cet événement
                étant la mort imminente de Jésus : une approche
                spirituelle et une approche charnelle. Il y a dans cette salle nombre de convives. La mort de
                Jésus est décidée, elle est inéluctable. Certains
                l'ignorent. D'autres se refusent à y croire. Pierre par
                exemple, qui disait : Ah non Seigneur, ça ne
                  t'arrivera pas ! une chose pareille ! Mais il y en
                a pourtant qui savent de science sûre qu'il va mourir.
                Et parmi ces personnes, il y a une femme : Marie.
                Pourquoi Marie sait-elle ? Elle sait parce qu'elle aime. Elle vit dans le coeur de
                Jésus et Jésus vit dans son coeur à elle. Nous savons
                par un autre évangéliste que Marie se nourrissai1 des
                Paroles de Jésus, exactement comme Jésus, lui, se
                nourrissait des Paroles de son Père. Elle ne formait
                plus, à cause de ce commerce avec Jésus, qu'un coeur et
                qu'une âme avec lui. Et son intuition féminine naturelle a été comme
                hypersensibilisée par la grâce, appelons là déjà ainsi.
                Ce n'était déjà plus elle qui vivait de sa vie humaine
                normale, habituelle. Non, elle vivait déjà de la vie du
                Christ. Elle sait donc que Jésus va mourir, et qu'il ne fera
                rien pour échapper à mort, elle le sait d'un instinct
                infaillible. Et que va-t-elle faire ?Elle pose un geste, un geste qui est un langage, une
                parole adressée à Jésus, et que Jésus seul comprend.
                Elle prend un vase de parfum précieux. Elle en répand le
                contenu sur les pieds de Jésus, et elle essuie les pieds
                de Jésus avec ses cheveux. Voilà donc que, et les pieds
                de Jésus, et la chevelure de Marie deviennent un seul
                parfum ; les voici tous les deux enveloppés dans un seul
                parfum !
 Que dit Marie à Jésus ? Elle lui dit d'abord qu'elle
                consent à sa mort, et c'est là un des plus beau
                témoignage d'amour qu'elle pouvait lui donner. Pierre
                aimait aussi Jésus, mais il l'aimait pour lui, pour
                lui-même. Marie aime Jésus pour Jésus lui-même. Elle est
                perdue en lui. Et elle unit son oui, que ce soit consciemment ou
                inconsciemment, ça n'a pas d'importance - car Jésus lui
                le comprend et il le sait ; elle l'unit au oui d'une
                autre Marie, Marie la mère de Jésus. Elle, non plus, ne
                s'est pas opposée à la mort de son fils. Elle y a
                consenti. Dès le premier instant, elle a dit oui à
                l'ange, et à ce moment là, elle avait déjà consenti à
                tout ce qui suivrait.Eh bien, Marie entre dans ces dispositions. Pourquoi ?
              Mais parce qu'elle aime, elle dit oui. Mais à ce moment où elle essuie les pieds de Jésus, ça
                va beaucoup plus loin encore. Voilà, elle lie presque -
                il faut voir le geste, c'est le geste qui est une
                parabole, ici - elle lie Jésus à ses cheveux ! Rappelez-vous ce qui est dit dans le Cantique des
                Cantiques :  Tu m'as ravi par un seul de tes
                  cheveux. Or ici, ce sont tous les cheveux de
                Marie, et des cheveux parfumés ! Voyez un peu ce que ça
                a représenté par après pour Marie ? Voici donc Jésus qui est lié, ligoté dans les cheveux
                de Marie. Or, les pieds de Jésus, ce sont des pieds qui
                vont maintenant marcher vers la mort. Marie lui dit à ce
                moment là qu'elle aussi, elle va marcher avec lui vers
                la mort. Car, si les pieds de Jésus sont pris dans les
                cheveux de Marie, les cheveux de Marie sont attachés
                maintenant aussi aux pieds de Jésus ; et avec les
                cheveux de Marie, c'est tout son être !La bassesse de Jésus dans ses pieds, cette bassesse qui va
              être clouée vraiment sur une croix, cette bassesse devient
              dans la chevelure de Marie sa beauté glorieuse. Imaginez encore une fois, c'est presque du roman, ici !
                Mais non, voyons un peu les femmes telles qu’elles sont
                : comment Marie a dû soigner sa chevelure ? Je ne veux
                pas dire qu'elle allait au coiffeur tous les huit jours,
                ce n'est pas ça, mais avec quel respect ; parce que
                Jésus, Jésus savait dès ce moment là que Marie allait
                l'accompagner jusqu'à la mort ; et que, au moment où il
                serait seul, il ne serait quand même pas seul, que Marie
                serait là mystérieusement présente. Même si elle ne
                l'était pas physiquement, elle serait près de lui. Et
                surtout, surtout ceci : que lui était toujours vivant
                dans le coeur de Marie. Et ici, voyons encore la scène qui s'élargit ! Vous
                avez ce parfum qui se répand dans toute la maison. De la
                maison il déborde dans tout l'univers et il atteint Dieu
                le Père. Il avait bien senti, Dieu le père, l'agréable
                odeur du sacrifice de Noé, il en avait frémi. Il avait
                dit : « Ca n’arrivera plus que je fasse une chose
                pareille, maintenant que je sens cette bonne odeur du
                sacrifice de Noé. » Alors ici, qu'arrive-t-il lorsqu'il respire le parfum
                de Marie ? A ce moment, il est obligé de ressusciter son
                Fils. On va dire : « Oui; mais il est certain que de
                toute éternité Dieu savait qu'il allait ressusciter le
                Christ ! » D'accord, d'accord tout ça, mais la résurrection du
                Christ devait dans le plan de Dieu passer par le parfum
                répandu sur les pieds de Jésus, ce parfum par lequel
                Marie disait à Jésus qu’il continuerait, même après sa
                mort, de vivre dans le coeur de Marie, donc qu'il ne
                mourrait pas. Et s'il ne devait pas mourir, Dieu, alors
                le Père devait restituer Jésus à Marie. Et dans Marie voyons maintenant tous les hommes, voyons
                tous les hommes et toutes les femmes qui vont aimer
                Jésus à la suite de Marie. Ces hommes et ces femmes, que
                vont-ils faire ? Voyons encore maintenant plus loin :
                ils vont sacrifier leur chevelure. Ils ne voudront pas
                que leur chevelure serve à d'autres qu’au Christ. Et
                pour cela, ils vont la couper. Voilà jusqu'où il faut
                comprendre le geste de la tonsure ! Et ce n'est pas ici du roman, non, vous voyez, c’est un
                langage, c'est une Parabole. Et il faut, derrière les
                gestes que les hommes posent, les hommes qui se
                consacrent, il faut voir là derrière toujours quelque
                chose. Il faut comprendre qu'ils disent : maintenant,
                cet ornement qu'est la chevelure, pour moi, ce ne sera
                pas donné à quelqu'un d'autre ; comme ici Marie,
                maintenant ses cheveux appartenaient à Jésus. Il y a là dans ce geste du don de soi quelque chose de
                tellement fort que, Dieu qui voit tout cela, qui voit
                donc - je reviens à mon idée - ceux et celles qui dans
                la suite des siècles vont aimer Jésus à la manière de
                Marie ; rien que pour cela, il est obligé de rendre la
                vie à Jésus, qui est tant aimé ! J'ai reçu, il y a deux ou trois jours, une lettre d'une
                personne encore relativement jeune qui dit son
                émerveillement, son étonnement, sa surprise de découvrir
                un miracle dans sa vie : témoin d'un miracle .Et je sais
                très bien de quoi elle parle. C'est une situation
                analogue à celle de la scène de Béthanie, une situation
                dans laquelle l'amour, comme ça, a obligé la mort a
                reculer ; et il est parvenu à vaincre la mort. Et l'Evangéliste nous rapporte une seule parole de
                cette Marie de Béthanie, et c'est celle-ci : « Si tu
                  avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Et
                maintenant, dans son geste, dans sa parole silencieuse,
                elle dit à Jésus en lui tenant les pieds avec ses
                cheveux, et en les parfumant : « Eh bien, moi je suis
                  ici, et toi, tu ne mourras pas ». Vous voyez,
                c'est cela l'amour, et c'est cela la vie contemplative !Et je voudrais que vous reteniez ceci pour aujourd'hui :
              la vie contemplative ce n'est rien d'autre, c'est de dire
              au Christ : « Moi je suis ici, eh bien toi, tu ne mourras
              pas ». Maintenant voyons le Christ dans sa personne physique,
                Jésus, mais aussi dans chacun des hommes et dans chacun
                de nos frères surtout, parce que nos frères, ce sont les
                hommes avec lesquels nous vivons en contact immédiat.
                Pouvoir dire à chacun des frères : « Moi je suis ici, eh
                bien toi, tu ne mourras pas ». C'est cela aimer ! Mais
                si vous le permettez, ce sera plutôt pour demain. Chapitre du Mardi Saint. 01.04.80Judas l'Iscariote.Mes frères,Au banquet de Béthanie était attablé un disciple, un
                Apôtre même, qui savait pertinemment bien que Jésus
                était condamné. Et le nom de cet Apôtre, c'était un très
                beau nom, un des plus beaux noms qu'un Juif puisse
                porter : c'était Judas. Mais en lui un autre nom grandissait, se développait,
                proliférait comme un cancer. Il devenait Iscariote, ce
                qui signifie : le trafiquant, le mercanti, celui qui
                vend pour faire de l'argent. Nous avons donc face à une femme qui aime, un homme qui
                n'aime pas ou qui n'aime plus. Or un homme qui n'aime
                pas devient semblable à une forteresse aux murs
                crénelés, aux portes blindées. Il n'y a même pas une
                fenêtre qui donne sur l'extérieur, tout est fermé, tout
                est clos ! C'est l'état de refus ! Un tel homme ne voit plus, il n'entend plus, il ne
                comprend plus. Il est devenu sourd, il est devenu
                aveugle, il est bouché. Son coeur est devenu de pierre
                ou blindé de graisse : plus rien ne sait y entrer. Et
                vous comprenez qu'avec un tel homme, aucune
                communication n'est possible et à fortiori, aucune
                harmonie, aucun accord. Cet homme s'est installé dans le refus. Il s'est fermé.
                Et son état s’aggravant, il va même faire de la
                paranoïa. Donc, il va comprendre les choses de travers,
                il va les interpréter dans un sens mauvais. Tel était
                devenu Judas ! Pourtant les apparences lui donnent raison, et son
                raisonnement est d'une logique impeccable. Le parfum que
                répand Marie vaut bien ses 300.000 Francs. Et il y a une
                quantité de pauvres qui attendent du secours. Mais il ne s’agit pas de cela. Judas est à côté de la
                question, il commence à mal interpréter. Et alors voyez
                ce que Judas va devenir : Jésus devient pour lui un
                objet de trafic. Il n'a pu récupérer les 300.000 francs
                du parfum, et bien il va vendre Jésus pour 30.000
                francs, à 10% ! Mais ça fait sourire ! C'est vrai, mais lorsque
                l'Evangéliste dit que le parfum valait 300 deniers, ce
                qui fait environ 300.000 francs aujourd’hui, et
                lorsqu'il dit que Judas vend Jésus pour 30 deniers, ce
                qui fait 30.000 francs, donc 10%, il y a là une
                intention ; rien n'est écrit qui ne soit signe de
                quelque chose ! Jésus devient la dîme qu'il faut donner. Il est l'impôt
                qu'Israël devra payer pour être racheté ; et non
                seulement Israël, mais les hommes du monde entier et de
                tous les temps. Et un impôt qui est perçu sur un trafic,
                sur des affaires ! Voyez un peu ce que nous dit Saint Benoît à propos
                justement du commerce des affaires. Arrangez-vous,
                dit-il, pour que même à cette occasion là, Dieu soit
                  glorifié en tout. Ne devenez pas des trafiquants,
                ne devenez pas des Judas, des mercantis. Non, ne devenez
                pas des professionnels des affaires. Soyez des enfants
                de Dieu. Il faut même lorsque vous vendez les
                  produits de votre travail, qu'à cette occasion Dieu y
                  trouve sa gloire.(57, 4-9). Dans notre vie chrétienne, dans notre vie monastique,
                qui est une vie mystique de tout côté, tout se tient,
                elle va chercher sa sève vivifiante dans les gestes de
                Jésus, mais aussi dans les gestes mauvais des traîtres
                qui l'ont vendu. Elle va chercher ses racines dans la
                législation d'Israël. Tout fait un ensemble et, dans cet
                ensemble, maintenant nous sommes les acteurs. Donc, nous
                devons toujours savoir ce que nous faisons pour ne pas à
                notre tour devenir des Judas. Voici donc Jésus qui est trafiqué ! On spécule et on
                fait une affaire sur sa condamnation et sur sa mort. Eh
                bien, vous avez là l'approche matérielle brutale,
                cynique du fait Jésus. Il est pesé à la balance de la
                rentabilité. S'il m'est rentable de le suivre, de le
                servir je le fais. Mais rentable, cela veut dire que ça
                me rapporte quelque chose. J'investis, mais je dois en
                retour recevoir un intérêt et un capital accru. Si ce n'est plus rentable, alors je vends. Lorsque je
                ne sais plus soutirer du lait de ma vache, eh bien je la
                vends pour la viande. Ne sachant plus rien soutirer du
                Christ, et bien je le vends. Voyez, c'est cela le
                mercantilisme ! Et voici la paranoïa : les gestes d'estime et
                d'affection que pose Jésus à l'endroit de Judas, ils
                sont saisis par Judas comme autant de provocations !
                Jésus, au cours du repas Pascal de cette nuit de Pâque -
                nous l'avons entendu, on nous l'a rappelé ce matin au
                cours de l'Eucharistie - il trempe la bouchée d'honneur
                et il la donne à Judas. Judas ne peut rien faire d'autre
                que de la prendre devant tout le public.C'est comme si on levait un toast en l'honneur de Judas.
              Il est là, il ne peut pas la refuser. Il la reçoit cette
              bouchée, il la prend. Mais il ne croit plus en Jésus, et
              il la reçoit avec mépris. Et au moment où elle entre en
              lui, satan entre en lui avec la bouchée. Et ainsi, mes frères, vous le voyez, il n'y a aucun
                intervalle entre la haine et l'amour. Voilà, pour la
                bouchée : pour Jésus elle est amour, un amour divin et
                au même instant en Judas, elle devient satanique. C'est
                la même chose, la seule différence tient de la lecture. Voyez Marie ! Marie, elle baigne les pieds de Jésus de
                son parfum, elle les essuie avec ses cheveux. Par ce
                geste d'amour, elle dit silencieusement à Jésus qu'elle
                va mystiquement l'accompagner jusque dans la mort pour
                qu'il ne soit pas seul, n'est-ce pas ! Judas, lui, qui
                s'est désolidarisé de Jésus, que fait-il ? Il livre
                Jésus à la mort. Que Jésus meure seul. Judas devient
                ainsi la parole qui est par son acte, qui est par son
                genre de geste de trahison exactement la même parole que
                celle de Caïphe qui disait, lui, devant le grand conseil
                : « Il vaut mieux qu'un seul homme meure plutôt que
                  la nation entière ne périsse ». Eh bien, Judas dit exactement la même chose par son
                geste de partir dans la nuit pour aller vendre Jésus,
                pour aller chercher la troupe qui va l’arrêter. Jésus
                doit mourir seul. Mais le résultat, c'est que Judas
                s'anéantit lui-même, et il ira après se pendre. Tandis que Marie qui, elle, n'a pas voulu laisser Jésus
                seul, et qui par geste le lui a prouvé, elle va obliger
                Jésus a ressusciter des morts, et elle vivra avec lui.
                Voilà le comportement de l'amour, et voilà le résultat
                de la haine. Mais comme vous le voyez, c'est exactement,
                on dirait presque, presque la même chose. Il n'y a
                qu'une différence, c'est dans la vision de la personne
                de Jésus. Voilà mes frères, une petite explication de cette
                parabole gestuelle que nous rencontrons dans ce banquet.
                Nous comprendrons mieux, alors, la parole de Saint Paul
                qui dit : la lettre tue, et c'est l'Esprit qui donne
                  vie. La lettre, c'est la vision, c'est
                l'interprétation charnelle, matérielle, superficielle et
                mercantile des événements, et aussi des personnes. Il y
                a une façon de voir les personnes qui est criminelle.
                Elle est criminelle lorsqu'on voit la personne dans ce
                qu'elle écrit d'elle. Ce qu'elle écrit d'elle, c'est sa
                conduite superficielle, celle qui nous apparaît à nous. Or la même conduite, le même geste, suivant le regard
                que je porte sur la personne, il peut être interprété en
                bien ou en mal suivant qui je suis. Si je suis Marie, je
                l’interpréterai en bien. Si je suis Judas, je vais faire
                de la paranoïa et je l’interpréterai en mal. Donc la
                lettre, attention, elle tue ! Par contre l’Esprit ! L'Esprit, lui, il sait pénétrer
                au dessus du superficiel. Il sait atteindre le parfum
                secret, caché, mystérieux qui se dégage de la personne.
                Et alors cet Esprit donne vie. Il donne vie à celui qui
                perçoit, mais aussi il donne un surcroît de vie à celui
                d'où vient, d’où provient ce signal. C'est exactement ce
                qu'a fait Marie ! Voilà mes frères, vous comprenez que Jésus est en
                lui-même toujours un objet de scandale, c’est à dire de
                chute et de relèvement pour beaucoup. Comme il avait été
                annoncé par Siméon dans le temple : « Celui-là sera
                  posé en Israël comme un signe de contradiction pour le
                  relèvement et la chute de beaucoup ». Toujours
                suivant le regard qu'on porte sur Lui ! Or, mes frères, ne l'oublions pas, ici c'est tellement
                important pour nous dans notre vie : le Christ Jésus
                vient à nous en chacun de nos frères. Ayons au moins des
                yeux pour voir cela. Si nous ne le voyons pas, alors
                c'est que nous sommes comme ces forteresses fermées de
                tous côtés, et nous ne sommes pas loin alors d'être un
                Iscariote. Non, nous devons voir dans le frère, Jésus qui vient à
                nous, et réagir vis à vis de lui comme il convient à des
                hommes qui sont ses membres à lui. Un corps ne se
                détruit pas luimême. Non, il soigne chacun de ses
                membres. Voilà mes frères, nous sommes donc mis chacun à
                l'épreuve à tout moment. Cette épreuve, je le sais bien,
                n'est pas facile parce que nous sommes - il faut avoir
                la lucidité de le reconnaître - des êtres charnels. Nous
                sommes des êtres matérialistes. Nous ne sommes pas
                encore des enfants de Dieu achevés. Nous sommes toujours
                en train de naître. Mais nous sommes maintenant pendant le temps du Carême.
                Nous allons déboucher sur le Triduum de Pâques. C'est le
                moment de nous rappeler tout ça. Et si la grippe ne se
                précipite pas sur une nouvelle victime qui serait votre
                orateur de ce soir, j'espère bien un peu continuer dans
                le même sens demain. Chapitre du Mercredi Saint. 02.04.80Endurcissement ou conversion.Mes frères,Si vous le voulez, revenons-en à notre onction de
                Béthanie. Je vous disais hier en terminant que Marie et
                Judas Iscariote n'étaient pas étrangers au monde
                monastique.Nous sommes à la fin du carême. Nous entrons dans le
                Triduum Sacrum. C'est pour nous l'heure de la vérité.
                Nous allons être jugés avec le monde, surtout vendredi,
                à l'heure où le Christ sera crucifié. Nous somme aussi à
                un carrefour, un carrefour vers la conversion et la
                fécondité ou bien vers l'endurcissement et la stérilité.
 Nous devons choisir. N'ayons pas peur de regarder les
                choses telles quelles sont, de regarder la vérité en
                face. Car la vérité est toujours le premier pas vers la
                libération de quelqu'un. Nous devons aussi pratiquer une
                sorte d'autopsie de notre personne, à propos justement
                de Marie et de Judas.
 Je m'en vais présenter un type extrême naturellement
                d'Iscariote, et puis l'antitype Marie. Nous autres, nous
                ne serons pas naturellement l'un ou l’autre, nous serons
                un peu des deux. C'est ça le travail de la conversion,
                c'est de passer de l'Iscariote qui est l'homme qui veut
                faire des affaires, à Marie qui est le don absolu
                d'elle-même, l'écoulement dans le don. Judas est un nom très beau. C'est un des plus
                beau nom de la tradition Juive. Il signifie : celui qui
                est consacré à la louange de Dieu. Jésus a voulu être
                fils de Judas parce qu'il était consacré pour manifester
                la gloire de Dieu, et pour introduire les hommes dans
                l'intimité de Dieu. Le moine doit être Judas, donc un
                homme voué, lui aussi, à louer Dieu incessamment. Il
                loue Dieu par tout son être, par ses pensées, par ses
                paroles, par toute sa vie. Il doit être une louange de
                Dieu. Et ça, disons que c'est le moine parfait. Il n'y a rien
                qui germe en lui, rien qui ne sorte de lui qui ne soit
                pas glorification de Dieu. Saint Benoît dira : il
                  faut qu'en tout Dieu soit glorifié...en tout
                ! Donc toute la vie du moine, même dans les détails les
                plus bas, doit être révélation de ce qu'est Dieu, doit
                être louange de Dieu. Mais attention ! Il ne faut pas que insensiblement
                Judas devienne Iscariote c'est à dire le trafiquant, le
                mercanti. Il faut qu'il y ait toujours en nous identité
                parfaite entre le nom que nous portons et l'être que
                nous sommes. Saint Benoît le dit à propos de l'Abbé :
                  il doit être tel qu'on l'appelle. Il le dira aussi
                à un autre endroit lorsqu'il dit qu'il ne faut pas
                  vouloir être appelé saint avant de l'être. Il faut
                d'abord l'être, puis alors on est dit saint en toute
                vérité. C'est une exigence de justice. Maintenant, des trafiquants, des mercantis, il arrive
                qu'on en trouve dans les monastères. Voici donc le type,
                mais vraiment ici à l'extrême naturellement Ce sont les
                esprits forts, ceux qui s'estiment, qui se prétendent
                intelligents. Ils ont d'ailleurs toujours souvent deux
                qualificatifs à la bouche : intelligent et imbécile ;
                intelligent pour eux, et imbécile pour les autres. En fait ce sont des esprits bornés qui égratignent à
                peine la croûte du réel. Mais ça ne fait rien, ils se
                moquent de tout, ils ridiculisent tout. Tout ce qui se
                fait, tout ce qui se dit dans le monastère, ils le
                tournent en ridicule parce qu'ils sont les seuls à
                savoir comment les choses doivent être faites, comment
                les choses doivent être dites. Ce sont des hommes qui ne parlent pas le même langage
                que Dieu. C'est pourquoi ils sont très dangereux parce
                que ce sont des séducteurs. Ils présentent, ils lancent
                des apparences de vérité. Ils les lancent dans le vide ;
                mais s'ils rencontrent des esprits un peu simples, alors
                ils peuvent les égarer. C'est ainsi qu'agit le séducteur ! Ils peuvent devenir
                victimes alors eux-mêmes de ce séducteur et faire
                énormément de mal sans le savoir. Ils démolissent, ils
                détruisent, ils salissent. Ils veulent toujours - ça il
                ne faut pas le mettre en doute - faire les choses bien.
                Mais voilà, il leur manque ce que Saint Benoît appelle
                la discrétion. Ils ne savent pas juger, ils se prennent
                pour la norme de tout. Et puis, ils sont affligés d'un défaut, un défaut où
                c'est vraiment là le trafiquant : ils ont un besoin, un
                prurit du business. Il faut qu'ils fassent des affaires,
                il faut qu'ils fassent rentrer de l'argent. Ils se
                prétendent d'ailleurs comme des hommes d'affaire de tout
                premier plan. C'est exactement le contraire de ce que
                demande Saint Benoît : que Dieu soit glorifié en
                  tout, même dans les relations commerciales. Mais eux, non, tout leur est bon pour ramasser de
                l'argent. Ce sont des vendeurs de Dieu. Ils vendent de
                nouveau le Christ. Ils trafiquent de tout, du spirituel,
                du divin, du matériel aussi, de tout ! C'est une maladie
                ! Et c'est un besoin parce qu'ils ont ainsi une sorte de
                vêtement. Ils doivent se valoriser. Ils revêtent une
                défroque, des oripeaux qui cachent leur nudité. Car ces
                hommes sont malheureusement nus, ils n'ont rien ! Il
                faut dire que c'est une maladie incurable, incurable ! Il est impossible d'en sortir, sauf le miracle, le
                miracle que  Dieu ferait des enfants d’Abraham,
                  ferait sortir des fils de Dieu à partir des cailloux
                  de la route. Il faudrait un miracle aussi
                extraordinaire que celui-là. Ce sont des suicidés
                ambulants, ils sont morts, voilà ! Voici donc le type du
                trafiquant ! Maintenant voyons l'antitype Marie ! Marie signifie
                océan de parfum. C'est un très beau nom. Imaginez qu'on
                appelle aujourd'hui une petite fille : océan de parfum.
                Cela existe encore dans les pays Asiatiques, où les noms
                qu'on donne aux enfants sont toujours des noms de ce
                genre, très beaux, très évocateurs comme les noms
                bibliques. Mais voilà ce que signifie Marie, et nous n'y
                pensons pas. Mais ici, Marie de Béthanie était tout à
                fait en accord avec son nom. Elle épanchait son parfum
                sur les pieds de Jésus. Or le moine, lui, c'est un homme qui doit être un
                parfum, un parfum qui se répand, un parfum qui pénètre
                tout. Il pénètre à l'intérieur des êtres, des gens, des
                choses. Il en déchiffre l'énigme et il les orne de
                beauté, de lumière et de vie. Ils sont transportés aussi
                par le vent l'Esprit - qui répand ce parfum partout. Et
                ce parfum rafraîchit, ce parfum délecte, ce parfum
                éveille l'amour partout où il atteint, non seulement
                dans le monastère, mais bien au-delà parce que le
                souffle de Dieu traverse l'univers. Ce parfum qui pénètre au coeur des choses, saisit la
                chose, l'être au moment où il sort des mains de Dieu. Il
                y a donc là une sorte de contemporanéité entre le moine
                et Dieu qui crée. Il devient créateur, cet homme qui est
                transformé en parfum. Telle était Marie de Béthanie ! On pourrait s’arrêter
                longuement encore à réfléchir sur ce qu'elle a fait, sur
                la valeur de son geste. Mais sauf imprévu, il y a encore
                d'autres années après celle-ci. Nous maintenant ? Nous ne sommes ni l'Iscariote, ni
                Marie. Nous sommes entre les deux, un peu l'Iscariote,
                un peu de Marie, plus ou moins. Et nous devons nous
                dépouiller de tout le mercantilisme qui est en nous pour
                devenir pure exhalaison de parfum. Le mercantilisme, cela veut dire: cesser de rapporter
                tout à soi. Je fais cela parce que ça me convient. Si ça
                ne me convient pas, je le ferai quand même parce que je
                ne sais pas faire autrement, mais je vais grogner,
                grogner intérieurement. Vous savez ce que Saint Benoît appelle le murmure ?
                Tout ça doit disparaître, ça doit fondre comme neige au
                soleil. Cela ne peut pas être enlevé d'un coup, mais ça
                doit partir. L'ascèse monastique doit conduire le moine
                jusqu'à être un pur, un pur reflet de ce qu'est l'Esprit
                de Dieu. Et ce reflet commence, alors, à dégager des vapeurs
                odoriférantes qui seront ce que dans le langage plus
                ordinaire on appellera les vertus. Ce sera surtout
                l'amour avec tout son cortège, toutes ses fragrances qui
                sont si belles et si bonnes. Voilà mes frères, nous avons ainsi un mouvement que
                nous appellerons la conversion. Pendant ces jours de
                passion et de résurrection qui ne sont pas des jours
                protocolaires - non, c'est notre propre destinée que
                nous allons jouer parce que nous sommes insérés dans le
                Christ, que nous le voulions ou non nous y sommes - donc
                pendant ces jours là, mes frères, essayons de retenir
                ceci, simplement ceci : que nous devons passer du stade
                de marchandage avec Dieu, ou de marchandage à propos de
                Dieu, jusqu'au niveau de la donation totale de nous, que
                nous ne soyons plus que fumée de parfum qui s'élève vers
                Dieu, qui le réjouit, et qui réjouit aussi tous ceux
                avec lesquels nous vivons. Homélie du Jeudi Saint 03.04.80Mes frères,A l'heure où nous entrons dans la célébration du
                mystère Pascal, le Christ Jésus ouvre à notre attention
                et à notre respect un champ de réflexions qu'il nous
                invite à explorer et à prospecter. Il nous dit : Je
                  vous ai donné un exemple, et il faut que vous fassiez
                  ce que moi je vous ai fait. Par ces mots, mes frères, il signifie que sa maison, ce
                monastère dans lequel nous vivons, est à la fois un
                chantier de travail et un champ de bataille. Un chantier
                sur lequel des hommes s'efforcent de parfaire l’œuvre à
                laquelle Dieu lui-même se consacre : la création, la
                Rédemption, la divinisation du monde. Mais c'est aussi un champ de bataille. Il s'y livre une
                lutte continuelle et sans merci contre les puissances du
                mal qui tentent de nous tyranniser à l'intérieur, et qui
                sans trêve nous attaquent à l'extérieur. Mes frères, le Christ a été investi par son Père d'une
                mission : attirer sur sa personne la masse des haines et
                des malheurs accumulés par les péchés des hommes, depuis
                l'aube des temps jusqu'à la fin du monde. Et cette
                masse, la noyer dans un amour sans mesure. Il fallait
                qu'il souffrit, qu'il mourut et qu'il ressuscita. Pour lui, l'Egypte, la terre où ses pères avaient tant
                souffert, l'Egypte, le pays de la double oppression et
                de la double angoisse, cette Egypte, elle étendait ses
                frontières aux limites du monde. L'Agneau, mais c'était
                lui, perpétuellement immolé et toujours présent. Et le
                drame demeurait à un paroxysme d'intensité. Il se
                condense à l'infini dans l'Eucharistie qui en est, et le
                signe et l'issue. Au cours des temps, le Christ se choisit des hommes
                dans lesquels il peut monnayer jour après jour sa
                mission et sa vie. Il en est partout, et nous en sommes.
                Nous devons le dire avec fierté et reconnaissance. Mais
                il nous appartient maintenant de nous laisser envahir
                par lui, pour que nous devenions avec lui, et Seigneur,
                et esclave. Seigneur, si notre unique mobile d'action est l'amour.
                Dieu est amour. Et celui qui aime, il participe à la
                nature et à la Seigneurie de Dieu ; mais esclave aussi !
                Descendre au plus bas, en dessous de tous de manière à
                les soulever et à les porter tous, tous les hommes, en
                commençant par ceux avec lesquels nous vivons. Tel mes
                frères est notre travail et notre combat de tous les
                jours. Nous allons le signifier encore par le geste du
                lavement des pieds. Ce que Jésus a fait, nous allons le
                refaire, pas seulement ce soir, mais jour après jour,
                nous allons nous mettre aux pieds de nos frères, aux
                pieds de tous les hommes. Mais nous savons que en nous et par nous, à cette
                condition de notre humiliation volontaire de la perte de
                notre vie avec le Christ, le Christ lui-même sera
                finalement vainqueur de tout le mal et de tout le péché. Vendredi Saint. 04.04.80Homélie de la Passion du Seigneur.Mes frères,Les exégètes discutent beaucoup au sujet de l'identité
                de ce mystérieux serviteur dont parle le prophète.
                Etait-ce un homme ? Etait-ce la communauté d'Israël dans
                son ensemble ? Ils ne savent pas se mettre d'accord. Pour Jésus, lorsqu'il écoutait cantiler ce poème à la
                Synagogue, lorsqu'il le psalmodiait en secret, il n'y
                avait aucun problème, c'est de lui qu'il s’agissait. Que
                se passait-il alors dans son coeur ? Cet homme sans la
                moindre tare spirituelle, lui-même un coeur d'une
                sensibilité extraordinairement ? Mes frères, respectons la douleur du Christ, respectons
                sa souffrance : c'est la souffrance de Dieu ! Respectons
                aussi toute souffrance d'homme telle qu'elle soit, car
                en chacune, nous y voyons un reflet de cette souffrance
                divine. Jésus a senti venir le drame. Il l'a vu s'approcher, le
                cerner, l'encercler se précipiter sur lui ; et il ne s'y
                est pas dérobé. Il a aimé les siens jusqu'au bout. Et au
                moment de déposer son souffle entre les mains de son
                Père, il a pu dire : « Tout est accompli !» Arrêtons-nous un instant, mes frères, un tout petit
                instant sur notre situation à nous. Mais pas longtemps,
                car nous risquerions d’être accablés par la honte ou
                bien avalés par le découragement. Au soir de chaque journée, à l'heure où nous
                abandonnons nos membres au sommeil qui est l'image de la
                mort, pouvons-nous nous rendre le témoignage que nous
                avons accompli à la perfection la tâche que Dieu nous
                avait confiée pour ce jour ? Pouvons-nous dire que nous
                avons aimé nos frères jusqu'au bout ? Aimer jusqu'au bout! C'est nous laisser ravir notre
                vie, nous laisser manger notre tranquillité, nous
                laisser rogner nos loisirs, nous laisser ronger notre
                santé ! Pouvons-nous dire, mes frères, que nous avons
                porté les péchés des autres ? Que nous les avons pris
                sur nous ? Que nous les avons expiés à leur place sur le
                bois de la patience ? Dans quelques minutes nous allons nous approcher de la
                croix pour la vénérer. Portons ces questions dans notre
                coeur lorsque nous serons devant elle ! C'est devant
                l'amour que nous allons nous prosterner, un amour au
                delà duquel rien ne peut être conçu de plus grand et de
                plus beau. Et nous nous relèverons plus fort, décidés à laisser en
                nous plus de place au Christ et à nos frères, toute la
                place peut-être ? La vie monastique ne serait-elle pas
                l'espérance folle d’être capable un jour d'aimer à notre
                tour jusqu'au bout, et ainsi de triompher en fils de
                Dieu que nous sommes. Monition avant Complies.Mes frères,Au soir du Vendredi-Saint, le Christ est mort. Dieu est
                mort. La première phase de l'histoire du monde a pris
                fin. Une brisure s'est produite. Le voile du temple
                s'est déchiré du haut en bas. Les rochers se sont
                fendus. Tout est en suspens, tout est en attente ! On peut se demander comment l'univers n'est pas
                retourné au néant dont il était sorti ? Le Christ était
                LA PAROLE, il est devenu NON PAROLE ; Il était LA
                LUMIERE, il est devenu ABSENCE ; Il était le CHEMIN, il
                est maintenant une IMPASSE ; Il était LA VIE, il n'est
                plus qu'un CADAVRE ! Il s'est fait le compagnon, quasi le complice des
                hommes qui ont opposé à l'AMOUR un NON qu'ils veulent
                définitif. Il a été fait péché, c'est à dire NON absolu.
                Et le vide du Samedi Saint est la matérialisation de cet
                état de refus jusque dans sa conséquence ultime qui est
                la chute dans la seconde mort. Descendit inferos,
                il est descendu, il est tombé dans les abîmes de l'enfer
                ; Il est tombé au plus bas. Jamais personne ne sera en
                dessous de lui ! Il a pâti cette mort en vertu d'une mission qu'il a
                reçue de son Père. Et le tombeau scellé est le cachet
                apposé par Dieu sur cette mission accomplie à la
                perfection. Le Christ est mort. Il ne subsiste plus que
                dans l'amour que lui porte son Père. Le tombeau postule
                donc une suite, un triomphe sur la mort. Nous venons de l'entendre : Marie, dans son coeur de
                mère, sentait cette issue du drame. Elle savait que la
                mort est un accident, qu'elle est une catastrophe, un
                malheur. Mais l'AMOUR est une personne, l'Amour est
                Dieu. Et lorsque on vit de l'amour de Dieu, jamais on ne
                connaît la mort définitive ; on resurgit, même de la
                seconde mort ! Mes frères, le Samedi-Saint est ainsi un espace
                théologique vers lequel convergent toutes les destinées
                humaines. Il est situé hors du temps, au-dessus du
                temps, et il est contemporain de toutes les époques. Si nous voulons maintenant regarder le projet
                monastique dans sa motivation la plus pure, ce ne peut
                être que l'attente du Samedi-Saint, et la quête du lieu
                de son apparition. La mort mystique, épreuve espérée
                mais combien redoutée, un moine qui ne l'espère pas,
                mais que fait-il dans un monastère ? Mais un moine qui ne la redoute pas, c'est un
                inconscient ! Il est dans l'illusion. Et cette mort,
                c'est une épreuve terrible, expérience du non-soi, de la
                non-identité, de la non-vie ; expérience dans une chair
                et un coeur d'homme de ce que le Christ a du vivre au
                moment où il a été englouti dans la mort, où pour lui
                tout était terminé, non seulement accompli au niveau de
                sa mission, mais aussi accompli au niveau de son être. Mes frères, cette expérience a peut-être été la nôtre
                hier ? Ou elle le sera demain ? A moins que ce ne soit
                déjà pour aujourd'hui ? Ayons toutes ces valeurs - ce
                sont les valeurs suprêmes - ayons-les présentes à notre
                attention, présentes à notre amour toute la journée de
                demain. Et lorsque nous entrerons dans la Veillée Pascale, nous
                saurons que notre vie, dans ce chantier qui est celui de
                Dieu, elle n'est autre qu'une longue veille dans
                l'attente du passage de Dieu, passage qui ne manquera
                pas et qui nous fera tous resurgir de notre néant, car
                nous ne sommes qu'un néant. Il nous en fera resurgir
                pour nous combler de ce qu'il est, lui. Et il n'est
                jamais, ne l'oublions pas, il n'est jamais qu'Amour. Dimanche de Pâques. 06.04.80Chapitre Pascal.Mes frères,La grippe printanière taille des coupes de plus en plus
                larges et sombres dans la chair de notre communauté. Oh
                non, ce n'est pas fini ! Il y en a d'autres qui sont
                encore en gestation et nous en serons probablement les
                témoins sous peu ? Alors, nous aspirons tous au repos et je ne vais donc
                pas m'attarder ce matin. Mais je vous souhaite à tous
                une heureuse fête de Pâques. A tous, c'est à dire aux
                malades, aux rescapés, aux victimes de demain ! Mais une fête de Pâques, qu'est-ce que cela veut dire ?
                Il ne faut pas que ce soit de la phraséologie, un
                souhait ainsi qu'on lance, et qui ne répond à rien. Non,
                la fête de Pâques, c'est ceci : pourrions nous déposer
                la vétusté de l'homme charnel et revêtir la nouveauté de
                l'homme spirituel, de cet homme qui est rené dans le
                Christ ressuscité ? Ce n'est pas quelque chose de difficile. Il suffit de
                nous laisser agir par cette force de résurrection qui
                est en nous ; il suffit de nous ouvrir à elle comme une
                fleur s'ouvre à la lumière. Une fleur ne fait pas grand
                chose. Le Christ l'a dit lui-même : « Regardez, elles ne font
                rien. Elles reçoivent le soleil, elles reçoivent la
                pluie, elles reçoivent les aliments qu'elles tirent du
                sol par leurs racines. Et pour le reste, elles sont
                vêtues de façon splendide. Le roi Salomon dans toute sa
                splendeur n'était pas vêtu comme le plus petit des lys
                des champs. » Eh bien c'est ça, voyez, la force de la résurrection.
                C'est cette fleur qui est en nous qui se développe et
                qui est nous. Il suffit de nous ouvrir à cette lumière,
                à cette ondée spirituelle, pour que cela s'opère sans
                que nous le sachions. Le Christ l'a dit encore : « Le
                  Royaume des Cieux est semblable à un homme. Il a jeté
                  sa semence dans son champ et, voilà il ne s'en occupe
                  plus ! Il ne sait pas ce qui se passe - mais
                maintenant on le sait naturellement, on a fait des
                études depuis lors  mais ça pousse, dit-il,
                  et voilà, la moisson est arrivée et on passe la
                  faucille ! Et voilà, c'est cela le Royaume de Dieu, c'est cela la
                résurrection !La difficulté peutêtre pour nous, est que
                nous sommes trop intelligent. Nous réfléchissons trop.
                Nous voulons bien arriver au bout, mais en sautant par
                dessus la route. Voyez, c'est encore très moderne. Maintenant pour aller
                d'ici à l'autre bout du monde, je ne dois plus prendre
                des routes et marcher, et marcher ; et puis des bateaux
                toujours dangereux. Non, je prend un super-jet et en
                quelques heures j'y suis. Je saute au dessus. Voilà
                notre mentalité ! Mais non, la force de résurrection c'est autre chose.
                Nous ne savons pas sauter au dessus. Nous ne savons pas
                faire l'économie d'une mort : mourir à notre façon de
                voir les choses, à ma façon de voir les choses. Or nous
                avons chacun notre façon de voir. Voyez quelle anarchie
                alors ? Une communauté monastique qui serait un lieu pascal -
                car c'est ça que doit être une communauté monastique -
                on aurait des hommes qui auraient une seule façon de
                voir les choses. Ce n'est pas desœillères, hein,
                attention ! Loin de là ! Mais ils seraient, comme le
                disaient les anciens, des monotropoï, des hommes
                qui n'ont qu'une seule façon de voir, de sentir, de
                chercher et aussi de trouver, mais chacun suivant ce
                qu'ils sont ! C'est toujours ce difficile problème qui n'est pas la
                quadrature du cercle, mais qui est difficile quand même,
                de l'Unité dans un Saint Pluralisme. Comme le disaient
                nos Pères: una caritate, una Regula, mais similibus
                  moribus. Mais voilà, mes frères, ce que je vous souhaite pour
                cette année-ci : que nous ayons l'occasion de vivre
                cette expérience d'une renaissance à un être qui est en
                nous, qui est nous, mais qui est comme étouffé par
                toutes sortes de buissonnements... Cette petite affaire de la grippe, elle est en tout cas
                très instructive à cet égard. Lorsqu'on se sent diminué
                par le virus qui vous habite, il vous fait monter votre
                température, on ne sait plus se nourrir, on n'a plus de
                sommeil ; et le bel homme qu'on était, il est réduit à
                un sac qui est couché sur un lit. Il aurait des grands
                projets, il a toujours des grands projets, mais à ce
                moment là c'est fini, ses projets sont partis. Il n'est
                plus bon à rien et il doit prendre patience avec
                lui-même. Enfin il est là, il est réduit à son état de
                rien ! C'est là une belle petite expérience, car c'est comme
                une préfiguration de ce qui nous attend à la fin de nos
                jours, où alors nous serons vraiment acculés au rien
                définitif. Ce sera fini, ce sera l'impuissance absolue,
                nous ne pourrons plus rien faire, nous serons morts. Et
                avant d'en arriver là, nous allons voir décroître nos
                forces, nos vigueurs physiques, notre vigueur
                intellectuelle, aussi notre capacité de travail ; tout
                ça va diminuer. Mais là en dessous, là en dessous il y a autre chose
                qui grandit : c'est l'homme nouveau. Il est là ! Et sous
                cette apparence de déchéance de notre être global, il y
                a à l'intérieur une poussée, une croissance qui
                finalement sera victorieuse. Mais ce n'est pas l'homme ancien qui sera mieux, non,
                ce sera un homme nouveau. Il n'aura plus rien à faire
                avec l'homme ancien. L'homme ancien vit dans sa coquille
                ; l'homme nouveau aura un corps spirituel qui sera
                étendu aux dimensions du monde. C'est à dire que par
                l'Amour, il sera ouvert à tous les hommes, il les
                accueillera en lui ; et lui, par l'Amour se donnera à
                tous. Et Dieu qui réalisera cette merveille sera, comme
                le dit l'Apôtre, lui, tout en tout. Voilà mes frères une petite expérience, je pense, que
                nous devons essayer de faire, non pas en tendant notre
                volonté, notre système nerveux, non, mais en nous
                ouvrant tout simplement à ce que la Providence et
                l'Amour de Dieu nous donnent tous les jours. Cette
                expérience n'est pas hors de notre champ. Elle n'est pas
                hors de notre visée. C'est ça la vie contemplative ! Alors si vous le voulez bien, comme c'est l'année de
                Saint Benoît et qu'il faut tout de même bien en parler
                aussi à l'occasion de Pâques, nous penserons à ce que
                Saint Benoît nous dit. A la fin du carême,
                dit-il, on doit être dans la joie. C'est la joie
                de l'Esprit Saint, c’est la joie de Pâques, la Sainte
                Pâques, c'est à dire cette Pâque qui nous met à part,
                qui nous fait vivre de la vie de Dieu qui sera la nôtre
                un jour pour l'éternité. Homélie de la résurrection.Mes frères,Si je devais condenser en un mot la contemplation et la
                méditation du mystère de ce jour, j'userais volontiers
                de l'antique acclamation hébraïque : Alléluia,
                c'est à dire rendez vos louanges à Dieu votre Père.
                C'est de notre Père, en effet, que tout vient; et c'est
                à Lui que tout retourne car il est amour. Nous sommes ressuscités dans le Christ, avec Lui ! Ce
                n'est pas de la phraséologie. C'est une expérience que
                nous devons faire, que nous faisons si nous sommes
                vraiment des chrétiens. Dès maintenant notre vie est
                cachée avec le Christ en Dieu, dans le sein de notre
                Père. Et là, nous participons à l'éternelle génération
                du Christ. Nous sommes divinisés, nous sommes fils
                adoptifs par grâce, ce que lui est par nature. C'est pourquoi la partie la meilleure de notre coeur
                n'est plus dans les choses d'en bas, elle est là où elle
                voit cette vie divine. Elle ne cherche plus les fantômes
                que nous offre le monde : l'argent, l'honneur, le
                profit, tout le poids social. Non, elle cherche les
                réalités d'en haut : la bonté, la paix, la
                bienveillance, la justice, l'amour...Tous ces joyaux
                dont le Père pare ses enfants. Et en chacune de ces
                perles, il fait scintiller une étincelle de sa lumière à
                lui, cette lumière qu'on appelle la gloire. Voyons Marie-Madeleine, la femme aux sept démons. Elle
                était revenue de très loin. Maintenant elle ne vit plus
                en elle; elle vit hors d'elle-même ; elle vit là où est
                le Christ ressuscité. Et elle n'est pas encore
                accoutumée à son nouvel état. Elle cherche encore à
                l'extérieur parmi les hommes celui qui vit en elle et
                dans lequel elle vit. Heureux l'homme, mes frères, qui rencontre la même
                expérience que Madeleine, emporté hors de lui-même, avec
                le Christ, jusque en Dieu le Père ! Pour en arriver là,
                mes frères, il faut du courage. Le courage de croire
                d'abord qu'il est préférable de tout abandonner pour
                trouver ce trésor caché qu'est la vie divine ; et puis
                alors, plus de courage encore pour se laisser faire par
                Dieu. Laissez-moi terminer sur un souhait: que en chacun de
                nos gestes, en chacun de nos regards brille à tout
                moment un reflet de la lumière de Pâques. Ne sommes nous
                pas des fils de la Résurrection ?Amen. Chapitre :La grippe. 13.04.801. La grippe Parole de Dieu.Mes frères,Je pense qu'il faudra remonter bien haut dans le
                souvenir des anciens pour retrouver la mémoire d’une
                grippe aussi meurtrière que celle qui ravage pour
                l'instant la communauté. Pour ma part, je n'en ai jamais
                connu de pareille. Nous voici aujourd'hui au quinzième
                jour, et elle est encore loin d'être terminée. Espérons
                qu'elle ne va plus faucher de nouvelles victimes ! Nous avions peut-être commis une erreur ? Elle n'était
                pas prévue au programme de l'année jubilaire de Saint
                Benoît. Et alors, elle s'est imposée comme une
                maîtresse, comme une reine. Elle a peut-être un message
                à nous délivrer ? Elle est peut-être une Parole que le
                Seigneur nous adresse ? Et si vous le voulez, nous
                allons ouvrir nos oreilles et essayer d'entendre ce que,
                à travers elle, Dieu veut nous dire. Cette grippe nous rappelle une évidence, celle-ci :
                c’est que la vitalité de notre vie spirituelle, elle
                n’est pas lue aux sentiments qu’on peut avoir de cette
                vie, de son ardeur ou de sa ferveur. Elle est
                indépendante de notre état de santé. Lorsqu'on est en
                pleine vigueur, mais que ne peut-on pas réaliser pour
                Dieu ? Nous sentons en nous cette force qui bat dans nos
                artères et qui nous porte en avant. C'est peut-être tout
                bonnement la joie de vivre et cela n'aurait rien à faire
                avec le surnaturel. Vous savez que Thérèse de Lisieux dormait pendant ses
                oraisons ! Elle ne s'en formalisait aucunement. Elle
                disait : Les chirurgiens, pour opérer leurs malades, ils
                les endorment. Elle avait compris que Dieu nous mettait
                parfois dans le brouillard. Il mettait tout notre être
                en veilleuse, ne fut-ce que par l'intermédiaire de
                quelque virus. Il le mettait au repos dans
                l'impuissance, dans la faiblesse afin de pouvoir
                travailler en nous avec plus d'aisance ; il ne craint
                plus alors de faux mouvements qui pourraient provoquer
                en nous une blessure. Car le scalpel de Dieu est aiguisé
                à l'extrême, et la moindre erreur peut nous rendre
                infirme. Alors, il nous endort par le moyen d'une
                grippe. La Lumière Divine qui est le rayonnement de la nature
                de Dieu, cette Lumière qui est Dieu en personne, elle
                est partout présente, elle est partout en action. Elle
                crée, elle divinise l'univers, les créatures
                raisonnables surtout : les hommes. Et cette Lumière,
                elle nous fait passer d'un état naturel à un état
                au-delà de la nature. Mais elle agit toujours, mais
                toujours par l'intermédiaire d'agents naturels. Depuis que le Christ s'est incarné, toute l'action de
                Dieu passe par la chair, passe par la matière.
                S'imaginer que Dieu pourrait agir sur nous directement ?
                Oui, c'est possible en soi, mais ce n'est pas le plan de
                Dieu. Dieu ne veut pas agir comme ça, il veut toujours
                agir à travers un instrument matériel. Et l'idéal, l'idéal, c'est de pouvoir être entièrement
                souple sous l'action de ces outils divins, n'importe
                lesquels ! Car le contemplatif verra cette lumière de
                Dieu dans tout ce qui l'entoure, dans tout ce qui le
                touche. Il verra ces agents à l'action à l'intérieur de
                lui à l'extérieur de lui, à tout moment. Il doit donc
                s'efforcer d'être de plus en plus souple, c'est à dire
                qu'il n'y ait aucune interférence de son proprium
                entre la Lumière de Dieu qui agit et sa personne à lui. Et cette attitude, elle parte un nom, un nom qui est
                très beau, un nom que nous retrouvons chez Saint Benoît,
                et avant Saint Benoît naturellement chez tous ses
                ancêtres monastiques. Et cela s'appelle la patientia,
                la patience. La patience, c'est l'art de savoir pâtir,
                l'art de savoir subir, l'art de se laisser faire. Ce
                n'est rien d'autre que ça ! C'est l'art d'être un avec
                l'action de Dieu sans qu'il y ait une intervention de
                nous qui pourrait empêcher Dieu d'agir, au qui pourrait
                fausser son action. C'est une espèce de passivité
                intelligente, discrète et active, attentive. L'attention est la première qualité de la patience. Ce
                n'est pas une attention intellectuelle ici - on peut
                être endormi - c'est un éveil spirituel qui fait que on
                subit l'action de Dieu et qu'on y collabore. A ce moment
                là, on reçoit tout de sa main et il n'existe plus de
                contrariétés. La grippe arrive ! Eh bien, elle arrive !
                C'est Dieu qui nous met dans un état de passivité,
                d'impuissance, de faiblesse, afin de pouvoir être à ce
                moment là tout à fait uni à une action qu'il veut
                réaliser en moi. Je ne sais pas laquelle, je ne sais pas
                la percevoir, puisqu'elle est au-delà de la nature,
                qu'elle est surnaturelle. Tout collabore, tout coopère
                au bien de ceux qui savent aimer Dieu, disait déjà
                l'Apôtre Paul. C'est donc fini de grogner, d'être énervé parce qu'an
                est grippé ! Et soit dit entre parenthèses, c'est le
                meilleur remède contre la grippe : s'abandonner à ce que
                Dieu demande à ce moment là. Voilà mes frères ce petit mot de circonstance. Pour
                aujourd'hui, je vais en rester là car nous sommes
                affaiblis, nous sommes vidés. Nous avons encore beaucoup
                de travail aussi, pour les rescapés du moins ! Et alors
                je vais terminer sur cette petite devise qui est un peu
                comme la contre partie, la glose de ce que nous dit
                Saint Paul : c’est que tout est possible à celui qui est
                patient. Tout est possible à celui qui croit, disait
                Saint Paul. Mais je me demande si la première qualité du
                croyant n'est pas d'être patient ? Chapitre :La grippe. 14.04.802. Définition et description.Mes frères,Nous avons tous noué connaissance à des degrés divers
                avec ce fléau redoutable qu'est la grippe. Le mot grippe
                dérive d'une racine verbale triconsonantique qu'on
                découvre dans les langues Indo-Européennes et dans les
                langues Sémitiques. C'est un geste qui reproduit une
                scène. Ce geste a été miniaturisé de l'ensemble du corps
                sur les muscles laryngo-bucaux, pour émettre un son qui
                va se prononcer différemment suivant les langues, mais
                que nous allons tout de même retrouver. Nous avons trais consonnes mères, G ou gué, R et F. Le
                P de grippe est un durcissement du F primitif. Cela va
                donc donner quelque chose ainsi : graf. Il faut voir une
                projection cinématographique et laisser rejouer dans sa
                musculature ce qu'on voit. Dans nos langues Indo-Européennes, la racine s'est
                conservée le mieux dans le mot Allemand : greiffen, qui
                signifie se jeter dessus, saisir et emporter. Il faut
                voir le grand carnassier qui se laisse tomber d'un bon
                sur sa proie, qui fait entrer ses griffes dans les
                chairs de sa victime, et qui la serre, et qui la
                déchiquette au moment même. Et on ne peut plus la lui
                arracher. Vous voyez déjà que le mot griffe est
                exactement le même mat que le mot grippe. Grippe est une
                forme dérivée de griffe. Dans les langages Sémitiques, il y aura une petite
                nuance. Ici, nous aurons le verbe garaph, graph, qui va
                plutôt, lui, nous projeter un assaillant. Ce ne sera pas
                ici un animal, ce sera plutôt un homme. Voyez les
                géants, au moment où les fils d'Israël sont entrés dans
                la terre promise pour l'explorer, à partir du désert.
                Lorsqu'ils sont revenus, ils ont dit aux fils d'Israël :
                Nous avons vu des fils d'Anaq, des géants. A côté d'eux
                nous paraissions comme des sauterelles. Vous avez, ici, donc un géant qui assaille une victime
                qui cette fois-ci sera le plus souvent un homme, ce peut
                être un animal aussi. Les bas-reliefs nous représentent
                des géants qui étouffent des lions dans leurs bras, donc
                de ces géants primitifs. Mais enfin, ils assaillent, et
                puis la nuance, ils assomment. Au lieu de faire pénétrer
                des griffes à l'intérieur du corps de la victime, ici on
                l'assomme d'un coup de poing irrésistible, d'un coup de
                poing dont on ne se relève pas. Et alors la victime est
                réduite à rien.Vous avez donc, ici, dans notre fameuse grippe, la
              combinaison de deux expériences : celle de la griffe et
              celle du coup de poing. Voyons maintenant comment la grippe se présente dans la
                pratique. D'abord la griffe : elle laboure de ses
                griffes le nez, la gorge et la poitrine du malade. Je
                pense que ça, nous l'avons tous expérimentés. Même ceux
                qui ont échappé, ils ont tout de même senti ces griffes
                qui labouraient leur gorge et leur poitrine. Et ces
                griffes arrachent des morceaux, des morceaux qui sont
                expectorés. On doit tousser et on doit rendre des
                débris. Mais ça n'en reste pas là ! La grippe réduit sa victime
                à l'impuissance. Voici le coup d'assommoir, le coup de
                massue qui anéantit l'homme. Il est anéanti et à ce
                moment là, la grippe le dépouille. Elle le dépouille de
                sa vigueur, elle le dépouille de sa prestance, elle le
                dépouille de ses activités, elle le dépouille de tout ce
                qu'il est. Il est réduit à rien, il ne sait plus rien
                faire. Et alors, que ce soient les griffes qui enserrent la
                poitrine, au que ce soit le coup de poing qui jette
                quelqu'un à terre et le réduit à rien, la grippe ne
                desserre son étreinte que peu à peu ; e11e ne relâche sa
                victime que lorsque elle lui a enlevé tout ce dont elle
                voulait la dépouiller. Maintenant revenons un peu à des images Bibliques. Vous
                savez que dans la Bible on ne parle pas de la grippe. On
                parle de la peste et de toutes sortes de choses. Nous ne
                savons pas trop bien ce qu'an entendait par la peste
                biblique. Il est possible que ce soit tout simplement la
                grippe, mais une grippe du genre de celle que nous
                connaissons maintenant. Vous avez donc l'image du lion qui est tapi dans son
                fourré et qui d'un saut se laisse tomber sur sa proie,
                la prend dans ses griffes, la déchire et l'emporte.
                C'est une image biblique fréquente : Judas est un lion
                qui bondit de son fourré sur sa proie et qui ne la lâche
                plus. Il y a l'autre image alors, c'est celle du brigand qui
                est caché au détour de la route, qui voit arriver le
                voyageur, et qui au moment voulu se jette sur lui et
                l'assomme d'un coup. Pensez à la Parabole du bon
                Samaritain, ou du voyageur tombé entre les mains des
                brigands : ils le laissent à demi mort après l'avoir
                dépouillé. Eh bien mes frères, voilà l'état de ceux qui ont connu
                la grippe à son degré le plus aigu. Il y a peut-être une
                ou l'autre de ces victimes, ici, pour comprendre ; les
                autres sont encore dans cet état d'impuissance relative,
                et nous aurons pitié de ces victimes. Pensons au lion,
                pensons aux brigands, pensons que ces hommes ont été
                dépouillés de tout ce qui leur donnait leur allure dans
                la communauté. C'est une profonde leçon d'humilité !
                Mais nous allons en rester là pour aujourd'hui. Demain,
                si nous n'avons pas été assaillis nousmêmes, nous allons
                un peu voir d'un peu plus près un certain type de grippe
                vraiment monastique. Chapitre : La grippe. 15.04.803. La grippe monastique.Mes frères,Il existe des types de grippe qui s'en prennent à notre
                être spirituel. Il est intéressant d'y réfléchir, de s'y
                arrêter. C'est très éclairant, vous allez le voir.D'abord le terrain ! Le terrain sur lequel va pouvoir
                germer, fermenter ce type de grippe, ce terrain, c'est
                notre appétit, l'appétit concupiscible, l'appétit
                irascible comme on dit. Donc, il y a en nous une force
                d'appétence, de convoitise, de désir. Une seconde force,
                l'irascible comme on dit, va nous donner l'énergie
                nécessaire pour conquérir l'objet de notre désir. Ce
                sont des forces sans lesquelles un homme serait
                absolument apathique. Ce sont donc des trésors, des
                dynamismes qui sont en nous.
 Malheureusement, ils sont déséquilibrés par le fait du
                péché. Et alors sur cet appétit grandissent ce qu'on
                appelle les huit passions ou les huit vices capitaux,
                qui ne sont que des malformations, il faut bien le
                savoir. Les premiers moines, Evagre surtout le tout
                premier, Cassien, leurs successeurs, ont analysé avec
                une pénétration extraordinaire ces huit vices. Le frère
                Luc nous en a donné un exemple : l'acédie, qui est le
                plus lourd de tous. Voilà donc le terrain.
 Sur ce terrain sont semés des germes. Ces germes sont
                projetés en nous, de l'extérieur, par les démons ; ou
                bien c'est nous qui les captons. Nous les captons par
                les ouvertures qui sont en nous, les fenêtres c'est à
                dire nos yeux et nos oreilles. Nous voyons certaines
                choses, nous en entendons, nous recueillons des
                impressions. Ces impressions tombent sur ce terrain
                déséquilibré de notre appétit. Il peut très bien ne rien se passer, mais la grippe
                peut soudainement se déclencher. Comment ? Eh bien,
                d'abord par une poussée de fièvre. Nous sommes donc
                maintenant dans la pathologie de la grippe spirituelle.
                Soudainement nos passions s'enflamment ! Notez que dans
                la grippe, il y a toujours ce trait caractéristique de
                l'imprévu et de la soudaineté. C'est le lion qui est
                caché et puis qui bondit. Ou c'est le brigand qui est
                dissimulé et puis qui assomme d'un coup de poing. On ne
                s'y attend pas ! Et voici que les passions s'enflamment ! Les passions ?
                Ecoutez, on devrait les passer toutes en revue : la
                sensualité, la gourmandise, la luxure, mais surtout plus
                souvent la colère, ou bien, dans la vie monastique ce
                n'est pas rare : la tristesse. La tristesse parce que ce
                que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce qui est descendu en
                moi, ce qui a fermenté, eh bien c'est hors de ma portée.
                Je ne saurais pas le prendre et alors je suis triste !
                Mais ça s'enflamme d'un coup, et on se demande : Mais
                comment est-ce arrivé ? Mais ça est là ! Vous voyez, de
                la fièvre, une fièvre spirituelle. Mais alors, tout notre organisme psycho pneumatique 
                  je veux dire ce substrat physique, psychologique,
                  physiologique même, grâce auquel nous avons conscience
                  de vivre spirituellement, tout cela est pris dans des
                  griffes, il est impossible de s'en dégager - est
                plongé dans l'obscurité. Mais une obscurité peuplée
                alors d'images, de phantasmes, de fantômes, de
                cauchemars et il est impossible de les écarter ! Une grippe disons physique, corporelle, elle nous
                couche sur notre lit et nous ne savons plus rien faire.
                Ici, au contraire, la grippe spirituelle nous excite
                charnellement, physiquement. Elle nous donne des jambes,
                elle nous donne une langue, elle nous donne une
                imagination, elle nous donne des réflexes violents. Il y
                a cette fièvre. Mais une fièvre qui excite notre nature pécheresse, qui
                plonge notre organisme spirituel proprement dit dans la
                plus totale obscurité. On ne sait plus ce qu'on fait, on
                perd la tête. L'être spirituel est comme anéanti, réduit
                à rien. Pour ce qui regarde les choses de Dieu, pour ce
                qui regarde les rapports d'amour et de charité, de
                bienveillance vis à vis des frères, tout ça c'est fini.
                Il n'y a plus de sentiment, il n'y a plus de goût pour
                tout cela. Il n'y a même plus d'intellection, il n'y a
                même plus de volonté. Si on va un peu plus loin dans la maladie, il n'y a
                plus de foi, il n'y a plus d'espérance, il n'y a plus de
                charité, il n'y a plus d'idéal, il n'y a plus rien du
                tout. Tout le substrat, je reprends ce mot, physique et
                physiologique, il est soustrait, il est retiré au
                spirituel parce qu'il est utilisé à d'autres fins, à
                d'autres buts. C'est la passion qui est enflammée. La
                passion s'empare de l'homme, de tout l'homme, et elle
                utilise l'homme pour ses fins à elle. Le spirituel ? On
                lui a enlevé ses instruments, il ne sait plus rien
                faire. C'est ça que j'appellerai la grippe spirituelle. Voyez un petit peu, si vous êtes sincères, ce qui se
                passe en vous parfois ! Et vous verrez que le plus
                souvent ça se déroule ainsi, à moins que vous ne soyez
                des êtres d'exception ? Moi, je me base sur le pauvre
                malheureux que je suis, mais je suis peut-être unique en
                mon genre, attention ! Mais enfin, ça m'étonnerait quand
                même. Que faire alors lorsqu'on a une telle grippe ? Il n'y a
                pas 36 remèdes. Le premier est de recourir au médecin
                parce que chaque grippe est spécifique. Il y a un
                antibiotique qui est adapté au type de grippe. Il faut
                recourir, comme dit Saint Benoît, à un sapiens
                  medicus, 27,2 & 28,2, à un médecin sage qui
                connaît son métier. Il connaît la théorie, il connaît
                aussi la pratique. Un bon médecin doit avoir expérimenté
                la grippe pour comprendre son patient, entrer dans sa
                psychologie et lui appliquer le remède. Saint Benoît dira la même chose : il faut que ce sage
                médecin soit capable de guérir ses propres maladies, sa
                propre grippe et puis alors pouvoir soigner celle des
                autres dans la discrétion, sans aller raconter partout :
                Vous savez, attention, ne pas s'approcher d'un tel
                aujourd'hui parce qu'il est de mauvais poil, il a la
                grippe spirituelle. Non, il ne dit rien. Et le premier remède qu'il va conseiller, comme dans
                tous les cas …… vous savez, le médecin pour la grippe
                corporelle va vous dire : très bien, au lit. Gardez le
                lit pendant deux ou trois jours et puis nous verrons
                après. Le médecin spirituel va dire la même chose. Il va
                dire gardez le lit, mais un lit spirituel. Et ce lit
                spirituel, je l'appellerai la patience, se coucher dans
                la patience, s'installer dans la patience ! Vous voyez, nous revenons à ce que j'avais déjà dit
                dimanche. Mais je pense que nous pourrions maintenant
                nous attarder un peu sur l'étude de cette patience. Je
                vous le dis: en cas de crise grippale spirituelle, c'est
                la toute première chose à faire, la toute première chose
                à conseiller, c'est de prendre patience, une patience
                avec soi, une patience avec les autres, une patience
                avec Dieu. Laisser tomber la fièvre, et puis petit à
                petit reprendre des forces. Mais attention ! Cette grippe spirituelle, elle
                n'arrive pas une fois, ou peut-être deux fois par an,
                comme la grippe que nous connaissons maintenant. Elle
                peut arriver souvent, toutes les semaines ? je n'oserais
                pas dire tous les jours, ce serait tout de même un peu
                beaucoup. Mais elle a tout de même un petit trait commun
                aussi avec notre autre grippe : c'est qu'elle est
                épidémique. Il y a en nous un sixième sens qui fait
                percevoir chez l'autre un accès de fièvre grippale. Mais tout cela, si vous le voulez bien, nous y
                réfléchirons les jours à venir. Je pense que ce sera
                intéressant parce que je vous le dit : à mon avis
                personne n'en est indemne. En tout cas, moi je ne le
                suis pas ! Chapitre :La grippe. 16.04.804. Prendre patience.Mes frères,Nous avons compris que l'épidémie de grippe que nous
                avons connue et qui nous tient encore pour l'instant,
                elle nous lance un message, elle est une voix
                prophétique qui vient d'ailleurs et qui nous délivre un
                enseignement auquel nous devons être suprêmement
                attentif. Car il y a des occasions providentielles qui
                ne se reproduisent plus. L'art du moine doit être  l'écoute. Saint
                Benoît nous dit que nous devons toujours incliner
                l'oreille de notre coeur. Cette oreille doit être propre
                ! Il ne faut pas qu'il y ait des bouchons qui nous
                empêchent d'entendre. Et pour qu'elle soit propre, notre
                coeur doit être pur dans toute la mesure du possible. Nous devons sans cesse le nettoyer. Nous devons le
                baigner, comme le disaient les Anciens, avec les larmes
                de la componction. C'est à dire toujours sentir en nous
                le regret de ne pas être meilleur, le regret d'être trop
                lâche, d'être trop facilement découragé, le regret de ne
                pas en faire assez pour celui qui a tout donné, jusqu'à
                sa vie, pour nous.Donc, notre oreille étant propre, nous devons encore faire
              attention : incliner l'oreille de notre coeur. Nous
              ne devons pas être distrait ! Voilà donc une voix qui nous clame quelque chose à
                travers cette grippe. Hier, j'ai essayé de dégager une
                phrase du discours que nous adresse Dieu à travers cette
                épidémie. Il nous dit qu'il existe une grippe autrement
                dangereuse que le virus que nous connaissons maintenant
                : ce sont ces grippes spirituelles qui provoquent des
                inflammations subites des passions, d'une passion ou de
                plusieurs en même temps. Cette fièvre qui s'empare de nous, nous porte à des
                actions, actions extérieures c'est à dire démarches, ou
                bien des actions intérieures dans le domaine des
                pensées, des mouvements du coeur et qui nous sont
                hautement préjudiciables. Car, lorsque ces passions sont
                enflammées, notre être spirituel, lui, est plongé dans
                l'obscurité, dans l'impuissance. Il est comme réduit à
                rien. Il est, comme disaient les Anciens : impeditus
                ou compeditus, c'est à dire qu'il a des entraves
                au pied. Et à ce moment-là, il ne sait plus avancer ; il est
                immobilisé. De même que le grippé fiévreux est alité,
                impuissant, le grippé fiévreux spirituel lui aussi est
                impuissant même si physiquement il a l'impression
                d'avoir une personnalité plus forte à ce moment là parce
                que les passions le travaillent. En réalité, sur la
                route qui conduit à Dieu, il est par terre ; il ne sait
                plus bouger ou bien il avance péniblement. Or, Saint Benoît nous demande de courir vers Dieu.
                Saint Benoît est un homme qui dit que la vie est courte.
                Il nous le dit : la vie est très courte, ne vous faites
                pas d'illusions, on est vite au bout ! Il paraît, on
                pourrait demander l'avis des Anciens, que plus on avance
                en âge et que plus le temps passe vite. Et les Anciens
                ont l'impression d'être venus au monde hier ; leur vie,
                c'est un éclair ! Et je vois le frère Jules qui
                m'approuve ! Or, Saint Benoît qui est un bon psychologue et en même
                temps un grand Spirituel, nous dit : Faites attention !
                Ne perdez pas votre temps Vous serez arrivés au bout
                sans le savoir, donc courez ! Et le mot qui indique la
                hâte chez Saint Benoît : courir, course, festinare,
                se dépêcher, se hâter, ne pas perdre de temps, ça
                revient peut-être bien une dizaine de fois. Recto cursu , 73,4, dit-il qu'il faut aller à
                Dieu. Il ne faut pas lambiner, il ne faut pas traîner en
                route, il ne faut pas flâner ! Or la fièvre spirituelle,
                non seulement nous empêche de courir, mais elle nous
                empêche même de marcher convenablement. Donc voyez mes frères, il y a là tout un domaine que
                nous devons connaître pour rester leste, jeune, léger et
                voler. Le moine, c'est un homme qui doit aller vers Dieu
                avec des ailes ! Pour bien faire, il devrait avoir des
                jambes comme les oiseaux pour de temps en temps se
                reposer, regarder où il en est, mais il devrait voler.
                Or celui qui a la fièvre, non seulement il ne sait pas
                voler, mais il ne sait même pas marcher. Il est réduit à
                rien. Et attention ! ça, c'est le fruit de l'ébullition
                des passions en nous. Maintenant nous avons compris aussi que lorsque cette
                maladie subite, soudaine tombe sur nous, il ne faut pas
                traîner avant d'aller consulter le médecin qui est le
                Père Spirituel, le Senior Spirituel qui a de
                l'expérience, qui, lui, est tombé souvent aussi dans
                cette maladie. Il en connaît les symptômes, il en
                connaît les degrés et l'évolution, et l'issue, mais il
                en connaît aussi les remèdes. Car il a pris la situation en main ; il l'a affronté ;
                il ne s'est pas laissé abattre ; il a luimême consulté
                des spécialistes ; et maintenant qu'il a suivi les cours
                théoriques de l'école qu'est le monastère, il sait bien
                ce qu' il doit faire. On va donc le trouver. Il prescrit
                un remède qui calme la fièvre. Or le premier remède qu'il va conseiller ce sera, nous
                l'avons vu hier,  la patience. Je pense que
                maintenant nous devrions essayer de tenter une excursion
                sémantique dans les différents milieux culturels latins,
                grecs et sémitiques, pour bien comprendre ce qu'est la
                patience ; dresser une carte du pays que nous
                appellerons patience ; poser des jalons, placer des
                repaires qui nous permettrons alors d'avancer dans ce
                pays, dans cette région qui malgré tout est toujours
                neuve pour nous. Nous devons savoir comment nous
                conduire ; c'est ça que je veux dire : comment nous
                  conduire ! La patience, c'est toute une branche de l'art
                spirituel. Nous ne devons pas nous imaginer que ce que
                les Anciens nous proposent comme idéal à atteindre pour
                réussir notre vie, c'est quelque chose qui ne serait
                plus de notre temps. C'était bon dans le temps passé où
                les hommes n'étaient pas sollicités comme ils le sont
                aujourd'hui. Ils étaient plus simples ; ils avaient une
                foi plus robuste, plus naïve ; enfin ils vivaient à
                d'autres temps et ce qui était possible à leur époque,
                mais ce ne l'est plus aujourd'hui ! Mes frères, si nous en arrivons à penser ainsi, que
                faisons-nous de Dieu ? Que faisonsnous de l'Esprit de
                Dieu ? Donc, le Dieu qui était tel à une époque
                déterminée, il n'est plus capable, aujourd'hui, de
                conduire des hommes à la sainteté ? Il n'est plus
                capable de purifier des coeurs aujourd'hui ? Il ne
                serait plus capable d'ouvrir des yeux qui pourraient le
                voir ? Des yeux qui pourraient boire cette Lumière ? Des
                yeux qui pourraient dès cette vie, dans une chair
                d'homme, voire la personne du Christ Jésus dans sa
                gloire de ressuscité ? Cela se faisait dans le temps, et
                il paraît que cela ne se fait plus aujourd'hui ! Eh bien, prenons garde à cela ! Ne nous laissons pas
                envahir par les pensées de ce genre, qui sont des
                pensées hérétiques. Hérétiques, pourquoi ? Parce
                qu'elles englobent à elles seules toutes, l'ensemble de
                toutes les hérésies, car elles s'en prennent à la
                puissance et à la nature même de Dieu, à son amour ; et
                surtout à cette Incarnation, à cette Passion du Fils de
                Dieu qui a voulu devenir l'un de nous, un homme, pour
                que nous autres nous puissions devenir lui, c'est à dire
                participer à sa vie, devenir des fils de Dieu, et dès
                cette vie encore le savoir et nous comporter comme tels. Voilà mes frères, nous allons donc dans les jours qui
                viennent essayer d'explorer cette patience qui est, dans
                une vie monastique, une attitude de base. Vous
                comprendrez mieux lorsque nous aurons un peu réfléchi.
                Et alors je pense, nous pourrons travailler avec un peu
                plus de doigté à l'oeuvre que Dieu veut réaliser avec
                nous et qui est notre propre sainteté. C'est à dire
                l'apparition de sa gloire à lui, de son être, à travers
                notre petite personne, notre humble personne. Mais une
                personne sublime, car nous sommes déjà par le baptême
                des fils de Dieu. Et Dieu n'attend que de faire rayonner
                sa Lumière à travers nous. Chapitre : L’homme d’en haut. Jn 3, 22-36. 20.04.80Mes frères,Le Père Abbé d'Achel m'a demandé, vous le savez, de
                dégager la sève spirituelle qui se trouve dans la Carte
                de Visite. Cette tache, je la poursuivrai lorsque nous
                serons un peu libéré de cette grippe qui ne finit pas
                d'accabler encore une dizaine d'homme aujourd'hui. Je
                m'en vais, si vous le voulez bien, vous exposer un petit
                fruit de la Lectio que j'ai cueilli avant hier
                soir après le souper. Je parcourais ce petit épisode de la rencontre de
                quelques disciples de Jean et d'un Juif. Et ils
                discutaient au sujet de la purification. Ils ne sont pas
                d'accord et ils vont porter le différent devant
                l'arbitre, qui est Jean. Et Jean donne raison à ce seul
                Juif contre ses disciples. Mais qui est Jean ? Jean, c'est le prophète dont le nom
                signifie la mission, plus que la mission même, son être.
                Il est son nom. Et ça veut dire que par ses paroles, par
                sa vie, par toute sa façon d'être dans le monde, il
                exprime un message ; et un message capital, un message
                que tous les hommes doivent pouvoir déchiffrer, lire,
                comprendre. Et Jean signifie : le Seigneur fait grâce, le Seigneur
                est bon, le Seigneur rend gracieux. Il lave, il nettoie,
                il décrasse, et il rend beau. Voilà ce que signifie le
                nom de Jean. Et vous comprenez alors pourquoi Jean doit
                baptiser. Il plonge les hommes dans de l'eau. Et les
                hommes en ressortent non pas encore devenu beaux, mais
                dans l'espoir de le devenir. Il va se passer quelque
                chose qui va être la réalité du signe prophétique qu'est
                la personne et l'action de Jean. En face des disciples de Jean qui sont enthousiastes
                pour leur maître, il y a un Juif, un seul, qui lui est
                disciple du Christ, comme le laisse entendre la suite du
                récit. Or, le Christ un peu plus loin baptise aussi.
                Mais qui est ce Juif ? Le mot juif signifie : celui qui
                est consacré à la louange de Dieu, celui dont la vie est
                d'être eucharistique, c'est à dire de rendre grâce, de
                remercier, de louer. Pourquoi ? Parce que l'homme a reçu ce que Dieu lui avait promis.
                L'homme est devenu ce que signifiait le nom de Jean. Il
                est devenu gracieux, il est devenu propre, pur, beau. Il
                est devenu image parfaite, reflet parfait de ce qu'est
                Dieu lui-même. Alors, voilà cet homme seul devant les
                disciples de Jean ! Et les disciples de Jean ne voient pas encore dans cet
                homme que la mission de leur maître a été réalisée grâce
                à un autre baptême. Car ce Juif a été plongé dans un
                autre baptême que celui de Jean. Il a été plongé dans le
                baptême de Jésus qui est une immersion dans l'eau et le
                souffle, c'est à dire dans l'Esprit. Voilà donc cet homme qui est totalement changé 1 Et
                l'Evangéliste y va alors d'un petit commentaire de son
                cru. Il dit ceci : Celui qui vient d'en haut, il est
                  au dessus de tout. Par contre, celui qui est de la
                  terre, il n'est que de la terre, et il ne sait parler
                  que des choses de la terre. Et il précise :
                  Celui qui vient du ciel, il est au dessus de tout, et
                  il rend témoignage de ce qu'il a vu, et de ce qu'il a
                  entendu...mais personne ne l'écoute ! Quel est
                donc celui-là qui vient d'en haut ? Et quel est celui-là
                qui est de la terre ? Mais le premier qui vient d'en haut, nous le savons,
                c'est le Christ Jésus. Il l'a dit combien de fois !
                  Je suis venu du ciel, dit-il, je suis envoyé
                  d'auprès du Père, et je retourne d'où je suis venu.
                  Vous, dit-il à ses adversaires, vous êtes de la
                  terre. Moi, dit-il, je suis du ciel.
                Comment voulez-vous que nous nous comprenions ? Nous ne
                parlons pas le même langage. Pour me comprendre vous
                devez, vous aussi, être d'en haut. Celui qui est d'en haut, il est au dessus de tout. Cela
                veut dire qu'il est  inaccessible. Il domine
                tout, il voit tout, il entend tout et il juge tout,
                alors que lui-même n'est jugé par personne. C'est Saint
                Paul qui a dit cela. Et Saint Paul savait très bien ce
                qu'il disait, car lui avait fait la double expérience :
                de la terre et du ciel. Mais le Christ a été le premier
                à être d'en haut. Il nous dit, il l'a dit quelques jours
                ou quelques semaines auparavant, il l'a dit à cet homme
                sage et prudent qu'était Nicodème. Il était venu lui
                poser une question aussi : Voilà, tu as quelque chose à
                dire à Israël, eh bien je suis là pour t'écouter, dit-le
                ! Et Jésus lui dit :  Si tu ne renais pas d'en haut,
                  tu ne verras jamais le Royaume de Dieu. Pour
                entrer dans ce Royaume, tu dois venir, tu dois être d'en
                haut. Nicodème est étonné ! Et le Christ précise :
                  Ecoute, dit-il, si tu ne nais pas à nouveau...
                Etre d'en haut, c'est donc naître à nouveau ! Et
                Nicodème se demande : Mais comment est-ce possible
                lorsqu'on est déjà âgé ? Eh bien c'est possible,
                lui dit Jésus, tu dois naître, non plus de la chair
                  comme tu es né la première fois, mais tu dois naître
                  maintenant de l'eau et du souffle. Voyez maintenant les toutes premières pages de la
                Genèse : à l'origine du monde, il n'existe qu'un océan,
                un chaos, un chaos humide, de l'eau ! Et au dessus de
                cette eau plane l'Esprit, le Souffle. Et des deux alors,
                grâce à une Parole de Dieu, voici qu'une naissance se
                produit : c'est le monde qui vient à l'existence. Il faut donc que se produise pour toi, Nicodème,
                quelque chose de semblable...que d'une eau mystérieuse,
                spirituelle couvée par l'Esprit, par un souffle
                spirituel qui est l'être de Dieu, il faut que naisse un
                homme nouveau, un homme qui n'est plus de la terre cette
                fois-ci, mais qui est d'en haut, qui est du ciel. Voilà
                quelle est ta vocation ! Et voilà ce eue nous rappelle
                ici l'Evangéliste. Et là, mes frères, j'y vois mais exactement la
                description de notre vie chrétienne. Mais prenons
                maintenant la vie chrétienne vécue dans je dirais ses
                ultimes conséquences. Prenons la vie monastique puisque
                nous sommes ici dans un monastère. Nous avons ici la
                définition une des plus belle - de ce qu'est l'humilité. L'humilité, qui est un passage d'un état terrestre à un
                état d'en haut. Ce n'est pas une ascension de la terre
                vers le ciel, même si Saint Benoît présente l'humilité
                sous l'image d'une échelle. Mais n'oublions pas que
                cette échelle, on la gravit en descendant. Voyez, nous
                sommes en plein paradoxe toujours ! Il faut exprimer des vérités, des réalités qui sont
                ambivalentes. C'est à dire que ce sont des êtres de
                chair qui doivent vivre une expérience spirituelle
                céleste. Allez trouver un peu le vocabulaire précis !
                Non, une image poétique nous montre que l'humilité est
                un passage d'un état purement terrestre à un état divin,
                céleste. Et cette humilité, ce passage sera assimilé à une
                naissance, une naissance qui est toujours pénible. Tous
                les psychologues, les psychanalystes surtout vous diront
                que le plus terrible traumatisme que l'homme ressente,
                c'est l'instant de sa naissance où il passe d'une vie
                bien calfeutrée sans aucun problèmes à un univers
                nouveau où il est là ; il ne sait pas ce qui lui est
                arrivé ! C'est pour lui l'équivalent d'une mort ! Il y
                en a qui ne parvienne jamais à assimiler cette
                naissance. Jusqu'à la fin de leurs jours, ils souffrent
                de ce traumatisme. Mes frères, voilà ce qu'est l'humilité ! C'est cette
                naissance qui est longue, qui est pénible, qui nous fait
                devenir ce que nous devons être. Elle est le
                franchissement d'un tunnel qui nous fait déboucher sur
                un univers nouveau. Mais alors, que se passe-t-il ? Il
                se passe que nous sommes dans une situation très
                inconfortable car nous participons à la fois à deux
                éléments. Nous sommes, comme le dit l'Evangéliste,
                toujours de la terre car cette naissance n'est pas
                instantanée. La naissance d'un homme, elle s'opère au
                cours de longs mois. Au moment où il apparaît au jour,
                on dit qu'il voit le jour ; mais c'est l'instant ultime,
                il s'est passé des mois avant ! Pour naître à l'univers
                de Dieu, il ne se passe pas des mois, il se passe des
                années. Et alors on est entre les deux, on participe aux
                deux. On est toujours un homme terrestre et en est rivé
                au sol. Vous savez, on est de la terre, c'est à dire sans
                horizon ; on est des ombres. Une ombre n'a pas de
                hauteur, elle n'a pas d'épaisseur, elle n’est que
                surface. Voilà l'homme né de la terre ! Il ne voit pas
                loin. Il ne voit même pas plus loin que le bout de son
                nez : il est au ras du sol. Et alors, cet homme doit
                petit à petit s'élever. Il doit grandir, il doit surgir,
                il doit commencer à voir, à observer mais aussi avec
                d'autres yeux, avec des yeux de Dieu, avec des yeux d'en
                haut. Auparavant il parlait uniquement des choses de la terre
                car il ne voyait que le ras de terre. Il n'imaginait pas
                qu'il y ait autre chose au-delà, au dessus de la terre.
                Il ne voyait pas, il ne pensait pas qu'il existait un
                  autre monde. Maintenant il y accède et il commence
                à parler autrement. Il commence de rendre témoignage de
                ce qu'il voit et de ce qu'il entend ; et jusqu'au moment
                où il franchit un certain seuil, où il est comme
                décroché de la terre tout en étant toujours de la terre.
                Il est devenu un fils du Royaume, un fils de Dieu bien
                conscient. Et alors il parle toujours maintenant de ce qu'il voit
                et de ce qu'il entend. Mais on ne l'écoute pas, sauf
                ceux qui sont, comme lui, arrivés à un moment où le
                panorama se dégage devant eux. Lorsqu'on est là, Saint
                Benoît ne trouve plus rien à dire. Il achève en disant :
                  Mais voilà, on verra bien ce que l'Esprit de Dieu va
                  réaliser dans cet homme qui est enfin dégagé du poids
                  de la terre, c'est à dire des vices et des péchés. 7,
                  186. Voilà,mes frères, un petit partage pour ce matin, en
                attendant le retour du soleil et du beau temps. Mais
                nous avons un regard qui nous permet de voir au delà, au
                delà de cette giboulée de neige qui s'est abattue sur
                nous ce matin et dont les traces sont encore visibles
                làbas sur la terre. Nous savons que derrière ce pénible
                de notre vie d'aujourd'hui, de ces retours de flamme du
                vieil homme qui parfois nous emporte là où nous ne
                voudrions jamais aller quand nous sommes de sang froid,
                nous savons qu'il y a quelqu'un qui grandit : l'homme
                d'en haut, qui un jour sera tout à fait gracieux, tout à
                fait beau, qui sera l'image parfaite de ce que Dieu est. Voilà, mes frères, essayons de vivre cette journée, le
                jour du Seigneur, avec au coeur cette espérance. Et
                rappelons-nous bien que le chrétien, le moine surtout,
                est un être Pascal. C'est à dire un être de passage, un
                être en voie de résurrection, en voie de devenir un
                homme eucharistique dont la vie n'est plus que chant de
                reconnaissance pour ce Dieu qui le fait participer à sa
                vie. Chapitre : La patience. 23.04.80Ce pays qui est le nôtre !Nous allons entreprendre un voyage, un voyage dans un
                pays qui est le nôtre, mais que nous connaissons mal. Ce
                pays est le nôtre parce que nous sommes des moines qui
                avons confié notre vie à Saint Benoît. Regula
                  Magister, dit le législateur, la Règle qui est
                notre maîtresse de vie ; celle qui nous met au monde, au
                monde de Dieu ; celle qui nous éduque, qui nous façonne,
                qui nous forme ; qui nous fait sortir de notre
                étroitesse, de notre petitesse, de notre infantilisme,
                de nos idées bornées, de nos petites susceptibilités, de
                tout ce qui est bassement humain. Elle nous fait grandir, elle nous fait devenir des
                hommes, des adultes en Christ, des hommes spirituels,
                des fils de Dieu qui peuvent dire à Dieu : Père ;
                et qui, aux autres hommes quels qu'ils soient, sans
                aucune exception, peuvent dire frères. Voilà,
                pour cela nous sommes dans un pays qui serait le nôtre.
                Mais nous le connaissons mal, ce pays. Nous le
                connaissons mal parce qu'il est trop riche. Il est
                tellement rempli de richesses que nous ne les voyons
                plus. Nous sommes devenus comme ces touristes. Lorsque la
                période de vacances est là, il leur pousse des ailes et
                ils doivent partir par millions. Ils encombrent les
                routes, ils doivent voir d'autres choses. Ils courent au
                loin et ne voient plus le pays dans lequel ils passent
                disons la plus grande partie de leur existence. Ils
                confondent exotisme, et enrichissement, et
                culture...quand les richesses sont là devant eux. Mes frères, ce pays qui est le nôtre, il vient de se
                rappeler à notre attention avec une vigueur à laquelle
                nous ne pouvons pas résister. Il s'impose de nouveau à
                nous. Et vous vous en doutez sans doute, ce pays dans
                lequel le moine doit vivre, dans lequel il doit
                s'épanouir, il porte le beau nom de : patience. Cet univers qui est le nôtre, nous allons essayer de
                l'explorer dans les jours qui vont venir. L'explorer
                pour mieux le connaître, pour l'aimer, de façon à vivre
                mieux. Nous allons le prospecter lentement à notre aise,
                sans traîner pourtant, et ayant ouverts, grands ouverts
                les yeux de notre intellect et aussi l'oreille de notre
                coeur. Aimer, c'est une affaire de coeur. Pour aimer, il faut avoir un coeur. Celui qui n'aime
                pas, celui-là, ce n'est pas un homme parce qu'il a un
                coeur d'animal, il n'a pas un coeur humain. Saint Paul
                dira : C'est l'être psychique, l'être charnel, l'être
                  animal. Il emploie aussi le mot animal ! Un homme
                qui aime, c'est un homme qui a un coeur ouvert à tous.
                Et nous allons l'ouvrir, nous, à ce pays qui est le
                nôtre, et dans lequel nous allons avancer. Et pour le découvrir, nous allons voir ce qui se passe
                un peu partout dans le monde des hommes. Nous vivons
                aujourd'hui à l'heure du régionalisme. Ce n'est pas
                seulement un fait Belge, le régionalisme. On le trouve
                ailleurs. Par exemple en Espagne: vous avez les Basques; vous
                avez les Catalans ; vous avez les Andalous qui se
                remuent. Ou bien en France : vous avez le réveil Breton
                ; vous avez les frissons qui traversent les régions
                d'Occitan comme on dit maintenant, les pays de Languedoc
                dans le sud. En Angleterre: vous avez les Ecossais, les
                Gallois, les Anglais qui se découvrent cousin, mais
                malgré tout avec leur physionomie personnelle. Et dans
                le lointain Iran de l'Ayatollah Khomeiny, vous avez même
                le réveil des ethnies et cela donne du fil à retordre au
                nouveau gouvernement. C'est là me semble-t-il un phénomène de santé ! Dans le
                nivellement d!une civilisation qui est maintenant à
                l'échelle planétaire, les hommes, dans un sursaut
                désirent retrouver leur identité, ou la préserver en
                sauvant leurs valeurs culturelles, linguistiques,
                politiques particulières. Il le faut, mes frères, car
                c'est un besoin. Nous devons vivre, et nous devons vivre
                tel que nous sommes. Nous devons sauver notre âme ! Eh
                bien, voilà où je voulais en arriver. La patience, qui est notre pays monastique, est aussi
                régionalisée. On y distingue trois grandes régions : une
                région d'inspiration Latine. On l'appellera la
                  patientia. Il y a une seconde région
                d'appartenance Grecque, l'hypomonè. Et il y a
                enfin une troisième région qui n'est pas la moins
                intéressante et qui est de mentalité Hébraïque, les
                …………. J'ai cité les noms des différentes régions dans la
                langue originale, en me référant à ce que j'ai moi-même
                lu cette nuit au cours de l'Office. Vous avez ces
                sauterelles qui surgissent de la poussière de la terre
                et qui sont le 5° fléau envoyé sur les hommes. Et ces
                sauterelles ont le pouvoir de nuire aux hommes pendant
                cinq mois. Ce sont des sauterelles scorpions. Et elles ont un roi qui les guide et qui dirige leurs
                mouvements. Et ce chef, ce roi, c'est le prince de
                l'abîme, et il porte trois noms. Il porte un nom
                  Abbadôn en Hébreux, Appolyôn en Grec, et il
                porte le nom d' Exterminans en Latin. Dans le
                texte que j'ai lu, on a laissé tomber le mot latin parce
                que il est peut-être trop proche du Français. Mais on a
                conservé les autres mots dans les textes Grec et
                Hébreux. Mais voilà! Il y a là une personnalité qui est cet
                être, car c'est une personnalité bien réelle qui nuit à
                l'humanité. Il est tellement complexe qu'il porte trois
                noms, trois titres, et c'est un roi : le roi des
                puissances maléfiques. Eh bien, notre patience, notre
                pays qui est la patience, il est aussi tellement riche
                qu'il est divisé en trois régions. Et ces régions
                portent trois noms. Nous allons explorer chacune de ces
                régions. Nous y mettrons une journée, c'est à dire une
                journée...de Chapitre ! Et nous allons à notre aise
                faire le tour. Nous explorerons à pied ces régions qui ne sont pas
                tellement étendues, et puis nous avons de bonnes jambes.
                Nous allons les explorer. Et quand nous aurons exploré
                chacune, nous prendrons un aéronef. Nous allons nous
                élever et les contempler toutes les trois ensembles d'un
                seul coup d'oeil. Et nous verrons qu'elles sont
                sillonnées de routes et de canaux qui les relient toutes
                les trois ensembles. Si bien qu'il est impossible de les
                séparer. Elles forment un tout indivisible : trois
                régions qui forment le pays qui est le nôtre. Mais voilà mes frères, je vous invite à ce petit
                voyage. Je pense qu'il sera intéressant. Et lorsque nous
                auront terminé notre exploration et notre supervision,
                nous serons heureux de savoir que la patience est le
                monde dans lequel vit un moine, et que ce monde, sans
                que nous le remarquions, nous fait grandir, nous fait
                devenir des hommes parfaits en Dieu, encore ! Mais aussi
                des hommes parfaits tout court, avec lesquels il fait
                bon vivre, avec lesquels il fait bon parler, des hommes
                équilibrés, des hommes heureux, des hommes qui sont bien
                dans leur peau, des hommes qui rayonnent.Voilà mes frères, tout cela si nous respirons l'air
              vivifiant de ce beau pays qui est le nôtre. Chapitre : La patience. 24.04.802. La patience selon les latins.Nous avons commencé ce beau voyage à travers ce pays
                qui est le nôtre et qui s'appelle la Patience. Puisque
                nous avons choisi de vivre sous la Règle de Saint
                Benoît, cette patience est devenue notre patrie. Nous
                allons d'abord explorer la région de langue latine.
                Patience est un nom qui dérive d'un verbe latin qui
                n'existe qu'au passif. C'est déjà une indication. Il
                signifie : subir, supporter, endurer, tolérer, souffrir
                toutes sortes de contrariétés et d'avanies, de
                souffrances aussi. La patience est liée à ce qui nous est contraire, à ce
                qui nous heurte, à ce qui vient se mettre en travers de
                nos projets et de nos idées, de nos rêves et de nos
                illusions aussi ; toutes choses contraires qui peuvent
                nous venir de la part des hommes ; qui sont créées par
                les situations, par les événements ; qui trouvent leur
                source en nous, peut-être. Cette patience peut se définir comme l'art de subir,
                l'art de s'adapter à ce qui nous est contraire. Ce n'est
                donc pas attaquer, agresser ce qui s'oppose à nous!
                Notez que c'est beaucoup plus facile. Il est beaucoup
                plus facile de briser un homme que de le prendre et de
                le supporter, et avec la grâce de Dieu de le faire
                évoluer et de le convertir. Vous savez qu'il fut un temps, dans l'Eglise même, où
                on choisissait la première des solutions. On exterminait
                les hérétiques : c'était fini, il n'y avait plus
                d'opposition ! Après on a compris que ce n'était pas du
                tout la méthode préconisée par le Christ. Alors, on a commencé à les accueillir, à les porter, à
                être patient et à essayer de les convertir. Le grand
                Apôtre de cette méthode fut Saint François de Salles,
                vous savez, qui a converti combien de Calvinistes dans
                le nord de la Savoie, uniquement par sa patience. Il
                savait les écouter, il savait les entendre. N'oublions
                pas ceci : patience est toujours liée à écoute
                ! Ne l'oublions pas ! La patience est donc l'art de s'adapter. On peut la
                voir comme un de ces anciens grands voiliers qui étaient
                imposants pour l'époque. Ils s'en allaient toujours dans
                la bonne direction, même lorsque le vent était
                contraire. Comment s'y prenaient-ils ? Mais par un jeu
                de leurs voiles, ils prenaient ce vent contraire et ils
                l'utilisaient pour avancer contre vent et marée comme on
                disait. C'est cela la patience ! C'est donc s'adapter au contraire en gardant le
                sourire, en gardant la confiance en sachant très bien
                que pour ceux que Dieu aime, tout coopère à leur bien.
                Pour ceux que Dieu aime ? Mais à conditions que ces
                hommes s'abandonnent avec confiance à ce Dieu qui les
                aime et qui va se servir du contraire pour les former à
                son image à lui. Voilà donc un peu ce que nous découvrons dans la partie
                latine de notre patrie. La patience sera donc parente,
                elle sera la fille de la vérité, c'est à dire une
                lucidité qui fait voir les choses telles qu'elles sont
                dans leur réalité. Non pas telles qu'on voudrait
                qu'elles fussent ou qu'on s'imagine qu'elles sont. Non,
                mais un regard clair, lumineux, lucide qui voit les
                hommes, qui voit les choses et qui voit les situations
                telles qu'elles sont dans leur réalité, sans les nier,
                mais aussi sans les dramatiser ; les prendre telles
                qu'elles ! Je parle ici des choses, des situations et des hommes
                qui nous sont contraires. Je pense qu'il n'y a pas de
                vérité dans un homme s'il ne sait pas accepter son frère
                tel qu'il est, et s'il ne sait pas accepter la situation
                telle qu'elle est. Cet homme, quelque part est désaxé,
                il est déséquilibré. Et quand je parle d'hommes ici, ce
                sont les hommes en général. Mais c'est encore bien plus
                vrai lorsqu'il s’agit de moines, de moines cénobites qui
                vivent les uns à côté des autres. Un homme ainsi, il vit hors de son milieu divin, de son
                milieu surnaturel, de son milieu normal. Il est à sa
                façon un marginal. Mais ce n'est pas un marginal comme
                an en a parlé à la Conférence Régionale ; celui-là,
                c'est le marginal affiché. Non, mais ici par une partie
                de son être, il n'est pas vrai parce qu'il a peur
                d'entrer dans le réel, dans la vérité qui est là, qui
                est devant lui et qui s'offre à lui. Mais cette situation, ou ce frère qui nous sont
                contraires, ou qui semblent l'être, et bien, c'est Dieu
                qui s’offre à nous ! Il ne faut jamais l'oublier
                ! Lorsqu’il y a patience, il y a toujours trais éléments
                : il y a moi ; il y a ce qui est devant moi ; et il y a
                celui qui arrange le jeu et qui attend que j'y réponde.
                Ma réponse : c'est la patience ! Si je ne vois pas le jeu, si je ferme les yeux, si je
                ne veux pas le voir, même si je subis ce qui est là
                devant moi et qui m'est contraire : je ne suis pas dans
                la patience. Je serai dans la résignation et je
                ne pratiquerai pas l'art. Non, je vais refuser. .
                Je suis dans le même état que cet ouvrier ou cet employé
                ou ce serviteur qui avait reçu un talent, et puis qui
                l'a serré dans son mouchoir et qui est allé le cacher
                dans un endroit connu de lui seul. Et puis c'était bon,
                il n'y a plus pensé. Il n'a pas osé affronter ce qui lui était contraire, ce
                qui allait contre son instinct de sécurité, contre son
                instinct de tranquillité. Il n'a pas osé affronter le
                contraire, c'est à dire travailler pour faire rapporter
                du fruit. Voyez ! Il n'est pas entré dans le jeu que lui
                offrait son maître. Et alors le résultat ? Eh bien, il a
                été mis à la porte hors du Royaume, hors de sa patrie.
                Il était un marginal, et il l'ignorait. Voilà mes frères, la patience est donc une vertu, donc
                une force, mais une force de passivité. Une force de
                passivité ? C'est un peu une antinomie, une antithèse !
                Mais non, la passivité est une force. C'est la première
                de toutes les forces : savoir porter. Et c'est une force
                qui ne détruit pas ! Comme je le disais en commençant,
                il est beaucoup plus facile de détruire. Je pense que Don Bosco enseignait aussi à ses disciples
                comment s'y prendre avec les enfants. Il ne fallait pas
                commencer à les brutaliser ou à les punir ou à crier
                dessus. Non, il fallait les prendre tels qu'ils étaient
                et les porter, être patient avec eux, subir leurs
                révoltes d'enfant pour les faire sortir d’eux-mêmes et
                les faire devenir des adultes. C'est la même chose dans un monastère. Il faut porter
                les frères tels qu'ils sont et avec énormément,
                infiniment de patience pour les aider à sortir de leurs
                complexes et devenir de véritables enfants de Dieu. Mes frères, cette vertu de patience, elle sait tirer
                profit de tout, absolument tout, car elle sait que tout
                lui est offert par un Père. Et Saint Benoît le sait.
                Nous trouvons une illustration de cette approche de la
                patience lorsqu'il parle du novice. Il dit : Lorsqu'on
                lui a lu la Règle, on lui demande : Eh bien quoi ? Es-tu
                capable de vivre de cette façon là ? Et s'il dit : Mais
                oui, je pense que oui. Alors, dit-il, on le reconduit
                chez les novices et on va de nouveau l'éprouver in
                  omni patientia, 58,11, en toute patience le mettre
                à l'épreuve. On va donc lui proposer des choses qui le contrarie, et
                voir comment il va réagir, non pas pour l'épier, mais
                pour l'aider à devenir un homme dans cette nouvelle
                patrie, un citoyen à part entière de son nouveau pays. En toute patience ! Patience de la part du
                  novice : il doit apprendre à vivre selon les
                moeurs nouvelles qui devront être les siennes. Mais
                aussi patience de la part de l'Abbé et de la part des
                  frères, qui doivent supporter les défauts de ce
                nouveau citoyen qui n'est pas encore initié. Donc, mes frères, retenons ceci de notre premier
                voyage, un peu rapide peut-être mais nous ne pouvons pas
                traîner, retenons ceci :C'est que la patience est l'art de subir ce qui est
                contraire parce qu'on sait que pour ceux que Dieu aime,
                il n'y a rien qui soit opposé. Mais lorsqu'on
                s'abandonne avec confiance à la main de Dieu qui nous
                travaille, alors, tout coopère à notre bien. Cela veut
                dire que ça nous fait sortir de notre carapace d'homme
                naturel pour devenir un homme spirituel, un enfant de
                Dieu, quelqu'un qui va pouvoir à l'image de Dieu
                travailler à la création et a la sanctification de ceux
                avec lesquels il vit, mais aussi au-delà d'eux, à la
                création et à la sanctification de l'univers entier.
 Chapitre : Conclusions pour nous. 25.04.80Suite à la libération manquée des otages d’Iran.Mais, mes frères, pour nous, maintenant ?Pour nous, eh bien nous devons reconnaître que nous
                vivons une période difficile et dangereuse, n'ayons pas
                peur de le dire. La guerre pourrait très bien éclater
                d'un moment à l'autre. Il suffit d'une étincelle pour
                cela ! On n'en sait rien ! Il ne se passera peut-être
                rien du tout, espérons-le. Mais enfin, on ne sait pas. Voyez un peu quelle responsabilité pèse sur les hommes
                politiques d'aujourd’hui, comme le Président Carter par
                exemple, ici aussi comme les ministres Européens. Ne
                parlons pas de Khomeiny et de ceux-là, parce que eux,
                cela ne les intéressent pas. La guerre peut éclater pour
                eux, parce que ainsi le diable - ils le voient dans tout
                ce qui n'est pas Islam - doit être condamné. Je vais vous donner un exemple : Il a publié un petit
                livre vert. Vous connaissez le petit livre rouge de Mao.
                Il existe maintenant aussi le petit livre vert de
                Khomeiny. Il existe dans tout l'Iran. Et il y a par
                exemple cette prescription-ci : Si tu es à table avec un
                païen - un païen, c'est donc un qui n'est pas musulman -
                et que tu vois qu'il laisse quelque chose-là, ne le
                mange pas ! Mais si ton chien a laissé quelque chose
                dans son écuelle, tu peux le manger ! Tout ce qui n'est
                pas Islam est moins que chien et doit être exterminé.
                Voilà la mentalité de ce fanatique ! Donc lui ne
                regardera à rien du tout. Eh bien, mes frères, nous, ici, que devons nous faire ?
                Eh bien je pense que ça peut être un stimulant pour bien
                comprendre le sens de ce que nous faisons dans ce
                monastère. Essayons d'être nous-mêmes, d'être vrai, de
                répondre avec plus de conscience à ce que Dieu attend de
                nous. Or, ce qu'il veut faire de nous, ce sont des présences
                vivantes du Christ parmi les hommes. C'est à dire de
                dieux, des êtres de paix, des êtres de prière, des
                hommes qui soient vraiment des frères les uns pour les
                autres. Des hommes qui seront des foyers de lumière,
                comme cette lumière invisible, vous savez, ces rayons
                ultraviolets ou infrarouges que nous ne voyons pas, mais
                qui permettent à la vie de se maintenir ici sur cette
                terre. Eh bien nous, dans l'invisible du surnaturel,
                voilà ce que nous devons être. Et si nous sommes vrais, si notre communauté est de
                plus en plus, ici, un îlot de paix, une cellule du
                Royaume de Dieu, à ce moment tous ces hommes sur les
                épaules desquels repose la responsabilité de la paix du
                monde, ils seront soutenus, ils seront plus forts, ils
                seront plus lucides dans les décisions qu'ils doivent
                prendre. Voilà ce que je voulais vous dire ce soir. Soyons donc
                de plus en plus vrais de façon à aider. Prions aussi de
                façon de plus en plus, je dirais, ardente pour que Dieu
                écarte dans la mesure du possible les fléaux : fléau de
                la haine, fléau de la guerre. Mais d'abord, mes frères,
                qu'il l'écarte de notre coeur, qu'il l'écarte de notre
                communauté. Et je le répète, que nous soyons ici une
                vrai cellule du Royaume, un îlot de paix qui, j'en suis
                certain et c'est même une certitude absolue, rayonnera
                alors partout dans le monde. Homélie : Dimanche des vocations. 27.04.80Mes frères,Le Pape Jean-Paul II a décidé que ce quatrième dimanche
                d'Avril serait une journée mondiale de prières pour les
                vocations. Hier, on a lu au réfectoire la lettre qu'il
                nous a adressée. C'est un problème crucial de notre époque, celui des
                vocations. Pourtant il ne doit pas nous inquiéter outre
                mesure car il n'est pas nouveau. Cette crise est
                récurrente : elle est arrivée autrefois, elle se
                présentera encore. Après la Révolution Française par
                exemple, pendant des dizaines d'années le recrutement a
                été réduit à presque rien. Je pense que ces crises sont liées à des mutations
                profondes de l'humanité : nouvelle civilisation,
                nouvelles cultures, nouvelles façons de voir et de vivre
                qui surgissent comme cela d'elles-mêmes. Ce n'est pas
                planifié, ce n'est pas organisé. Non, c'est l'humanité
                qui évolue. Et alors, il faut que les hommes s'adaptent à leur
                nouvelle situation. Et pendant ce temps-là il y a comme
                un arrêt peut-on dire. Non pas de l'appel de Dieu, mais
                de l'écoute de cet appel : Il n'est plus perçu, il n'est
                plus capté. Nous vivons dans un monde qui est de plus en
                plus athée, un monde qui est autosuffisant,
                autocréateur. Il n'est plus nécessaire de recourir à un premier
                moteur, ni à une cause première, ni à une Providence
                pour faite avancer le monde. Non, il a en lui, il
                découvre en lui les puissances qui lui permettent de
                découvrir son identité. Et ce monde ne nie pas
                nécessairement Dieu, c'est là aujourd'hui une position
                qui est dépassée. Car ça ne pose plus un homme de dire
                qu'il ne croit pas en l'existence de Dieu. Mais on juge
                que Dieu est devenu une pièce parfaitement inutile : ça
                ne rapporte pas ! Cette réflexion, je l'ai déjà entendue combien de fois
                ? Mais ça ne me rapporte rien, Dieu ! On ne peut pas le
                faire figurer à l'actif d'un bilan. Alors on ne s'en
                occupe plus et d'ailleurs on ne s'en porte pas plus mal
                ! On vit bien, on réussit, on est heureux, et tout cela
                en dehors de Dieu. Voilà je pense comment les choses
                sont aujourd'hui pour la plupart des chrétiens, je
                laisse encore de côté ceux qui ne sont pas chrétiens. Naturellement je ne dispose pas de l'information
                nécessaire pour émettre une opinion autorisée au sujet
                de la crise des vacations sacerdotales et religieuses,
                et vous pas plus que moi. Et pourtant, je pense pouvoir
                faire état, ici, d'une expérience personnelle, vous
                l'avez peut-être fait aussi, à propos des jeunes, mais
                des tous jeunes de la nouvelle génération des jeunes :
                ceux qui ont maintenant entre 17 et 25 ans, et même un
                peu au-delà encore. C'est, disons, une nouvelle race qui
                arrive. Ce sont des jeunes qui sont religieux, profondément
                religieux. Ils fréquentent les séminaires et les
                congrégations. Ils sont déjà un peu engagés dans une vie
                consacrée. Or dans ces jeunes d'aujourd'hui, on observe
                un retour à la tradition ! Ils en ont assez de toutes
                les innovations que leurs anciens, c'est à dire ceux qui
                sont mettons cinq ans plus âgés qu'eux, ont mis en route
                et dont ils se nourrissent encore maintenant. Et ces jeunes qui redécouvrent la tradition, découvrent
                aussi les pratiques de piété traditionnelles. Par
                exemple : ils vont ensembles réciter le chapelet. Ils
                feront le chemin de la croix, la dévotion Mariale, les
                pèlerinages aux sanctuaires Mariaux ; ça, ce sont les
                jeunes de la toute nouvelle génération 1 Une toute petite chose qui me passe justement par la
                tête maintenant. Je connais un garçon qui a une bonne
                vingtaine d'années puisqu'il a terminé son service
                militaire. Il fait des études dans un séminaire et il
                fréquente l'Abbaye de Scourmont car il pense être plus
                ou moins appelé à la vie monastique. Et là-bas, on lui a
                fait prudemment entendre qu'avec une optique telle que
                la sienne, il ferait peut-être mieux d'aller voir à
                Rochefort ! Il est possible qu'un jour nous le voyons
                débarquer ici. Je connais son nom et son prénom. Donc je
                pourrais le repérer s'il arrive. Mais c'est pour vous dire : voilà comment sont les
                jeunes. Et ils ont aussi en plus ceci : une exigence de
                vérité transparente. Ils ne se contentent plus
                d'entendre de beaux discours, d'écouter de belles
                paroles, de beaux sermons. Il leur faut des guides, des
                hommes dans lesquels ils voient vivre la vérité que ces
                hommes professent. Il leur faut donc des hommes de Dieu.
                Ils désirent en rencontrer et lorsqu'ils en rencontrent
                un, ils s'attachent à lui. Ils retrouvent le sens de la
                paternité spirituelle et de la vérité. A mon sens, c'est très beau et il y a là un espoir pour
                demain. Mais voyez un peu comme la mentalité change en
                quelques années. Et ça pose des problèmes dans les
                séminaires où ces deux générations cohabitent
                maintenant. Et ils ont les mêmes professeurs ! Mais pour nous, mes frères, pour ce qui concerne la vie
                contemplative ? Je vous rappelle ce que je vous ai déjà
                dit tant de fois : que Dieu désire former des témoins de
                sa présence aimante, agissante, indulgente parmi les
                hommes. Donc il désire former des êtres qui soient
                d'autres Christ, qui portent sur leur visage un reflet
                de la Lumière qu'est le Christ. Voilà ce que Dieu désire
                faire de nous dans les monastères ! Et cela, c'est une exigence  absolue de son
                Royaume. Il est indispensable qu'il y ait toujours de
                par le monde des hommes dans lesquels fermentent la Vie
                du Christ ressuscité, et des hommes aussi qui rayonnent
                cette vie. C'est dans le prolongement de la légende
                Juive Hassidique, qui affirme que pour que le monde
                subsiste et ne rentre pas dans le néant, il faut
                toujours qu'il y ait dans l'univers 36 justes inconnus. Et c'est vrai ! Il doit y avoir des hommes qui soient
                le Christ créateur et sauveur, mais le Christ ressuscité
                là présent. Et le monastère est un endroit où Dieu
                essaye de façonner de tels témoins. Nous ne devons pas penser que notre vocation est
                acquise le jour où nous avons reçu l'habit, où le jour
                où nous avons émis nos voeux solennels. Notre vocation
                est toujours actuelle, elle est toujours en
                devenir. Nous devons toujours davantage être
                transfigurés, être christifiés. Cela signifie en
                pratique passer parmi les hommes, passer dans la
                communauté, passer dans les cloîtres, au réfectoire, au
                travail, partout, passer en faisant le bien, en portant
                sur les frères un regard de lumière et d'amour, n'avoir
                aucune exclusive de coeur. Si je nourris de l'antipathie, de la haine, de
                l'aversion pour un seul de mes frères, à ce moment là il
                y a une main de Dieu qui se pose sur moi et qui va me
                presser, et qui va m'étrangler. Et au jour du jugement,
                elle me fera rendre gorge : voilà ce que tu n'as pas
                fait pour moi ! Et voilà ce que tu as fait de contraire
                pour moi : tu as fait le mal, dans ton coeur peut-être,
                au lieu de faire le bien ! Dieu désire nous christifier pour que nous passions en
                faisant le bien comme le Christ le faisait. Dieu désire
                aussi que nous le suivions jusqu'au bout, jusqu'à la
                mort, jusqu'à dans la mort peut-être ? Cela veut dire
                nous donner aux autres, être à leur service, ne pas
                avoir peur de sacrifier notre temps, nos loisirs, notre
                tranquillité, notre santé même si nécessaire pour que
                les autres vivent mieux, et qu'ils vivent davantage. Et aussi nous laisser christifier en laissant agir en
                nous la force de la résurrection, cette puissance
                inimaginable qui comble et qui remplit l'univers, et qui
                est en nous. Et qui essaye malgré toutes les résistances
                de traverser nos tissus charnels, nos tissus spirituels,
                pour que nous devenions un seul être avec le Christ, et
                que enfin nous puissions vivre comme lui vit. Voilà, mes frères, en quoi consiste notre vocation ! Et
                alors, si nous y sommes fidèles, si nous devenons feu et
                lumière comme le Christ, alors Dieu, s'il le juge bon,
                si c'est son projet, il peut en toute sécurité nous
                confier des jeunes qui, à notre contact, deviendront à
                leur tour des foyers d'amour et de vie. Je voudrais aujourd'hui vous proposer une question qui
                serait à la fois un examen de conscience et une
                imploration pour nous-mêmes, et aussi pour tous ceux qui
                de par le monde sont travaillés par la grâce de Dieu,
                qui sont appelés, mais qui ne savent pas encore en
                prendre une parfaite conscience. Et voici cette question
                : mes frères, sommes-nous tels que Dieu puisse nous
                faire confiance à ce point ?Amen. Chapitre : La patience. 28.04.803. La patience selon les grecs.Mes frères,Nous avons vu que la patience, pour les latins, c'était
                l'art de s'adapter aux circonstances les plus adverses,
                les plus contraires, et de s'y adapter avec confiance
                parce qu'on sait que tout est aménagé par une Personne
                qui est Amour, et qui nous tient dans sa main. Maintenant, si nous avançons dans la région de culture
                grecque, nous voyons devant nous un arbre au tronc
                imposant, à la ramure majestueuse, aux racines énormes
                plongées au plus profond de la terre ; de ces arbres
                comme nous en avons ici dans notre parc. Et cet arbre
                est là, toujours, inamovible, indéracinable. Il est là ! Il tient sous le soleil brûlant de l'été, sous la
                neige, sous la pluie, sous la tempête, sous le gel. En
                hiver il donne l'apparence d'un être mort. Mais en
                réalité il emmagasine de l'énergie et sous les premières
                caresses du soleil, cette énergie monte et transforme
                cet arbre en un petit paradis de verdure ou de fleur. Voilà l'image qui se présente lorsqu'on entre dans la
                notion grecque de patience. Le mot hypomonè
                signifie tenir, résister, rester en dessous. Voilà, en
                dessous de tout ce qui peut s'abattre, de tout ce qui
                peut tomber, de tout ce qui peut essayer d'étouffer. Il y a là une note spécifique du génie grec. Vous savez
                que ces philosophes grecs ont été très attirés par la
                contemplation de la nature. Ils ont construit leur
                sagesse à partir d'une observation des êtres. Et il y
                avait parmi eux, je ne dis pas les plus élevés au plan
                de la vertu, mais malgré tout ceux qui ont profondément
                marqué la vie du grec : les stoïciens. Ces hommes, on
                les appelait ainsi parce qu'ils professaient sous des
                galeries qu'on appelait des stoa. Mais enfin
                pour nous, nous savons ce que c'est qu'un stoïque. C'est
                celui qui sait rester en dessous des coups de l'épreuve.
                Il ne cède pas. Il est indéracinable, inattaquable, il
                est toujours là. Et vous avez ici, vous saisissez la différence entre le
                latin, mais disons plutôt le Romain. Le Romain, parce
                que c'est le Romain qui finalement a pu supplanter tous
                les autres et s'imposer entre le Romain, le Latin et le
                Grec. Le Romain ou le Latin, c'est un homme qui devant
                l'adversité compose avec elle, s'adapte et patiemment la
                grignote, et ainsi parvient à étendre son empire sur la
                terre entière. Sur la terre connue de l'époque, tout
                était Romain. C'est cela le fruit de leur patience pendant des
                siècles. Vous aviez cet orateur Romain qui terminait
                tous ses discours par cette parole : Et maintenant je
                vous le dis, il faut détruire Carthage. Eh bien, ils
                l'ont détruite après avoir été écrasés par les
                Carthaginois eux-mêmes ! Mais ils étaient là et
                finalement ils détruisent. Vous voyez, c'est cela le
                Latin ! Et Saint Benoît, nous l'avons vu, connaît cette
                vertu monastique du Romain. Mais alors il y a le Grec. Et le Grec, lui, c'est celui
                qui tient. Il ne dit rien, il paraît mort, mais il est
                toujours là et il attend ! Les Grecs, vous le savez,
                sont restés pendant près de quatre siècles sous la
                domination Turque. Ils n'ont pas été le moins du monde
                islamisés. Non, ils ont conservé leur identité. Et
                lorsqu'ils ont réussi à se débarrasser du joug Turc, ils
                étaient les Grecs de toujours avec leur religion, avec
                leur culture, avec leur langue, avec leurs moeurs, avec
                tout. Mais pendant près de quatre siècles ils étaient en
                dessous. C'est cela la patience du Grec ! Il y a deux symboles à mon sens, qui pour moi montre
                cette patience grecque c'est Sainte Sophie à
                Constantinople d’abord : Vous avez ce monument, le plus
                beau de toute la chrétienté, qui est maintenant un
                musée, mais qui est encore toujours là dans toute sa
                magnificence, sa splendeur et sa gloire. C'est toujours
                là cette basilique, la première de Constantinople qui
                est là, celle de la Sainte Sagesse, la Sainte Sophie. Et le deuxième symbole, c'est le mont Athos : Vous avez
                cette république monastique qui est le noyau dur de
                l'Orthodoxie et qui est là depuis mille ans, ou plus de
                mille ans, toujours identique à elle-même, aussi écrasée
                par les Turcs, par les invasions, mais ça est toujours
                là. Donc, retenons ceci, mes frères, de notre petite
                excursion dans la région grecque de la patience : et
                c'est qu'elle est l'art de rester en dessous, de ne pas
                céder, de toujours tenir.Et demain, si vous le voulez bien, nous allons un peu voir
              comment Saint Benoît, lui, a hérité aussi de cette
              conception de la patience. Chapitre : La patience. 29.04.804. La patience selon Saint Benoît.Mes frères,Hier soir nous avons terminé notre excursion par un
                bref regard sur Sainte Sophie, ce temple érigé par
                Constantin dans sa nouvelle capitale, à la gloire du
                Christ Sagesse de Dieu et Lumière du monde, cette
                Lumière que ni l'incroyance, ni la mécréance ne pourront
                jamais occulter. Et puis, nous avons fait un petit saut
                jusque sur le mont Athos, là où des hommes veillent
                inlassablement dans l'attente de la manifestation
                glorieuse du Christ ressuscité. Sainte Sophie et
                l'Athos, les deux symboles de la patience Grecque. Elle sera donc, cette patience, nous le sentons, elle
                sera enracinement dans la durée, c'est à dire
                  en-durance ; elle sera exigence de pérennité,
                c'est-à-dire fidélité ; elle sera refus de céder,
                c'est à dire persistance, ce qui signifie
                étymologiquement : rester debout à travers tout; et
                enfin elle sera constance dans l'épreuve. Et pour
                cela, il faudra une belle dose de courage. Saint Benoît n'ignorait pas ces traits caractéristiques
                de la patience. Il les voit, il les lit sur le visage du
                moine qui s'avance au quatrième degré de l'humilité. Il
                dira que cet homme se heurte à des choses dures et
                contraires. Elles lui sont dures parce qu'elles sont
                contraires, contrariantes. Elles vont contre ses goûts,
                contre ses idées, contre ses sentiments, contre tout ce
                qu'il est. C'est contraire à sa constitution d'homme
                incarné et qui est telle personne. C'est contraire à sa
                personnalité. Il peut même juger que cela crée en lui une situation
                d'injustice : vous savez, les droits imprescriptibles de
                la personne humaine qui peuvent sembler si facilement
                foulés aux pieds ou menacés, dans une vie monastique.
                  Quibuslibet irrogatis iniuriis, 7,35. C'est cela !
                Tout ce qui est jugé comme contraire à ce qui est mon
                droit. Je l'ai déjà entendu, pas souvent mais parfois :
                les services rendus, donc j'ai droit à cela ! Et ce
                fainéant là-bas qui ne fait rien, alors que moi ! Voyez,
                ma situation est perçue comme une injustice lorsque je
                la compare à celle d'un autre. Et alors, que fait mon moine de Saint Benoît ? Cet
                homme, alors il se tait. Il conscientia, 7,35,
                ça veut dire que au fond de lui-même il ne laisse pas
                fermenter et bouillonner les pensées qui lui feront
                juger qu'on est injuste envers lui, qu'on lui fait du
                tort, qu'on ne lui permet pas de devenir un homme. Non,
                rien ! Et alors, il embrasse la patience,  amplectatur,
                7,35. Il embrasse la patience, mais il faut voir. Non
                pas comme on embrasse une personne aimée, mais comme un
                naufragé embrasse la planche, le tronc d'arbre, le
                morceau de mat qui dans la tempête lui permet de ne pas
                sombrer. C'est cela embrasser la patience ! Et comment
                fait-il ? Eh bien, il tient le coup, sustinens,
                7,36. Vous avez dans la patience souvent le préfixe sup, on
                est en dessous. C'est le sens, ne l'oublions pas, du mot
                grec qui signifie patience : c'est rester en dessous.
                Saint Benoît dira: Tenir en dessous de cette pluie,
                cette grêle, cette averse, cet orage de toutes sortes de
                choses qui me tombe sur le dos ! Non, je tiens en
                dessous ! Et alors, dit-il, il ne se lasse pas,  non
                  lascescat, 7,36, et il ne se retire pas, il ne
                prend pas la fuite. Il ne cède pas, non discedat,
                7,36. Pourtant ce serait si facile ! Il suffit de s'en
                aller, ce qui ne veut pas dire encore rentrer dans le
                monde. Mais on change de monastère et me voilà en dehors
                de toutes mes difficultés. Non discedat, dit
                Saint Benoît, non ! Pourquoi alors ? Mais parce que si je me retire, si je
                vais ailleurs, oui, je vais peut-être être là un homme
                considéré pour mes mérites vrais ou supposés, je n'en
                sais rien, on ne me connaît pas encore d'ailleurs, on
                verra après ! Et puis là, je deviendrais peut-être un
                saint religieux ? C'est possible aussi. Mais je serais
                passé à côté de la résurrection. Je ne connaîtrai pas la
                transfiguration car je n'aurais pas, comme dit Saint
                Benoît, persévéré jusqu'à la fin. C'est celui-là
                qui sera sauvé, c'est à dire qui arrivera dans cet
                espace du Royaume où on peut s'épanouir
                surnaturellement. Mais il a fallu pour cela pratiquer
                cette patience. Ceci, c'est l'illustration pratique d'un principe que
                Saint Benoît pose à la fin du Prologue. Il dit
                exactement la même chose. Mais le Prologue est
                parénétique, vous savez, c'est une exhortation. Aux
                degrés d'humilité Saint Benoît entre un peu dans les
                détails. Mais il dit ici tout à la fin du Prologue :
                  Ne jamais - il emploie le même mot discedere,
                P,50  ne jamais s'écarter de l'enseignement, le
                    magisterium que Dieu donne. Ne jamais s'en
                écarter ! Or Dieu enseigne non seulement par la bouche de celui
                qui tient sa place dans le monastère, mais surtout par
                les événements. Et c'est pour cela qu'il est toujours
                utile d'avoir un prophète, un interprète des événements,
                un Senior Spirituel auquel aller se référer, lui dire :
                mais voilà ce qui m'arrive, une situation impossible, je
                n'en sors plus. Qu'est-ce qu'il y a là derrière ? Donc,
                un homme qui peut dire : mais voilà, il y a telle Parole
                de Dieu dans cet événement. Et alors, ne pas dire : oh
                mais ça me dépasse, j'en ai assez, au revoir. Non, pas bouger, dit Saint Benoît ! Et alors
                persévérer, dit-il, persévérer jusqu'à la mort. C'est
                très difficile à traduire. Le traducteur a traduit ici :
                  en sa doctrine. C'est juste, mais il y a tout de
                même une nuance, ici, c'est que dans le texte latin,
                c'est à l'accusatif. Donc, ça veut dire ceci : qu'il
                faut persévérer, qu'il faut demeurer fidèle. C'est ça
                que veut dire persévérer, c'est servare-per,
                c'est rester fidèle à travers tout, en progressant à
                l'intérieur de l'enseignement que Dieu nous donne. C'est un mouvement ! Ce n'est pas rester exactement au
                même endroit, mais c'est à l'intérieur d'un claustrum,
                voyager, progresser et avancer, mais sans jamais en
                sortir ! Donc, c'est avancer dans ce que Dieu demande,
                dans ce que Dieu enseigne, dans ce que Dieu promet, dans
                sa doctrina, dans la nourriture que Dieu donne. Il faut penser ici, derrière ce texte de Saint Benoît,
                il faut voir l'enseignement du quatrième Evangile où
                souvent des expressions analogues reviennent, où le
                Christ qui s'adresse soit à ses disciples, soit à des
                auditeurs pharisiens, juifs, n'importe qui, c'est cela
                qu'il veut dire : celui qui va persévérer dans mes
                Paroles, celui qui les mange et celui qui grandit en
                elle. Et c'est cela que veut dire, ici, Saint Benoît. Et alors notre propos, c'est dit Saint Benoît : 
                  participons - une exhortation, ou bien dans un
                meilleur français on pourrait prendre une tournure de
                futur  nous participerons aux passions du Christ par
                  la patience, P, 50. On traduit habituellement ici :  aux souffrances du
                  Christ. Oui, c'est vrai, mais alors il y a un jeu
                de mots qui est dans le latin et qui disparaît : c'est
                par la patience, donc cette fameuse patience qu'il faut
                prendre part aux passions du Christ. Et cela veut dire :
                ce n'est pas seulement prendre part à ses souffrances,
                mais à tout ce qui a passionné le Christ, tout ce qui
                l'a soulevé à l'intérieur de lui-même. Non seulement ce
                qui est tombé sur lui : les souffrances, les épreuves,
                mais aussi tout ce qui à l'intérieur de lui l'a
                travaillé. Je veux dire que le Christ a dû, lui, lutter
                aussi intérieurement. D'ailleurs nous en avons quelques exemples. Et un des
                plus frappant, au dernier moment, où pendant une heure
                il lutte pour accepter le sort que son Père lui réserve.
                Il dit : Non, que ce calice s'éloigne de moi ;
                donc il lutte ! C'est ça la passion, c'est quelque chose
                qu'on doit subir à l'intérieur de soi-même pour
                accepter. Et alors Saint Benoît termine en disant : Pour
                que nous puissions alors être consors, P,50,
                c'est à dire partager son règne avec lui. Voilà ! Nous comprenons alors que la patience, elle sera dans
                cette optique du génie grec, très bien comprise de Saint
                Benoît qui l'a trouvé dans l'Ecriture d'ailleurs et dans
                sa propre vie et dans son expérience. La patience, elle
                sera persévérance illimitée, sans limite. Et encore,
                Saint Benoît ici a un tour de génie. Il parvient à
                traduire cette persévérance illimitée en un mot qui a
                des relents de juridisme mais qui est bien autre chose
                que cela. Pour lui, ce sera la stabilitas, la
                stabilité. Et ici nous retrouvons cet arbre du début, cet arbre
                gigantesque, puissant, vigoureux, majestueux, glorieux,
                altier, cet arbre qui est là toujours au même endroit,
                dans un terreau qui lui donne vie. Et il supporte tout
                ce qui lui tombe depuis le gel jusqu'aux coups de
                soleil, depuis la pluie jusqu'à la sécheresse. Tout, il
                supporte, il reste en dessous. C'est la stabilité !
                Voilà ce que nous ne devons pas oublier ! Cette
                stabilité que nous promettons ce n'est pas un acte comme
                ça, qui nous lierait à un lieu, à des bâtiments, à une
                communauté ; oui, c'est cela c'est certain, mais c'est
                bien autre chose aussi. C'est la promesse, c'est
                l'option, c'est la décision de pratiquer la patience à
                l'endroit où l'on est. Et nous comprendrons aussi que cette patience sera un
                état permanent. Ce n'est pas quelque chose qu'an peut
                pratiquer pendant une certaine période de sa vie. C'est
                : us que ad mortem, P, 50. La patience est constitutive
                de l'être monastique parce qu'elle sera surtout
                espérance, et qu'elle sera attente. Lorsque Saint Benoît
                en parle, il la met toujours en relation avec le Royaume
                de Dieu, avec le Christ qui va se présenter à nous avec
                les richesses infinies de son Etre et de son Royaume. Il
                la met en rapport avec le salut. Et le salut, ne l'oublions pas, ce n'est pas tirer son
                âme des flammes de l'enfer, tout juste, en justesse.
                Non, le salut, c'est la plénitude de la vie. La patience
                est toujours en relation avec cette beauté, et c'est
                pourquoi elle sera nourrie par l'espérance. Et
                l'espérance est synonyme d'attente. En Espagnol c'est
                exactement le même mot pour dire espérer et attendre.
                Alors ne l'oublions pas mes frères, et retenons ça de
                notre excursion dans la région de culture grecque :
                Patienter, être patient, c'est tenir sur place dans
                l'espérance des biens que Dieu prépare et déjà nous
                donne. Chapitre : La patience. 01.05.805. La patience selon les Hébreux.Mes frères,Reprenons notre voyage à travers le pays de la
                patience. Lorsque nous posons le pied dans le pays
                d'appartenance Hébraïque, de suite nous respirons un
                autre air, un air nouveau, un air qui peut être étrange
                car il est chargé de certains parfums qui sont inconnus
                ailleurs. Pour les Latins et les Grecs, la patience a
                toujours une petite odeur anthropocentrique. C'est un
                homme qui s'adapte artistement aux difficultés qu'il
                rencontre ; ou bien, c'est un homme qui reste sur place
                et qui tient sous les orages et sous les averses, mais
                il est toujours là ! Dans la région hébraïque. on rencontre quelqu'un
                d'autre. Là, l'homme est en face d'un vis-à-vis, d'un
                partenaire auquel il est lié par un véritable contrat.
                Vous avez compris qu'il est saisi dans le contexte non
                pas oppressant mais libérateur d'une alliance : il y a
                Dieu et il y a un homme. Et dès le départ tout le
                problème de la patience change, car ce Dieu ce n'est pas
                un homme, ce n'est pas un événement, ce n'est pas une
                situation, ce n'est pas une circonstance. Non….. ! Je vais essayer de me faire comprendre. L'amour chez
                l'homme, c'est un sentiment : il expérimente l'amour,
                l'amour d'une personne, même l'amour de Dieu, l'amour de
                soi surtout. Mais l'amour existe indépendamment de toute
                individuation. Pour les Grecs, ce sera un absolu, ce
                sera une idée qui va se manifester dans les hommes. Pour
                les Hébreux, c'est différent. Les Hébreux, eux, sont le nez contre la vérité. C'est
                que l'amour n'a pas besoin d'être individué. L'amour n'a
                pas besoin d'être vécu dans une personne parce que
                l'amour est la Personne par excellence. L'Amour est
                tellement la Personne par excellence que cette Personne
                qui est l'Amour, pour qu'elle puisse aimer, elle est
                elle-même une société de personnes. Et cette Société de
                Personnes est tellement unie par l'Amour qu'elle est
                  une. Vous avez Dieu qui est un et vous avez
                Dieu qui est trois. Et cette unitrinité,
                c'est cela la Personne qui est l'amour. Or cet amour,
                c'est un feu. Cet amour, voyez-vous, pour l'homme, c'est quelque
                chose d'intolérable, quelque chose d'insupportable parce
                que l'homme qui est lié par un contrat avec cette
                Personne, avec cet Amour, l'homme n'est pas du tout à
                son aise. Il devrait répondre par une totale
                disponibilité, par un consentement. Il devrait répondre
                par, disons à sa petite mesure, par un Amour qui
                ressemble à cet Amour là ; car tout Amour est une
                étincelle de cette Personne dans le coeur d'un homme. Mais dans la pratique l'homme est faible, l'homme est
                inconstant, l'homme est infidèle, l'homme est lâche,
                l'homme a peur. L'homme a toutes sortes de prétextes
                pour se retourner sur lui-même et pour échapper à ce
                vis-à-vis, pour ne pas respecter le contrat. Car cette
                relation contractuelle entre Dieu et l'homme n'est pas
                une relation statique : elle doit évoluer. Et elle doit
                évoluer vers une union de plus en plus intime jusqu'à un
                mariage spirituel où ces deux amours se fondent
                quasiment l'un dans l'autre. La personne humaine ne disparaît pas ! Loin de là !
                Elle devient vraiment elle-même. Elle devient le
                vis-à-vis digne de l'amour parce qu'elle est elle-même
                devenue Amour, et Feu, et Lumière. Mais enfin, nous
                sommes des hommes, nous savons bien ce qui se passe.
                Nous ne parlons pas ici dans l'abstrait, dans le vague.
                Non, nous savons bien ce qu'il y a dans notre coeur, que
                notre coeur n'est pas propre, ni nos yeux, ni nos
                lèvres. Non, il n'y a rien de propre en nous ! Et alors,
                nous avons plutôt envie de fuir. Vous voyez ce climat d'alliance, ce climat de contrat,
                ce climat de recherche mutuelle et d'échappade, de fuite
                de la part de l'homme : c'est cela que l'on rencontre
                lorsqu'on met le pied dans la région Hébraïque de la
                Patience. Il faut bien le savoir ! Et c'est tout autre
                chose que la région Latine ou que la région Grecque. Et
                n'oublions pas que c'est là que le Verbe de Dieu a voulu
                devenir homme. Car c'est cela qui est extraordinaire. Cet Amour est
                tellement Amour, il veut tellement se communiquer qu'il
                va prendre cette boue pour la faire sienne, pour que
                cette boue puisse elle-même devenir Amour, car LUI,
                Dieu, ne démissionne pas de son projet. Dieu ne cède
                pas. Dieu demeure fidèle malgré tout ce qui peut
                arriver. Dieu exerce la patience. Nous voyons déjà ici que la patience, c'est une vertu
                divine. Pour voir ce qu'est la patience, il ne faut pas
                chercher chez l'homme, il faut aller voir chez Dieu. Et
                si vous le voulez bien, la semaine prochaine nous
                jetterons un petit coup d'oeil infiniment respectueux du
                côté de Dieu pour voir comment nous devons pratiquer la
                patience, cette vertu monastique qui est pour nous la
                vertu qui nous met un peu au diapason de la Vie Divine. Chapitre : Récollection du mois de mai. 03.05.80Mes frères,Au moment où nous clôturions notre retraite annuelle le
                21 Mars en la fête de Saint Benoît, aucun d'entre nous
                ne soupçonnait que une dizaine de jours plus tard
                s'abattrait sur la communauté une épidémie des plus
                meurtrière que nous ayons connue. A travers cet événement j'entends une voix, la voix de
                Celui qui nous a appelé ici, et qui nous aime, et qui
                nous éduque. Et cette voix nous rappelle le devoir de la
                vigilance. Plus à l'arrière, en sourdine, comme en
                contrepoint, j'entends cette même voix, comme si elle
                s'éloignait, et qui murmure encore quelques paroles. Mais le murmure de Dieu est un vacarme pour nos faibles
                oreilles. Et cette Parole nous dit : Quand les hommes
                  diront sécurité, paix, tout va bien, tout est parfait,
                  tout est bon, tout est beau...c'est alors que
                  soudainement tombera sur eux la catastrophe et la
                  ruine. Et personne ne pourra y échapper. Les douleurs
                  ? Comme celles d'une femme qui doit accoucher. Mes frères, le moine est un homme qui ne doit jamais
                être pris au dépourvu. Non pas qu'il prépare son plan
                longtemps à l'avance en prévoyant tout avec la dernière
                minutie ? Non, il n'est pas pris au dépourvu parce qu'il
                a un unique souci : la volonté de Dieu. Il vit tout
                entier dans le moment présent, le moment présent qui est
                chargé d'amour, qui est chargé de vie. Et de ce moment,
                il extrait, il déguste tous les sucs vitalisant. Là se
                trouve la Vie, pas ailleurs. Le moine est un homme qui n'anticipe pas. Il est tout
                entier à ce qu'il fait, à ce qu'il reçoit maintenant à
                ce moment-ci. Et il ne s'étonne de rien parce qu'il a de
                cette façon établi sa demeure dans la patience, dans la
                patience parce qu'il l'a établie chez Dieu. Il vit dans
                la maison de Dieu, avec Dieu. Il est un contemplatif :
                donc il le voit. S'il ne le voit pas, il n'est pas un
                contemplatif. Je ne veux pas dire qu'il le voit avec les yeux de
                chair, mais comment est-il possible d'être possédé par
                l'Esprit Saint sans le savoir ? Comment est-il possible
                d'être revêtu de la tunique de l'Esprit sans sentir
                qu'on n'est plus nu ? Et voilà, il est chez Dieu. Il est
                donc dans la patience car la patience est une des
                premières vertus de Dieu. Et il travaille avec Dieu à l'oeuvre de Dieu qui
                consiste essentiellement à transfuser dans le monde des
                hommes la force qui habite le Christ ressuscité. Et il
                est indispensable, cela va de soi, que cette force le
                possède d'abord lui en tout premier lieu. Mais en quoi
                consiste cette force ? Et ça, ce n'est pas possible de
                le dire ! Dans notre vocabulaire il n'existe aucun mot pour
                exprimer ce qui est Dieu. Mais on peut tout de même le
                connaître par ses effets. C'est cela ne plus être nu, et
                savoir qu'on est revêtu de Dieu. Cette force, elle donne
                d'abord la vie à tout ce qu'elle investit, et une
                vie qui n'est pas de ce monde ! La vie de ce monde, elle est agression ou elle est
                défense : les deux à la fois. Otes-toi de là que je m'y
                mette ! Ou bien pars d'ici où, je me défends, n'approche
                pas ! Voilà quels sont les rapports entre les hommes :
                des rapports de méfiance ! Mais cette vie est
                autre. Cette vie, elle est Amour, elle est
                  Lumière, elle est feu, elle est liberté,
                elle est accueil, elle est paix, elle est
                  bienveillance, elle est confiance, elle est
                  plénitude. Le moine sera un  operarius Dei, il sera un
                ouvrier de Dieu dans son monastère et dans le monde s'il
                est présence rayonnante de cette vie qui n'est rien
                d'autre que la manifestation de ce Royaume auquel tous
                les hommes sont appelés. Mes frères, le mois de Mai est une invitation à
                reprendre conscience de cette vocation qui est la nôtre.
                D'abord, l'efflorescence de la nature qui nous dit, qui
                nous crie si nous avons des oreilles ouvertes, qui nous
                crie que tous les rebondissements sont possibles. Cette
                efflorescence après un hiver de froid et de glace où
                tout paraissait mort, n'est ce pas parfois l'image de
                notre vie ? Dans quelques jours nous aborderons la fête de
                l'Ascension et nous aurons devant les yeux notre
                destinée ultime : devenir nous-mêmes des êtres divinisés
                et entrer dans l'univers qui a été préparé pour nous.
                  Je m'en vais, dit le Christ, vous préparer une
                  place. Et quand je l'aurais préparée je viendrais vous
                  prendre et vous serez auprès de moi pour toujours.
                C'est cela encore la vie contemplative ! Et alors dans notre coeur nous disons, ou bien même
                nous le disons ouvertement de vive voix : Eh bien, quand
                moi à mon tour je serai arrivé, je vous préparerai une
                place, et là où je suis, vous serez vous aussi avec moi.
                Il y a ainsi cette chaîne d'amour qui se crée d'homme à
                homme. Et à la fin, nous serons tous là avec le Christ.
                Voilà la fête de l'Ascension ! Et elle commence
                maintenant ! Puis une dizaine de jours après nous aurons la
                Pentecôte, la Pentecôte qui va nous présenter sur un
                plateau le moyen de parfaire en nous cette vie, ce moyen
                qui n'est rien moins que l'Amour, mais l'Amour
                cette fois qui est Dieu comme je l'ai rappelé Jeudi
                encore. L'amour n'a pas besoin d'être individué, l'Amour
                est la Personne, la toute Première Personne. Et cet
                Amour, il est avec nous, il prend possession de nous. Le mois de Mai aussi, chaque jour si nous le voulons et
                c'est là une tradition très ancienne, place devant les
                yeux un modèle, un être humain, une femme toute simple,
                toute humb1e. Elle ne s'est pas faite remarquer. Et
                cette femme Marie qui est à la fois et notre mère et
                notre soeur, elle nous répète respectueusement,
                discrètement mais fermement : Quoi qu'il vous dise,
                  faites-le ! Et vous vous en trouverez bien ! Mes frères, laissez-moi terminer en vous demandant ce
                que je me propose à moimême pour cette récollection :
                c'est de vous laisser porter, de nous laisser porter par
                l'espérance, de manière à ce que un jour nous puissions
                chacun être les uns pour les autres une étoile. Chapitre : La patience. 05.05.806. La patience selon Dieu.Mes frères,A l'endroit où nous sommes arrivés dans la région
                hébraïque de la patience nous rencontrons deux
                partenaires : Dieu, qui est fidélité, qui est solidité,
                qui est Amour, mais qui est aussi jalousie, exigence. Et
                en face de lui : l'homme qui est faiblesse, fragilité,
                vulnérabilité, inconstance, infidélité. Et ces deux partenaires ne peuvent se séparer. Ils sont
                liés par un contrat qui se veut un contrat d'alliance et
                qui doit évoluer vers une forme de vivre ensemble, qui
                doit au terme de son évolution devenir un mariage
                spirituel. La réaction de Dieu, en face de ce partenaire
                inconstant ? Mais imaginons ce qu'elle pourrait être si nous étions
                à la place de Dieu ? Nous sentirions l'énervement nous
                gagner. Comme on dit vulgairement : la moutarde nous
                monterait au nez ! Et ici, nous trouvons l'expression
                hébraïque où il est question du nez, et plus précisément
                du souffle qui sort des narines. Et ce souffle qui sort
                des narines de Dieu est long. Patience, pour les Hébreux, est un tableau plein de
                vie. Et ce tableau nous montre une longueur. S'il
                fallait traduire textuellement, cela voudrait dire :
                longueur des narines. Non pas que les narines soient
                longues, mais longueur du souffle qui sort des narines.
                Voyez une route bien droite qui se perd dans l'infini du
                lointain. Dieu respire. Sa respiration est lente, elle est calme,
                elle est longue, elle ne s'accélère pas. Longueur de
                respiration ! Voilà ce que signifie le mot patience pour
                Dieu et pour celui qui se trouve en face de Dieu. Saint Benoît nous aide à comprendre un petit peu ce que
                cela signifie, lorsqu'il nous dit le contraire. Il nous
                présente le Supérieur ou un Senior et en face de lui un
                frère. Et ce frère a fait ou dit ce qui ne convenait pas
                ! Et voilà qu'un changement se produit à l'intérieur du
                Supérieur : il est commotos, 71,7, dit Saint
                Benoît, une commotio, un mouvement à l'intérieur
                de lui, une commotion ? Non pas une commotion cérébrale,
                mais une émotion. Et cette émotion se perçoit dans le
                ton de la voix : une accélération du débit où le ton
                hausse, des éclairs dans les yeux, certains gestes,
                peut-être une agitation. L'émotion a gagné le Supérieur. A ce moment, l'inférieur, que doit-il faire ? Il doit
                se prosterner jusqu'à ce que, dit Saint Benoît, que ce
                mouvement d'émotion se soit calmé par un mot de
                bénédiction. Vous voyez, là Saint Benoît nous décrit
                exactement le contraire de ce qu'est Dieu. Chez Dieu, ça
                n'arrive pas ! Non pas que Dieu demeure impassible, mais
                son souffle est tellement lent, long et calme que rien
                ne paraît à l'extérieur. Dieu est patient. L'homme ne
                connaît pas la patience. La patience est donc une vertu divine. Elle est un des
                prénoms de l'Amour. Vous savez ce que nous dit Saint
                Paul, je l'ai déjà répété tant de fois : l'amour ou
                  la charité, elle supporte tout ! C'est cela la
                patience... Il ne nous est pas possible, à nous, d'être
                naturellement patient ; ce pourrait être alors du
                refoulement. Je tiens tout à l'intérieur de moi, mais la
                pression monte. Et comme la casserole est bien bouchée,
                cela ne paraît pas dehors. Mais attention ! La chaudière
                peut très bien éclater, et alors ce serait une
                catastrophe et il y aurait des victimes avec les éclats.
                Vous voyez ! Non, Dieu a une soupape de sûreté. La soupape de
                sûreté, ce sont ses narines. Et son souffle régulier et
                calme sort toujours de ses narines. Et ce souffle
                devient, devant la face de Dieu qui est un feu, ce
                souffle devient une vapeur. Une vapeur légère qui
                s'étend devant la face de Dieu et qui devient une
                protection pour l'homme qui est là en face de Dieu.
                Cette vapeur assure la survie du partenaire de Dieu.
                C'est cela la patience ! La patience, c'est cette vapeur aussi qui est devant
                Dieu et qui nous protège de lui. Mais attention, cette
                vapeur, c'est une émanation de Dieu ! Comme je le dis,
                c'est un des prénoms de son Etre qui est Amour.
                Dans la Bible, l'expression hébraïque est le plus
                souvent traduite par : lent à la colère. Chaque
                fois que vous avez dans le texte des Psaumes ou ailleurs
                  lent à la colère, dites-vous bien que c'est la
                traduction française, faute de mieux, de l'original qui
                signifie : Longueur du souffle qui sort des narines.
                Mais vous comprenez bien qu'on ne pourrait pas dire ça
                dans un psaume, on ne parviendrait plus à le chanter. La colère ? Vous allez encore comprendre une petite
                chose bien typique du peuple Hébreux. Il était idolâtre,
                mais il avait tout de même vu clair dans son idolâtrie.
                La colère, c'est un animal puissant. Voyez un taureau,
                vous n'en n'avez peut-être jamais vu en colère ? Moi
                j'en ai déjà vu. Dans les campagnes on en voit, du moins
                de mon temps il y en avait et on les voyait. Mais alors,
                au matin il fait un peu humide, et vous voyez alors la
                vapeur qui sort de ses narines, des naseaux fumants !
                D'ailleurs on le dessine. Sur les bandes dessinées on
                voit ça, des petits nuages, là ! Et ces Hébreux qui étaient des éleveurs, ils savaient
                cela. Et ils avaient présenté leur Dieu sous l'image
                d'un taureau ! Il y a là de ces intuitions qui sont
                correctes jusque dans l'ido1âtrie. Mais, disons que Dieu
                est un taureau lent à la colère. Voyez un peu, c'est tout un arrière fond d'images, ce
                sont des scènes. Nous sommes bien ailleurs que dans le
                rigide, le bien organisé monde hellénique, au bien chez
                ces latins, ces romains qui sont des entrepreneurs que
                rien n'arrête. Non, c'est un autre univers maintenant. En parallèle avec ce  lent à la colère, vous
                trouverez bien souvent l'expression plein d'amour -
                  lent à la colère et plein d'amour - Il est lent à
                la colère parce qu'il est plein d'amour. Mais plein, ce
                n'est pas encore bien traduit. C'est encore une image. Le terme original, c'est une étendue. C'est une étendue
                dans tous les sens, dans toutes les directions. Saint
                Paul nous dira que nous n'avons jamais fini de mesurer
                la hauteur, la profondeur, la largeur et la longueur de
                l'amour de Dieu. C'est cela, vous voyez, plein d'amour !
                Un amour qui éclate dans toutes les directions. Et
                viendra encore après la précision : d'une puissance
                immense. Ce qui veut dire aussi d'une puissance étendue partout.
                Sa puissance atteint une extrémité des cieux à l'autre,
                et depuis le ciel jusqu'en dessous des enfers. Et un
                jour, cette puissance sera celle du Kyrios, le Christ,
                devant qui tout va s'aplatir. Et tout cela c'est la
                source, ce qui permet à Dieu d'être lent à la colère
                et de pouvoir continuer à respirer calmement malgré tout
                ce qui arrive. Nous comprenons donc, maintenant, que la patience est
                une vertu divine. Nous le comprenons de mieux en mieux.
                Et nous comprenons que nous devons, nous, la demander.
                Mais attendons encore un peu pour cela. Je voudrais
                terminer aujourd'hui en vous disant que Saint Benoît
                connaît très bien cet aspect de la patience. Dans le
                Prologue il dit : N'oublie pas ! ou plutôt :
                  Est-ce que tu ne sais pas, ne te souviens-tu pas que
                  la patience de Dieu te convie, te conduit... Où ? Mais
                  à la pénitence, à la conversion, Pr,88. Il reprend
                l'expression de l'Apôtre, voyez, c'est tout à fait
                cela... Dieu demeure lui-même, il demeure calme, il demeure
                amour parce qu'il nous connaît. Il sait que nous sommes
                inconstants, fragiles, infidèles. Il nous connaît mieux
                que nous nous connaissons nous-mêmes parce que nous
                avons tout de même encore une petite illusion à notre
                sujet. Dieu n'a pas d'illusions au sujet des hommes, au
                sujet de l'homme que je suis. Mais ça ne fait rien, il
                ne s'énerve pas. Il reste LUI, il reste l'Amour, il
                reste la patience parce qu’il attend que, moi, je me
                convertisse de tel, et de tel, et tel manifestation de
                mon égoïsme. Voilà mes frères, pour aujourd'hui cessons notre petite
                pérégrination. Demain, si vous le voulez, nous allons
                nous élever en aéronef et surplomber les trois régions
                pour essayer de voir les chemins qui les relient entre
                elles. Chapitre : La patience. 06.05.807. Survol du pays de la patience.Mes frères,Ce soir nous allons survoler le territoire de la
                patience. Et du haut de l'esquif que nous avons
                emprunté, nous remarquons que ce territoire que nous
                pouvons maintenant embrasser d'un seul regard ne se
                présente pas à la façon de nos territoires terrestres.
                Parlons du territoire Belge qui est comme le voudraient
                les législateurs d'aujourd'hui composé de trois régions:
                la région Wallonne, la région Flamande et la région
                Bruxelloise. Non, dans le pays de la patience les trois régions ne
                sont pas juxtaposées, elles s'interpénètrent. Lorsqu’on
                les regarde de haut, il n'est même pas possible d'en
                suivre les frontières. Ces frontières sont mobiles,
                elles sont fluantes, elles passent sans cesse de l'une à
                l'autre ! Et nous remarquons aussi que le pays est
                sillonné de canaux qui distribuent partout la Vie
                et qui permettent aussi les communications. Et ces canaux ne sont rien d'autres que des dérivations
                d'une fontaine qui jaillit, une fontaine qui bouillonne
                d'une eau vivante. Et cette eau, c'est l'Esprit, c'est
                l'Amour, c'est Dieu lui-même. La Patience est une
                qualité propre à Dieu ! Cette patience, elle postule toujours un vis-à-vis. Ce
                vis-à-vis peut être un homme, un frère. Il est toujours
                le Christ qui me sollicite ou bien il est Dieu lui-même
                qui me cherche à travers l'événement, qui essaye de me
                prendre la main car il m'aime. Il veut me saisir par la
                main pour m'attirer à lui. Nous avons toujours quelqu'un
                en face de nous ! Et cette patience qui exige ce face à face, elle révèle
                ma véritable nature qui est d'être fils de Dieu. Vous
                comprenez, si la patience est une vertu divine, dès
                qu'elle me possède, elle va ma faire sentir, n'ayons pas
                peur d'utiliser ce mot, ma véritable nature, ma nature
                éternelle qui est d'être un fils de Dieu. Je vis, je
                réagis comme mon Père ! Elle va me faire sortir de moi.
                la patience est fonctionnellement extatique. Par contre, lorsque je succombe à l'impatience, alors
                se dévoile mon visage d'homme, ma face humaine encore
                enlaidie par le péché. Et à ce moment, je me replie sur
                moi et je rejette l'autre. Et en rejetant l'autre, je me
                condamne. Il y a là toute une dialectique. Le frère est
                toujours révélateur de ce que moi je suis. Si je
                n'accepte pas un de mes frères, je ne m'accepte pas
                moi-même. Dès le moment où je me replie sur moi, je me suicide. A
                l'extrême, l'enfer n'est rien d'autre que cela : c'est
                le repliement définitif sur soi, c'est le rejet
                définitif de l'autre, à commencer par Dieu. Et cela par
                ma faute, car je n'ai pas pratiqué ce que Dieu avait
                déposé en moi. Je l'ai laissé mourir, je l'ai laissé
                étouffer, s'atrophier, et ça est mort, et moi avec ! La patience est donc la vertu qui dévoile aux yeux de
                mes frères - nous sommes en communauté, ici - ce que je
                vaux : si je suis un fils de Dieu ou bien si je suis
                encore un fils de l'homme vendu au péché. Je suis
                toujours les deux en même temps, c'est certain, mais la
                patience va agir à la façon d'un thermomètre qui va
                révéler mon degré d'union à Dieu, mon degré de
                divinisation, mon degré de christianisation. Elle est, cette patience, force de Dieu en moi. Nous
                retrouvons, ici, l'aspect hellénique de la patience.
                Mais attention, elle accroît en moi la vulnérabilité !
                Saint Benoît le sait. Il dira : si on te frappe sur une
                joue, alors le moine, le vrai moine, pas le moine de
                pacotille, il tend l'autre ! Si on lui enlève sa
                tunique, il donne encore son manteau ! Si on lui demande
                de faire mille pas, il en fait deux mille ! Et en tout
                cela il sustinet, 7, 96, il tient, il reste
                immobile, il ne bouge pas, il est toujours là ! Vous voyez, la patience, elle me rend toujours plus
                vulnérable, car le jour où je dis : ça suffit, à ce
                moment-là je me protège moi-même, j'ai posé une limite,
                je suis devenu impatient. Et les autres vont se tenir à
                distance : attention, pas toucher à celui-là, on ne peut
                pas trop lui demander ! Ecoutez ceci, ce que je viens de dire maintenant !
                Prenons bien garde lorsque nous vieillissons parce que à
                l'expérience il apparaît que lorsque que l'on commence à
                prendre de l'âge on a tendance à devenir impatient. Oui,
                on se dira : oui, mais j'en ai fait assez ! Je n'ai plus
                la force ! Enfin vous savez j'ai 65 ans, c'est l'âge de
                la pension, et il arrive un chèque tous les mois, ça
                compense bien, hein ! Vous pourriez me demander moins ! Et tout cela parce que les forces physiques diminuent,
                parce que la résistance psychologique diminue avec
                l'âge. Donc attention ici, attention de ne pas nous
                laisser prendre par le vertige de tendances qui ne sont
                pas égoïstes mais qui sont instinctives. C'est parce que
                il y a quelque chose qui s'écoule en nous. Et quand on
                est jeune, on est beaucoup plus généreux parce que on ne
                mesure pas sa force. Quand on devient plus âgé, on
                commence à avoir peur parce qu'on se sent partir.
                Prenons bien garde à cela ! Saint Benoît, lui, ne place pas de limite d'âge à la
                générosité. Il ne dit pas : le quatrième degré
                d'humilité, ça concerne les moins de 30 ans, ou les
                moins de 40 ans et j'en exempte les 3 X 20. Non, non,
                Saint Benoît ne dit pas ça... Mais si la patience accroît en moi la vulnérabilité,
                elle accroît aussi l'impassibilité, car elle me fait
                planer au dessus de toutes les contingences. Elle me
                fait voir les choses dans leur vérité éternelle. Elle
                relativise tout ! Quid hoc ad aeternitatem ?,
                disait-on auparavant. Qu'estce que cela peut bien faire
                à côté de l'éternité ? C'est cela ! La patience va aussi assouplir mon être - nous voici
                revenus à la partie plus latine - qui est naturellement
                craintif, peureux. Elle va l'assouplir en le faisant
                entrer dans la confiance, en l'ouvrant à la paix et à la
                joie. C'est vrai, nous sommes naturellement craintifs,
                c'est d'expérience courante. Parfois vous vous approchez
                de quelqu'un, d'un homme, même dans un monastère. Et
                vous allez ouvrir la bouche pour parler. Vous n'avez
                encore rien dit, vous vous êtes simplement approchés. Et
                vous voyez l'autre qui se hérisse, qui se rétracte. Il a
                peur, il n'est pas bien dans sa peau. Il va lui arriver
                quelque chose. Voyez ! Il y a de quoi, la patience le quitte déjà.
                S'il pouvait, il prendrait la poudre d'escampette.
                D'ailleurs ça arrive parfois, ça m'est déjà arrivé ici.
                Il suffit de s'approcher de quelqu'un pour demander
                quelque chose, pour le voir se sauver avant même d'avoir
                dit un mot ! Vous voyez, c'est ça ! L'homme est
                naturellement peureux - certains plus que d'autres parce
                qu'il ne sait pas ce qui va lui arriver. Et alors il est
                raidi. Or, la patience, ça nous décontracte, ça nous
                assouplit. Elle nous rend plus heureux, parce que toute
                raideur nécrose quelqu'un : elle transforme l'être beau
                qu'est l'homme en un cadavre et un squelette. On ne peut
                pas y toucher parce que ça casse. Eh bien, la patience,
                elle nous guérit de tout cela. N'oublions pas qu'elle
                est une vertu divine et que c'est parce qu'elle est une
                vertu divine qu'elle réalise ces prodiges. Comme je l'ai
                dis tantôt, elle manifeste mon degré de vie divine et
                c'est un thermomètre infaillible parce que il y a une
                quantités de facteurs humains et surnaturels qui jouent
                en même temps et qui vont tous dans la même direction. La patience, elle est - pourrait-on dire - synonyme de
                disponibilité et d'ouverture. Or vous savez que c'est la
                disponibilité au vouloir de Dieu qui classe un homme au
                regard de Dieu, et des Anges et des autres hommes. Plus
                on est obéissant et plus on est ouvert, et plus on est
                disponible, et plus on est donné, et plus la vie divine
                est forte en nous. Et cette disposition, elle assure une
                fécondité inépuisable, intarissable, dans l'invisible du
                Royaume de Dieu qui se construit. Voilà mas frères, nous avons terminé ainsi notre petite
                excursion dans le domaine de la patience. Vous savez, on
                pourrait encore dire beaucoup de choses, mais il faut
                tout de même s'arrêter parce que ça deviendrait lassant
                pour finir et ça finirait par nous rendre impatient.
                Mais voilà, elle a été le message que Dieu nous a
                délivré par la voie postale qu'est la sienne et qui pour
                cette fois était la grippe. Nous n'avons plus qu'à le remercier et à lui demander,
                moi pour mon compte, vous pour votre compte personnel,
                et puis les uns pour les autres, que ce message ne soit
                pas perdu, que nous retenions ce que Dieu a voulu dire,
                et que nous nous efforcions de recevoir cette force
                divine en nous, qui est la patience, de façon à ce que
                nous devenions des hommes complets, et alors lentement
                mais sûrement de parfaits fils de Dieu. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 07.05.801. Introduction.Mes frères,Ce soir, je vais commencer la lecture de la lettre
                circulaire que le Père Abbé Général nous adresse à
                l'occasion de la fête de Pâques. Nous devons
                l'accueillir avec respect et reconnaissance. Je ne
                connais pas le Père Abbé Général, je ne lui ai jamais
                parlé. Je n'aurais sans doute jamais l'occasion de
                m'entretenir avec lui. Et d'ailleurs, même si j'avais
                l'occasion de le rencontrer, ce n'est pas an entretien
                d'une heure qui permettrait de dégager la personnalité
                de l'homme. Mais pour ce qui nous regarde, à propos de cette
                lettre, nous devons nous situer bien au-delà des
                facteurs purement humains. Le Père Abbé Général est un
                peu la conscience de l'Ordre. Il a été choisi par Dieu
                pour cela ; cela veut dire qu'il a reçu de Dieu depuis
                toujours des qualités humaines et surnaturelles qui lui
                permettent de s'acquitter de cette mission. Et la conscience de l' Ordre, en ce sens-ci : qu'il
                doit sentir quelles sont les faiblesses, les
                défaillances, les impossibilités de l'Ordre, mais aussi
                les énergies qui l'habitent, les dynamismes qui le font
                évoluer. Et c'est tout cela qu'il essaye de nous
                partager à l'occasion de ses lettres circulaires,
                particulièrement cette lettre-ci. Nous allons donc la recevoir comme un message venant
                d'au-delà du Père Abbé Général, venant de l'Esprit de
                Dieu. Dieu nous a parlé dernièrement par une voie qui
                était la grippe. Nous avons essayé d'interpréter cette
                Parole. Maintenant Dieu nous parle à travers un écrit.
                Ce n'est pas plus facile car nous allons devoir bien
                réfléchir à ce qu'il nous dit pour extraire de cette
                Parole, de ce message de Dieu tout ce que Dieu veut nous
                dire pour notre progrès spirituel. Voici donc le début
                de sa lettre :Chers frères et sœurs, Comme l'annonçait le bulletin d'information n° 54, je
                n'ai pas pu écrire de lettre circulaire à Noël. Ce délai
                a été providentiel puisqu'il m'a donné plus de temps
                pour réfléchir sur le sujet auquel je vais m'attaquer :
                mes impressions après avoir visité tous les monastères
                de l'Ordre. C'est là un sujet difficile et complexe, vous vous en
                doutez. Il va d'ailleurs le dire luimême quelques lignes
                plus bas. Il est seul, en tant qu'Abbé Général, parce
                qu'il est Abbé Général, de pouvoir aborder un tel sujet.
                Il a visité tous les monastères. Il y en a 87 de moines
                et 51 de moniales, dispersés aujourd'hui dans le monde
                entier. Il a séjourné quelques jours en chacun d'eux. Je
                ne sais plus en quelle année il est passé ici ? Et alors
                en plus de cela, il est au confluent de toutes les
                informations qui concernent chacune des maisons de
                l'Ordre ; toutes les Cartes de Visite arrivent chez lui,
                les rapports confidentiels aussi. Et n'oublions pas les lettres que les moines et les
                moniales toujours bien intentionnés lui adressent au
                sujet de telle ou telle situation des communautés.
                Confidentiellement je vous dis encore ceci : il me
                disait dans cette lettre : Tiens, disait-il, depuis tout
                un temps je n'ai plus reçu aucune lettre de Rochefort.
                C'est bon signe, disait-il. Donc, essayons de persévérer
                dans cette bonne direction. Son sujet est difficile et complexe car les monastères
                sont répartis maintenant dans les 5 parties du monde,
                depuis les régions hyper civilisées des Etats-Unis
                jusqu'aux régions les plus pauvres des pays en voie de
                développement. Voyez un peu ! Porter alors un jugement qui vaudrait
                pour tous ! Alors que beaucoup d'Abbayes ont connu et
                connaissent encore le tremblement de terre
                postconciliaire ! En plus, les monastères, ce ne sont
                pas des abstractions, ce sont des communautés. Il y a là
                des hommes qui cherchent Dieu, ou qui cherchent la route
                qui conduit vers Dieu, des hommes qui ont leurs
                problèmes personnels, leurs espoirs personnels, leurs
                questions. Voyez ! Ce qu'il aborde aujourd'hui n'est pas comme il
                l'avait fait l'année dernière sur la Lectio Divina.
                C'était un enseignement spirituel. Ici, il doit rendre
                compte de ce qu'il a senti au sujet de personnes. Aussi,
                il utilise un mot qui à première vue m'a étonné. Il dit
                : le sujet auquel je vais m'attaquer ! Le terme
                le plus habituel serait : j'aborde un sujet, je vais
                l'explorer, je vais le scruter puis je vais en traiter.
                Lui, il va s'y attaquer, un peu comme dans une escalade
                de montagne on va s'attaquer à une rampe rocheuse
                difficile, dangereuse, on va prendre des risques. Et c'est ce que fait le Père Abbé Général avec ce
                sujet. Car le risque qu'il prend, c'est d'être mal
                compris et d'être mal jugé. On dira : oui, mais ce n'est
                pas tout à fait comme ça ! Vous voyez, il prend un
                risque. Et pour cela il lui faut du courage, le courage
                d'exposer la vérité toute entière. Car une vérité
                partielle est toujours entachée d'erreur. Lui, comme
                Abbé Général conscience de l'Ordre, il doit s'efforcer
                d'exprimer la vérité totale au sujet de l'Ordre. Vous
                voyez, ce n'est pas facile. Donc il a bien raison de
                dire qu'il va s'y attaquer. Il dit aussi qu'il va livrer ses impressions, mes
                impressions, dit-il. Il va donc porter un jugement
                personnel, un jugement autorisé, et vous savez pourquoi,
                mais aussi un jugement d'autorité. Ce qu'il va dire va,
                non pas faire loi en la matière - il n'est pas question
                de cela mais ça aura tout de même un poids qui va peser
                sur l'Ordre et qui va fatalement l'orienter dans une
                certaine direction. Il faut donc que l'Esprit de Dieu habite le Père Abbé
                Général, qu'il soit ouvert à l'influx de cet Esprit pour
                que grâce à la docilité de l'Abbé Général l'Ordre puisse
                évoluer dans la ligne voulue par Dieu. Il a du pendant un temps plus ou moins long, et il le
                rappelle en disant : ce délai a été providentiel puisque
                il m'a donné plus de temps pour réfléchir. Il a donc
                fallu qu'une décantation s'opère en lui, que se dégage
                une synthèse et dans cette synthèse une vue d'ensemble
                globale, qu'apparaissent en relief, en saillie quelques
                détails importants, essentiels qu'il faut retenir,
                détails qui vont faire ressortir d'avantage la globalité
                de ce qu'il va dire. Mes frères, je pense que nous pouvons remercier le Père
                Abbé Général pour cette lettre-ci. C'est un document
                important. Je vois, il ne le dit pas explicitement, mais
                ce qu'il veut- c'est certainement derrière sa tête quelque part - il
                veut intéresser chacun de nous au prochain Chapitre
                Général qui va traiter de la situation de l'Ordre. Il
                veut donc que chacun de nous soit informé des problèmes
                qui vont se poser aux Capitulants. Nous devons nous y
                intéresser, c'est notre affaire à nous et non seulement
                l'Ordre comme tel, mais aussi notre monastère, et chacun
                d'entre nous. Nous ne sommes pas isolés, nous ne sommes
                pas des pions les uns à côté des autres. Non, c'est un
                organisme qui vit et nous sommes membres de ce Corps.
 Mes frères, voilà, nous allons maintenant nous rendre à
                l'église, il est temps. Je vais commencer la lecture, je
                dirais du corps du sujet, demain. Il commence par une
                petite statistique, elle sera très facile. Mais nous
                retiendrons ceci aujourd'hui : c'est que nous devons
                soutenir notre Père Abbé Général de notre prière et
                aussi de notre confiance. N'oublions pas qu'il a été
                placé par Dieu pour remplir une mission qui est unique
                dans l'Ordre. On pourrait très bien dire : oui, mais auparavant il
                n'y avait pas d'Abbé Général, on pourrait très bien s'en
                passer ! Oui, dans le temps on pouvait s'en passer. Mais
                je pense qu'aujourd'hui on ne saurait plus. Il faudrait
                toujours qu'il y ait dans l'Ordre quelqu'un qui soit
                capable de faire comme ça la synthèse, le tableau de
                tout ce qui arrive de façon de pouvoir être, à la place
                de chacun d'entre nous, cette conscience qui nous dit où
                nous en sommes, et toujours où nous devons aller. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 08.05.802. Statistiques.Mes frères,Le Père Abbé Général nous dit qu'il va nous livrer ses
              impressions après avoir visité tous les monastères de
              l'Ordre. Et il enchaîne immédiatement :
 La situation numérique est assez facile à exposer.
                Alors qu'en 1959 il y avait dans l'Ordre 3362 moines et
                1498 moniales à voeux solennels les chiffrent
                correspondant en 1979 étaient 2607 et 1648. Durant cette
                période la moyenne d'âge est montée chez les moines de
                44 à 55 ans, et chez les moniales de 46 à 54. Ces
                chiffres comprennent les novices et les profès
                temporaires. Au cours de la même période il y a eu 2717
                entrées et 2953 départs dans la branche masculine,
                tandis que chez les moniales on compte 1126 entrées et
                612 départs. Voilà beaucoup de chiffres pas facile à retenir !J'ai débroussaillé un peu tous ces calculs, et voici
                plus simplement comment les choses se présentent : La
                situation est donc vue à 20 ans d'intervalle, 59-79.
                Chez les moniales, en 20 ans, leur effectif a augmenté
                de 10% et les entrées ont été supérieures aux sorties de
                45%. Un petit calcul m'a permis de voir que le Père Abbé
                Général en parlant d'entrée et de sortie comptait les
                novices aussi. Donc, c'est le mouvement à l'intérieur de
                l'Ordre. Chez les moniales, au cours de ces 20 ans, la
                moyenne d'âge des moniales a crû de 17%.
 Maintenant chez les moines ? Là, c'est tout autre chose
                ! Les effectifs ont diminué de 22% et les sorties ont
                excédé les entrées de 9%. La moyenne d'âge a augmenté de
                25%. Quelles conclusions tirer de ces chiffres ? Mais
                d'abord que les moniales non seulement n'ont pas
                régressé, mais qu'elles ont proliféré, ça se comprend !
                A mon sens les femmes sont plus généreuses, plus
                enthousiastes, plus idéalistes et plus fidèles que les
                hommes. Il y a plus de force chez les femmes que chez
                les hommes. On les appelle le sexe faible, mais
                spirituellement, même dans le monde, une femme est plus
                forte que l'homme. Il faut toujours bien le savoir !
 Maintenant je me suis demandé : mais à Saint Remy, que
                s'est-il passé pendant ces 20 ans ? En 59 il y avait ici
                47 personnes. Il y avait sans doute à ce moment là un ou
                l'autre qui était exclaustré, je ne m'en souviens plus.
                Mais enfin 47 personnes et 20 ans après il y en a 37, ce
                qui fait une diminution de 21%. Nous sommes dans la
                moyenne de l'Ordre qui est de 22%. Nous n'avons pas à
                nous plaindre. Maintenant la moyenne d'âge : elle était de 54 ans déjà
                alors. Et aujourd'hui, maintenant en 79 donc, elle était
                de 57 ans. Ce qui fait une hausse de 5%, quand la
                moyenne de l'Ordre est de 25%. Nous ne sommes pas trop
                mal lotis, mais nous sommes tout de même au dessus de la
                moyenne de l'Ordre qui est de 55 ans et nous en avons
                57. Maintenant je pense qu'il est intéressant de tirer
                quelques conclusions. Ce sont les miennes, ce sont mes
                impressions aussi, mais je pense que ce seront aussi les
                vôtres. D'abord, c'est qu'il ne faut pas se laisser
                impressionner par des chiffres, des chiffres concernant
                l'âge moyen, la diminution des effectifs, mais surtout
                l'âge moyen. Les communautés vieillissent. La nôtre
                vieillit, c'est fatal ! Pourtant il y a des jeunes, il
                n'en manque pas ici. Il y a des monastères où il y a un
                frère en dessous de 40 ans, où il y en a deux en dessous
                de 50 ans. Voyez alors quand il y a 50 ou 60 hommes dans
                ce monastère, ils ont 60,70 ans. Voyez un peu ! Ici,
                nous n'avons pas à nous plaindre. L'accroissement de la longévité ? Mais c'est un
                phénomène général dans nos régions civilisées. Elle est
                due à une médecine qui est en progrès constant.
                Imaginons un peu, nos anciens qui ont du l'année
                dernière subir des interventions chirurgicales graves.
                Mais il y a 20 ans de cela ? C'était fini ! Il ne
                fallait même pas essayer, ça n'existait pas. Ils étaient
                condamnés. Et maintenant c'est une nouvelle jeunesse qui
                recommence en eux. Alors aussi une diététique mieux appropriée, mieux
                équilibrée. Regardez un peu comme nous sommes nourris
                maintenant ! Regardez un peu comme nous étions nourris
                il y a 20 ans, où c'était encore le régime vraiment de
                la Trappe. Il y avait déjà de petits soulagements, mais
                aujourd'hui ? Or, il est certain qu'une nourriture plus
                consistante, mieux diversifiée, mieux préparées - on a
                de meilleurs moyens techniques à notre disposition
                maintenant - ça donne aux hommes un surcroît de force,
                une plus grande résistance aux facteurs de destruction
                qui sont en eux. Donc félicitons-nous, mes frères, de cette longévité.
                Il est utile, il est indispensable, c'est une
                bénédiction d'avoir dans un monastère des vieillards,
                des anciens. Ce sont eux qui portent toute la
                communauté. Il faut des jeunes aussi naturellement,
                parce que les anciens ne savent plus travailler comme
                auparavant. Mais je le dis, le poids de spirituel, le
                poids de charité, d'amour, de fidélité qui est là. Il y a aussi, ce qui fait reculer l'âge moyen, c'est le
                recul de l'âge auquel on entre dans un monastère. Plus
                question aujourd'hui d'arriver à 14, 15 ou 16 ans. On
                exige des candidats une maturité humaine, affective,
                professionnelle, classique même au plan des études. La
                scolarité est prolongée, la loi l'oblige. On demande
                même aujourd'hui, la plupart, d'avoir exercé une
                profession avant d'entrer, d'avoir vraiment choisi de se
                dépouiller d'un avenir qu'on avait déjà en main, qui
                était prometteur, pour suivre Dieu, se mettre à son
                service, faire sa vie avec Dieu. Voilà donc ce qui fait
                que l'âge moyen recule !Mais le Père Abbé Général dit : On pourrait se poser une question. Faudrait-il fixer un
              âge limite dans l'autre sens ? Vers le haut autant que
              vers le bas ?
 Dans certains monastères, on n'accepte plus les
                candidats qui ont au-delà de 50 ans. Dans un autre on ne
                les accepte plus lorsqu'ils ont au-delà de 45. Chez les
                Chartreux, on ne les accepte plus lorsqu'ils ont dépassé
                40 ans. Il y a là une question qui se pose ? Maintenant le recrutement aussi ! On parlait des
                entrées et des sorties. Pour ce qui est des hommes, il y
                a plus de sorties que d'entrées, donc il y a plus de
                mouvement. L'idéal, ce serait de pouvoir joindre et la
                qualité et la quantité : beaucoup de postulants de
                premier choix ; ça, ce serait l'idéal ! Mais en fait, et c'est ma politique, il faut donner une
                priorité absolue à la qualité. Depuis que je suis en
                charge d'Abbé, il y a déjà bien eu, allez je ne vais pas
                calculer, mais 10 ou 12 demandes soit par écrit, soit
                des visites ici au monastère. Et vous voyez qu'il n'y en
                a que deux ! Priorité à la qualité ! Mais on pourrait dire, et c'était une objection qu'on
                entend parfois : Non, il faut accepter tout ce qui se
                présente, surtout les jeunes. Pourquoi ? Mais parce que
                cela met de la vie dans une communauté même s'ils ne
                font qu'entrer et sortir, rester quelques semaines ou
                quelques mois...Non, ça met de la vie, ce sont des
                jeunes, et les anciens alors sont contents parce que, je
                ne sais pas, ils voient quelque chose qui bouge. Et
                voilà, ça épanoui tout le monde, et alors, ce qui n'est
                pas à dédaigner non plus, le travail se fait. Oui, lorsque j'étais à la Conférence Régionale de
                Port-du-Salut, il y en a un là qui m'a dit que dans un
                monastère - ce n'est pas un monastère Belge, mais il
                n'est tout de même pas loin d'ici - il se présentait de
                200 à 300 postulants par année ! Et tout ça passe au
                noviciat ! Alors vous voyez un peu quelle affaire. Mais
                il disait : ça devient un peu trop ça quand même ! Alors, à cette objection qui dit : non, il faut aussi
                la quantité et pas trop regarder à la qualité, même si
                ça ne reste pas, je répondrai ceci : C'est que vous vous
                en doutez bien, ce va et vient est une cause de trouble
                dans une communauté, chez les anciens aussi, et surtout
                chez les jeunes, sérieux alors. Il n'est pas possible de
                donner une formation convenable lorsque il y a du tout
                venant, parce que ceux qui sont vraiment appelés par
                Dieu reçoivent la nourriture spirituelle qu'on leur
                donne. Mais les autres ne comprennent pas, ça glisse sur
                eux, ça ne les intéresse pas. Ils ne savent pas y porter
                intérêt parce que ça ne les concerne pas vraiment. Alors, dans une salle où ils reçoivent les cours tous
                ensemble, cela crée des difficultés : et pour celui qui
                doit donner le cours, mais aussi pour les sérieux qui
                l'écoute vraiment parce qu'ils voient que les autres
                n'écoutent pas, qu'ils sont distraits, qu'ils s'occupent
                d'autre chose. Alors je ne parle pas du reste ! Il y a aussi, c'est que les jeunes ont droit, je pense,
                à la vérité sur leur avenir, pas seulement les jeunes,
                mais aussi les moins jeunes. Il faut pouvoir leur dire :
                oui, vous n'êtes pas appelés à la vie monastique ; ou
                bien voilà, vous n'êtes pas appelés à la vie monastique
                à Rochefort. Il est venu l'année dernière comme cela un postulant -
                appelons-le ainsi - un candidat qui est resté ici
                quelques heures. Il avait téléphoné pour me voir. Je ne
                pouvais pas refuser. Il est venu et il avait déjà été
                voir ailleurs avant. Et je lui ai dit : écoutez, non,
                non, non, votre situation est telle, vous n'êtes pas
                appelé à la vie monastique, c'est certain ! Alors quand il est parti, il m'a dit : Eh bien vous ne
                savez pas comme je suis contant de ce que vous m'avez
                dit. Maintenant au moins je vois clair dans ma vie. Ce
                n'est pas comme dans l'autre monastère où on m'a servi
                toutes sortes de raisons qui n'en étaient pas, et je le
                sentais bien. Maintenant c'est clair et net. Vous voyez, c'est ça qu'il faut. Je pense que ceux qui
                se présente ici on droit à la vérité sur leur vie. Et en
                outre, il ne faut pas se moquer de Dieu. C'est ici la
                maison de Dieu. Et ont seulement le droit d'y habiter
                ceux que Dieu y invite. Naturellement il est toujours
                difficile de discerner les esprits. Voyez un peu, Saint
                Benoît prend tellement de précautions. Mais enfin pour
                beaucoup, je ne dis pas au premier coup d'oeil, mais
                après quelques temps, après quelques jours ou quelques
                semaines, on peu de suite voir à qui on a à faire et on
                peut donner une réponse sûre. Mais voilà mes frères, je pense que dans le fond nous
                pouvons être satisfait de notre sort ici, et que nous
                pouvons, et que nous devons même remercier pour ce que
                Dieu nous donne. Ne soyons pas ambitieux, soyons
                toujours dans la vérité tel que nous devons être et
                alors Dieu nous donnera de pouvoir vivre de sa vie.
                Il nous donnera toujours des anciens ici, disons même
                des vieillards qui serons pour nous des modèles de
                fidélité, des modèles de joie, des modèles de prières,
                des modèles d'abandon et des modèles de charité. Et s'Il
                juge bon, parce que c'est Lui qui est ici chez Lui, eh
                bien il invitera d'autres personnes, et il maintiendra
                l'âge moyen de la communauté au niveau qui est le
                meilleur, et pour LUI, et pour nous tous. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 10.05.803. La vie quotidienne.Mes frères,Après quelques considérations d'ordre statistiques, le
              Père Abbé Général enchaîne immédiatement :
 Mais qu'en est-il de la vie quotidienne dans nos
                communautés ? Il n'est pas facile de trouver des
                catégories à partir desquelles exposer correctement une
                situation qui est fort complexe. Qu'il me soit seulement
                permis pour commencer de dire que mon impression
                générale est très positive. Il y a des problèmes et des situations difficiles. Il y
                a même quelques maisons qui, à mon avis, sont en danger
                de perdre leur orientation monastique. Mais au total, il
                y a en ce moment dans nos monastères beaucoup de
                facteurs encourageants : un désir de prière, une
                recherche de vie monastique authentique avec pour
                corollaire une tentative pour découvrir ce qu'est au
                juste le charisme cistercien, un effort pour atteindre
                le juste équilibre entre Prière, Lectio et Travail, le
                souci d'une atmosphère de communauté sincère et
                fraternelle, un progrès dans la compréhension de la
                nature ecclésiale de le vie contemplative. J'ai touché ces points dans des lettres précédentes ou
                dans des conférences, aussi n'est-il pas nécessaire de
                les développer ici. Mais il ne faut pas oublier qu'ils
                ont leur importance dans le tableau d'ensemble, si nous
                voulons que celui-ci soit véridique. Mes frères, je vous invite à vous hisser à deux étages
                : celui de l'Ordre et celui de la communauté. L'étage de
                la communauté d'abord, c'est celui qui nous touche de
                plus près.Le Père Abbé Général nous met entre les mains un
                appareil qui nous permet de nous ausculter, c'est à dire
                de procéder à un examen de conscience collectif. Mais
                prenons bien garde ! Cela ne peut devenir prétexte à
                vanité, vous savez, à penser aux autres communautés
                plutôt qu'i la nôtre. Les autres, nous ne les
                connaissons pas. Nous les connaissons par ouï-dire, des
                ragots le plus souvent. Une communauté dissimule sa vie
                intime, elle demeure secrète, elle est ouverte aux
                regards de Dieu seul. Une communauté ne se livre pas
                facilement. On peut y passer des mois sans la connaître.
 Donc, de ce côté là soyons très discret, et
                demandons-nous plutôt si les facteurs encourageants que
                détaille ici le Père Abbé Général se reconnaissent parmi
                nous ? S'ils sont ce qu'ils devraient être ? En un mot,
                c'est le moment de voir si nous entendons à l'aide de
                notre stéthoscope - qui nous permet de percevoir les
                bruits internes de notre vie communautaire - c'est le
                moment de percevoir si nous sommes au diapason de
                l'Ordre entier ?
 Oh, il ne nous est pas demandé d'être la locomotive de
                l'Ordre. Il n'yen a qu'une. Auparavant c'était l'Abbaye
                de Cîteaux. Maintenant quelle est-elle ? Pas un petit
                bazar comme ici ! Mais il ne nous est pas demandé non
                plus d'être la lanterne rouge, le feu rouge à l'arrière.
                Non, voyons si nous sommes dans le convoi et si nous
                avançons au rythme des autres ? Si les projets, les
                recherches que le Père Abbé Général a constaté ailleurs
                se retrouvent ici ? Voilà l'étage de la communauté.
 Mais il faut gravir un étage supérieur encore, celui de
                l'Ordre. Car la lettre du Père Abbé Général a pour objet
                l'état de santé actuel de l'Ordre. Nous devons
                maintenant sentir que nous ne sommes pas isolés. Il
                existe très peu de contacts entre les communautés, avec
                certaines pas du tout. On sait qu'elles existent parce
                qu'on les voit dans l'Ordo, et c'est tout. Mais c'est
                l'occasion maintenant de sentir que partout ailleurs
                dans le monde il y a des frères qui vivent les mêmes
                épreuves, les mêmes difficultés, les mêmes problèmes,
                qui se posent les mêmes questions et qui essayent
                sincèrement d'y apporter une réponse. Cette lettre aussi à l'étage de l'Ordre, doit nous
                sensibiliser aux questions qu'auront à débattre les
                Abbés réunis en Automne au Chapitre Général. Vous savez,
                le Chapitre Général, c'est quelque chose - on le dit
                dans toutes les Conférences Régionales - qui n'intéresse
                vraiment personne dans les communautés, sauf l'Abbé qui
                est ennuyé par toutes sortes de choses. Mais prenez
                garde à vous, n'est-ce pas ! Parce que quand j'aurais
                terminé avec cette lettre-ci, je vais vous exposer
                toutes les questions du Chapitre Général. Et j'espère
                bien que vous éclairerez mon obscurité de vos lumières. Un Abbé ne va pas au Chapitre Général à titre
                personnel, mais il est là pour ses frères, il les prend
                avec lui. Donc il faudra que je sente un peu - c'est une
                question de sensibilité comment vous voyez les choses.
                Et ce Chapitre Général va essayer de projeter une image
                de l'Ordre à partir d'une mosaïque de visages : tous ces
                rapports qui doivent être lus : il y en a 120 au moins !
                Et à partir de là il faudra que l'ensemble des
                capitulants se fasse une idée de ce qu'est l'Ordre
                maintenant. Et cette lettre va y aider. Elle est un peu
                une préparation à ce travail. Elle en est déjà comme une
                présynthèse. Maintenant le Père Abbé Général dit : Qu'en est-il de
                la vie quotidienne dans nos communauté ?Eh bien, c'est là qu'il fallait en venir : la vie
                  quotidienne. Et c'est la seule chose importante.
                C'est très beau de discuter de principes, ou de normes,
                ou de directives, ou d'idéal ; c'est très beau tout
                cela, mais ça plane tellement haut que c'est hors de
                notre portée. Nous ne savons pas le saisir.
 Donc, voyons la vie quotidienne, dit-il. Ce sont des
                hommes en chair et en os qui sont là réunis. Ils ont été
                appelés par Dieu et ils sont dans un contexte qui est
                celui d'aujourd'hui : social, économique, culturel,
                religieux aussi. Et la dedans il faut chercher sa voie
                vers Dieu qui est au bout, et qui appelle, et qui
                attire, et qui trace une route. Mais il faut y avancer,
                sur cette route, tels que nous sommes, dans la vie
                quotidienne.
 Il faut aider les hommes d'aujourd'hui à mieux vivre, à
                mieux être en conformité avec l'appel qu'ils ont reçu et
                auquel ils ont obéi. Il faut que les frères soient, et
                au plan spirituel et aussi au plan humain, qu'ils soient
                plus mûrs, plus épanouis, plus heureux de vivre ce
                qu'ils sont, mieux dans leur peau, leur peau mortelle
                d'aujourd'hui, mais aussi dans la peau du corps
                spirituel qui est en train de ressusciter déjà en eux.
 Voilà ce que c'est que la vie quotidienne dans une
                communauté !
 Et c'est à cela que le Père Abbé Général veut en venir.
                Et il va proposer un schéma de réflexion, vous allez le
                voir par après. Car, dit-il, c'est une situation fort
                complexe, cette vie quotidienne. Il va faire les choses
                comme il lui semble bon. C'est un Anglo-Saxon. Il est
                très systématique et très clair aussi tout en étant
                précis. Et son impression générale, dit-il, comme ça en gros,
                elle est très positive. Remarquez ici le superlatif très
                positif : pas seulement positive, mais très positive. Il
                y a des problèmes, il y a des déchets puisque une ou
                l'autre communauté semble être en danger de perdre son
                orientation monastique. Alors mes frères, je pense que en conclusion de cette
                soirée, nous devons faire une confiance pleine et
                entière en la puissance irrépressible de l'Esprit de
                Dieu. Il y a - puisqu'il partait de 1959 et nous voici
                en 1979, donc juste avant le Concile et maintenant - il
                y a une vingtaine d'année on n'aurait jamais osé écrire
                une lettre de ce genre : impressions générales très
                positives, des facteurs encourageants, tous ceux qu'on
                vient de détailler. Il y a des choses qui se passent. Eh bien, laissons-nous porter par ce mouvement qui
                soulève non seulement l'Ordre mais aussi l'Eglise
                entière. Et en particulier aujourd'hui les jeunes, les
                tous jeunes, de ceux que nous avons vu encore ces
                jours-ci qui suivaient nos Offices, ces jeunes qui sont
                autres, qui sont une autre race que ceux d'il y a 5 ou 6
                ans. Eh bien, laissons-nous prendre par l'Esprit et lundi si
                vous le voulez, nous allons passer rapidement en revue
                tous ces facteurs encourageants et nous ausculter pour
                voir où nous en sommes sous ce rapport là. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.05.804. Facteurs encourageants.Mes frères,Le Père Abbé Général est un fin psychologue : il ne
                s'attarde pas, il ne s'appesantit pas sur le côté sombre
                des situations. Pourquoi d'ailleurs ? Il y a de ces
                tempéraments qui ont toujours les yeux larges ouverts
                pour tout ce qu'ils voient de contraire chez les autres,
                et chez eux-mêmes aussi. Ils sont naturellement
                dépressifs. Tel n'est pas le Père Abbé Général, du moins
                d'après le contenu de sa lettre. Il va au positif. Et je
                pense que c'est la bonne marche. Les taches que nous découvrons chez les autres, que
                nous découvrons en nous aussi, elles sont appelées à
                disparaître. Alors pourquoi ne pas aider un peu à cette
                disparition en jetant de la pluie, de l'eau sur les
                côtés bons de notre nature, sur les côtés éclairés,
                lumineux des autres pour que petit à petit, grâce à
                l'humilité et à la chaleur cela puisse s'étendre et sans
                même que nous le remarquions, éliminer ces taches
                jusqu'à ce que nous soyons tous Lumière. Nous verrons que ça n'empêche pas la Père Abbé Général
                d'être très lucide. Il sait très bien voir les défauts,
                les erreurs, les lacunes, et poser le doigt dessus. Mais
                c'est pour mieux dégager la Lumière qui doit éclairer
                notre route. N'oublions pas cela lorsque nous avancerons
                dans la lecture de sa lettre.Voyez aussi comme il est prudent. Il dit qu'il y a des
              problèmes, des situations difficiles...pas plus ! Il y a même quelques maisons qui, à mon avis, sont en
              danger de perdre leur orientation monastique.
 Il dit : A mon avis. Ce n'est certainement pas l'avis
                des communautés concernées qui, elles, sont certainement
                bien persuadées d'être dans le vrai et d'être des moines
                pour aujourd'hui. Cela crée parfois des situations
                cocasses. A la Conférence Régionale unique à laquelle j'ai eu le
                privilège d'assister, il y avait un Abbé qui était
                perturbé et qui voulait avoir l'avis de ses confrères.
                Il avait dans sa communauté un Père qui publie des
                articles remarqués. Et ce Père lui prétendait que la vie
                cistercienne pour aujourd'hui, c'était d'aller habiter
                en ville et d'aller travailler en usine. Voilà, c'était
                ça moine cistercien aujourd'hui. Et il fallait répondre
                ! On en a parlé longtemps. Chacun savait très bien de
                quoi il s’agissait, mais il fallait avoir la patience
                d'écouter l'Abbé, d'écouter le délégué qui exposait tout
                ça. Mais enfin ils sont rentrés chez eux rassurés, bien
                décidés à aller dire son fait à ce Père en question. Et
                je ne sais pas ce qu'il est devenu ? Ah, il paraît qu'il
                est tout de même parti dans sa ville travailler en usine
                tout seul. Voilà ! Et nous voyons alors, à cet avis du Père Général,
                l'utilité pour une communauté d'un regard venant de
                l'extérieur. Je pense ici à la Visite Régulière. Vous
                avez un Abbé qui vient de l'extérieur et qui regarde la
                communauté et qui peut alors éveiller les consciences à
                une déviation possible. C'est ça le but de la Visite
                Régulière. C'est veiller à ce que - comme le disait déjà
                la Charte de Charité - ne s'introduise dans la lecture
                de la Règle un sens autre que celui qu'ont voulu
                découvrir les fondateurs de Cîteaux. Et c'est une
                entreprise ardue aujourd'hui ! Mais ouvrons bien l'oreille pour la suite ! Le Père
                Abbé Général va, dans le cours de sa missive, nous dire
                ce que lui entend par l'orientation monastique. Et comme
                je puis en juger, c'est juste, ce qu'il dit. Nous
                verrons.Maintenant il parle des facteurs encourageants qu'il a
              découverts partout : Au total, il y a en ce moment dans nos monastères beaucoup
              de facteurs encourageants.
 Il en cite quelques-uns. Et si vous le voulez, nous allons
              nous aussi nous examiner, pour voir si nous avons, nous
              aussi, le droit d'être encouragés.
 Un désir de prières.
 Est-ce que il y a ici à Saint Remy un désir de prière ?
                Difficile à dire parce que ce sont des choses, ça, qui
                ne se manifestent pas volontiers ; la prière, c'est
                tellement intime ! Vous savez, on ne va pas dire l'un à
                l'autre : vous savez, moi, j'ai un grand désir de
                prières ! On en parlera peut-être à son Père Spirituel,
                mais on ne l'écrit pas au tableau comme on écrit : j'ai
                perdu mon agenda. On n'écrira pas : Moi, Père un tel,
                j'ai un grand désir de prières ! C'est autre chose,
                c'est un autre domaine. Mais je pense qu'il y a tout de même ici un petit
                symptôme dans notre communauté qui me permet de répondre
                par l'affirmative. A la fin de l'année dernière j'avais
                fait une allusion prudente mais tout de même sérieuse, à
                la possibilité de supprimer les expositions du Saint
                Sacrement avec adoration. Et cela pour des motifs qui
                étaient...voilà...à ce moment présents. Et ça a provoqué
                un sursaut dans la communauté. Pas un sursaut
                d'indignation, non, mais comme un choc, tel qu'il y a eu
                des vagues jusqu'à la Visite Régulière. Oui, c'est à la
                Visite Régulière qu'on en a parlé aussi.Mais vous voyez, il y a donc là quelque chose ! Il y a ici
              un désir de prière qui est certain, mais il faut une
              circonstance ainsi pour le remarquer. Il parle aussi d'une recherche de vie monastique
              authentique avec pour corollaire une tentative pour
              découvrir ce qu’est au juste le charisme cistercien.
 Et ça, je pense que c'est présent ici ! Regardez un peu
                tous ces chapitres, cette retraite, même les causeries
                que nous entendons au sujet de la Règle de Saint Benoît
                ; même aussi - on va dire : c'est loin ! - la façon dont
                un texte peut être annoté musicalement en se référant à
                ce que les anciens faisaient. Tout cela, vous voyez,
                c'est une recherche de l'authentique, une recherche d'un
                charisme qui est toujours vivant dans les communautés. Mais nous devons rester branché dessus pour que nous
                puissions sans cesse le faire revivre en nous. Il ne
                doit pas s'assoupir. Il doit être comme une flamme qui
                sans cesse nous réchauffe et nous ranime, voilà le mot,
                nous fait vivre.Un effort, dit-il, pour atteindre le juste équilibre entre
              prière, lectio et travail. Un effort ? Oui, parce que cet équilibre est toujours
                un équilibre à rechercher. Le grand danger dans toutes
                les communautés - il y fait allusion plus loin - c'est
                de mettre l'accent sur le travail pour des raisons qui
                s'imposent. Les effectifs diminuent dans une communauté,
                tandis que le travail est toujours là ! Alors cela au
                détriment de la Lectio, alors pour chacun, mais
                aussi de la prière et de la prière chorale. Il dira plus loin que certaines maisons ont demandé
                d'être dispensées de l'une ou l'autre Petites Heures.
                J'ai vu aussi dans une communauté, il n'y a pas
                tellement longtemps : l'Office de None se célébrait ½
                heure exactement après la fin du dîner. Mais disons sauf
                les vieux, les vieillards, tous les autres au choeur
                chantaient l'Office en salopette, sans coule, sans rien
                du tout, comme ça ! Parce que de suite après c'était le
                travail, il n'y avait pas une minute à perdre. Vous voyez, c'est cela ! Vous voyez, il y a donc
                toujours un effort à faire. Et je pense que cet effort
                est, ici, présent aussi parce que nous essayons tous
                d'alléger le travail les uns des autres, et de l'alléger
                en tout, que la charge qui pèse sur la communauté ne
                l'écrase pas. Il faut toujours que le travail soit une
                charge. En soi, il est ça, c'est ça ! Le travail doit
                épanouir la personne, mais il doit aussi créer une
                fatigue. Il faut que le soir, c'est ça que je veux dire, on soit
                contant de déposer le fardeau. Alors c'est sain ! C'est
                physiquement, nerveusement, psychologiquement et même
                spirituellement sain qu'au soir on soit contant de
                déposer le fardeau du travail. Mais il y en a certains
                dans certaines communautés qui sont pris comme dans une
                fièvre d'activisme et ils ne savent plus arrêter la
                machine. Donc, toujours attention ! Et je pense qu'ici
                nous sommes dans la mesure du possible, toujours en
                recherche de cet équilibre.Alors le souci d’une atmosphère de communauté sincère et
              fraternelle. Et çà, pas besoin d'y revenir ! C'est ce qui a frappé
                le Père Visiteur et ce qu'il a demandé de signaler en
                priorité dans le rapport pour le Chapitre Général. Donc
                ça est ici ! Naturellement il faut toujours que dans une
                communauté il y ait des tensions, même entre personnes.
                Mais ces tensions doivent éviter d'être malsaines, de
                dégénérer en amertume. Non, il y a là aussi toujours un
                équilibre à rechercher. E la recherche de cet équilibre,
                c'est là le nerf de la charité fraternelle.Et finalement un progrès dans la compréhension de la
              nature ecclésiale de la vie contemplative. Auparavant on entrait à la Trappe pour y faire
                pénitence et pour sauver son âme, tant pis pour les
                autres ! Lorsque j'étais novice, un ancien m'a exposé
                cette théorie. C'était la base de sa vie. C'était à
                l'occasion d'une petite fête. Ma foi je l'ai bien écouté. Je ne pouvais pas le
                contredire, j'étais novice et lui était très âgé déjà ;
                et je l'ai laissé dans ses bonnes idées. Mais en tout
                cas ce n'était pas les miennes et je pense que ce ne
                sont pas les vôtres non plus. Nous découvrons de plus en plus que nous sommes
                solidaires non seulement de l'Eglise, mais aussi de
                l'humanité, de tout ce qui se passe aujourd'hui. Je ne
                veux pas dire que nous avons besoin ici d'un poste de
                TV, ce n'est pas ça ! Mais nous sentons que nous sommes
                en communion avec les hommes qui sont en train de
                devenir de mieux en mieux le peuple que Dieu se prépare
                pour sa gloire. Je ne vais pas insister, car ça c'est encore quelque
                chose qui est vivant et même bien vivant ici. Nous
                allons à partir de la fois prochaine entamer le corps de
                la lettre du Père Abbé Général. Et je vous demanderais
                de toujours avoir à l'esprit, à l'arrière plan, ce qu'il
                vient de dire ici. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 14.05.805. La prière continuelle.Mes frères,Nous allons maintenant entamer la partie centrale de la
              lettre de notre Père Abbé Général.
 Cette revue de l'Ordre sera divisée en 4 sections : Vie
                à l'intérieur de la communauté - Relation avec
                l'extérieur - Expansion de l' Ordre dans les cultures
                non occidentales - Renouveau et adaptation. Comme vous le voyez, le Père Abbé Général suit un
                mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur. C'est
                une démarche humaine et spirituelle normale. C'est ainsi
                que Dieu fait. De la plénitude de son Etre personnel il
                lance à l'extérieur de lui et de plus en plus loin la
                création matérielle et spirituelle. La démarche du Père Abbé Général est donc parfaitement
                logique et nous découvrons là encore un des traits de
                son tempérament. C'est très intéressant, car lorsque
                nous aurons terminé la lecture de la lettre, nous
                verrons se dresser devant nous la physionomie humaine et
                spirituelle de cet homme. Il se livre dans cette lettre
                beaucoup plus que dans les autres. Maintenant je vous demande de bien faire attention.
                Ouvrez vos oreilles ! Car il va porter un jugement d'une
                extrême gravité sur notre vie. Il va nous remettre en
                face de l'exigence la plus haute et la plus pure de
                notre vocation. Et il n'aura pas peur de définir
                clairement et de rappeler fermement le but de notre vie
                monastique contemplative.Et je dois dire déjà tout de suite que pour faire cela, il
              faut l'oser aujourd'hui. Il lui faut du courage. Encore un
              petit trait de ce qu'il est. Ecoutez donc : Comme il a été dit plus haut, un grand intérêt est
                accordé à la prière à la fois liturgique et privée. Dans
                quelques maisons il y a des groupes de prière pas
                nécessairement charismatiques et l'on pratique aussi le
                partage d'Evangile. La liturgie est en langue
                vernaculaire dans presque tous les monastères. Mais il
                va falloir évidemment bien des années pour mettre en
                place un chant satisfaisant, bien qu'un effort
                considérable ait déjà été fourni en faveur de cette
                recherche. Quelques dix maisons ont demandé la
                permission d'omettre l'une ou l'autre des petites
                heures. La concélébration semble avoir un effet unifiant
                dans la plupart des monastères de moine.Ceci, vous voyez, c'est assez anodin ! Attention
              maintenant ! En dépit de cet intérêt pour la prière, il n'est pas
                toujours certain qu'elle soit regardée comme
                l'occupation la plus importante du moine. Il est permis
                de se demander si on accepte comme un idéal désirable la
                pratique de la prière continuelle.En note il dit ceci : Naturellement quand je parle de l'idéal de la prière
                continuelle, il faut entendre cela correctement. Cassien
                le donne comme le sommet de la vie monastique, mais il
                présente aussi comme but la pureté du coeur et l'amour
                parfait.Et maintenant voici sans doute, en bas de page, dans une
              note, ce qui est le fer de lance de sa lettre Pour tout dire, le moine parfait est celui qui est
              totalement donné à Dieu, et qui est par amour
              continuellement tourné vers lui.
 Reprise du texte de la lettre :
 En quelques endroits le mot même de contemplation
                semble tenu en suspicion. En d'autres termes, l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique n'est pas mis en
                évidence autant qu'on pourrait le souhaiter. Eh bien voilà, mes frères, le Père Abbé Général situe
                le terme obligé d'une vie monastique cistercienne qui se
                veut vraie, il le situe dans la prière continuelle. La
                prière continuelle ? Mais on pourrait en parler pendant
                des semaines et des semaines. Il faudra peutêtre y venir
                un jour ? C'est autre chose que de réciter des prières,
                que de pratiquer l'oraison mentale, que de chanter
                l'Office Divin. Tout cela est capital, est essentiel,
                mais ce n'est jamais qu'un mayen pour avancer vers la
                prière continuelle, ou bien pour s'y maintenir. Mais
                qu'est donc la prière continuelle ? Le Père Abbé Général le dit clairement. C’est être
                totalement donné à Dieu, et par amour continuellement
                tourné vers lui. Voici la définition de la prière
                continuelle. C'est d'être continuellement tourné vers
                Dieu. Pourquoi ? Mais c'est participer existentiellement et consciemment
                à l'état qui est celui du Christ Verbe Incarné, qui lui
                est toujours, comme le dit l'Apôtre dans le Prologue de
                son Evangile, pros ton theon, c'est à dire tout
                le temps tourné vers Dieu, en mouvement vers Dieu,
                orienté vers Dieu. C'est cela ! Ce n'est donc pas des activités qui auraient trait à la
                prière. Non ! C'est l'état d'un homme qui est comme
                était le Christ, comme l'est le Christ encore
                maintenant, comme il l'était avant sa conception dans
                son état déjà de Verbe de Dieu : il est tourné vers
                Dieu. Le moine parfait est un homme qui est engendré de Dieu
                et qui sans cesse se remet à Dieu, toujours ce mouvement
                ! Il se reçoit de Dieu dans tout son être et il se
                restitue incessamment à Dieu tel qu'il s'est reçu. Vous voyez, c'est toujours ce mouvement vers Dieu,
                constamment tourné vers lui, et reçu de Dieu, et
                toujours, toujours ainsi ! C'est participer à la
                génération du Verbe Incarné, à l'intérieur de la
                Trinité. C'est donc être ici parmi les hommes un autre
                Christ. Et voilà le sommet de la vie monastique
                contemplative ! Naturellement pour en arriver là, il faut comme le dit
                le Père Abbé Général, il faut se laisser purifier le
                coeur. Un coeur qui est empli d'une seule chose - je dis
                chose - d'un quid en latin, qui est l'AMOUR. Mais
                AMOUR qui est une Personne et qui est l'Esprit de Dieu.
                Un tel homme, à ce moment là, est prêt pour toute
                mission que Dieu peut lui confier, car il est parmi ses
                frères présence du Christ. Et il n'est rien d'autre que
                cela ! L'idéal vers lequel doit tendre le moine n'est rien
                d'autre que la perfection de la vie du chrétien, de la
                vie de l'homme. Mais comme le disent les anciens : on
                n'arrive pas là tout seul. C'est non sine ingenti
                  cordis contritione, non sans un immense broiement
                de coeur. Car le coeur doit être broyé pour être
                transformé. Tout ce qui est à l'intérieur de mauvais,
                d'indifférent, tout cela doit sortir pour faire place à
                vacuité dans laquelle peut entrer l'Esprit même de Dieu
                et alors, à partir de là transfigurer tout l'être. C'est
                donc l'idéal : participer à l'état du Christ ressuscité,
                et cela existentiellement et aussi consciemment ; si
                bien que celui qui est là, il le sait. Cela ne peut pas
                être autrement. Maintenant cette prière continuelle ? Pourquoi appeler
                cela prière continuelle ? Mais un tel homme, il prie
                constamment, même sans penser à Dieu. Ce n'est pas du
                tout nécessaire, ce n'est pas possible d'ailleurs, s'il
                est pris dans un travail absorbant qui prend toute son
                attention. A ce moment son attention ne peut être
                divisée. S'il a un travail intellectuel par exemple, ou
                un travail qui demande une précision technique, tous les
                efforts, toutes les énergies de son être sont sur ce
                travail ; et ça ne l'empêche pas d'être entièrement à
                Dieu. C'est à ce moment là qu'il l'est ! Il y a des travaux qui permettent d'avoir l'esprit
                libre. C'est pour ça qu'on disait que dans la vie
                monastique, le travail des champs, le travail de jardin,
                tout le travail forestier, tout cela et bien voila : on
                peut y travailler et ça laisse l'esprit libre pour être
                occupé de Dieu. C'est vrai, c'est certain ! Mais il y a
                tant d'autres travaux qui aujourd'hui sont très, très,
                très absorbants et qui ne laissent aucune possibilité de
                penser à autre chose qu'à ce qu'on fait. Eh bien la prière continuelle, un homme qui est dans
                cet état de prière, mais ça ne le dérange pas du tout
                parce que ce n'est donc plus, la prière continuelle, une
                activité, mais c'est un état. C'est l'état de l'homme
                qui est tout a fait christifié, tout à fait transformé
                en un autre Christ.Eh bien voilà, mes frères, le Père Abbé Général pose une
              question. Et je pense que s'il la pose à tout l'Ordre,
              nous pouvons nous la poser à nous. Et il dit ceci : Il est permis de se demander si un tel idéal est accepté ?
              Si on accepte cela comme un idéal désirable ?
 Est-ce que nous pouvons nous demander, nous : Est-ce
                que c'est cela mon idéal ? Estce que je suis venu ici au
                monastère uniquement pour cela ? Est-ce que je suis prêt
                à tout sacrifier uniquement pour cela ? Et le reste
                n'est que moyen. Et quand cela ne sert plus, eh bien, je
                le laisse tomber. C'est fini, j'ai un autre moyen à ma
                disposition. Est-ce que nous sommes mordus par ce besoin de répondre
                à cet appel que Dieu nous adresse? S'Il nous a envoyé
                ici, comme dit le Père Abbé Général, c'est pour ça. Et
                je pense, mes frères, qu'il n'est pas possible de
                comprendre autrement ce qu'il nous dit. Ce n'est pas
                possible, c'est ça qu'il veut dire. Il le dira autrement
                :En d'autres termes, l'aspect contemplatif de notre vie
              monastique n'est pas mis en évidence autant qu'on pourrait
              le souhaiter ? Mais voilà mes frères, pour ce soir restons-en là. Nous
                allons continuer à regarder cela d'un peu plus près.
                Puis nous continuerons la lecture de sa lettre, car
                maintenant tout va tourner autour de cela. Fête de l’Ascension. 15.05.80Mes frères,Les paroles que le Père Abbé Général nous adresse à
                l'occasion des festivités Pascales sont un puissant
                encouragement à persévérer dans l'entreprise à laquelle
                nous nous sommes voués, entreprise dont nous sommes à la
                fois et les matériaux et les ouvriers, le Maître
                d'oeuvre étant Dieu, par son Fils le Christ, dans la
                puissance incoercible de l'Esprit. Nous sommes donc
                engendrés de Dieu continuellement, et perpétuellement
                nous retournons à Lui en entraînant le monde avec nous. Le Père Abbé Général nous demande si nous acceptons, si
                nous sommes décidés à collaborer et à sacrifier tout
                pour que ce travail aboutisse ? Si, comme nous le
                conseille Saint Benoît, nous répondons : oui, d'accord,
                nous nous trouverons bien vite dans une situation
                paradoxale qui a été particulièrement mise en relief
                dans la vie de Siméon le Nouveau Théologien. Cela
                apparaîtra au fur et à mesure que nous avancerons dans
                la lecture du livre au réfectoire. Et ce paradoxe n'est rien d'autre que le mystère du
                moine. Il consiste grosso modo en ceci : c'est un homme
                qui est mort à lui-même, au monde, à tout, et qui vit de
                Dieu et pour Dieu dans la Lumière. Ce n'était pas ignoré
                des premiers cisterciens. C'était connu aussi de Saint
                Benoît. C'était vécu par les Pères du monachisme. Au
                fond, c'est le mystère de la personne du Christ, mystère
                qui culmine dans le fait de l'Ascension. Si vous voulez, nous allons y réfléchir quelques
                minutes, en prenant comme point de départ l'hymne que
                nous avons chantée au cours des Vigiles. Cette Hymne est
                une suite de séquences qui toutes ensemble forment un
                tableau vivant, plein de vie. Je vais simplement en
                extraire deux, trois mots et m'en servir comme torche
                pour éclairer d'un faisceau de lumière les lointains de
                notre destinée et aussi les tréfonds de notre coeur. La seconde strophe de cette hymne dit : Scandens
                tribunal dexterae Patris, potestas omnium collata Jesu
                coelitus…….Nous voyons le Christ qui gravit les marches d'un
                tribunal. Et là, il s'assied, il prend place à la droite
                de son Père. Et de ce lieu qui surplombe tout, il juge
                et il gouverne tout l'univers entier. Tout pouvoir
                  m'a été donné au ciel, sur la terre, dit-il ; tout
                est mis sous ses pieds, tout lui est soumis. Rien
                n'arrive dans le monde que ce soit sous son ordre ou
                avec sa permission. Rien ne lui échappe.
 Or ce Jésus élevé, triomphant, juge, c'est aussi le
                même Jésus qui le Samedi Saint était anéanti par
                obéissance dans la mort, le même qui par solidarité avec
                les hommes avait pris sur lui toute la charge du péché.
                C'est à dire qu'il s'était rendu un avec le
                  refus opposé par l'humanité au projet de Dieu.
                C'est donc le même ! Or, le mystère du moine et son paradoxe, c'est
                celui-là. Aujourd'hui - ne pensons pas au temps lointain
                du passé, voyons aujourd'hui - vous avez un homme, un
                moine, descendu dans les abîmes de l'humilité. Il est
                affaissé sous le poids du péché, des péchés : les siens
                et ceux des autres. A son tour il est devenu péché, et il est là debout
                devant le tribunal de celui dont il a pour mission de
                reproduire la vie. Et cet homme, au même moment dans sa
                conscience, il sait qu'il est mort à tout ce qui est
                péché et que déjà non plus au pied du tribunal, mais
                siégeant dans le Christ, avec le Christ, à côté du
                Christ pour juger l'univers entier. Au même instant les deux choses se vivent consciemment
                dans son coeur et dans son esprit, et aussi dans sa
                chair car il en tremble. C'est cela le paradoxe. C'est
                cela que si nous voulons bien prêter attention, nous
                allons entendre expliquer très bien dans la vie de
                Siméon le Nouveau Théologien, qui, soit dit en passant,
                est le dernier saint de l'Eglise indivise. Peu après sa
                mort le grand schisme déchirait l'Eglise. Eh bien mes frères, cet homme, ce moine donc qui est là
                et à la fois dans un état d'anéantissement et un état de
                glorification, de son coeur montent des accents
                déchirants qui sont des cris de componction et de joie -
                ça peut devenir spectaculaire, mais c'est extrêmement
                rare -. C'est ce qu'on appellera le don des larmes: de
                vraies larmes qui coulent. Mais ce don des larmes, il
                n'est pas nécessaire qu'il se manifeste par des
                ruisseaux qui creusent les joues. Non, mais il doit être
                dans le coeur. Et ces larmes sont à la fois tristesse et joie ;
                toujours cette tension entre des choses qui apparemment
                sont incompatibles. Le Père Abbé Général, vous
                l'entendrez, en parle dans sa lettre expressément. Mais
                je ne vais pas dire les choses avant parce que ce qu'il
                nous affirmera avec force à ce moment est aussi
                important pour nous. Et cet homme, ce moine possède les  viscera Christi.
                Il a des entrailles de Christ, des entrailles de Dieu.
                Cela veut dire qu'il siège là avec le Christ pour juger
                mais pas pour condamner, pour innocenter car il a pris
                sur lui la charge du péché des autres. Et là je me permets de le rappeler. C'est le charisme
                spécifique de l'Abbé dans un monastère. Il doit toujours
                juger mais jamais pour condamner, toujours pour
                innocenter. Car le péché et la faute du frère, la charge
                qui pèse sur ce frère à cause de sa faute, l'Abbé l'a
                soulevée, l'a enlevée et l'a mise sur ses épaules. Et
                lui, il se trouvera, comme nous l'a encore rappelé Saint
                Benoît il y a un jour ou deux, devant le tribunal du
                Christ, non seulement avec sa faute à lui, mais aussi
                avec la faute de chacun de ceux que le Christ lui a
                confié. Mais à ce moment là il sera rempli de paix et de joie
                parce qu'il sera en même temps et le juge et l'accusé !
                Toujours des choses qui se tendent et puis qui
                reviennent et qui se fondent en une. Vous voyez,
                toujours cette personne du Christ ! Mes frères voilà, je m'en vais terminer en disant que
                cette prière continuelle dont nous parle le Père Abbé
                Général, on peut dire qu'elle est également ceci. Elle
                existe chez un moine lorsqu'il vit consciemment le
                mystère que nous fêtons aujourd'hui, ce mystère de
                l'Ascension qui est mystère d'abaissement et
                d'exaltation, mystère de mort et de vie, mystère d'échec
                et de réussite. Mais un homme qui peut vivre cela parce que instant par
                instant il reçoit son être de Dieu, il devient un autre
                Christ et il se remet sans cesse à Dieu. Il est toujours
                constamment tourné vers Dieu dont il reçoit tout et il
                se remet sans cesse à Dieu. Mais pas seulement lui, dans
                sa personne tous ses frères et même au-delà des frères
                l'univers entier. Chapitre : La Visite Régulière. 11.05.803. Le rapport.Mes frères,A l'issue de la Visite Régulière, Dom Emmanuel m'a prié
                de préparer le rapport sur la communauté qu'il devrait
                lire au prochain Chapitre Général. Il m'a donné ses
                instructions oralement et pour qu'il n'y ai pas de
                malentendu il me les a fixées par écrit. Je vais vous en
                donner lecture :Pour le rapport du Chapitre Général. - D'abord il faut reprendre les points essentiels de la
              Carte de Visite.
 Ce rapport n'est rien d'autre que la synthèse de la
                Carte de Visite. Mais à côté de ces points signalés par
                le Père Visiteur, il en faut aussi quelques autres qui
                n'ont pas place dans une Carte de visite. - Ensuite la communauté toute ensemble est rassemblée
                autour de son Abbé.- Puis, le Père Abbé s'attache à valoriser la
                personnalité de chacun, et il entend que tous fassent de
                même. Naturellement il ne faut pas que la communauté
                soit perturbée.
 Je pense que si chacun, dans une communauté, a la
                possibilité de se développer et de s'épanouir suivant sa
                personnalité propre, suivant ce qu'il est, il n'y a pas
                de danger de trouble dans une communauté. Au contraire,
                chacun étant bien dans sa peau, la paix s'installe dans
                les coeurs et on accueille les autres tels qu'ils sont.
                Je pense, pour moi, que c'est le tout premier facteur de
                tranquillité et de stabilité pour une communauté, que
                chacun ait le droit d'être ce qu'il est. - Il faut parler aussi du soin apporté à l'Office,
                entre autre par l'impression de livres, et le travail
                corrélatoire de composition.ça, ce n'est pas dans la Carte de visite, ceci :- Il faut faire une allusion à l'hôtellerie.
 - Il faut signaler que la formation des jeunes est
                bonne.- Il faut dire que l'économie est saine, et un peu
                comment cette économie est organisée pour qu'elle soit
                saine.
 Maintenant deux points sur lesquels il a insisté. Car à
                ce sujet la réputation de Rochefort au Chapitre Général
                n'est pas des plus flatteuse. Saint Remy a la réputation
                de ramasser tout ce qui vient. Voilà !- Il faut bien dire que la sélection des candidats est
              sérieuse. - Et enfin que l'Abbaye fait de larges aumônes en argent
              et en nature.
 Or, au Chapitre Général, Saint Remy a la réputation d'être
              pingre et avare ? Voilà, il a dit : ça il faut bien le
              dire parce qu'il faut effacer ces impressions.
 ***************************************Maintenant je vais donner lecture de ce rapport. Je vous
                le dis, je le répète, c'est la synthèse de la Carte de
                Visite. Mais une Carte de Visite est adressée à la
                communauté tandis que le Rapport est adressé au Chapitre
                Général. Le style et le ton doivent être nécessairement
                différent. Vous allez reconnaître.
 Le trait qui semble dégager et définir au mieux la
                    physionomie de Saint Remy est la paix. Cette paix
                    est d'une part le fruit de la direction spirituelle
                    de Dom Hubert qui livre quasi quotidiennement un
                    enseignement basé sur une expérience vécue devant
                    tous, et d'autre part le résultat tangible et
                    toujours en progrès d'un effort réel de tous les
                    frères pour s'accueillir mutuellement tels qu'ils
                    sont, de manière de permettre à chacun de se
                    réaliser selon ses capacités, aptitudes, et
                    charismes personnels. Cette bienveillance est d'ailleurs pratiquée au
                    premier chef par Dom Hubert luimême qui, dans un
                    vrai respect des personnes, fait preuve d'une grande
                    souplesse et d'une compréhension éclairée mais
                    ferme. Il est donc normal que la communauté animée
                    d'un tel esprit fasse bloc autour de celui en lequel
                    elle reconnaît le Christ présent au milieu d'elle,
                    le Christ lui donnant vie et cohésion dans la vérité
                    et l'amour. Dans une telle vision de foi, toutes
                    tensions désordonnées, critiques malsaines ou
                    attitudes de refus sont pratiquement annulées. Climat pacifiant aussi en ce qui concerne le
                    domaine liturgique où s'opère une saine rénovation
                    dans la fidélité aux normes Conciliaires et avec un
                    sens profond de la tradition. Les Offices sont
                    exécutés dans une atmosphère de sérénité, reflet
                    d'une harmonie spirituelle profonde. Le fait de
                    disposer de livres imprimés constitue un élément
                    appréciable de stabilité et d'équilibre. Il s’agit
                    du Psautier dans sa version approuvée pour les pays
                    Francophones, avec les antiennes pour le temps
                    Ordinaire et la notation musicale et d'un Hymnaire
                    Grégorien complet avec traduction interlinéaire. Ces deux volumes se présentent dans le format
                    in-quarto, et les caractères choisis permettent de
                    placer les livres sur les formes pendant l'exécution
                    de l'Office. D'autres ouvrages sont en préparation
                    pour les temps liturgiques propres, le Sanctoral et
                    les Fêtes. Cet immense travail de recherche et de
                    composition est l'oeuvre d'un groupe de frères. Remarquable aussi est l'accord des Anciens et des
                    Jeunes. Ces derniers forment un noyau homogène
                    vivant une vie monastique de qualité. L'exemple des
                    Anciens et le comportement de la Communauté
                    constituent une actualisation précise des
                    enseignements reçus. Et on peut dire que la jeune
                    génération aime et respecte tous les aînés. Les
                    soins prodigués aux malades et au infirmes, et une
                    grande serviabilité sont des indices éloquents de
                    l'entente entre génération. Il faut dire que les
                    postulants font l'objet d'une sélection rigoureuse,
                    ce qui permet de proposer à ceux qui sont retenus
                    l'idéal monastique authentique et exigeant des
                    Fondateurs de Cîteaux. L'économie du monastère est saine. Les soucis de
                    gestion sont assumés avec beaucoup de compétence et
                    de charité par les Officiers en charge. Le plus
                    clair des revenus provient d'une petite brasserie
                    propriété absolue de l'Abbaye. La communauté a
                    décidé, voici bientôt 30 ans de pratiquer une
                    politique d'autolimitation de la production. Cette
                    option de base fermement maintenue en dépit de
                    toutes les pressions s'avère être dans le contexte
                    socio-économique actuel une position d'avant-garde. L'exploitation agricole couvre les besoins en
                    produits laitiers sans plus. Car le sol de la
                    Famenne est des plus ingrat. l'ensemble de la
                    propriété assez bien réparti au point de vue
                    surface, garantit une zone de solitude et de
                    silence. Les supérieurs et les frères demeurent
                    attentifs à protéger l'environnement et à ne pas
                    laisser encercler le monastère par des complexes
                    industriels, villages de vacances, autoroute... Le budget annuel est soigneusement étudié et
                    respecté. Une part importante des recettes
                    disponibles est réservée aux aumônes. Depuis plus de
                    10 ans, l'entièreté des honoraires de messe est
                    envoyé en Afrique, en Asie ou dans les pays de
                    l'Est. En 1979, les oeuvres de bienfaisance ont
                    représenté 51% indispensables d'entretien ou
                    d'exploitation.L'Abbaye ne connaît pas l'affluence des rentrées non
                  investies à des fins touristique, de sorte qu'elle demeure
                    essentiellement un lieu de prière et de
                    recueillement. On n'y accepte que des retraitants
                    individuels en nombre restreint. Les hôtes disposent
                    d'une bibliothèque bien garnie et ils peuvent être
                    mis en rapport avec un moine s'ils en expriment le
                    désir. L'église, située à l'intérieur de la clôture, n'est
                    accessible qu'aux messieurs. Un projet d'aménagement
                    de l'oratoire est à l'étude afin d'assurer une
                    participation plus facile et. plus convenable des
                    hôtes aux actions liturgiques. Les frères font grand cas de ce que le Père Abbé
                    s'absente très peu et de ce qu'il se tient
                    fidèlement au courant de ce qui se passe dans la
                    communauté, et de ce dont elle a besoin. Ils se
                    réjouissent du soin qu'il apporte à répartir le
                    travail de façon à ne surcharger personne. Les
                    contacts avec lui sont simples, francs et cordiaux.
                    Cette ambiance d’ouverture sincère et confiante
                    dilate les coeurs, épanouis les hommes pour le plus
                    grand profit spirituel de tous. Voilà mes frères ! Je ne vais pas vous donner un
                commentaire de ce rapport. Vous avez remarqué par
                vous-mêmes qu'il est le condensé de la Carte de Visite.Simplement une petite chose à propos des aumônes. Elles
                représentent 51% donc des rentrées qui ne sont pas
                investies pour l'entretien de la communauté, nourriture,
                etc, et pour les fins d'exploitation (brasserie -
                agriculture - et le reste). Maintenant les 49 autres % ?
                Les 49 autres % sont mis de côté en vue des travaux
                prévus pour l'aménagement de l'église. Ce n'est que ça.
 Maintenant l'option de base prise par la communauté,
                exactement en 1952, au sujet de la brasserie, de cette
                autolimitation, en revoyant un peu la comptabilité à
                propos des statistiques reprises dans la lettre du Père
                Abbé Général que je voulais comparer un peu avec Saint
                Remy, j'ai remis la main sur un rapport que j'avais
                rédigé en 1962, au sujet de l'évolution de la situation
                économique de l'Abbaye, particulièrement de la
                brasserie.
 Donc, je le revois près de 20 ans après. C'était le
                moment où l'on construisait la nouvelle salle de
                brassage et la meunerie...ça se posait alors ! Que faire
                à ce moment là ? Je me resitue encore un peu dans le
                climat. Et j'ai présenté ce rapport pour le conseil ; il
                était annexé au compte rendu, au bilan de cette année.
 J'ai l'intention de vous le lire un de ces jours, à
                l'endroit voulu, à titre de commentaire de la lettre du
                Père Abbé Général. Car il ne fait pas allusion au
                rapport, mais il fait allusion à des situations qui se
                présentent ailleurs. Et voilà, ce serait un peu un
                commentaire de ceci : cette position de base qui s'avère
                dans le contexte socio-économique actuel une position
                d'avant garde. Si je ne craignais pas de me mettre en valeur et de me
                laisser aller à la vanité, je dirais que c'était une vue
                prophétique en 1962. Mais ce n'était pas seulement moi,
                c'était un peu la conscience de la communauté qui
                s'exprimait par ce que je voyais, par ce que je sentais,
                par ce que j'avais en main. J'étais pratiquement le seul
                à avoir en main tous les éléments qui permettaient de
                porter un jugement. Et ce rapport a été approuvé par le
                Conseil. Et je pense bien, si j'ai bon souvenir, que Dom
                Félicien en a parlé à la communauté à ce moment là. Mais cela nous rafraîchira la mémoire. Et nous verrons
                que des décisions qui sont prises au niveau d'une
                communauté et qui portent sur un avenir imprévisible,
                sont toujours extrêmement importantes. Il est
                indispensable d'être à ce moment là à l'écoute de
                l'Esprit de façon à pouvoir capter ce que Dieu désire
                nous faire réaliser pour que nous demeurions fidèles à
                notre identité et que nous puissions un jour, le
                rencontrer et le voir. Car si nous nous laissons
                conduire sur sa route à lui, il n'y a aucun doute à
                avoir : un jour c'est la rencontre. Et quand je dis ça,
                ce n'est pas la mort, c'est la rencontre dès ici-bas ! Alors pour le reste, je devrais continuer dimanche
                après dimanche, à vous commenter la Carte de visite. Eh
                bien ce sera le moment de prendre tout ce qui est dit
                ici. Ce sera la même chose. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 17.05.805. Nous sommes des contemplatifs.Mes frères,Le Père Abbé Général terminait en se posant une
                question : Il est permis de se demander si on accepte
                comme un idéal désirable la pratique de la prière
                continuelle ?Et il continuait : En d'autres termes, l'aspect contemplatif de notre vie
              monastique n'est pas mis en évidence autant qu'on pourrait
              le souhaiter.
 C'est ici un jugement qu'il porte sur l'ensemble de
                l'Ordre. Partout ailleurs il use d'autres expressions :
                quelques maisons, dans presque tous les monastères,
                quelques dix maisons, dans la plupart des monastères.
                Ici, il s'adresse à l'Ordre entier et il dit que
                l'aspect contemplatif de notre vie n'est pas mis en
                évidence autant qu'on pourrait le souhaiter. Mis en évidence ? Cela veut dire qu'il n'est pas mis
                suffisamment à l'avant plan. Il ne saute pas aux yeux.
                Il n'est pas évident aux regards d'un tiers que l'Ordre
                de Cîteaux est un Ordre contemplatif. C'est cela qu'il
                veut dire : on ne sait pas du premier coup d'oeil le
                remarquer...Autant qu'on pourrait le souhaiter ! ça veut dire qu'il y
              a certainement de ce côté là une lacune à combler, ou au
              mieux un progrès à favoriser. Et qu'en est-il de Rochefort ? Je pense pouvoir dire
                que notre position n'est pas mauvaise. Ce qui ne
                signifie pas que nous sommes tous des séraphins, un
                oeil, un feu, tous entraînés vers Dieu, tournés vers
                Lui, ne vivant que pour Lui, recevant de Lui toute la
                  vie qui déborde sur l'univers entier ; des hommes
                n'ayant qu'un souci : Dieu ! Des hommes dont l'être
                entier est proche de la divinisation complète ! Voilà
                des séraphins ! Nous n'en sommes pas là ! Heureusement, parce que nous
                n'aurions plus de raison d'exister. Nous devons être en
                évolution vers cet état. Et il me semble que le cadre de
                vie qui est le nôtre ici à Saint Remy est favorable à la
                vie contemplative. L'ensemble, je veux dire le monastère
                comme tel, tel qu'il est organisé maintenant. Maintenant, pour porter un jugement il faudrait une
                échelle de comparaison. Pour peu qu'on connaisse
                d'autres monastères, on peut alors juger. Mais même
                indépendamment de ça, il y a encore un autre motif qui
                me fait dire avec certitude que notre place est bonne.
                Et c'est le souci, qui est un souci personnel à moi,
                mais qui rencontre un souhait, un besoin, un désir
                informulé de chacun de vous qui est de préserver le
                monastère pour qu'il soit ici un endroit où l'on puisse
                si on le désire rencontrer Dieu, le chercher en étant le
                plus possible à l'écart de tout ce qui peut distraire de
                ce but unique. Il y a donc un milieu de vie qui existe ici. Et ce
                milieu de vie, je puis le dire, il est bon. D'ailleurs
                le Visiteur l'a constaté et vous-mêmes sentez que si
                vous éprouvez le besoin de vous tourner vers Dieu et de
                recevoir de lui son amour pour le lui rendre et le
                rendre aux frères et aux hommes à l'extérieur du
                monastère, vous sentez et vous savez que ici vous
                disposez d’un environnement et d'une ambiance qui vous
                permet de réaliser cela. Naturellement ce n'est pas parfait, ce ne sera jamais
                parfait ! Il y a toujours à progresser. Il y a toujours
                à améliorer, à aménager davantage. Mais il y a quelque
                chose, ici, qu'on ne trouve pas partout.Le Père Abbé Général se demande pourquoi cet aspect
              contemplatif n'est pas mis en évidence autant qu'on
              pourrait le souhaiter. Cela peut provenir du fait que l'intérêt pour la prière
                est parfois ambigu. Mais d'autres causent entrent aussi
                en jeu. L'une d'elles est la faiblesse de la Lectio
                Divina dans beaucoup de maisons. Mais comme j'ai
                consacré à la Lectio ma dernière lettre circulaire, il
                n'est pas nécessaire d'en dire d'avantage ici. Une autre
                cause est dans un certain activisme qui s'exprime de
                différentes manières. Une quatrième cause est la
                pression du travail ! Dans l'ensemble, la plupart des maisons de l'Ordre
                gagnent leur subsistance, et le travail est plus sérieux
                et efficace qu'il n'était autrefois. Mais il arrive que
                du fait de la nature du travail, ou de la dimension de
                l'entreprise, ou encore du nombre ou de l'âge du
                personnel, une pression indue soit exercée sur une
                communauté. Et que prière et Lectio en souffrent l'une
                et l'autre. Quelques maisons heureusement ont fait face
                à ces difficultés et ont pris des sages et parfois
                courageuses décisions afin de pouvoir retrouver
                l'équilibre de leur vie... Le Père Abbé Général trouve ici quatre causes
                principales. C'est un homme qui est très perspicace et
                flegmatiquement lucide. Il glisse presque sur les trois
                premières causes, mais il s'attarde sur la quatrième. Il
                poursuit encore, nous verrons ça demain, la quatrième
                cause. Il va l'approfondir. Et il sait - je l'ai déjà
                dit ici souvent, et je suis contant de voir que je suis
                couvert par une haute autorité, la plus haute de l'Ordre
                - c'est que le surnaturel est toujours conditionné par
                l'économique, toujours, toujours ! Il faut bien se le dire : tel est l'économique dans un
                monastère, tel est le spirituel ! Vous comprendrez mieux
                cela par la suite. Je veux simplement passer ici
                rapidement en revue les trois premières causes. La première, dit-il, est que l'intérêt pour la prière
                est parfois ambigu. Cela veut dire que l'intérêt qu'on
                porte à la prière est mêlé de motivations qui ne sont
                pas très propres, ni très pures, ni désintéressées. La prière contemplative, c'est l'activité la plus
                désintéressée d'un être humain. C'est se tenir devant
                Dieu en adoration, se donner à lui et recevoir de lui
                tout le poids du divin qui doit me transformer. Voilà la
                prière contemplative ! Mais dans la prière, il peut mêler d'autres choses, et
                par exemple ceci : une fuite devant le réel ! Alors on
                se perd dans la prière parce qu'on a peur de vivre. On a
                peur d'affronter les difficultés et alors on cherche
                refuge dans la prière. Et ça peut être aussi une recherche de soi. On se
                déguste. On se marine dans une sorte de saumure, si on a
                un tempérament bilieux ; ou bien dans de la crème, si on
                est plus sentimental, mais on se déguste soi-même. Ce
                n'est pas ça une prière contemplative même si à ce
                moment là on a l'impression d'être tout à fait
                abandonné. Non ! Il y a aussi, parfois on trouve cela, un instinct de
                l'animal religieux qui joue. C'est un besoin de prière
                comme pour conjurer une force hostile qui pourrait me
                faire du mal, ou que je dois me concilier pour réussir
                dans la vie C'est l'animal religieux qui se réfugie dans
                la prière comme dans un trou. Le Père Abbé Général parlait un peu plus haut de
                groupes de prière qui se constituent dans certains
                monastères ; ça, c'est encore quelque chose d'ambigu !
                Imaginons, allez imaginons c'est du roman ici, mais ça
                fait du bien de parfois lire un roman ou de l'écouter ;
                imaginons qu'il y ait ici à Saint Remy quelques uns qui
                forment un groupe de prière. Eh bien, que va-t-i1
                arriver ? Même si ça se fait avec la bénédiction de l'Abbé, même
                si les autres disent : mais c'est bon ! Voilà, si ça les
                intéresse, pendant ce temps là ils seront tranquilles !
                Eh bien, ces quelques hommes qui ont leur groupe de
                prière, finalement ils vont se considérer comme des
                Cathares, donc des purs. Eux, ils prient ensemble et les
                autres ? Mais ce sont des gens qui ne prient pas
                puisqu'ils ne forment pas eux aussi un groupe de prière. Il y a quelques années, c'était la panacée pour établir
                l'ordre dans une communauté : groupe de prière des
                jeunes - groupe de prière des vieux - groupe de prière
                de l'âge moyen, et on priait comme ça par groupe.
                Ecoutez hein, vous sentez bien par vous-mêmes qu'il y a
                quelque chose la dedans qui ne va pas et que c'est très
                ambigu. Un monastère, et surtout celui de Saint Benoît,
                ne connaît qu'un groupe de prière, C'est celui de la
                communauté toute entière réunie pour l'Office, réunie
                pour le travail, réunie pour le repas. Voilà le seul et unique groupe de prière ! Quand nous
                sommes tous à l'Office, sauf ceux qui sont retenus à
                l'extérieur par leurs occupations, par leur état de
                santé. Mais alors spirituellement ils sont unis à ceux
                qui sont là devant Dieu ; et eux le sont aussi. Alors il
                n'y a plus d'ambiguïté, c'est clair et net. Une autre cause, dit le Père Abbé Général, c'est la
                faiblesse de la Lectio Divina dans beaucoup de maisons.
                Il dit beaucoup, ici ! Mais rappelons encore une
                fois que la Lectio Divina, elle a comme
                fondement, comme base et comme matériaux premiers la
                Bible, l'Ecriture Sainte, la Parole de Dieu, se laisser
                imprégner, imbiber par cette Parole. Je pense que là, c'est une affaire de conscience de
                chacun à régler devant Dieu ou avec son Père spirituel.
                Mais là il est indispensable que cette Lectio
                soit toujours remise, allez, revigorée, ravigotée parce
                qu'elle n'est pas facile. Voici depuis certainement une
                semaine, je suis arrêté sur deux versets de l'Evangiles
                de Saint Jean, au début. C'est l'histoire de la
                Samaritaine, deux versets. Eh bien, sur ces deux versets
                qui ne sont rien du tout, par exemple ceci : Jésus
                sachant qu'on faisait des difficultés parce que ses
                disciples baptisaient, part de la Judée pour se rendre
                en Galilée en passant par la Samarie. Eh bien, rien que sur ce petit fait là, il est possible
                de faire une demi douzaine d'homélies. Ah oui, c'est
                fantastique ce qu'il y a dedans quand on peut creuser en
                dessous, et voir, et chercher, et se laisser prendre.
                  Lectio Divina, ça veut dire qu'il ne faut pas
                dévorer des bouquins, c'est pas nécessaire ! Alors finalement il parle d'un certain activisme, un
                activisme qui s'exprime de différentes manières.
                L'activisme, vous savez ce que c'est ? Pendant la guerre
                de 14-18 on parlait des activistes. Le frère Jules
                pourrait très bien nous expliquer ce que c'était les
                activistes. C'étaient ceux qui collaboraient activement
                avec l'ennemi, derrière le front, devant le front, dans
                les tranchées. On en trouvait partout, des activistes et
                on les traquait. Eh bien dans un monastère, l'activisme c'est un peu
                cela aussi. C'est une façon de collaborer avec le démon
                qui veut saper un monastère. Et ça veut dire qu'on se
                laisse prendre dans un engrenage d'activités n'importe
                lesquelles : activités manuelles, activités
                intellectuelles, activités spirituelles même, de fausse
                spiritualité. Et on se laisse prendre là dedans de plus
                en plus rapidement comme dans un tourbillon. Et on n'en
                a jamais fini de faire quelque chose. On ne trouve plus
                le temps de s'arrêter, ni même de respirer et on est,
                comme on dit, un homme pleinement occupé. Oui, c'est ça la difficulté. C'est une fièvre
                entretenue, une drogue. Il y a différentes manières.
                Mais écoutez, nous n'allons pas les passer en revue.
                Prenons bien garde de ne pas tomber dans cette maladie,
                car c'est une fièvre dont on guérit difficilement. Alors
                demain matin, nous allons un peu essayer de commencer
                d'approfondir cette question du travail, qui est la
                quatrième cause qui fait que l'aspect contemplatif de
                notre vie dans les monastères de l'Ordre laisse à
                désirer. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 18.05.807. Le travail.Mes frères,Nous avons vu hier les trois causes que le Père Abbé
                Général présente pour expliquer le fait que l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique n'est pas mis en
                évidence autant qu'on le souhaiterait. Il y en a une
                quatrième. C'est à son avis la plus grave. Nous allons
                la parcourir aujourd'hui. Une quatrième cause est la pression du travail. Dans
                l'ensemble les maisons de l'Ordre gagnent leur
                subsistance et le travail est plus sérieux et efficace
                qu'il n'était autrefois. Mais il arrive que du fait de
                la nature du travail, ou de la dimension de
                l'entreprise, ou encore du nombre ou de l'âge du
                personnel, une pression indue soit exercée sur une
                communauté et que Prière et Lectio en souffrent l'une et
                l'autre. Quelques maisons, heureusement, ont fait face à
                cette difficulté et ont pris de sages et parfois
                courageuses décisions afin de pouvoir retrouver
                l'équi1ibre de leur vie. C'est là que nous étions arrivés hier. Maintenant
                écoutez bien ce qu'il va dire, car c'est d'une actualité
                vraiment frappante. Et comme je l'ai dis, nous avons ici
                encore une preuve de la perspicacité du Père Abbé
                Général et aussi de son courage, pour pouvoir oser dire
                des choses comme ceci : Evidemment la question du travail va de pair avec la
                pauvreté. Il y a toujours un danger de
                surindustrialisation avec ses corollaires en machineries
                coûteuses, en expansions indéfinies, en recherches de
                marchés plus vastes qui donne l'impression d'une
                association trop étroite avec notre société de
                consommation. Nous pouvons nous demander si nos
                entreprises actuelles favorisent réellement ce que
                visait Saint Benoît quand il préconisait le travail
                manuel. Ne font-elles pas obstacles quelques fois à une
                vie de prière et de solitude ? En disant cela, je suis
                bien conscient que ce n'est pas toujours facile de faire
                des changements immédiats.C’est souligné dans le texte et ça veut dire qu'il faut en
              faire ! Et d'ailleurs, je ne les préconise pas, ces changements
                immédiats. Mais je demande que nous examinions le
                problème, que nous gardions les yeux sur les principes
                fondamentaux en cause, que nous soyons prêt à sacrifier
                du profit s'il le faut, dans l'intérêt d'un abandon plus
                profond à l'Evangile, que nous envisagions la pauvreté
                comme un certain détachement des biens terrestres et une
                disposition à faire facilement confiance à la divine
                providence. Voilà, mes frères, des paroles qui doivent nous secouer
                ! Comment aujourd'hui nous procurer des ressources dans
                une société telle que la nôtre, une société hyper
                civilisée, toujours en mutation, et une mutation
                accélérée, une société de surconsommation effrénée, de
                gaspillage ? On me disait encore cette semaine-ci : il n'est pas
                rare, il est même courant aujourd'hui dans les familles
                aisées de voir au déjeuner sur la table : 8 sortes de
                fromage, sans compter les confitures, les chocopastas et
                le reste. Et alors, il y a encore des enfants qui vont
                voir dans le frigo s'il n’y a rien d'autre ! Mais ça,
                c'est aujourd'hui ! Et alors une société qui exige des
                produits de qualité finie dans un choix toujours plus
                étendu, une société de haute technicité, une société qui
                devient de plus en plus industrielle. Alors avec ça,
                l'homme là dedans ? L'homme robotisé, l'homme qui n'est plus qu'un numéro,
                l'homme pris dans un réseau de règlements : depuis le
                règlement du travail, le règlement de la route, le
                règlement d'atelier, les conventions paritaires...enfin
                l'homme de plus en plus esclave de cette société. Et
                alors la création d'homme marginalisé - ce qu'on appelle
                le quart-monde - ceux qui ne savent pas suivre, ceux qui
                ne savent pas s'adapter ; et l'écart entre les deux
                s'élargit toujours. Je ne pense pas encore au
                tiers-monde ? Non, je reste ici dans notre petit
                Occident. Eh bien, mes frères voilà : comment aujourd'hui nous
                procurer des ressources de façon à ce que l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique soit toujours mis
                en évidence autant qu'on pourrait le souhaiter ? Comment
                faire ? Eh bien en guise de commentaire, je vais
                rappeler une chose : c'est que le problème a été abordé
                et qu'il a été résolu ici à Saint Remy en 1952. On ne
                pensait pas, naturellement, que en 1980 l'évolution du
                monde aurait été telle. Mais ça ne fait rien. Alors ça s'est posé ici ! Donc le choix dont parle le
                Père Abbé Général; comment faire pour se procurer des
                ressources sans tomber dans le piège d'une collusion
                avec la société de consommation ? Je vais en guise de
                commentaire vous donner lecture d'un rapport - j'en ai
                parlé il y a quelques jours - que j'avais rédigé à
                l'intention du Père Abbé Dom Félicien, du Conseil et de
                la communauté en 1962. C'est à dire 10 ans après
                l'option que nous avions prise. Je ne vais pas le lire
                en entier, mais quelques lignes.C'était l'époque où chaque année je rédigeais un rapport
                d'ensemble sur la situation économique et sociale aussi
                de la communauté à la fin de chaque année comptable. Ce
                serait très intéressant de voir un peu tout cela. Il y
                aurait moyen, là, d'écrire un petit livre. Ce sera peut
                être un jour le sujet d'un mémoire ? Un jour, ça veut
                dire dans quelques centaines d'années.
 = Donc la brasserie: le chiffre de bières vendues
                  s'est élevé à 12000000 de francs de l'époque. Les
                  versements officiels sont de 189.000 Kg. En 1952 ils
                  étaient de 27.000Kg par an ; ça veut dire qu'on
                  brassait en 1 an autant qu'aujourd'hui en 1 mois.
                  Maintenant les versements sont de 300.000 Kg. Pourquoi ? Pourtant la capacité de production n'a pas
                été augmentée. C'est parce qu'il s'est produit un
                glissement toujours plus grand vers les bières à fortes
                densités. En 1962 on avait vendu 6000 Casiers de 10°, ce
                qu'on soutire maintenant en deux fois! Maintenant c'est
                la 10° qui est la bière la plus demandée. On brassait
                encore alors de la bière de table qu'on vendait à
                l'extérieur. C'est pour cela que les chiffres sont bas.
                Car maintenant pour faire de la 10° il faut beaucoup
                plus de matière première.En 1952, aussi, il y avait pour toute, toute la brasserie,
              il y avait 3 moteurs électriques d'une puissance totale de
              10 HP. Maintenant il y a deux cabines de Haute Tension ! Je continue: Cela permet, donc je suis en 1962,
                  d'attirer l'attention encore une fois sur le défaut de
                  rentabilité de nos installations qui travaillent à un
                  rendement anormalement bas... Il faut dire que 1962 est l'année où on a mis en route
                la meunerie, où on installe les dômes sur les cuves de
                fermentation et où on a monté le laboratoire. A ce
                moment là l'effectif de la communauté était de 48 et
                l'âge moyen était de 58 ans. Il était un peu plus haut
                que maintenant. Maintenant il est de 57 ans. Le fait, donc, que nos installations travaillent à
                  un rendement anormalement bas, ceci mieux que tous les
                  discours prouve à l'évidence que nous ne poursuivons
                  pas un but lucratif, et que nous…… C'était un des arguments de poids pour prouver à la
                Direction, à l'Inspection et au Contrôle des
                Contributions que nous étions une vrai ASBL, pas une
                ASBL frauduleuse. Et cela valait déjà en 62. … et que nous n'entendons pas subordonner notre vie
                  monastique aux exigences d'un appareil de production
                  impitoyable. Le choix se situe au niveau du
                  désintéressement à l'endroit des valeurs d'ordre
                  matériel, intellectuel et même spirituel auxquelles
                  l'argent donne accès.ça veut dire que plus on a d'argent et plus on sait faire
              de choses. C'est l'argent qui est le nerf de la guerre en
              tout. Si notre brasserie est devenue en un laps de temps
                  de 10 années une des mieux équipée du pays, c'est afin
                  de permettre une libération des corps et des esprits
                  au centre d'une communauté pauvre mais confiante en
                  Celui qui connaît les intentions des coeurs droits.Maintenant voici l'essentiel, c'est une réflexion sur tout
              cela : Quelle conclusion est-on en droit de tirer ? Peut-on
                  parler de perfection ou d'achèvement ? Ce serait pour
                  le moins osé ! Aujourd'hui et dans les années à venir,
                  notre devoir primordial est une vigilance de tous les
                  instants. Car, que nous l'acceptions ou non, nous
                  sommes entraînés avec nos contemporains dans une
                  aventure dont le trait le plus remarquable est
                  l'irréversibilité.Le marché commun qui commençait alors 1 En 1952 dans un contexte économico social
                  entièrement différent, nous avons procédé à des
                  options étayées de raisons qu'on peut qualifier de
                  surnaturelles, dont la force de persuasion demeure
                  intacte. Il ne peut donc être question de réviser
                  notre position: petite brasserie nous sommes, petite
                  brasserie nous entendons rester. En quels termes
                  devons-nous à partir de ce fondement irréductible
                  définir notre politique économique actuelle ? Au même moment d'autres Abbayes prenaient des
                directions toutes différentes. De moyennes brasseries
                qu'elles étaient, grandes brasseries elles allaient
                devenir ! Et on nous a prédit et annoncé : vous, dans
                quelques années on ne parlera plus de votre brasserie,
                ni de votre Abbaye ! Nous devons avoir assez de jugement pour ne pas nous
                  bercer d'illusions et assez de lucidité pour choisir
                  notre voie propre. Le 1° juillet 62 a vu la mise en
                  route du Marché Commun Agricole, c'est à dire d'une
                  politique agricole commune aux 6 pays ; ce qui va
                  beaucoup plus loin et s'étend beaucoup plus large
                  qu'une simple union douanière. La mise en place sera
                  achevée pour le 31 décembre 1969. Elle se fera
                  progressivement afin de ne pas perturber les marchés
                  nationaux. La brasserie est l'industrie qui la première et avec
                  le plus de brutalité sentira peser l'impact de ce
                  Marché Commun Agricole. Essentiellement
                  transformatrice de produits agricoles (
                  orge-maïs-sucre-houblon), elle va voir se modifier
                  profondément ses sources et ses conditions
                  d'approvisionnement. A cela viendront s'ajouter l'harmonisation des
                  législations fiscales et sociales et l'ouverture des
                  frontières. En Belgique, l'évolution s'oriente déjà
                  vers une hausse des prix de revient : le malt 25% déjà
                  ! le houblon 20% ! et une fiscalité plus dévorante
                  dont la réforme va se poursuivre dans le domaine des
                  impôts indirects. C'est l'année de la réforme fiscale et on préparait
                déjà l'introduction de la TVA. Je me souviens qu'à cette
                époque déjà, j'ai fait une étude sur la TVA. Il fallait
                n'est-ce pas ! On ne pouvait pas être pris à la gorge le
                jour où ce serait là ! Ce sont les Français qui ont
                commencé avec la TVA. Et voilà, comme c'est un système
                très pratique où on fraude tout autant qu'auparavant,
                alors ça s'est étendu partout. L'uniformisation des conditions de concurrences entre
                  pays et l'élargissement des marchés à une échelle
                  continentale vont fatalement entraîner la perte des
                  faibles et des inadaptés, de ceux qui n'auront pas pu
                  ou voulu repenser leurs structures ou leurs méthodes.
                  Faiblesse n'est pas corollaire de petitesse : la
                  petitesse peut être une grandeur et une force. Seuls
                  les médiocres sont condamnés. Nous serons véritablement forts si nous savons
                  pleinement et sans arrière pensée, sans complexe
                  d'infériorité et sans découragement assumer au sein du
                  monde nouveau notre condition de petite brasserie
                  d'Abbaye. Nous disposerons alors d'une puissance
                  économique singulière quoique modeste. L'élévation du
                  niveau de vie et l'intensification des échanges
                  amènent une diversification plus étendue des goûts et
                  une exigence sans cesse accrue dans les domaines
                  connexes de la qualité et de la présentation. En ce
                  qui concerne les bières, on observe une nette
                  orientation de la demande vers le type spécial, c'est
                  à dire 6° et plus, qu'on consomme de plus en plus dans
                  les cercles familiaux. Nous disposons de deux atouts majeurs que nous devons
                  avancer sans attendre. Le premier est d'ordre
                  technique. Nous disposons et nous sommes en mesure de
                  présenter à notre clientèle actuelle et potentielle,
                  des produits hors série de haute tenue. Il est
                  clairement entendu que pour nous, c'est affaire de vie
                  ou de mort que nos différentes catégories de bières
                  gardent un standing qui les place au premier rang sur
                  le marché Européen. Aucun effort ne doit être épargné,
                  aucune remarque ne peut être négligée. La surveillance
                  de la fabrication ne peut être sujette à aucune
                  défaillance, ni sur le terrain de la stabilité
                  biologique, ni sur celui de la finesse du goût. Cette tension perpétuelle vers un idéal d'honnêteté
                  professionnelle et de perfection technique sera tout
                  profit pour la vie intérieure en laquelle sera ainsi
                  parfaitement intégrée une activité purement profane. Mes frères, d'ici quelques temps, notre brasserie sera
                la seule brasserie indépendante de la Province de Namur.
                Toutes les autres sont dévorées, digérées ou inféodées
                aux grandes, énormes affaires financières que sont
                devenues les brasseries genre Artois ou Piedboeuf. Maintenant, je pense que si le Père Général voyait
                ceci, il dirait: Mais allez voir à Rochefort! Mais ce
                n'est pas encore tout. Il s'est posé d'autres problèmes
                et voilà vraiment je dirais ce que dit mot pour mot le
                Père Abbé Général. Le moine ne peut supporter la moindre atteinte à
                  l'honneur de son Dieu en quelque domaine que ce soit.
                  Dieu a sa place dans la cité des hommes, la première,
                  en particulier par la sainteté et le fini de leur
                  travail. Si nous parvenons à rester fidèles à cette
                  ligne originale, spécifiquement monastique, de
                  politique économique, non seulement nous traverserons
                  sans encombre tous les remous du fleuve Européen, mais
                  encore, nous sortirons de l'épreuve mûri et grandi
                  tant au spirituel qu'au matériel.Je pense que notre idéal contemplatif n'a pas souffert,
              ici, de notre activité économique. Au contraire, il en a
              été fortifié,ça j'en suis certain ! Notre second atout, donc à côté de la qualité et de la
                modestie de notre entreprise, notre second atout est
                notre désintéressement...
 Voici encore quelque chose qu'on nous a dit : c'est de
                la pure folie des choses pareilles ! Parce que ce que
                j'ai écrit ici, je l'avais dit oralement à l'un ou
                l'autre brasseur, brasseur d'abbaye je veux dire, qui
                eux avaient des idées diamétralement opposées... Notre marge bénéficiaire peut s'amenuiser, le seuil
                  de rentabilité de notre entreprise brassicole se situe
                  extrêmement bas du fait que nous n'avons pas
                  l'intention de monter une affaire. Nous pouvons donc
                  allégrement encaisser le contrecoup des décisions que
                  prendront les Exécutifs du Marché Commun. Pour tout
                  résumer en un mot, c'est dans la mesure où nous serons
                  vraiment moine que tout nous sera donné. Il y avait aussi un autre problème. C'était celui de la
                diminution des forces vives de la communauté. L'âge
                moyen était déjà de 58 ans en 1962. Et pourtant ceux qui
                aujourd'hui ont dans la soixantaine ou en approchent,
                étaient encore très jeunes alors ! Cela fait 20 ans en
                arrière. Il fallait donc revoir aussi la politique
                agricole ! Car ce Marché Commun était quelque chose de très
                périlleux pour nous. Aujourd'hui, les neufs pays sont
                toujours en train de se pencher sur ce problème. Les
                Anglais maintenant sont entrés dans le Marché Commun,
                les Danois aussi, les Irlandais...bientôt ce sera les
                Grecs, les Espagnols, les Portugais. Alors voyez un peu
                tous ces produits agricoles qui doivent être consommés,
                qui doivent être rentabilisés. Toutes ces exploitations
                qui doivent permettre à des hommes, des femmes, des
                gosses de vivre. Non plus dans un tout petit pays comme
                la Belgique, mais dans toute l'Europe. Vous savez, le Marché Commun fixe les prix chaque
                année. Il donne les normes. Il contingente la
                production. Il veille sur la qualité. Si bien que par
                exemple dans cette région-ci qui est définie comme zone
                herbagère, on ne peut cultiver de denrées. Si on le fait
                c'est à ses risques et périls. Elles ne seront
                certainement pas vendues à un prix élevé, parce que ça
                ne pourra être que pour le bétail. Pour faire du pain,
                il faut des denrées qui viennent d'ailleurs que de ces
                régions trop pauvres. On peut se permettre cela
                maintenant, puisque on a toute l'Europe pour cultiver du
                froment panifiable. En 1962 on cultivait 42 Ha encore. Il y avait deux
                ouvriers. Les rendements étaient : pour le froment, 28
                sacs à l'Ha - pour l'orge, 27 sacs à l'Ha - pour
                l'avoine, 20 sacs à l'Ha. Or dans le bon pays on produit
                50 à 60 sacs à l'Ha pour moins de travail qu'ici. En
                1948 ( c'était donc une année normale d'avant 1950 ) au
                moment où Dom Félicien était élu Abbé, il y avait 62 Ha
                de culture, il y avait 7 ouvriers et le rendement était
                encore beaucoup plus bas. Pendant les années de 48 à 62, on avait essayé de
                régénérer les terres qui sont extrêmement ingrates ici.
                Vous savez que du côté du Vesty, l'épaisseur de terre
                arable est d'une quinzaine de cm. Lorsque je charruais,
                la charrue à l'arrière du tracteur rebondissait sur le
                schiste, sur le roc. Si bien que ces terres sont sèches
                tout de suite. Un peu de sécheresse, elle se crevasse et
                on peut introduire la main dans les crevasses, on touche
                au fond le schiste. Voilà les terres de Famenne !On avait chaulé, mis les engrais. On avait drainé tout
                puis remembré. Mais il y avait encore là tout de même le
                problème et il a fallu se reconvertir. Et insensiblement
                mais fatalement il a fallu renoncer à la culture et
                arriver à la situation qui est celle d'aujourd'hui, que
                vous connaissez.
 Il Y avait l'étable et son annexe la fromagerie. En
                1948 il y avait un taureau, 26 vaches, 23 génisses et 6
                veaux. En 1962 il y avait encore un taureau, 20 vaches,
                12 génisses et 11 veaux. On produisait 67.700 litres de
                lait. Et le prix de revient du litre de lait en 1962
                était de 3,85 francs, quand le prix de direction du
                Marché Commun était de 3,75 francs ! Donc on perdait 10
                centimes par litre de lait ! Alors l'écart n'a fait que
                s'agrandir naturellement. Ce n'était plus possible. On a produit, en 1962 encore, 2900 Kg de fromage et 500
                Kg de beurre. Mais quelques années auparavant on
                produisait près de 6.000 Kg de fromage par an. Ce qui
                n'est rien du tout car pour l'instant, pour donner une
                idée de comparaison, la fromagerie de Scourmont produit
                250.000 Kg de fromage par an. Et celle qu'on est en
                train de construire maintenant sur le zoning va en
                produire 450.000 Kg par an ! C'est autre chose que les
                pauvres petits 2.900 Kg ! Vous voyez, je dirais, l'originalité vraiment, oui,
                scandaleuse de notre politique économique. Maintenant, à
                cause aussi des diminutions des effectifs, et du
                vieillissement, du tassement de la communauté, il a
                fallu aussi supprimer la fromagerie, c'est à dire la
                fabrication du fromage. Il a fallu aussi, là, se
                reconvertir : diminuer, ramener le nombre du cheptel à
                ce qu'il faut pour le ravitaillement de la communauté. Mais il le fallait. Non seulement à cause des effectifs
                qui baissaient, mais aussi parce que si on avait
                persévéré à tout prix, c'eut été ce que disait ici le
                Père Abbé Général. Il dit que le travail est plus
                sérieux et plus efficace aujourd'hui que ce qu'il ne
                l'était autrefois. Or il n'est pas sérieux de travailler
                dans une abbaye pour le plaisir de travailler et de
                s'occuper. Si on travaille, c'est pour avoir des
                ressources pour vivre mais pas pour perdre 10, 20
                centimes, 1 franc au litre. Et voilà ! Non n'est-ce pas,
                il fallait aussi se reconvertir de ce c6té là ! Eh bien voilà mes frères, je pense que ces chiffres
                sont éloquents. Nous pouvons en tirer une conclusion :
                c'est que nous pouvons être légitimement fier de ce que
                Dom Félicien et la communauté ont réalisé ici depuis
                1952. Le Père Abbé Général peut venir ici - il ignore
                tout ça et il ne faut pas le lui dire, ce n'est pas
                nécessaire. Il ne faut pas agiter un drapeau et dire :
                Rochefort über alles ! Non, ce n'est pas ça que je veux
                dire. Mais s'il le savait, je pense qu'il serait contant
                de dire : Voilà tout de même ce que je conseille, ce que
                je demande. Voilà, il y a des Abbayes qui parviennent à
                le faire. Mes frères, demeurons fidèle à cette ligne de conduite,
                et croyons encore et toujours à la Parole du Christ qui
                dit : Si vous cherchez d'abord le Royaume de Dieu,
                  tout le reste vous sera donné. Et Saint Benoît le
                savait lorsqu'il dit à l'Abbé : Ne te préoccupe pas
                tellement des choses terrenis et caducis, 2, 23,
                des choses terrestres et caduques ; ça s'en va tout de
                même. Et puis alors ne causetur de minori forte
                  substantia, 2, 34, ne te fais pas de tracas si ton
                avoir peut être un peu petit aux regards du monde, et en
                soi aussi, ne te tracasse pas parce que rien ne manque à
                ceux qui craignent Dieu ! Mes frères, quand nous avons choisi il y a près de 30
                ans, lorsque nous l'avons confirmé voilà près de 20 ans,
                c'est sur ces principes là que nous nous sommes fondés.
                Ils sont encore valables, ils sont éternels et Dieu
                continuera à nous bénir si nous continuons aussi à lui
                faire confiance. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 18.05.807. Le travail.Mes frères,Nous avons vu hier les trois causes que le Père Abbé
                Général présente pour expliquer le fait que l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique n'est pas mis en
                évidence autant qu'on le souhaiterait. Il y en a une
                quatrième. C'est à son avis la plus grave. Nous allons
                la parcourir aujourd'hui. Une quatrième cause est la pression du travail. Dans
                l'ensemble les maisons de l'Ordre gagnent leur
                subsistance et le travail est plus sérieux et efficace
                qu'il n'était autrefois. Mais il arrive que du fait de
                la nature du travail, ou de la dimension de
                l'entreprise, ou encore du nombre ou de l'âge du
                personnel, une pression indue soit exercée sur une
                communauté et que Prière et Lectio en souffrent l'une et
                l'autre. Quelques maisons, heureusement, ont fait face à
                cette difficulté et ont pris de sages et parfois
                courageuses décisions afin de pouvoir retrouver
                l'équi1ibre de leur vie. C'est là que nous étions arrivés hier. Maintenant
                écoutez bien ce qu'il va dire, car c'est d'une actualité
                vraiment frappante. Et comme je l'ai dis, nous avons ici
                encore une preuve de la perspicacité du Père Abbé
                Général et aussi de son courage, pour pouvoir oser dire
                des choses comme ceci : Evidemment la question du travail va de pair avec la
                pauvreté. Il y a toujours un danger de
                surindustrialisation avec ses corollaires en machineries
                coûteuses, en expansions indéfinies, en recherches de
                marchés plus vastes qui donne l'impression d'une
                association trop étroite avec notre société de
                consommation. Nous pouvons nous demander si nos
                entreprises actuelles favorisent réellement ce que
                visait Saint Benoît quand il préconisait le travail
                manuel. Ne font-elles pas obstacles quelques fois à une
                vie de prière et de solitude ? En disant cela, je suis
                bien conscient que ce n'est pas toujours facile de faire
                des changements immédiats.C’est souligné dans le texte et ça veut dire qu'il faut en
              faire ! Et d'ailleurs, je ne les préconise pas, ces changements
                immédiats. Mais je demande que nous examinions le
                problème, que nous gardions les yeux sur les principes
                fondamentaux en cause, que nous soyons prêt à sacrifier
                du profit s'il le faut, dans l'intérêt d'un abandon plus
                profond à l'Evangile, que nous envisagions la pauvreté
                comme un certain détachement des biens terrestres et une
                disposition à faire facilement confiance à la divine
                providence. Voilà, mes frères, des paroles qui doivent nous secouer
                ! Comment aujourd'hui nous procurer des ressources dans
                une société telle que la nôtre, une société hyper
                civilisée, toujours en mutation, et une mutation
                accélérée, une société de surconsommation effrénée, de
                gaspillage ? On me disait encore cette semaine-ci : il n'est pas
                rare, il est même courant aujourd'hui dans les familles
                aisées de voir au déjeuner sur la table : 8 sortes de
                fromage, sans compter les confitures, les chocopastas et
                le reste. Et alors, il y a encore des enfants qui vont
                voir dans le frigo s'il n’y a rien d'autre ! Mais ça,
                c'est aujourd'hui ! Et alors une société qui exige des
                produits de qualité finie dans un choix toujours plus
                étendu, une société de haute technicité, une société qui
                devient de plus en plus industrielle. Alors avec ça,
                l'homme là dedans ? L'homme robotisé, l'homme qui n'est plus qu'un numéro,
                l'homme pris dans un réseau de règlements : depuis le
                règlement du travail, le règlement de la route, le
                règlement d'atelier, les conventions paritaires...enfin
                l'homme de plus en plus esclave de cette société. Et
                alors la création d'homme marginalisé - ce qu'on appelle
                le quart-monde - ceux qui ne savent pas suivre, ceux qui
                ne savent pas s'adapter ; et l'écart entre les deux
                s'élargit toujours. Je ne pense pas encore au
                tiers-monde ? Non, je reste ici dans notre petit
                Occident. Eh bien, mes frères voilà : comment aujourd'hui nous
                procurer des ressources de façon à ce que l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique soit toujours mis
                en évidence autant qu'on pourrait le souhaiter ? Comment
                faire ? Eh bien en guise de commentaire, je vais
                rappeler une chose : c'est que le problème a été abordé
                et qu'il a été résolu ici à Saint Remy en 1952. On ne
                pensait pas, naturellement, que en 1980 l'évolution du
                monde aurait été telle. Mais ça ne fait rien. Alors ça s'est posé ici ! Donc le choix dont parle le
                Père Abbé Général; comment faire pour se procurer des
                ressources sans tomber dans le piège d'une collusion
                avec la société de consommation ? Je vais en guise de
                commentaire vous donner lecture d'un rapport - j'en ai
                parlé il y a quelques jours - que j'avais rédigé à
                l'intention du Père Abbé Dom Félicien, du Conseil et de
                la communauté en 1962. C'est à dire 10 ans après
                l'option que nous avions prise. Je ne vais pas le lire
                en entier, mais quelques lignes.C'était l'époque où chaque année je rédigeais un rapport
                d'ensemble sur la situation économique et sociale aussi
                de la communauté à la fin de chaque année comptable. Ce
                serait très intéressant de voir un peu tout cela. Il y
                aurait moyen, là, d'écrire un petit livre. Ce sera peut
                être un jour le sujet d'un mémoire ? Un jour, ça veut
                dire dans quelques centaines d'années.
 = Donc la brasserie: le chiffre de bières vendues
                  s'est élevé à 12000000 de francs de l'époque. Les
                  versements officiels sont de 189.000 Kg. En 1952 ils
                  étaient de 27.000Kg par an ; ça veut dire qu'on
                  brassait en 1 an autant qu'aujourd'hui en 1 mois.
                  Maintenant les versements sont de 300.000 Kg. Pourquoi ? Pourtant la capacité de production n'a pas
                été augmentée. C'est parce qu'il s'est produit un
                glissement toujours plus grand vers les bières à fortes
                densités. En 1962 on avait vendu 6000 Casiers de 10°, ce
                qu'on soutire maintenant en deux fois! Maintenant c'est
                la 10° qui est la bière la plus demandée. On brassait
                encore alors de la bière de table qu'on vendait à
                l'extérieur. C'est pour cela que les chiffres sont bas.
                Car maintenant pour faire de la 10° il faut beaucoup
                plus de matière première.En 1952, aussi, il y avait pour toute, toute la brasserie,
              il y avait 3 moteurs électriques d'une puissance totale de
              10 HP. Maintenant il y a deux cabines de Haute Tension ! Je continue: Cela permet, donc je suis en 1962,
                  d'attirer l'attention encore une fois sur le défaut de
                  rentabilité de nos installations qui travaillent à un
                  rendement anormalement bas... Il faut dire que 1962 est l'année où on a mis en route
                la meunerie, où on installe les dômes sur les cuves de
                fermentation et où on a monté le laboratoire. A ce
                moment là l'effectif de la communauté était de 48 et
                l'âge moyen était de 58 ans. Il était un peu plus haut
                que maintenant. Maintenant il est de 57 ans. Le fait, donc, que nos installations travaillent à
                  un rendement anormalement bas, ceci mieux que tous les
                  discours prouve à l'évidence que nous ne poursuivons
                  pas un but lucratif, et que nous…… C'était un des arguments de poids pour prouver à la
                Direction, à l'Inspection et au Contrôle des
                Contributions que nous étions une vrai ASBL, pas une
                ASBL frauduleuse. Et cela valait déjà en 62. … et que nous n'entendons pas subordonner notre vie
                  monastique aux exigences d'un appareil de production
                  impitoyable. Le choix se situe au niveau du
                  désintéressement à l'endroit des valeurs d'ordre
                  matériel, intellectuel et même spirituel auxquelles
                  l'argent donne accès.ça veut dire que plus on a d'argent et plus on sait faire
              de choses. C'est l'argent qui est le nerf de la guerre en
              tout. Si notre brasserie est devenue en un laps de temps
                  de 10 années une des mieux équipée du pays, c'est afin
                  de permettre une libération des corps et des esprits
                  au centre d'une communauté pauvre mais confiante en
                  Celui qui connaît les intentions des coeurs droits.Maintenant voici l'essentiel, c'est une réflexion sur tout
              cela : Quelle conclusion est-on en droit de tirer ? Peut-on
                  parler de perfection ou d'achèvement ? Ce serait pour
                  le moins osé ! Aujourd'hui et dans les années à venir,
                  notre devoir primordial est une vigilance de tous les
                  instants. Car, que nous l'acceptions ou non, nous
                  sommes entraînés avec nos contemporains dans une
                  aventure dont le trait le plus remarquable est
                  l'irréversibilité.Le marché commun qui commençait alors 1 En 1952 dans un contexte économico social
                  entièrement différent, nous avons procédé à des
                  options étayées de raisons qu'on peut qualifier de
                  surnaturelles, dont la force de persuasion demeure
                  intacte. Il ne peut donc être question de réviser
                  notre position: petite brasserie nous sommes, petite
                  brasserie nous entendons rester. En quels termes
                  devons-nous à partir de ce fondement irréductible
                  définir notre politique économique actuelle ? Au même moment d'autres Abbayes prenaient des
                directions toutes différentes. De moyennes brasseries
                qu'elles étaient, grandes brasseries elles allaient
                devenir ! Et on nous a prédit et annoncé : vous, dans
                quelques années on ne parlera plus de votre brasserie,
                ni de votre Abbaye ! Nous devons avoir assez de jugement pour ne pas nous
                  bercer d'illusions et assez de lucidité pour choisir
                  notre voie propre. Le 1° juillet 62 a vu la mise en
                  route du Marché Commun Agricole, c'est à dire d'une
                  politique agricole commune aux 6 pays ; ce qui va
                  beaucoup plus loin et s'étend beaucoup plus large
                  qu'une simple union douanière. La mise en place sera
                  achevée pour le 31 décembre 1969. Elle se fera
                  progressivement afin de ne pas perturber les marchés
                  nationaux. La brasserie est l'industrie qui la première et avec
                  le plus de brutalité sentira peser l'impact de ce
                  Marché Commun Agricole. Essentiellement
                  transformatrice de produits agricoles (
                  orge-maïs-sucre-houblon), elle va voir se modifier
                  profondément ses sources et ses conditions
                  d'approvisionnement. A cela viendront s'ajouter l'harmonisation des
                  législations fiscales et sociales et l'ouverture des
                  frontières. En Belgique, l'évolution s'oriente déjà
                  vers une hausse des prix de revient : le malt 25% déjà
                  ! le houblon 20% ! et une fiscalité plus dévorante
                  dont la réforme va se poursuivre dans le domaine des
                  impôts indirects. C'est l'année de la réforme fiscale et on préparait
                déjà l'introduction de la TVA. Je me souviens qu'à cette
                époque déjà, j'ai fait une étude sur la TVA. Il fallait
                n'est-ce pas ! On ne pouvait pas être pris à la gorge le
                jour où ce serait là ! Ce sont les Français qui ont
                commencé avec la TVA. Et voilà, comme c'est un système
                très pratique où on fraude tout autant qu'auparavant,
                alors ça s'est étendu partout. L'uniformisation des conditions de concurrences entre
                  pays et l'élargissement des marchés à une échelle
                  continentale vont fatalement entraîner la perte des
                  faibles et des inadaptés, de ceux qui n'auront pas pu
                  ou voulu repenser leurs structures ou leurs méthodes.
                  Faiblesse n'est pas corollaire de petitesse : la
                  petitesse peut être une grandeur et une force. Seuls
                  les médiocres sont condamnés. Nous serons véritablement forts si nous savons
                  pleinement et sans arrière pensée, sans complexe
                  d'infériorité et sans découragement assumer au sein du
                  monde nouveau notre condition de petite brasserie
                  d'Abbaye. Nous disposerons alors d'une puissance
                  économique singulière quoique modeste. L'élévation du
                  niveau de vie et l'intensification des échanges
                  amènent une diversification plus étendue des goûts et
                  une exigence sans cesse accrue dans les domaines
                  connexes de la qualité et de la présentation. En ce
                  qui concerne les bières, on observe une nette
                  orientation de la demande vers le type spécial, c'est
                  à dire 6° et plus, qu'on consomme de plus en plus dans
                  les cercles familiaux. Nous disposons de deux atouts majeurs que nous devons
                  avancer sans attendre. Le premier est d'ordre
                  technique. Nous disposons et nous sommes en mesure de
                  présenter à notre clientèle actuelle et potentielle,
                  des produits hors série de haute tenue. Il est
                  clairement entendu que pour nous, c'est affaire de vie
                  ou de mort que nos différentes catégories de bières
                  gardent un standing qui les place au premier rang sur
                  le marché Européen. Aucun effort ne doit être épargné,
                  aucune remarque ne peut être négligée. La surveillance
                  de la fabrication ne peut être sujette à aucune
                  défaillance, ni sur le terrain de la stabilité
                  biologique, ni sur celui de la finesse du goût. Cette tension perpétuelle vers un idéal d'honnêteté
                  professionnelle et de perfection technique sera tout
                  profit pour la vie intérieure en laquelle sera ainsi
                  parfaitement intégrée une activité purement profane. Mes frères, d'ici quelques temps, notre brasserie sera
                la seule brasserie indépendante de la Province de Namur.
                Toutes les autres sont dévorées, digérées ou inféodées
                aux grandes, énormes affaires financières que sont
                devenues les brasseries genre Artois ou Piedboeuf. Maintenant, je pense que si le Père Général voyait
                ceci, il dirait: Mais allez voir à Rochefort! Mais ce
                n'est pas encore tout. Il s'est posé d'autres problèmes
                et voilà vraiment je dirais ce que dit mot pour mot le
                Père Abbé Général. Le moine ne peut supporter la moindre atteinte à
                  l'honneur de son Dieu en quelque domaine que ce soit.
                  Dieu a sa place dans la cité des hommes, la première,
                  en particulier par la sainteté et le fini de leur
                  travail. Si nous parvenons à rester fidèles à cette
                  ligne originale, spécifiquement monastique, de
                  politique économique, non seulement nous traverserons
                  sans encombre tous les remous du fleuve Européen, mais
                  encore, nous sortirons de l'épreuve mûri et grandi
                  tant au spirituel qu'au matériel.Je pense que notre idéal contemplatif n'a pas souffert,
              ici, de notre activité économique. Au contraire, il en a
              été fortifié,ça j'en suis certain ! Notre second atout, donc à côté de la qualité et de la
                modestie de notre entreprise, notre second atout est
                notre désintéressement...
 Voici encore quelque chose qu'on nous a dit : c'est de
                la pure folie des choses pareilles ! Parce que ce que
                j'ai écrit ici, je l'avais dit oralement à l'un ou
                l'autre brasseur, brasseur d'abbaye je veux dire, qui
                eux avaient des idées diamétralement opposées... Notre marge bénéficiaire peut s'amenuiser, le seuil
                  de rentabilité de notre entreprise brassicole se situe
                  extrêmement bas du fait que nous n'avons pas
                  l'intention de monter une affaire. Nous pouvons donc
                  allégrement encaisser le contrecoup des décisions que
                  prendront les Exécutifs du Marché Commun. Pour tout
                  résumer en un mot, c'est dans la mesure où nous serons
                  vraiment moine que tout nous sera donné. Il y avait aussi un autre problème. C'était celui de la
                diminution des forces vives de la communauté. L'âge
                moyen était déjà de 58 ans en 1962. Et pourtant ceux qui
                aujourd'hui ont dans la soixantaine ou en approchent,
                étaient encore très jeunes alors ! Cela fait 20 ans en
                arrière. Il fallait donc revoir aussi la politique
                agricole ! Car ce Marché Commun était quelque chose de très
                périlleux pour nous. Aujourd'hui, les neufs pays sont
                toujours en train de se pencher sur ce problème. Les
                Anglais maintenant sont entrés dans le Marché Commun,
                les Danois aussi, les Irlandais...bientôt ce sera les
                Grecs, les Espagnols, les Portugais. Alors voyez un peu
                tous ces produits agricoles qui doivent être consommés,
                qui doivent être rentabilisés. Toutes ces exploitations
                qui doivent permettre à des hommes, des femmes, des
                gosses de vivre. Non plus dans un tout petit pays comme
                la Belgique, mais dans toute l'Europe. Vous savez, le Marché Commun fixe les prix chaque
                année. Il donne les normes. Il contingente la
                production. Il veille sur la qualité. Si bien que par
                exemple dans cette région-ci qui est définie comme zone
                herbagère, on ne peut cultiver de denrées. Si on le fait
                c'est à ses risques et périls. Elles ne seront
                certainement pas vendues à un prix élevé, parce que ça
                ne pourra être que pour le bétail. Pour faire du pain,
                il faut des denrées qui viennent d'ailleurs que de ces
                régions trop pauvres. On peut se permettre cela
                maintenant, puisque on a toute l'Europe pour cultiver du
                froment panifiable. En 1962 on cultivait 42 Ha encore. Il y avait deux
                ouvriers. Les rendements étaient : pour le froment, 28
                sacs à l'Ha - pour l'orge, 27 sacs à l'Ha - pour
                l'avoine, 20 sacs à l'Ha. Or dans le bon pays on produit
                50 à 60 sacs à l'Ha pour moins de travail qu'ici. En
                1948 ( c'était donc une année normale d'avant 1950 ) au
                moment où Dom Félicien était élu Abbé, il y avait 62 Ha
                de culture, il y avait 7 ouvriers et le rendement était
                encore beaucoup plus bas. Pendant les années de 48 à 62, on avait essayé de
                régénérer les terres qui sont extrêmement ingrates ici.
                Vous savez que du côté du Vesty, l'épaisseur de terre
                arable est d'une quinzaine de cm. Lorsque je charruais,
                la charrue à l'arrière du tracteur rebondissait sur le
                schiste, sur le roc. Si bien que ces terres sont sèches
                tout de suite. Un peu de sécheresse, elle se crevasse et
                on peut introduire la main dans les crevasses, on touche
                au fond le schiste. Voilà les terres de Famenne !On avait chaulé, mis les engrais. On avait drainé tout
                puis remembré. Mais il y avait encore là tout de même le
                problème et il a fallu se reconvertir. Et insensiblement
                mais fatalement il a fallu renoncer à la culture et
                arriver à la situation qui est celle d'aujourd'hui, que
                vous connaissez.
 Il Y avait l'étable et son annexe la fromagerie. En
                1948 il y avait un taureau, 26 vaches, 23 génisses et 6
                veaux. En 1962 il y avait encore un taureau, 20 vaches,
                12 génisses et 11 veaux. On produisait 67.700 litres de
                lait. Et le prix de revient du litre de lait en 1962
                était de 3,85 francs, quand le prix de direction du
                Marché Commun était de 3,75 francs ! Donc on perdait 10
                centimes par litre de lait ! Alors l'écart n'a fait que
                s'agrandir naturellement. Ce n'était plus possible. On a produit, en 1962 encore, 2900 Kg de fromage et 500
                Kg de beurre. Mais quelques années auparavant on
                produisait près de 6.000 Kg de fromage par an. Ce qui
                n'est rien du tout car pour l'instant, pour donner une
                idée de comparaison, la fromagerie de Scourmont produit
                250.000 Kg de fromage par an. Et celle qu'on est en
                train de construire maintenant sur le zoning va en
                produire 450.000 Kg par an ! C'est autre chose que les
                pauvres petits 2.900 Kg ! Vous voyez, je dirais, l'originalité vraiment, oui,
                scandaleuse de notre politique économique. Maintenant, à
                cause aussi des diminutions des effectifs, et du
                vieillissement, du tassement de la communauté, il a
                fallu aussi supprimer la fromagerie, c'est à dire la
                fabrication du fromage. Il a fallu aussi, là, se
                reconvertir : diminuer, ramener le nombre du cheptel à
                ce qu'il faut pour le ravitaillement de la communauté. Mais il le fallait. Non seulement à cause des effectifs
                qui baissaient, mais aussi parce que si on avait
                persévéré à tout prix, c'eut été ce que disait ici le
                Père Abbé Général. Il dit que le travail est plus
                sérieux et plus efficace aujourd'hui que ce qu'il ne
                l'était autrefois. Or il n'est pas sérieux de travailler
                dans une abbaye pour le plaisir de travailler et de
                s'occuper. Si on travaille, c'est pour avoir des
                ressources pour vivre mais pas pour perdre 10, 20
                centimes, 1 franc au litre. Et voilà ! Non n'est-ce pas,
                il fallait aussi se reconvertir de ce c6té là ! Eh bien voilà mes frères, je pense que ces chiffres
                sont éloquents. Nous pouvons en tirer une conclusion :
                c'est que nous pouvons être légitimement fier de ce que
                Dom Félicien et la communauté ont réalisé ici depuis
                1952. Le Père Abbé Général peut venir ici - il ignore
                tout ça et il ne faut pas le lui dire, ce n'est pas
                nécessaire. Il ne faut pas agiter un drapeau et dire :
                Rochefort über alles ! Non, ce n'est pas ça que je veux
                dire. Mais s'il le savait, je pense qu'il serait contant
                de dire : Voilà tout de même ce que je conseille, ce que
                je demande. Voilà, il y a des Abbayes qui parviennent à
                le faire. Mes frères, demeurons fidèle à cette ligne de conduite,
                et croyons encore et toujours à la Parole du Christ qui
                dit : Si vous cherchez d'abord le Royaume de Dieu,
                  tout le reste vous sera donné. Et Saint Benoît le
                savait lorsqu'il dit à l'Abbé : Ne te préoccupe pas
                tellement des choses terrenis et caducis, 2, 23,
                des choses terrestres et caduques ; ça s'en va tout de
                même. Et puis alors ne causetur de minori forte
                  substantia, 2, 34, ne te fais pas de tracas si ton
                avoir peut être un peu petit aux regards du monde, et en
                soi aussi, ne te tracasse pas parce que rien ne manque à
                ceux qui craignent Dieu ! Mes frères, quand nous avons choisi il y a près de 30
                ans, lorsque nous l'avons confirmé voilà près de 20 ans,
                c'est sur ces principes là que nous nous sommes fondés.
                Ils sont encore valables, ils sont éternels et Dieu
                continuera à nous bénir si nous continuons aussi à lui
                faire confiance. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 19.05.808. La pauvreté.Mes frères,Revenons-en à la lettre du Père Abbé Général. Elle
                traitait de questions économiques. Il nous disait que la
                question du travail allait de pair avec la pauvreté. Et
                dans sa lettre, il glisse insensiblement du travail à la
                pauvreté. Les deux sont liés. Le pauvre travaille. Il est obligé
                de travailler. Il travaille pour vivre. Saint Benoît
                demande que aussi le moine travaille pour vivre, mais
                dans une optique qui est la sienne. Il s'appuiera sur le
                dit de l'Apôtre Paul qui affirme : Du moment que vous
                  ayez de quoi vous nourrir, de quoi vous vêtir, de quoi
                  vous loger et de quoi vous chauffer, soyez contents de
                  cela ! Saint Benoît ne reprend pas ces paroles à la lettre,
                mais il dit tout de même des choses analogues : Tout
                  ce qui est au delà de ceci, de cela, c'est superflu,
                  ça doit être retranché ! Le moine, c'est un homme
                qui ne va pas se mettre des boulets aux pieds. Pas de
                choses inutiles ! Il doit être léger, il doit être tout
                nu. Il doit être quasi angélique pour s'élever dans les
                sphères trinitaires. Mais s'il est lourd, s'il traîne
                des richesses derrière lui, comment voulez-vous qu'il
                s'occupe des choses de Dieu? Le riche, lui, doit travailler aussi. Mais le riche, il
                travaille pour vivre, naturellement, mais aussi il va
                travailler pour se gonfler, pour se dilater. Notez que
                c'est passé dans le langage populaire. Dans les régions,
                ici, Ardennaises, pour désigner un riche on dira : c'est
                un gros ! Les gros, c'est à dire les riches. Mais le riche va aussi travailler parce que l'argent
                donne le pouvoir. Avec l'argent on achète tout, on
                achète même les consciences ! Vous connaissez les
                pots-de-vin. Vous vous rappelez peut-être le scandale de
                la Firme Lookheed qui fournissait des avions militaires
                dans le monde entier, mais qui versait de généreux
                pots-de-vin aux dirigeants de ces pays, pour qu'on
                achète des avions Lookheed. Cela donne le pouvoir, ça donne aussi l'influence. Et
                ici il ne faut pas avoir peur de le dire, quoique ma foi
                ce ne soit pas très reluisant, mais enfin : les abbayes
                les plus influentes, ce sont les abbayes riches ! Il n'y
                a pas à dire, elles font beaucoup de biens à d'autres
                maisons et alors les Abbés de ces Abbayes riches ont du
                poids ! Voyez, à côté de ça Rochefort ne pèse pas lourd
                ! Eh bien voilà deux façons d'envisager le travail. Mais
                ça ne veut pas dire maintenant que certaines Abbayes
                s'enrichissent pour avoir de l'influence. C'est quelque
                chose qui va de soi, vous voyez. Mais chez le riche du
                monde, c'est intentionnel, il sait très bien ce qu'il
                fait.Et nous mes frères, voyons-nous un petit peu ? Est-ce que
              nous sommes pauvres au sens de la Règle de Saint Benoît ?
              Le Père Abbé Général disait : Je demande que nous examinions le problème.
 Donc c'est le problème de la surindustrialisation, des
                marchés qui s'étendent indéfiniment, de la complicité
                avec la société de consommation. Ce sont les termes
                qu'il reprend. Et il demande : ….que nous examinions le problème, que nous gardions
                les yeux sur les principes fondamentaux en cause, que
                nous soyons prêts à sacrifier du profit s'il le faut
                dans l'intérêt d'un abandon plus profond à l'Evangile,
                que nous envisagions la pauvreté comme un certain
                détachement des biens terrestres et une disposition à
                faire facilement confiance à la divine Providence. Mes frères, sommes-nous détachés des biens terrestres ?
                Pouvons-nous dire : je suis mort avec le Christ ? Je vis
                là où est mon trésor, avec le Christ ressuscité siégeant
                auprès de son Père, là est ma fortune ! Pour ce qui
                regarde les biens terrestres, du moment que j'ai à ma
                disposition ce qu'il me faut pour vivre et pour
                m'épanouir surnaturellement, 1e reste, j'en suis tout à
                fait détaché, je ne le prendrais pas avec moi. Est-ce
                que nous voyons les choses ainsi ? Personnellement ?
                Communautairement ? Et on va dire : oui, oui c'est vrai ! Moi, c'est ainsi
                ! Pour moi, je suis tout à fait détaché de tout ... Oui,
                dans l'intention, je veux bien le croire. Mais pour que
                le détachement soit vrai, qu'il ne soit pas, je ne sais
                pas, une sorte de drogue dont on parle et qui donne une
                petite ivresse spirituelle et une bonne conscience, il
                faut que ce détachement s'inscrive dans les faits, sinon
                ce n'est pas vrai. Il doit être matérialisé. Et c'est ici que le Père Abbé Général va mettre le
                doigt sur deux plaies. Mais je vois qu'il est déjà 8 1/4
                ! Nous allons nous rendre à l'église et demain nous
                allons à nouveau l'écouter. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 20.05.809. Confort Classe Moyenne !Mess frères,Le Père Abbé Général adresse sa lettre à chacun d'entre
                nous. Aujourd'hui il va copieusement nous étriller, du
                moins les membres de l'Ordre et ceux parmi nous qui le
                méritent. Ecoutez ! Il a parlé de la pauvreté en liaison
                avec le travail, donc :La pauvreté envisagée comme un certain détachement des
              biens terrestres et une disposition à faire facilement
              confiance en la divine Providence. Il poursuit :
 En lien étroit avec tout ceci est la nécessité d'une
                certaine sobriété dans nos habitations et d'une certaine
                frugalité dans notre style de vie. Il arrive
                malheureusement que dans certains monastères les
                cellules privées soient au bord du luxe, ou que le
                régime alimentaire devienne de plus en plus riche. Il parle de la sobriété dans l'habitat ? Cela veut dire
                la simplicité, la modération, la retenue, éviter toute
                recherche entre autre dans l'aménagement des cellules
                privées. Il parle de la frugalité dans le style de vie ?
                C'est aussi la question d'alimentation, c'est surtout à
                cela qu'il pense. Se contenter de peu, éviter une
                recherche excessive qui ferait des moines des gourmets !
                Et ici, le seul endroit dans toute sa lettre, il laisse
                échapper un gémissement de consternation :
                malheureusement, dit-il ! Il arrive malheureusement
                que... Naturellement il faut bien comprendre ce qu'il dit, car
                nous savons que tout est relatif. La sobriété dans
                l'habitation en Afrique Centrale, ce ne sera pas la
                sobriété d'habitation des Etats-Unis d'Amérique. Dans un
                pays d'Amérique du Sud où il y a des monastères de notre
                Ordre, on ne se nourrira pas comme en Europe
                Occidentale. Allez un peu trouver un critère qui
                permette de dire : là commence le luxe, là fini la
                frugalité ? Aussi il apporte un correctif. Il dit :Il est vrai que dans le passé l'ascétisme reçu parfois un
              accent exagéré et devint ainsi l'ennemi d'une vie
              spirituelle équilibrée. Les anciens, ici, ont connu le régime du réfectoire
                auparavant où la portion de pain était pesée. Je pense
                que la balance se trouve quelque part avec ses poids en
                plomb, peut-être vérifiés chaque fois à l'occasion d'une
                Visite Régulière - je ne sais pas pour que ce soit
                toujours bien le même poids. Tout le monde au matin
                recevait exactement la même portion : gros appétit,
                petit appétit, cela n'avait pas d'importance, tout le
                monde était au même régime. Vous voyez ! C'était ça un ascétisme exagéré. Alors ça
                crée un certain déséquilibre dans la vie spirituelle :
                certains avaient trop et d'autres pas assez !Mais, dit-il :
 Actuellement le pendule est passé de l'autre côté et il
                y a une tendance marquée vers un certain confort de
                Classe Moyenne où il reste peu de place pour le
                sacrifice. Il y a peut-être un peu d'humour Anglais là derrière ?
                Mais enfin, est-ce que nous, ici à Saint Remy, nous
                pouvons pavoiser et dire : oh nous, ça ne nous concerne
                pas ? A Saint Remy il n'y a pas de surindustrialisation,
                ça, ça va bien ! Mais ici : confort de classe moyenne ?
                Est-ce que il n’y a pas l’une ou l'autre cellule qui
                glisse vers un certain aménagement luxueux ? Je ne sais
                pas ? Mais que faire, que faire ? A mon sens, la position équilibrée est celle-ci : nous
                devons prendre du moderne ce qui peut être utile pour
                nous libérer au spirituel, ce qui peut nous aider à
                vivre mieux, c'est à dire à vivre spirituellement mieux,
                à être plus vrai. Voilà, nous ne pouvons pas non plus
                jouer au pauvre et renoncer à certaines des commodités
                modernes. Par exemple : allons-nous renoncer à l'usage de
                l'éclairage électrique et pour faire pauvre utiliser des
                chandelles ou des lampes à pétrole ? Allons-nous
                renoncer au chauffage central et chacun avoir son petit
                poêle, au charbon comme ça se faisait il y a 25 ans par
                exemple. Je pense bien que c'était le Frère Bonaventure
                qui était chargé de remplir la caisse de charbon qui se
                trouvait là-bas du côté du vestiaire, et le Frère
                Charles avant lui ! Voilà ! Vous voyez, pour cela il faut être prudent. Il faut
                être discret et essayer toujours d'être vrai. Nous
                vivons ici dans une région en Europe Occidentale où on a
                des facilités. Mais ces facilités, utilisons-les ! Ce
                n'est pas pour ça que nous allons tomber dans le luxe. Et d'autre part, il faut aussi protéger les santés.
                Nous dépensons beaucoup plus d'énergies qu'auparavant :
                énergie nerveuse, je veux dire. Peut-être pas tant
                d'énergie physique : physiquement on travaille moins, ce
                qui est à notre détriment. L'homme, pour se développer,
                a besoin de faire fonctionner sa musculature. Maintenant on travaille avec son système nerveux. On se
                fatigue beaucoup plus à établir une balance comptable
                exacte qu'à marcher toute une journée derrière une
                charrue et un cheval ! C'est beaucoup plus fatigant de
                contrô1er un laboratoire de brasserie qu'auparavant de
                manipuler des tonneaux. Vous voyez, la nature du travail
                a changé, et maintenant on se brûle. Il faut donc que l'alimentation soit équilibrée pour
                que ne s'introduise pas de carence alimentaire en sels
                minéraux, en oligo-éléments, en vitamines. La nourriture
                sera donc aujourd'hui plus recherchée. Ceux qui viennent
                maintenant, les nouvelles générations qui arrivent dans
                les monastères, eh bien, ils sont habitués à une cuisine
                mieux préparée. On ne peut pas leur présenter une
                cuisine telle qu'elle était aussi il y a 25, 30, 40, 50
                ans. Voyez, il faut s'adapter à la civilisation qui est
                la nôtre maintenant, ne pas vouloir jouer à ce qui était
                d'hier... Alors notre cadre de vie, le style de vie ? Il doit
                toujours rester simple, mais il faut qu'il soit beau.
                Auparavant, par esprit de pénitence on préférait ce qui
                était laid ! Mais alors les hommes n' étaient pas bien
                dans leur peau. Les hommes sont des animaux aussi, ils
                doivent avoir de la lumière, ils doivent avoir de la
                couleur, ils doivent avoir de la beauté autour d'eux.
                Ils sont alors plus épanouis. Dieu est beau, il a créé
                du beau, ce qui n'est pas du luxe ! Voyez mes frères, ce que dit le Père Abbé Général ici,
                c'est très bien. Il faut le croire, naturellement. Mais
                il parle pour tout l'Ordre, et chaque maison doit
                prendre ce qui lui convient. Et ce qui est modéré ici,
                serait peut-être du superluxe en Afrique. Il faut être
                de son temps et aussi de son lieu. Mais malgré tout faisons bien attention et ne glissons
                pas trop dans le confort de classe moyenne. C'est
                surtout le mot confort qui est ici en jeu, parce que
                Classe Moyenne, nous le sommes. Du moment que nous
                travaillons de nos mains, nous sommes des travailleurs
                indépendants, nous appartenons à la Classe Moyenne ; ça,
                c'est la terminologie reçue ici en Belgique. Peut-être
                qu'en Angleterre ça a un tout autre sens ? Mais n'ayons pas peur du mot. En Belgique, ce n'est pas
                déshonorant et ce n'est pas synonyme de luxe et
                d'exagération. La Classe Moyenne est la classe qui vit
                de son travail. Un bon ouvrier spécialisé fait partie de
                la classe moyenne. Mais c'est le CONFORT ! Et là, nous ne devons pas avoir un confort tel, qu'il
                exclue tout sacrifice. Nous devons toujours sentir d'un
                côté ou de l'autre que nous n'avons pas de demeure
                permanente ici, et que nous ne serons contents que
                lorsque nous entrerons dans le palais de Dieu, dont
                celui-ci n'est jamais qu'une faible et terne image. Nous
                ne devons pas l'aménager comme si nous devions vivre ici
                éternellement. Et ici, une petite chose pour terminer. C'est qu'il est
                remarquable que les hommes dans les monastères qui sont
                les plus difficiles en ce qui concerne l'aménagement, en
                ce qui concerne la nourriture et tout ça, ce sont ceux
                qui en étaient privés chez eux ! C'était déjà comme ça
                tout au début du monachisme. Tout au début, c'était déjà
                ainsi : les fellahs qui arrivaient dans les monastères
                d'Egypte ne pouvaient pas supporter qu'Arsène, qui lui
                avait été le précepteur des fils de l'Empereur à
                Constantinople, avait un petit coussin pour reposer sa
                tête, alors que c'était un vieillard qui approchait des
                100 ans. Voilà, c'est ça ! C'est toujours une question
                d'équilibre, de sagesse, de discrétion. Et je pense que nous sommes en temps de Pentecôte. Que
                l'Esprit de Dieu nous remplisse, lui, de sa sagesse et
                ainsi nous ne tomberons pas sous les reproches du Père
                Abbé Général et nous ne le ferons pas gémir. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 21.05.8010. Vivre ensemble.Mes frères, Hier soir, nous avons accompagné le Père
                Abbé Général qui jetait un regard investigateur dans les
                cellules privées des frères. Et ce qu'il remarquait dans
                certains monastères était tel qu'il en poussait un
                gémissement de douleur. C'est malheureux ! disait-il. Et
                nous avons opéré un retour sur nous-mêmes et nous nous
                sommes demandés : Serions-nous du nombre de ces certains
                monastères ? Nous devons prendre très au sérieux
                l'avertissement du Père Abbé Général. Mais nous ne
                devons pas pour autant nous culpabiliser. Je pense que objectivement nous avons le droit de dire
                que nos cellules ne sont pas luxueuses. Elles sont -
                devrait-on dire - fonctionnelles. Elles sont du type :
                chambre installée par de jeunes mariés qui n'ont pas
                beaucoup d'argent pour un départ dans la vie et qui
                remettent à plus tard l'aménagement de leur foyer. Ce n'est pas parce qu'on dispose d'un lit latoflex
                qu'on est dans le luxe. Non, c'est un lit hygiénique.
                Nous devons, nous, jouir d'un sommeil réparateur sur un
                lit qui malgré tout est austère. C'est presque une
                planche ! A l'époque, quand on a acheté ces lits, telle
                était l'intention, je m'en souviens bien. Le Père Abbé Général, vous voyez, a beaucoup de
                qualités,une nouvelle encore aujourd'hui ! Dans son
                style épistolaire, il possède l'art de ménager d'habiles
                transitions. On passe ainsi d'un sujet à un autre sans
                même le remarquer. Voyez cette fois : il terminait en disant qu'il y avait
                une tendance marquée vers un certain confort Classe
                Moyenne où il reste peut de place pour le sacrifice,
                toujours à propos de ces cellules et du genre de vie qui
                n'est plus assez frugal dans certains monastères. Naturellement, il ne faut pas oublier que vivre
                ensemble dans la paix et l'unité est déjà une forme
                d'ascèse. Sur ce point je suis heureux de signaler que
                presque partout la charité fraternelle semble avoir
                progressé et que les relations entre frères sont plus
                cordiales et si j'ose dire plus chrétiennes.Nous voici donc partis dans la charité fraternelle ! Et
              cette fois-ci il pousse un soupir de soulagement heureux. Dans une certaine mesure, ceci est dû au dialogue de
                communauté, à la permission de parler, à la suppression
                de l'ancienne forme du chapitre des coulpes. Mais ici
                encore l'expérience m'a montré que la réaction a été un
                peu trop loin. Et c'est un refrain a peu près constant
                aux Visites Régulières : que le juste équilibre entre
                parole et silence n'a pas encore été atteint, ni
                découverte une forme appropriée de correction
                fraternelle. Je voudrais attirer votre attention d'abord sur un tout
                petit détail, mais qui a son importance. Le Père Abbé
                Général dit : la charité fraternelle semble avoir
                progressé, ce qui est heureux. Je suis heureux de le
                signaler, dit-il. Et les relations entre frères sont
                plus cordiales et si j'ose dire plus chrétiennes. Il y a une façon de vivre ensemble qui est franchement
                païenne. On trouvera ça dans le monde. C'est ce qu'on
                appellera la civilité. Il n'y a pas tellement encore,
                des correspondants, des étrangers écrivant ici ou
                écrivant ailleurs, terminaient leur lettre avec la
                formule : je vous présente mes civilités empressées.
                Maintenant on dira : ma considération distinguée. Voyez, dans le monde, la civilité c'est ceci : Les
                rapports sociaux sont corrects, mais ils sont basés sur
                des rapports de force, une espèce de gravitation qui
                fait que les hommes tournent les uns autour des autres
                sans se rencontrer. Mais ils ne se gênent pas, mais ils
                s'ignorent ! Si, ils ont des rapports civils, de
                civilité, de correction, de politesse, de savoirvivre,
                mais sans chaleur, ça reste froid ! C'est de plus en plus remarquable dans le monde
                d'aujourd'hui. C'est le monde de l'informatique, de la
                télématique, de la robotique ; et les hommes deviennent
                dans cet univers des fiches, des numéros, des pions, des
                rouages Ils tournent bien un sur l'autre, mais comme une
                machine. On comprend alors la réaction violente de certains
                jeunes qui vont se constituer en groupe, en gang, et
                puis alors, ils vont foncer. En Angleterre, maintenant,
                c'est une mode...des troupes entières qui circulent à
                travers tout en motocyclettes ; ça va peut-être venir
                ici aussi sur le continent ? Et ils ne respectent plus
                rien. Et pourquoi ? Pour dire : nous sommes là ! Ils ont
                chaud ensemble, pour lutter contre ce froid polaire de
                la société civile ! A côté de ça, il y a la manière de vivre ensemble qui
                est chrétienne. Et là, c'est presque vouloir résoudre
                pour nous la quadrature du cercle. Car la vie
                chrétienne, la charité chrétienne, elle n'est pas
                d'essence, elle n'est pas de nature charnelle purement
                humaine. C'est de la nature divine. C'est surnaturel,
                c'est hors de notre portée ! La civilité, ça c'est notre mode. Mais nous avons reçu
                en nous un esprit qui est une Personne, un Feu, une
                Lumière. C'est l'Esprit Saint, c'est Dieu lui-même,
                c'est ce qui vivait dans le Christ. Et nous ne pouvons
                plus être entre nous sur un pied de civilité. Il faut
                donc nous aimer. Mais nous sommes tout de même des
                hommes, nous sommes de la chair. Et comment concilier
                les deux : la charité divine dans une chair humaine ? Eh bien c'est possible, et c'est ce que le Christ nous
                demande. Nous ne devons pas pour ça nous descendre, ou
                nous dissoudre, ou nous engluer dans le sentimentalisme.
                Non, ce n'est pas cela. Mais il y a 1000 détails à
                travers lesquels l'amour peu s'exprimer. Et c'est cela
                que veut dire le Père Abbé Général : elles sont plus
                cordiales, nos relations, et si j'ose dire alors plus
                chrétiennes. Là où il n'y a pas de cordialité, il n'y a
                pas d'amour chrétien. C'est cela, n'est-ce pas ! Mais je peux très bien vivre avec un frère qui m'est
                franchement antipathique pour toutes sortes de raisons
                impossibles à analyser, c'est comme ça ! Que vais-je
                faire avec celuilà ? Eh bien, l'Esprit de Dieu qui est
                en moi va à ce moment là me convertir. Et ça ne veut pas
                dire que ce frère va devenir le plus sympathique de
                tous. Ce n'est pas ça, il me sera toujours naturellement
                antipathique. Mais je vais dépasser ce sentiment pour
                épouser la charité du Christ qui est en moi, me laisser
                porter par elle. Et ce frère, personne ne saura si je
                l'aime plus ou moins qu'un autre. Saint Benoît le dit : L'Abbé doit avoir une charité
                égale pour tous. Et on disait de la petite Thérèse qu'on
                était étonné parce que la soeur à laquelle elle
                manifestait le plus d'attentions, c'était celle qui lui
                était le plus antipathique. C'est cela ! Il y a dans
                notre vie commune 1000 détails, 1000 façons pour
                manifester sa cordialité et son amour : un sourire, un
                geste, une démarche, un coup de main, une bonne parole
                même négativement : retenir la réflexion acerbe ou la
                moquerie qui jaillirait spontanément de nous. Vous voyez
                tout cela, de toutes petites choses ! Et c'est ça, ici,
                que veut dire le Père Abbé Général. Il est heureux de
                constater que cela a progressé dans tous les monastères.
                Mais il n'ose tout de même pas encore dire que c'est
                dans tous. Il dit : presque partout. Il y aura peut-être
                encore une exception ou l'autre, mais ce doit être
                rarissime. Eh bien je dois dire, mes frères, qu'ici, ici nous
                sommes sur la bonne route. Il y aura peut-être encore
                chez l'un ou l'autre un éclat, un petit bazar qui
                échappe. Mais je sais que dans le fond la charité
                travaille et que nos rapports, comme le Père Visiteur
                l'a constaté aussi, sont certainement ici chrétiens
                parce qu'ils sont cordiaux. On a eu l'occasion de
                l'expérimenter au cours de cette fameuse grippe. Nous
                avons vu qu’à ce moment, les petites divergences
                s'étaient évanouies et qu'il n'y avait plus qu'un seul
                coeur pour nous aimer et nous entraider. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 24.05.8011. Dans la paix et l’unité !Mes frères,Le Père Abbé Général parle de vivre ensemble dans la
                paix et l'unité. C'est une belle définition de la vie
                cénobitique, si on comprend bien les termes : et vivre
                ensemble et dans la Paix et l'Unité. Vivre ensemble , ce n'est pas vivre les uns à caté des
                autres en se conformant au canon de la civilité laïque,
                de la politesse, de la correction, mais en
                s'ignorant ! Ce n'est pas non plus vivre en groupes
                juxtaposés, des groupes organisés ou informels, des
                groupes crées ou bien naissant spontanément, des
                regroupements comme ça suivant des affinités de
                caractère, d'antipathie aussi, on s'éloigne de certains
                pour se rapprocher d'autres : affinités d'âge, de goûts,
                de petites chapelles dans un monastère. Ce n'est pas ça
                vivre ensemble ! Il faut vivre ensemble  chrétiennement, c'est à
                dire dans la paix et l'unité. Mais quelle paix et
                quelle unité ? C'est l'unité que le Christ avait
                demandée à son Père pour ses disciples: qu'ils soient
                  un comme nous sommes un le Père et Moi, eux
                en Moi et Moi en Toi, que nous soyons tous consommés
                dans l'unité. C'est la seule unité valable dans un
                monastère ! Le reste ? Je ne sais pas ce que c'est.
                C'est de l'illusion ! Et puis la Paix ? Pas n'importe quelle paix, mais la
                paix du Christ, celle qu'il a aussi promise à ses
                disciples. Donc, vivre ensemble dans la paix et l'unité,
                c'est former une cellule du Royaume de Dieu. On vit les
                uns dans les autres parce qu'on s'aime ; même s'il n'y a
                pas d'affinités naturelles, on s'aime. L'amour est autre
                chose qu'un rapport d'affinité. Ce sera donc
                pratiquement partager et porter ensemble le poids du
                groupe, le poids de la communauté. Mais dans la pratique, à mon sens, cela dépend surtout
                de l'Abbé. Car pour partager et porter, il faut savoir
                qu'il y a quelque chose à partager et à porter. Il faut
                donc que l'Abbé soit transparent. Cela a été un grand
                sujet de discussion à la Conférence Régionale là-bas
                quelque part en France. Dans quelle mesure l'Abbé
                pouvait-il être transparent ? Dans quelle mesure
                pouvait-il informer la communauté de ce qui se passe ? Mais à mon sens, il faut que la communauté sache tout.
                Il ne peut y avoir de secrets, ni de cachotteries, ni
                d'énigmes, ni de mystères dans une communauté qui vit
                ensemble dans l'unité et la paix. Et pour entretenir
                cette unité et cette paix, mais il faut la nourrir, il
                faut la nourrir en informant. Il faut que tout soit
                clair, net, franc, loyal. C'est à cette condition que
                les hommes sont en sécurité, que les hommes sont portés
                à se regarder et à s'entraider. Sinon si chacun, surtout l'Abbé, je parle de l'Abbé, si
                l'Abbé commence à avoir de petites histoires, alors ça
                se communique aux autres comme une gangrène. Et on
                s'aperçoit qu'il y a quelque chose qui se dissout, qui
                fond comme un tas de neige, enfin qui s'en va et an ne
                voit plus rien. Voyez ! Donc je veux dire que la responsabilité de
                l'Abbé est engagée très fort. J'ai le droit de le dire
                parce que c'est moi qui le suis ici et je parle de moi
                d'abord. Voyez, il faut aussi intéresser les frères à ce
                qui se passe, à ce qui se prépare. Naturellement ça ne
                veut pas dire que maintenant il faut aller dévoiler les
                secrets de le vie privée personnelle de l'un et de
                l'autre ! Non, Saint Benoît le dit bien : les péchés
                secrets de l'âme, il faut les dévoiler à un Père
                spirituel qui saura guérir les siens propres sans
                divulguer ceux des autres. Mais il s’agit ici, je dirais, de la marche de la
                communauté. Et à ce propos je voudrais vite en avoir
                fini avec cette lettre ! Oui ! Mais vous voyez, elle est
                intéressante, extrêmement intéressante, on ne sait pas
                courir. Mais pour quelle raison en finir ? Mais c'est
                parce que commencent à arriver par la poste des
                documents préparatoires du Chapitre Général. Or là, il y a des choses qui sont très intéressantes
                non seulement pour ce qui regarde Saint Remy, mais pour
                ce qui peut nous intéresser. Il y a même des petites
                choses qui regardent Rochefort ? On se dit : tiens cette
                affaire, c'est de Rochefort ! Oui, ça ne peut être que
                ça ! Alors je voudrais une fois vous parler de tout cela
                et avoir un peu vos réactions. Ainsi en arrivant là-bas, si on me demande de parler,
                je puisse dire : je ne parle pas seulement à mon nom
                propre vous savez, mais il y a 35 hommes derrière moi et
                vous avez ici leur opinion. Il faut donc en tenir
                compte, ça fait 35 voix en plus dans un sens ou dans un
                autre. C'est ça que je veux dire : il faut informer, il
                faut porter ensemble et partager. Alors le Père Abbé Général dit qu'on n'a pas encore
                trouvé un juste équilibre entre parole et silence.Oui, ici je pense, je pense que nous pouvons malgré tout
                être satisfait. Naturellement il y a toujours des
                tempéraments bavards et je crois qu'il ne faut pas le
                prendre au tragique. Ils fermeront la bouche quand ils
                seront 2m sous terre, c'est seulement alors ! Donc il ne
                faut pas espérer une conversion, c'est impossible ici,
                c'est lié au tempérament de la personne !
 Il y en a qui sont des extravertis, ils ont besoin de
                s'expliquer, de raconter et tout. Et bien, prenons-les
                comme ils sont, n'est-ce pas. Il n'y a rien de très
                grave là dedans, à condition que cela ne devienne pas de
                l'obstruction du travail des autres, et que ça ne
                devienne pas prétexte à médisance, à raconter du mal des
                autres. Non !
 Mais qu'il y en ait un qui ait la langue un peu facile,
                c'est son tempérament à lui. Comme il y en a d'autres
                qui serons des muets, mais c'est leur tempérament aussi.
                C'est ça aussi partager et porter.
 Mais alors tout de même, s'il y a ici des bavards, je
                leur demanderai tout de même de se surveiller malgré
                tout un peu. Mais enfin je vous dis : il y a des choses
                plus graves que cela. Mais je parle simplement ici du
                fait de faire marcher sa langue. Mais ce qui est
                toujours pi, ne pas embêter les autres dans leur travail
                et dans leur prière, et puis surtout, surtout, surtout
                ne jamais dire du mal. Maintenant : équilibre aussi entre silence et parole.
                Je pense qu'il y a aussi un progrès qui est observé à
                propos de ce que j'avais dis : ne pas parler dans
                certains endroits de l'Abbaye, là où Dieu est beaucoup
                plus présent, à l'église, ici au scriptorium, au
                réfectoire, à la cuisine. Ce sont des endroits qui sont
                plus ou moins sacrés, certains très forts, d’autres un
                peu moins. Mais ils participent tout de même au même
                caractère. Dieu est là, et c'est là qu'on le rencontre,
                c'est là qu'on prie avec plus d'ouverture. On s'ouvre,
                on est en confiance, on est d'avantage proche de Dieu.Et je pense que là aussi on a fait un effort et qu'il y a
              un progrès certain. Mais il ne faut pas dire qu'on est
              arrivé au terme. Il faut continuer. Et le Père Abbé Général dit qu'on n'a pas encore
                découvert une forme appropriée de correction fraternelle
                depuis qu'on a supprimé le fameux Chapitre des Coulpes.
                Une forme appropriée qui vaudrait pour l'Ordre entier,
                je pense que ça n'existe pas. Il y a des formes appropriées suivant les lieux, les
                monastères, les maisons. Et à mon sens, pour ici - je ne
                vais pas voir ce qui se passe ailleurs - mais pour ici,
                la forme la plus appropriée de correction fraternelle,
                c'est de se dire en privé ce qu'on a à dire. Si on voit
                quelqu'un qui...voilà, qui ne fait pas ce qu'il devrait
                faire, qu'on le lui dise gentiment, poliment,
                honnêtement, loyalement aussi. Voyez-vous, ça fait aussi
                partie du partage. Et si ce sont des choses plus sérieuses ou plus
                délicates, alors qu'on en informe le supérieur qui lui,
                au moment opportun, avec beaucoup de délicatesse pourra
                aussi intervenir pour redresser une situation qui serait
                incorrecte. Je pense que c'est beaucoup plus efficace.
                D'ailleurs à l'occasion je le pratique et je sais que à
                l'expérience je n'ai pas encore rencontré de déboires de
                ce caté. La plupart du temps, quand on fait quelque chose qu'on
                ne devrait pas faire, on ne le sait pas, on ne se rend
                pas compte. On le fait de bonne foi. Puis, lorsqu'on
                s'en aperçoit, on se dit : bien, maintenant je le sais !
                Et puis c'est fini ! Et lorsqu'il y a des choses qui regardent tout le
                monde, eh bien alors c'est le lieu ici de le dire en
                public. Comme je l'avais dit à ce moment là : attention,
                ne pas parler au réfectoire. Vous savez, le percolateur
                là-bas, ce n'est pas un petit endroit ou on discute le
                coup. Voilà, alors on le sait ! Il arrive encore qu'on trébuche. Je m'en suis aperçu
                une fois ou l'autre en allant porter quelque chose au
                réfectoire : deux qui sont là en train de discuter.
                Alors on me voit !!! Et pftt, c'est fini ! Donc à ce
                moment là, ils se rendent bien compte, ils reprennent
                conscience, et voilà. Donc voilà mes frères, essayons de vivre ainsi dans la
                charité fraternelle. Dans l'unité et dans la paix, c'est
                cela le train, le véhicule qui nous permettra de voguer
                et peut-être même de voler vers ce Dieu qui nous attend. Homélie : Fête de la Pentecôte. 25.05.80Croyons-nous suffisamment ?Mes frères,Jean-Baptiste se tenait sur les bords du Jourdain et il
                instruisait les Juifs qui venaient à lui. Il leur disait
                : parmi vous circule un homme que vous ne connaissez pas
                ; il est plus grand que moi, je ne suis pas digne de
                dénouer les courroies de sa sandale ; moi je baptise
                dans l'eau, Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le
                feu, dans l'Esprit qui est un feu. Ses auditeurs comprenaient. Ils savaient que leurs
                prophètes avaient vu que le Seigneur Dieu est un feu
                dévorant. Ils se rappelaient que leurs ancêtres, au pied
                du Sinaï, avaient vu soudain la montagne s'embraser et
                trembler sur ses bases au moment où le Seigneur
                descendait sur elle et la touchait. Et aujourd'hui, à
                présent, nous-mêmes nous sommes immergés vivants dans ce
                feu. Mais vous me direz : où est-il ? Nous ne le voyons
                pas, nous ne le sentons pas ? Mes frères, si nous ne le voyons pas, c'est que nous
                sommes aveugles et que nous avons un caillou à la place
                du coeur. Si nous ne le sentons pas, c'est que noue nous
                tenons prudemment à l'abri derrière le blindage de notre
                inconscience, de notre insouciance, de notre
                indifférence. Il est pourtant ici, il est là, il est
                partout ! Les disciples réfugiés dans la salle haute de leur
                maison ont bien vu, eux, un fleuve de feu coulé sur eux.
                Ils ont senti le Souffle embrasé caresser leur visage et
                pénétrer en eux. Pourquoi eux et pas nous ? C'est très
                simple. Ils attendaient, ils espéraient, ils priaient,
                ils croyaient. Et nous mes frères ? Le Christ lui-même
                l'a dit : Lorsque le Fils de l'Homme reviendra sur la
                  terre, où trouvera-t-il la foi ? Ce Souffle de feu omniprésent, ce n'est pas une entité
                allégorique ou bien un absolu quelconque, ou bien une
                force cosmique impersonnelle. Non, il est une Personne
                bien concrète, vivante, cette Personne Première qui est
                source et fondement de toute personnalité qui se puisse
                nommer sur la terre et dans les cieux. Elle a une
                multitude de visages, une multitude de noms. Mais il en
                est un qu'elle nous a révélé et qui est le plus beau :
                elle est l'AMOUR. Le chrétien, c'est un homme possédé par l'Amour. 
                  C'est à cela, dit le Christ, qu'on reconnaîtra
                  que vous êtes miens, si vous vous aimez les uns les
                  autres comme moi je vous ai aimés. Pas n'importe
                comment ! Le moine est un pneumatophore, un homme qui se meut
                dans le feu et qui rayonne l'Amour. Les yeux de son
                coeur contemplent l'océan de feu dans lequel est baptisé
                le monde. Rappelez-vous la vision de Saint Benoît.
                Lui-même est porté par un Souffle, ce Souffle inconnu,
                mystérieux. Et il ne peut plus rien faire d'autre que
                d'aimer.Mes frères, la Pentecôte est la fête de notre avenir. Elle
              anticipe le jour où tous ensemble, plongés dans le feu,
              nous formerons un seul Corps dont l'âme sera l'Amour. Amen Homélie : Vêture du frère J. 25-05-80Mon ami, mon frère,Voici déjà près de 6 mois que vous séjournez parmi
                nous, et c'est devenu pour vous une certitude ; vous
                voyez se réaliser ici l'incarnation du désir déposé dans
                votre coeur par l'Esprit : fréquenter Dieu, apprendre à
                le connaître, à l'aimer, habiter dans sa maison, entrer
                dans son intimité et un jour devenir avec lui un seul
                esprit. Aujourd'hui, vous faites un nouveau pas sur le chemin
                de votre initiation. Vous allez recevoir votre tenue de
                combat. La lutte contre les vices de la chair et des
                pensées va devenir plus âpre, plus serrée. Mais en même
                temps je vous confie une arme qui vous rendra
                invincible, invulnérable : l'obéissance unie à une
                humble et confiante ouverture de coeur. Vous vous engagez dans la milice monastique en l'Année
                Jubilaire de Saint Benoît. Le don de votre personne n'en
                sera que plus entier, votre résolution plus ferme. Et
                n'oubliez pas que dès à présent vous aurez auprès du
                Christ un protecteur et un ami sur lequel vous appuyer.
                Saint Benoît se souviendra toujours que vous vous êtes
                offert à Dieu en l'année de son anniversaire. Vous serez
                auprès de lui un privilégié. En 1980 nous fêtons aussi le 750° Anniversaire de la
                fondation de notre Abbaye. Vous avez ici une communauté
                de frères qui vous aime, qui vous estime, qui vous
                accueille. Ils vont vous donner, ils vous donnent déjà
                le meilleur d'eux-mêmes. Regardez-les ! Ils sont le
                fruit de 7 siècles et demi d'inébranlable fidélité. C'est aujourd'hui aussi le jour où nous célébrons la
                Pentecôte. Etes-vous prêt à vous laisser porter par la
                douce véhémence de l'Esprit, et aussi à vous laisser
                brûler par son feu ? Etes-vous disposé à vous oublier
                entièrement pour n'appartenir qu'au Christ, ici dans ce
                monastère construit en l'honneur de la Vierge Marie Mère
                de Dieu et votre Mère ? Mon ami, êtes-vous disposé à
                tout cela ?Oui, Père, avec la grâce de Dieu et le secours de vos
              prières. Ce que le Seigneur a commencé en vous, qu'Il le porte
              jusque son achèvement. Amen.
 Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 26.05.8012. La relation Abbé-Communauté.Mes frères,Le Père Abbé Général fait une nouvelle constatation
                réconfortante : Un autre domaine où apparaissent des
                signes positifs de progrès est celui de la relation
                entre l'Abbé et ses moines. Dans l'immédiat après
                Vatican II, il Y a eu quelques difficultés à trouver la
                manière correcte de permettre à la communauté et aux
                individus de prendre part à la marche de la maison tout
                en sauvegardant la valeur de l'obéissance. Par suite, en
                quelques endroits, l'Abbé a presque abdiqué son autorité
                ou bien la communauté a exigé la démocratie quasi
                complète ! Maintenant, dans la majorité des maisons, le problème
                n'existe plus car on a trouvé le moyen de donner plus de
                responsabilité et de maintenir cependant le concept
                Bénédictin du rôle de l'Abbé. Je ne dirais rien, ici, de
                la question des Abbés temporaires. Il est beaucoup trop
                tôt pour tirer des conclusions, bien qu'il faille
                admettre que quelques personnes de l'Ordre aient
                tendance à vouloir le faire. Mes frères, je vais en guise d'illustration de cette
                constatation heureuse du Père Abbé Général, vous
                rappeler en quelques mots ma position au sujet de la
                dialectique Abbé-Frères. Je vais dérouler sous vos
                regards quelques images qui vous permettront de pénétrer
                plus avant à l'intérieur de ma pensée. Vous avez un groupement de frères. Parmi eux, Dieu en
                choisit un pour le représenter. L'idéal, semble-t-il,
                serait que cet homme, l'Abbé, serait entièrement
                christifié. Je ne pense pas que ce serait la solution
                aux difficultés, car nous avons le précédent du Christ
                lui-même et nous savons que bon nombre de ses disciples
                ne l'ont pas suivi. A la fin de sa vie, il lui en
                restait une bonne centaine sur les milliers qui
                l'avaient suivi. Restons donc dans notre petit domaine de l'Abbé moyen
                et essayons un peu de voir ce qu'il représente pour les
                frères. Je vous fais part, ici, de mes vues et de mon
                expérience personnelle. L'Abbé est la conscience des frères. Je vais
                m'expliquer. Il vit à l'intérieur des frères, il les
                comprend, il les saisit par le dedans d'eux-mêmes. Et
                les frères, de leur côté, vivent mystiquement à
                l'intérieur de l'Abbé qui les porte comme dans un sein. Il s'en suit que l'Abbé, tellement uni aux frères, va
                devenir, sans même que les frères en ait une perception
                nette, leur conscience. Cela veut dire qu'il sera
                dévoilement des faiblesses des frères, de leurs défauts,
                de leurs lacunes, de leurs manques. Ils vont découvrir
                ce qu'ils sont. Mais en même temps il sera présence pour
                eux d'une espérance de ce qu'ils escomptent devenir. Il
                sera révélation de leurs aspirations les plus belles,
                les deux donc ! Entre l'Abbé et les frères, il n'y aura ni absorption,
                ni fusion, comme si l'Abbé anéantissait les frères ou
                comme si les frères dévoraient l'Abbé. Il y a plut6t
                création et épanouissement de liberté responsable. Entre
                l'Abbé et les frères règne sans cesse une tension
                salutaire qui est génératrice de paix, de confiance, de
                croissance, en un mot d'équilibre. Cela exige que de part et d'autre - mais je pense que
                ça se fait tout seul, car c'est ici le travail de
                l'Esprit à l'intérieur des hommes - de part et d'autre
                donc il y a renoncement à soi pour une découverte de son
                véritable soi. Et cela s'opère dans l'estime, dans le
                respect, en un mot dans l'Amour. Voilà à mon sens comment doit se vivre la dialectique,
                la tension, la relation AbbéFrères. Elle ne sera donc
                pas autoritarisme, ni démocratie. Autoritarisme engendre
                fatalement tyrannie de la part de l'Abbé, et chez les
                frères des maladresses et des blocages. Mais comment
                cela peut-il arriver ? Cela arrive si l'Abbé a une mauvaise représentation ou
                interprétation de son rôle, de sa mission de lieutenant
                du Christ. Et cette mauvaise interprétation trouvera sa
                source, à mon avis, dans la peur. Ce sera la peur de
                donner sa vie pour les autres, donc la peur de mourir. Et la démocratie maintenant, elle va engendrer
                fatalement l'anarchie, le désordre, la ruine. Et elle
                trouvera sa cause, sa source, dans un refus d'accepter
                l'Abbé comme le représentant du Christ. Et cela va aussi
                s'originer dans la peur. Ce sera ici la peur de perdre
                sa vie. Et je pense bien qu'en faisant surgir ces
                malformations de peur je ne me trompe pas. Car regardons les choses froidement : il faut du
                courage pour donner sa vie, et il en faut peut-être
                encore plus pour la perdre. Enfin, pour ne pas qu'il y
                ait des jaloux, mettons ça à égalité. De toute façon la
                vie s'en va ! Encore une petite opinion personnelle. Je pense que
                dans ce rapport, qui peut être conflictuel, entre l'Abbé
                et les frères, on retrouve la problématique Foi-Loi
                qui a tellement secoué l'Eglise dans ses premières
                années, problématique pour la solution de laquelle
                l'Apôtre Paul a tellement lutté. Toute la Règle de Saint Benoît repose sur un pivot, un
                pivot qui est un seul mot, un tout petit mot. C'est le
                mot creditur. Abbas agere vices Christi
                  creditur, 2, 2. Si on enlève ce creditur,
                c'est à dire ce il est cru, toute la règle de
                Saint Benoît éclate en mille morceaux, ce n'est plus
                rien du tout ! Ce n'est plus qu'un code, un code humain
                auquel on peut se soumettre pour atteindre une certaine
                perfection humaine. Mais elle est vidée de sa substance
                surnaturelle. C'est la foi en la personne du Christ se
                révélant dans celle de l'Abbé qui fait que la Règle de
                Saint Benoît devient source inépuisable de vie pour les
                moines. De même que la Loi devient source de vie lorsqu'elle
                est expression de la foi en Christ qui a bien dit :
                  Je ne viens pas, moi, abolir la loi, mais je viens la
                  porter à sa perfection. Pas un trait, pas une lettre
                  ne disparaîtra de la loi avant que tout ne soit
                  achevé. Mais sans la foi au Christ Fils de Dieu,
                la loi n'est plus rien que carnalitas, qu'une
                carnalité, que le service de la chair. Voilà mes frères ce que je voulais vous dire ce soir.
                Je pense que vous serez d'accord avec moi que c'est
                bien, comme le dit le Père Abbé Général, le concept
                Bénédictin de l'Abbé. Naturellement on peut encore le
                présenter autrement. J'ai usé aujourd'hui de cette façon
                de m'exprimer. Je l'ai fait autrement auparavant. Je le
                ferai encore autrement plus tard suivant les
                circonstances. Mais c'est toujours cela ! Il y a une  communia, une communion entre
                l'Abbé et les frères, une communion qui est toujours en
                recherche d'équilibre, qui est une tension - non pas une
                tension de conflit, agressive - une tension harmonieuse
                en recherche d'équilibre toujours meilleur.Et grâce à cela, chacun des frères y compris l'Abbé peut
              s'épanouir en Christ, ce qui est le terme de toute vie
              monastique. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 27.05.8013. Qu’est-ce qu’un véritable moine ?Mes frères,Nous voici arrivés au coeur de la lettre que le Père
                Abbé Général nous adresse. Je vous demande de bien faire
                attention :
 De tout ce que j'ai dit jusqu'ici, une chose se
                  dégage clairement : l'importance de la formation.
                  Maintes et maintes fois j'ai constaté que la solution
                  à la plupart des problèmes est la découverte du juste
                  équilibre entre deux contraires apparents. Par exemple
                  : parole et silence - solitude et relation fraternelle
                  - obéissance et responsabilité - travail et prière. Cet équilibre doit être obtenu, non pas en atténuant
                  les contrastes, mais plutôt en exploitant au maximum
                  les valeurs opposées tout en les maintenant en tension
                  constante. C'est seulement lorsque les différentes
                  valeurs monastiques ont été profondément assimilées
                  que nous pouvons espérer atteindre cet équilibre. Et c'est pourquoi je considère l'assimilation des
                  valeurs comme l'essence même de la formation. Mais ce
                  n'est pas facile à réaliser. Le Maître des novices
                  peut y contribuer beaucoup, mais le bon exemple de la
                  communauté est également nécessaire. Et naturellement,
                  le novice lui-même doit être capable de cette
                  assimilation. En fait, on pourrait dire que le critère
                  principal dans le discernement d'une vocation est
                  cette capacité à assimiler les valeurs. Je me demande si vous avez bien compris ? C'est très
                  dense ! C'est, c'est lourd à porter et c'est lourd à
                  entendre !Je pense que nous devons encore une fois remercier le
                  Père Abbé Général car il est lucide et il est
                  courageux. Il est allé, ici, au fond des problèmes. Il
                  n'est peut-être pas possible de descendre plus
                  profondément. Il tire une conclusion de tout ce qu'il
                  a dit, de tout ce qu'il a vu. C'est son expérience qui
                  parle.
 Qu'est-ce donc un véritable moine?C'est un homme, c'est un frère qui sait tenir un juste
                  équilibre entre des valeurs apparemment contraires ;
                  non pas en cherchant à atténuer les contrastes mais en
                  les maintenant en tension constante.
 Donc, nous sommes, dans notre vie, obligés d'assimiler
                  des valeurs qui sont opposées. Nous devons en même
                  temps être des solitaires et un moine, comme son nom
                  le dit, est un homme qui vit seul ; en soi cela exclu
                  les relations ! Mais nous sommes des cénobites et en
                  même temps nous devons entretenir des relations
                  fraternelles cordiales, comme il l'a dit plus haut.
 Il faut donc trouver un juste équilibre entre les
                  deux, sans rogner un peu des deux côtés, mais en
                  tenant les deux opposés en tension constante. Non pas
                  en lutte ? Ce n'est pas une tension agressive, une
                  tension qui essayerait de détruire un des deux pôles ?
                  Non, il faut les tenir pour ce qu'ils sont et les
                  vivre au maximum chacun en même temps.
 Je vais prendre un exemple. Voici donc un moine. Il
                  est seul. Sa vocation est de vivre seul avec Dieu. Il
                  voit Dieu, il voit le Christ, il l'écoute. Il lui
                  parle. Il est totalement heureux avec Dieu. Et ça,
                  c'est le moine dans sa définition.
 Mais il vit dans une communauté. Eh bien, le même
                  homme sera en même temps affable, serviable, souriant.
                  Il sera agréable de le rencontrer, de lui demander un
                  service. Il est toujours prêt à être vraiment en
                  communion sentie, aimante avec ses frères, à tous sans
                  exception. Il a donc des relations fraternelles
                  normales et en même temps il est solitaire. Et ce sera
                  possible parce que dans le visage de ses frères, il
                  découvre le visage du Christ. Vous savez, on dit parfois, un adage, je l'ai déjà
                  entendu mais c'est surtout dans le monde qu'on dira ça
                  : Il faut quitter Dieu pour Dieu ! On dit cela pour
                  justifier une activité, un activisme. Non, on ne
                  quitte jamais Dieu. Même lorsqu'on est avec le frère,
                  on est toujours avec Dieu. Donc, c'est déjà un certain
                  niveau dans une vie spirituelle ! Prenons le cas de l'opposition : silence-parole. Mais
                  cet homme qui vit avec Dieu, il n'a aucun besoin de
                  chercher une diversion, de commencer à circuler pour
                  avoir la chance de rencontrer un confrère pour tailler
                  avec lui une bavette et ainsi s'évader un petit peu de
                  sa solitude. Voilà : essayer d'évacuer une angoisse,
                  de chercher un peu de sécurité ou de passer le temps.
                  Voilà ! Donc il n'a pas besoin de tout ça. Le silence, c'est
                  l'atmosphère dans laquelle il vit : silence intérieur,
                  mais aussi silence extérieur, il n'a pas besoin de
                  parler à d'autres. Mais, mais si l'occasion est placée
                  devant lui par Dieu de parler, soit à un frère en
                  particulier, soit dans un groupe, si on lui demande
                  son avis, alors il parle sans aucun problème, il ne se
                  fait pas de scrupules se disant : oh mais je viole le
                  silence. Non, il parle aussi facilement qu'il se tait.
                  Il sait vivre les deux valeurs qui en soi sont
                  opposées. Il sait les vivre quasi naturaliter
                  dira Saint Benoît. La même chose pour l'obéissance et responsabilité
                  dont parle le Père Abbé Général. Voilà un homme qui ne
                  s'appartient plus. Il appartient au Christ. Il est
                  chez Dieu. Il est le serviteur, l'esclave de Dieu. Sa
                  nourriture, c'est de faire la volonté de Dieu. C'est
                  son seul souci. Alors, il se donne tout à fait à son
                  supérieur et aux frères. Il est un obéissant. Mais attention ! Ce n'est pas une obéissance
                  parapluie pour se dégager des responsabilités et les
                  laisser aux autres ! Non, ce n'est pas ça ! Si on lui
                  demande quelque chose, un service, ou bien si on lui
                  confie un emploie, alors il s'en acquitte comme si
                  c'était son affaire personnelle à lui. Mais c'est celle de Dieu - ne l'oublions pas -, ou
                  c'est celle de la communauté, ou c'est celle du
                  supérieur, mais ça devient la sienne. Il le fait donc
                  avec la conscience de la responsabilité qui l'engage.
                  Il sait prendre des initiatives. Il ne va pas chaque
                  fois demander au supérieur : qu'est-ce que je dois
                  faire maintenant, qu'est ce que je dois encore faire
                  maintenant ? Dites-le moi pour que je sois tranquille
                  et que je sois bien dans la volonté de Dieu ! Non! Il prend ce qu'il doit faire à bras le corps et
                  il s'y engage. S'il commet une erreur, eh bien, c'est
                  lui ! Il ne la rejette pas sur un autre, il ne la
                  rejette pas sur le supérieur. Non, c'est lui, il a
                  commis l'erreur. Il est responsable, il répond de sa
                  personne et en même temps il est parfaitement
                  obéissant. Voyez ! Vous avez là, toujours des choses qui
                  apparemment sont contraires qui dans le fond, disons
                  surnaturellement ne le sont pas, humainement elles le
                  sont ! Et le moine, c'est donc celui-la qui parvient à
                  maintenir ce juste équilibre sans chercher à atténuer
                  les contrastes, mais en les vivant comme ils sont, en
                  les maintenant en tension constante. Et ainsi, lui est
                  toujours éveillé. Voilà mes frères, je continuerai demain. Car je vous
                  assure qu'ici c'est une chose très importante, vous
                  vous en rendez bien compte vous-mêmes. Le Père Abbé
                  Général nous donne la définition de ce qu'est un
                  véritable moine. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 28.05.8014. La formation.Mes frères,Le Père Abbé Général nous conseille d'exploiter au maximum
              les valeurs
 antinomiques qui constituent l'ossature de notre vie
                monastique. Il cite à titre d'exemple : silence et
                parole - solitude et relations fraternelles cordiales -
                obéissance et sens des responsabilités - travail et
                prière. Mais pour maintenir un équilibre harmonieux
                entre ces valeurs apparemment contraires, nous devons
                les avoir assimilées profondément. Cela ne peut être que le résultat d'une discipline.
                ascétique dure, longue, constante : avoir mis de l'ordre
                dans ses pensées, dans ses appétits, dans ses désirs et
                dans ses passions. Et pour cela il est indispensable
                d'embrasser avec courage et générosité toutes les
                contraintes que supposent la pratique de l'art
                spirituel. Voyez la Règle de Saint Benoît dans tous ses détails !
                Elle n'a qu'un seul but : c'est de rétablir en nous un
                ordre perturbé, de façon à nous permettre de vivre sans
                difficultés  quasi naturaliter, dira Saint
                Benoît, comme si c'était une seconde nature - toutes les
                valeurs opposées que nous offre la vie concrète. Vivre avec Dieu, seul avec lui et en même temps vivre
                avec les frères. Parler à Dieu seul et aussi être d'un
                abord aisé pour les frères, entretenir avec eux une
                parole, un discours qui les réconforte et qui nous
                réconforte nous-mêmes. Tout cela, ce ne peut être acquis
                qu'au prix d'un grand effort. C'est un labor, un
                travail, mais c'est aussi une récompense. Le Père Abbé Général nous donne maintenant un avis qui
                est le sien. Il a mûri dans la réflexion après de
                nombreuses expériences personnelles, mais aussi des
                expériences qui ont conflué vers lui. N'oublions pas
                qu'il est l'Abbé Général ! Il dit : je considère. Donc,
                voilà, c'est son opinion à lui :Je considère l'assimilation des valeurs comme l'essence
              même de la formation. La formation monastique n'est donc pas l'acquisition
                d'une science théorique, l'accumulation de connaissances
                livresques. La formation monastique ne forme pas une
                sorte de dictionnaire ambulant des sciences
                spirituelles. Non, elle a une attitude existentielle.
                C'est vivre des valeurs apparemment apposées. Et il
                n'est pas nécessaire pour cela de savoir en parler.
                C'est une science qui est à la portée de tous dans un
                monastère. Et j'irais même jusqu'à dire qu'elle est plus à la
                portée de ceux qui ne réfléchissent pas trop, de ceux
                qui ne consultent pas trop les bouquins pour savoir
                comment il faut faire, mais qui ont le regard fixé sur
                l'un ou l'autre exemple d'équilibre, de réussite
                monastique et puis qui s'en inspire. Donc, ceux qui sont
                ouverts aux conseils et à la direction d'un Père
                Spirituel sérieux, un de ces seniors spirituales
                dont parle Saint Benoît. C'est ce que j'ai dit ouvertement à notre frère Jean le
                jour où je lui ai remis l'habit de l'Ordre. J'ai dit que
                je lui confiais une arme qui le rendrait invulnérable et
                invincible. C'était l'obéissance, jointe à une humble
                ouverture de coeur. C'est cela qui nous fait atteindre
                cette science spirituelle et qui nous fait entrer dans
                cet équilibre harmonieux entre des valeurs contraires. Cette formation, cette assimilation plutôt des valeurs
                qui est l'essence même de la formation, ce n'est pas
                facile à réaliser, dit le Père Abbé Général Et ça se
                comprend ! Et ça laisse supposer aussi que cette
                formation, elle n'est pas acquise à la sortie du
                noviciat. Elle est permanente, elle est continue, elle
                est un recyclage perpétuel. Pourquoi ? Mais parce que la perfection de cet équilibre, de cette
                harmonie, elle se situe à l'infini. Et vers cet infini
                nous tendons sans arrêt comme une parabole dont la
                limite est à l'infini. Elle tend vers l'infini, mais
                sans jamais l'atteindre. Elle s'en rapproche toujours,
                mais elle ne l'atteindra jamais. Notre perfection,qui se situe à l'infini, c'est le
                Christ Lui-même. Quand serons-nous parfaitement
                conformés au Christ ? Nous ne le serons même pas après
                notre mort. Dans la vie éternelle, il continuera à
                croître en nous. Ce sera ça notre bonheur, ce sera de
                déguster la personne du Christ et de la sentir sans
                cesse travailler en nous, nous rendre de plus en plus
                semblable à elle. Notre capacité, à ce moment là, sera
                quasiment dilatée, élargie à l'infini à la mesure du
                Christ. Donc, soyons heureux, mes frères, si au moment de notre
                mort, nous sommes des moines ayant possédés la maîtrise
                de ces valeurs. Mais acceptons aussi qu'il y ait encore
                chez nous des failles qui n'échapperont pas à notre
                conscience. C'est ce qui nous maintiendra dans cette
                vertu sublime qu'est l'humilité. Et pour terminer, le Père Abbé Général nous livre un
                critère de discernement des vocations. Et là, je dois
                dire que je suis d'accord avec lui à 100%. Il nous dit
                que le critère principal dans le discernement d'une
                vocation est la capacité à assimiler ces valeurs
                contraires. Il ne dit pas qu'un novice doit les avoir
                assimilées ! Je vous le dit : à la fin d'une longue vie
                monastique nous les aurons assimilées certainement, SI
                nous avons été fidèles, mais pas parfaitement! Mais ce qu'on demande au novice, c'est qu'il soit
                capable de les assimiler. Qu'il donne des preuves qu'il
                est en état de travailler à cette assimilation. Il n'y
                est pas rebelle ; il n'y a pas chez lui une sorte
                d'allergie à cette assimilation, un déséquilibre dans un
                sens ou dans un autre. Non, il est capable et il le
                prouve, de faire tout ce que la vie monastique demande
                de lui. Si ce n'est pas le cas, c'est très simple :
                c'est que Dieu ne l'appelle pas à cette vie-ci. Parce
                que si Dieu l'appelait, Dieu lui donnerait cette
                capacité. Et c'est le critère principal ! Il y en a
                d'autres aussi, naturellement, de critères. Mais c'est
                celui-là, dit-il le principal. Et pour cela, je suis
                tout à fait d'accord avec lui. Voilà terminée la partie qui regarde la vie intérieure
                des communautés. La suite de la lettre sera plus facile,
                plus rapide aussi car nous sommes déjà arrivés à la
                moitié. Mais ce sera pour la semaine prochaine. Il va
                nous parler des relations avec l'extérieur, de l'Ordre
                dans les cultures non occidentales et il fera le point
                du renouveau et des adaptations. Récollection du mois de juin. 31.05.80Mes frères,Le mois de mai a été dominé de très haut par la lettre
                que nous a adressée le Père Abbé Général. Avec lui nous
                nous sommes interrogés sur la qualité de notre vie
                monastique ? Avec lui, nous nous sommes posés quelques
                questions : Mettons-nous suffisamment l'accent sur
                l'aspect contemplatif de notre existence ? Ne
                portons-nous pas trop intérêt aux contingences
                matérielles que nous rencontrons chaque jour ?
                Vivons-nous avec une intensité maximale les valeurs
                contraires de notre vie ? Les avons-nous parfaitement
                intégrées ? Même si nous pouvons être sincèrement satisfait du
                point atteint dans notre évolution spirituelle
                personnelle et communautaire, nous n'avons pourtant pas
                le droit à nous laisser aller à un certain relâchement
                de notre vigilance. Nous sommes tenus à progresser
                encore et toujours dans un détachement plus radical à
                l'endroit de tout ce qui n'est pas Dieu et sa volonté
                nue. Il nous est demandé de croire en la présence et en
                l'action de Dieu qui crée le monde, qui nous crée
                nous-mêmes par la puissance de sa Parole, sa Parole qui
                est le Seigneur Jésus, notre Dieu ; Dieu qui sanctifie,
                qui divinise le monde en commençant par nous. Et il le
                divinise par la puissance de son Esprit qui devient
                l'âme de notre âme. Comme vient si bien de le dire Saint Augustin, nous
                sommes immergés dans le mystère, et bien souvent nous
                tâtonnons dans le noir. Nos yeux malades ne peuvent
                soutenir l'éclat trop vif, excessif de la lumière
                divine. Et pourtant nous sommes immergés dans cette
                lumière, dans ce feu qui est la Divinité. Cette divinité
                pénètre en nous par les pores de notre peau et nous ne
                le savons pas ! Il nous est demandé de croire. Il nous est demandé
                aussi de rester humblement à notre place et de nous
                laisser imbiber par Dieu. Et d'attendre ! Et aussi
                d'implorer ! D'implorer avec larmes notre guérison
                spirituelle. Ces larmes du cœur dont nous a parlé encore
                aujourd'hui Siméon le Nouveau Théologien. Ce pas quelque
                chose d'extraordinaire ! C'est l'attitude habituelle
                d'un moine qui regarde Dieu et qui sait qui il est et
                qui est Dieu ! Mes frères, attendons avec patience, avec confiance et
                le jour se lèvera, il n'est peutêtre pas loin ? Il est
                peut-être à la porte ? Il est peut-être déjà arrivé pour
                l'un ou l'autre d'entre nous où la merveille va se
                produire : les yeux de notre coeur purifié contempleront
                notre Roi dans sa beauté, sa beauté de ressuscité, sa
                beauté de transfiguré. Et sa beauté sera la nôtre car
                nous-mêmes, à ce moment là, serons devenus beaux. Nous sommes entrés déjà dans la fête de la Sainte
                Trinité. L'homme, le moine, le chrétien qui voit le
                Christ ressuscité, il sait consciemment qu'il participe
                à la Vie Trinitaire. Il se saisit lui-même comme
                engendré de Dieu et aspirant l'Esprit. Mes frères, c'est à ces sommets que nous sommes conviés
                en tant que moine, en tant que chrétien, en tant
                qu'homme. C'est là vers ces hauteurs que Dieu nous
                dirige, vers là uniquement. C'est le seul mobile de tout
                son agir. Hoc dignabitur demonstrare, dit Saint
                Benoît, 7,70, un jour Dieu le manifestera à la face du
                monde. Mes frères, je propose à votre charité que le mois de
                juin soit pour chacun d'entre nous le mois d'une foi
                vivante dans le contexte de l'année jubilaire de Saint
                Benoît, une foi vivante en notre destinée divine.
                  Maiora doctrinae virtutumque culmina, dit encore
                Saint Benoît, 73, 9, les sommets encore plus hauts de la
                doctrine et des vertus. Il n'est pas possible d'aller
                plus haut ! Voilà notre destinée d'enfant de Dieu !Et une foi vivante aussi en l'amour de Dieu qui nous a
                réunis, ici, pour une même espérance. Le dernier mot de
                la Règle sonne comme un coup de clairon : PERVENIES
                73, 9, TU Y PARVIENDRAS ! Et alors, de tout notre
                coeur, avec Saint Benoît répondant : AMEN, d'accord,
                j'en suis sûr !
 Chapitre du Père Abbé Général 02.06.8015 Nécessité de l’hospitalitéMes frères,Le Père Abbé Général, dans la première section de sa
              lettre, a analysé la vie intérieure des communautés. Il
              nous parle maintenant des relations avec l'extérieur. Il
              nous dit :
 Au Chapitre Général de 1977 il est apparu clairement
                qu'il n'y avait pas accord entre les Pères Abbés sur
                plusieurs points concernant l'hospitalité. Et quelque
                chose de semblable s'était produit au Chapitre des
                Abbesses en 1975, où l'on se trouvait d'accord sur les
                principes généraux concernant l'hospitalité, mais non
                pas sur les applications concrètes ! Les discussions récentes sur ce point au niveau des
                régions ont probablement résolu quelques unes de ces
                divergences. Mais il reste encore de la place pour des
                solutions diverses selon la diversité des régions et des
                cultures. Quelques maisons ont tendance à être trop
                strictes et d'autres trop ouvertes. Il semble que nos
                monastères aient une réelle obligation de permettre aux
                personnes du dehors de partager dans une certaine mesure
                leur prière, leur silence et leur solitude. Mais ceci
                doit se faire d'une manière qui ne compromette pas la
                nature contemplative de notre vie. Une fois de plus nous
                avons l'exemple de deux valeurs à maintenir en tension
                constante : hospitalité et solitude. Mes frères, l'hospitalité est une question brûlante.
                Comme le Père Abbé Général le constate, il n'y a pas
                accord entre les Abbés, c'est à dire entre les
                communautés. Cela vaut pour les moniales aussi bien que
                pour les moines. La question de l'hospitalité est au programme du
                prochain Chapitre Général Chaque Abbaye a du remettre un
                rapport sur sa façon d'organiser l'accueil. Notre
                délégué à la Conférence Régionale vous a donné lecture
                avant de se rendre à Orval du rapport qui a été établi
                ici. Le Président de la Région a établi pour lui un
                rapport global de tout ce qu'il a reçu il doit présenter
                l'hospitalité au niveau régional - et les différents
                rapports des régions sont arrivés. J'en ai pris
                connaissance et je vous en parlerai lorsque je vous
                présenterai le Chapitre Général qui se prépare. Mais pour l'instant je pense pouvoir dire - je ne
                dirais pas ça au Chapitre Général, c'est entre-nous ici
                - qu'un consensus unanime peut certainement s'établir
                sur la base de la Règle de Saint Benoît. Comment Saint
                Benoît voit-il l'hospitalité ? Et Saint Benoît a un principe qu'il répète trois fois
                dans le cours du même chapitre, le 53°. Il dit :
                  tamquam Christus, tous les hôtes,
                  supervenientes, qui surviennent, il faut les
                recevoir comme le Christ. Et alors de suite
                l'application concrète : il faut leur accorder le congruus
                  honor, l'honneur qui leur revient, qu'ils soient
                pauvres ou qu'ils soient riches, davantage pour les
                pauvres. Il faut aussi leur montrer tout l'officium
                  caritatis, l'empressement, les devoirs d'une
                charité sincère. Ce ne sont pas des importuns, c'est le
                Christ qu'on reçoit. Regardez comme on reçoit le Pape à Paris ! Les ouvriers
                de la Brasserie n'en finissent pas d'en parler. Une fois
                qu'on les rencontre, ils commencent à parler du Pape ;
                ça a été quelque chose d'inimaginable pour nous. Il a
                été reçu tamquam Christus, comme le Christ, pour
                tout le monde. Et c'est ainsi qu'il faut recevoir les
                hôtes dans les monastères. Et enfin il faut  exhibeatur omnis humanitas,
                il faut aussi leur montrer toute l'humanité possible.
                  Humanitas, c'est difficile à traduire en Français
                ! Humanité, ça va bien, oui, enfin ça veut dire qu'il
                faut les recevoir aussi à table. Il faut leur donner à
                manger, il faut leur donner à boire, de quoi se
                chauffer, se loger. Voilà, il faut leur montrer qu'on
                les reçoit en homme, ce sont des hommes. Saint Benoît a ce petit détail, mais enfin aujourd'hui
                ? Disons qu'on peut le laisser de côté, un peu, un tout
                petit peu : Il faut d'abord prier parce que ça peut être
                le diable. Il faut d'abord s'assurer que c'est bien le
                Christ. Ce serait peut-être difficile maintenant ? Mais
                je ne sais pas parce que dernièrement..... Voilà, je vais encore raconter cette petite histoire :
                une petite fille mais déjà grande, 10, 11 ans. Elle est
                la première de sa classe tout partout. Et en religion
                elle a 0. Et on lui demande : mais enfin pourquoi ? Mais
                c'est parce que je ne sais pas mon Notre Père. Vous
                voyez, quand elle aura 20 ans elle ne connaîtra pas
                encore son Notre Père. Et voilà, comment voulez-vous
                prier avec elle ? Ce n’est pas si simple et c'est
                peut-être plus fréquent qu'on ne croit. Les gens ont
                oublié leurs prières. Voilà je pense le principe qui est le principe vrai,
                surnaturel, celui de Saint Benoît, le creditur
                toujours de Saint Benoît, et aussi comment faisaient les
                premiers cisterciens, les fondateurs de Cîteaux. Voilà
                des hommes qui se sont réfugiés dans une forêt, dans un
                endroit hostile, sauvage et d'autant plus propice à
                leurs projets qu'ils étaient inaccessibles aux hommes.
                Là ils sont tranquilles loin du monde ! MAIS ? Mais ils parlent tout de même qu'ils reçoivent
                des hôtes. Ils écartent les importuns, les gêneurs,
                c'est à dire le Duc de Bourgogne et sa cour, et les
                princes qui viennent là pour passer leur temps ; ce ne
                sont pas des hôtes, ça ! Ils reprennent exactement les
                mêmes termes que Saint Benoît : omnes supervenientes
                  hospites, exactement les mêmes mots ! Et ça veut
                dire qu'ils se réfèrent à la Règle de Saint Benoît. Eux
                aussi ont construit leur accueil sur le principe de la
                réception du Seigneur Christ. Mais il y a aussi chez eux autre chose. Il y a là comme
                une contradiction. Ils se sont réfugiés dans un endroit
                inaccessible, et pourtant ils reçoivent des gens ? J'en
                ai parlé lorsque j'ai présenté le texte du Petit Exorde.
                Mais je vais le rappeler maintenant peut-être en
                d'autres termes. Il y a un danger dans une vie monastique. Voyons
                d'abord au niveau de la personne. Il s’agit d'établir
                une relation duel avec Dieu. Donc il y a moi, et il y a
                Dieu que je contemple, que j'admire, que je prie ;
                enfin, vous voyez toutes les relations contemplatives
                avec Dieu. Mais c'est Dieu et moi, et personne ne doit y
                venir! Quel contrô1e aurais-je ? Il faut donc, pour que
                la vie contemplative soit vrai, une relation
                triangulaire. Il en faut un troisième. Et ce troisième
                va me garantir de l'illusion, d'une sorte d'isolement
                qui sera, qui risque de devenir une forme de narcissisme
                dans le sens étymologique du mot. Quelque chose qui va
                me bloquer, quelque chose qui va me figer, quelque chose
                qui va me plonger dans une torpeur mortelle. Pourquoi ?
                Parce que il y a toujours le danger que je ne regarde
                pas Dieu, mais une certaine image, une projection
                imaginaire de la divinité. Donc, finalement une idole !
                Et ce n'est que moi ! Il faut donc que l'intrusion d'un tiers, d'un
                troisième, vienne me rappeler au réel. Et ce troisième,
                c'est le frères dans la communauté, et encore une fois
                c'est le Christ car le frère est le visage du Christ qui
                vient à moi. Et là, il n'y a pas d'erreur possible.
                Lorsqu'il me semble contempler Dieu, c'est peut-être
                encore une fois une projection imaginaire. Mais lorsque
                j'ai le frère devant moi, ça, c'est le Christ en
                personne. Il n'y a pas d'illusions possibles, c'est le
                Christ dissimulé dans ce frère. Donc, c'est lui qui va
                me rappeler au réel. Et la valeur de ma contemplation
                sera mesurée exactement au thermomètre de ma ferveur, de
                ma relation avec le frère ou les frères si on est à
                plusieurs. Eh bien vous avez exactement le même phénomène au
                niveau de la communauté. Une communauté, elle est là
                isolée dans sa forêt, toute seule, écartant tout le
                monde. Elle peut très bien s'évaporer ainsi dans un rêve
                et partir dans l'illusion, un cathrisme spirituel, une
                hérésie ! Les purs, les seuls, les vrais, les parfaits !
                Et avec Dieu seul ! Le monde ? Au loin ! L'empire de
                satan ? Dehors ! C'est ça ! Mais alors, qui va les maintenir dans la vérité de leur
                recherche et de leur prière ? C'est celui qui viendra
                frapper à la porte, c'est l'hôte, c'est le Christ qui va
                poser un regard, un regard venant de l'extérieur, sur la
                vie de cette communauté. Et la valeur ici de la vie
                contemplative d'une communauté, à mon sens, elle est
                mesurée elle aussi par la façon dont on accueille les
                étrangers.Là, il n'y a pas d'erreur possible. Pourquoi ? Mais parce
              que encore une fois c'est le tamquam Christus,
              c'est le Christ qui est là ! Maintenant disons : cela est le principe, c'est très
                beau ! Je pense que là on pourrait trouver un consensus
                général. Maintenant vient l'application du principe,
                l'adaptation de ce principe aux circonstances locales,
                la région, la culture, le milieu, les personnes, les
                bâtiments. Chaque communauté a sa personnalité, elle est
                unique. La communauté forme un corps, dit Saint Benoît, un
                corps qui vit,  corpus monasterii. Mais ce corps
                du monastère, il a son caractère, il a son tempérament,
                il a sa spontanéité, ou bien il a sa réserve. Enfin, il
                est original, il est unique. C'est donc ce corps bien concret qui reçoit le Christ
                dans la personne de l'hôte. Alors ici viendra aussi se
                manifester la responsabilité et la maturité de la
                communauté. On peut aussi mesurer la maturité d'une
                communauté à la façon dont elle organise son
                hospitalité. Mais on va en rester là pour aujourd'hui, parce que
                vous vous en doutez bien, c'est en beaucoup d'endroits
                la source de difficultés. Je m'étendrai la dessus un peu
                plus long lorsque je vous parlerais de la préparation au
                Chapitre Général. J'en dirai un petit mot la prochaine
                fois. Mais voyez, la vie monastique est exigeante, elle
                est exigeante partout. Elle forme un tout. Et on sera
                dans l'accueil des hôtes comme on est dans sa vie
                communautaire. Telle sera la communauté, telle sera
                l'hôtellerie. Voilà, aujourd'hui nous irons à l'église et nous
                prierons un peu pour ces problèmes que devront affronter
                les capitulants, et ceux que doivent affronter toutes
                les communautés à propos de l'accueil. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 03.06.8016. L’accueil des retraitants.Mes frères,Nous avons vu que l'hospitalité était une nécessité
                dans un monastère contemplatif, car elle maintient la
                communauté à l'abri de l'illusion. L'étranger qui vient,
                rappelle au moine qu'il doit chercher Dieu dans le réel
                et non pas dans le rêve. Le Père Abbé Général envisage l'hospitalité maintenant
                sous un angle un peu plus étroit. Il parle de ce type
                d'hôte qu'on appelle les retraitants. Ce qu'il dit, il
                le dit en termes très mesurés, très prudents, Il pèse
                tous ses mots comme vous allez l'entendre : Il semble que nos monastères aient une réelle
                obligation de permettre aux personnes du dehors de
                partager dans une certaine mesure leur prière, leur
                silence et leur solitude. Il s’agit de permettre aux personnes du dehors. Il ne
                faut donc pas battre le rappel et dire : venez, venez
                partager notre solitude et notre silence ! Non, c'est
                une faveur qu'on leur accorde, à ceux qui le désirent,
                qui en expriment, qui sentent le besoin de se baigner
                dans une atmosphère autre, neuve, qui est celle d'un
                monastère contemplatif. C'est donc une permission qu'on
                leur accorde, ce n'est pas une grâce que eux nous font ! Il faut leur permettre de partager dans une certaine
                mesure. Ce n'est donc pas participer à part entière.
                Non, partager leur prière, leur silence et leur
                solitude. Et la mesure est déterminée par le Père Abbé
                Général qui dit :Cela doit se faire d'une manière qui ne compromette pas la
              nature contemplative de notre vie. Oui, ça se comprend. S'il y a un afflux d'étrangers qui
                par leur nombre ou par leur indiscrétion viennent
                troubler la communauté, mais alors ils détruisent ce
                qu'ils viennent chercher. Il n'y a plus de solitude !
                  Il n'y a plus de silence ! La prière dégénère !
                Ils n'ont donc plus aucune raison de venir au monastère
                puisque ce qu'ils viennent y chercher n'existe plus, par
                leur propre faute. Il faut donc se prémunir contre ce péril. Tout d'abord
                c'est notre vie. Mais aussi pour eux ! Dans leur intérêt
                à eux, nous devons préserver ici le trésor auquel eux
                vont venir puiser. Et alors le Père Abbé Général dit :Il semble que nos monastères aient une réelle obligation
              de permettre à ces personnes du dehors de faire cette
              expérience. Il semble , dit-il. C'est une conclusion qu'il tire. Et
                c'est semble-t-il une réelle obligation. Donc une
                obligation fondée dans la nature des choses. Réelle,
                c'est ça que ça veut dire. Ce n'est pas une obligation
                qu'on s'impose à soi. Non, c'est une obligation qui fait
                partie de la nature de notre vie. Je disais que c'était une nécessité qu'il y ait des
                hôtes dans un monastère, mais pas nécessairement qui
                partageraient notre silence, notre solitude. Et qu'ils
                entrent un peu plus dans notre intimité, c'est une
                obligation. Pourquoi ? Parce que nous sommes, disons,
                tributaires de notre condition. Si le monastère est une
                cellule du Royaume de Dieu, même s'il est caché dans une
                vallée loin des hommes, il est une lampe placée au
                dessus d'un lampadaire, il est une citadelle au sommet
                d'une montagne. Il ne sait pas échapper aux regards de ceux qui sentent
                en eux le besoin de chercher et de rencontrer Dieu à
                leur manière d'homme du monde. Ils vont donc être
                attirés. Et le monastère, s'il est vraiment une cellule
                du Royaume de Dieu, doit leur ouvrir ses portes. Mais attention,
                toujours, comme le dit le Père Abbé Général, dans une
                certaine mesure. Et cette obligation, maintenant,
                elle vient encore de l'extérieur. Car la Directive 25 de
                la Sacré Congrégation pour les Religieux et pour les
                Evêques, je vous l'ai déjà lue, mais enfin je la relis
                maintenant, elle dit ceci : +++ Les communautés religieuses et surtout les
                  contemplatives, tout en conservant évidemment' la
                  fidélité à leur esprit propre, offriront aux hommes de
                  notre temps une aide opportune pour la prière et pour
                  la vie spirituelle, afin que celle-ci puisse répondre
                  aux nécessités de méditation et d'approfondissement de
                  la foi plus ressenties de nos jours+++ Donc c'est ici une obligation qui nous vient aussi du
                sommet. C'est l'Eglise qui nous impose de recevoir des
                retraitants. Et c'est une raison pour laquelle, vous
                savez, nous allons essayer d'un peu arranger notre
                église. Pour illustrer cette mesure à laquelle fait allusion le
                Père Abbé Général je vais vous lire une réponse donnée
                par le Chapitre Général dernier, en 1977, à une question
                qui avait été posée à propos de l'afflux d'étrangers à
                la messe conventuelle le dimanche. Imaginez une communauté comme la nôtre, environ 30 à 40
                hommes. Ils ne sont pas tous à l'Eucharistie, parce
                qu'il y a des malades, parce qu'il y a des absents.
                Enfin, une bonne trentaine sont là à l'Eucharistie. Et
                imaginez à côté, des centaines et des centaines
                d'étrangers, hommes et femmes, qui sont là dans
                l'église. Que faire alors dans une situation pareille ?
                Mais cet afflux, ne le voyons pas comme la demi douzaine
                de Rochefortois et de voisins qui viennent ici le
                dimanche. Voilà, la question a été posée au Chapitre Général. Le
                Chapitre Général a donné quelques réponses, qui sont un
                commentaire d'un document sur l'hospitalité et la
                solitude. Je ne lis pas tout, mais quelques extraits,
                ceux qui vont au coeur de la question. 1 - Les personnes qui viennent à l'Eucharistie le
                dimanche, ces personnes viennent pour une liturgie
                monastique. Mais si elles sont de loin plus nombreuses
                que les moines et si elles participent activement à la
                liturgie, peuton encore appeler cette liturgie :
                monastique ? Ne serait-on pas en quelque sorte obligé d'adapter la
                liturgie aux besoins des hôtes qui, dans cette
                hypothèse, forment la plus grande partie de l'assemblée
                ? 2 - La séparation du monde est un élément essentiel de
                notre vie. Et il un point où le nombre et la proximité
                des hôtes la troublent. De plus difficile d'avoir un bon
                partage pendant la liturgie et de ne pas poursuivre les
                partages après la liturgie. (Voyez déjà ici pour les quelques malheureux qui
                viennent ici à la messe, parfois ils vous attendent à la
                sortie pour dire un mot. Ils ont besoin d'un petit
                conseil. Voilà ! Mais si vous en avez des centaines ? ça
                devrait s'organiser, alors, ce partage après la
                liturgie) 3 - Un mouvement se dessine des structures paroissiales
                actuelles vers des formes de communauté chrétienne plus
                significative. Nous avons déjà cela dans notre
                communauté monastique, et nous ne devons pas le dissiper
                en laissant submerger cette communauté par les gens du
                dehors.Donc la communauté monastique qui est significative,
              surtout pour notre temps. Mais si elle est submergée par
              les gens du dehors, elle est dissoute, elle n'est plus
              rien du tout. 4- Il s’agit d'éviter les extrêmes, et chaque situation
              locale appellera une pratique différente.
 Maintenant ce cinquième qui est un coup de gong !
 5 - Notre premier devoir envers le peuple de Dieu, c'est
              d'être ce que nous sommes, des moines...
 Voilà, mes frères, l'opinion du Chapitre Général au
                sujet de cette question : l'assistance des hôtes à
                l'Eucharistie. Mais à partir de là, je pense qu'on peut
                remonter et voir comment nous comporter à l'égard de
                ceux qui viennent ici chercher un peu de notre silence
                et de notre solitude.Mais je vois qu'il est temps d'aller à l'église.
              J'achèverai demain. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 04.06.8017. Les mass medias.Mes frères,Le Père Abbé Général termine son paragraphe sur
              l'hospitalité par cette remarque :
 Une fois de plus nous avons l'exemple de deux valeurs à
              maintenir en tension constante : hospitalité et solitude.
 La solitude est un élément essentiel à toute vie
                monastique contemplative. L'hospitalité est une
                nécessité pour une vie monastique à l'abri de
                l'illusion. Voilà deux pôles apparemment opposés :
                solitude et accueil ! Il ne faut pas privilégier un par
                rapport à l'autre. Il faut les maintenir en tension
                constante, essayer de pratiquer l'hospitalité à
                l'intérieur d'une solitude. Il faut surtout éviter
                l'intrusion d'étrangers à l'intérieure de la vie
                contemplative comme telle. Ces étrangers risquent alors de détruire l'idéal
                monastique, de détruire la vie monastique dans ce
                qu'elle a de primitif, de primordial, de premier. Le
                mouvement spontané du moine, c'est le retrait du monde.
                Si le monde vient envahir le monastère, ce n'est plus
                rien, c'est une foire, ce n'est plus un monastère. Il se
                produit aussi une profanation. Le monastère est un endroit sacré. Nous verrons ça un
                de ces jours, le Père Abbé Général en parle aussi. C'est
                un endroit où Dieu habite. Si le monde vient s'y
                promener, alors il se produit une désacralisation, une
                profanation, et Dieu prend la fuite. Il n'a plus, il n'a
                rien à faire là, ce n'est plus sa maison. Mais il faut à l'intérieur de cette solitude, malgré
                tout, faire goûter aux hommes qui s'approchent du
                monastère, qui y entrent d'ailleurs, leur faire goûter
                la présence et la beauté du Royaume de Dieu. Ce n'est
                pas facile ! Il faut pour cela une communauté adulte,
                une communauté équilibrée, une communauté heureuse. Maintenant le Père Abbé Général continue. Il va
                examiner un nouveau type d'invasion d'une communauté par
                le monde. Et aussi le mouvement inverse : un moyen pour
                le moine de rentrer dans le monde tout en restant dans
                le monastère. Il dit : Il n'y a pas de doute que les mass médias et les moyens
                modernes de communication posent problème à notre
                séparation du monde. La TV, Dieu merci, ne semble plus
                être un sujet brûlant puisque la plupart de nos maisons
                ne possèdent pas de poste, ou si elles en ont un en
                usent rarement. Dans les quelques maisons où l'usage en
                est fréquent, il me semble, il ne semble certainement
                pas que l'effet en soit bienfaisant sur l'atmosphère
                général de la communauté. D'un autre côté, l'expérience m'a montré que le
                téléphone est en train de devenir rapidement un réel
                problème à l'égard non seulement de la solitude, mais
                aussi de la pauvreté. En l'une ou l'autre maison, la
                note annuelle du téléphone est astronomique ! Et on en
                arrive parfois à se demander : quelle idée au monde
                certains moines peuvent bien se faire de la solitude et
                de la pauvreté ? Une nouvelle lamentation un peu ! Un nouveau soupir !
                Un nouveau gémissement du Père Abbé Général !Je ne saurais pas tout voir aujourd'hui car il est déjà
                8h10 presque. Mais enfin une petite histoire, une petite
                histoire bien vrai à propos de la TV. Si jamais je dois
                me rendre au Chapitre Général, je ne veux pas avoir
                l'air trop bête en arrivant là-bas. Alors je me suis mis
                à lire les rapports des maisons présentés au Chapitre
                Général de 1977, pour savoir un peu ce qui se passe, à
                qui on a à faire en arrivant là-bas. C'est très
                intéressant !
 Et en outre j'ai découvert ceci : une communauté qui est
                importante, pas nécessairement par son nombre, mais par
                sa qualité dans l'ordre. Qu'est-ce qu'il peut y avoir là
                ? 45, 50 personnes peut-être, je ne sais pas exactement.
                Et bien dans cette Abbaye la TV a fait problème et
                suscité d'énormes remous. En effet, qu'est-il arrivé ?
                Pour pouvoir admirer le spectacle TV du soir, on a
                supprimé l'Office de Complies. Il est donc remplacé par
                une séance de TV. C'est ainsi qu'on termine la journée !
 Lorsque le Visiteur est arrivé là-bas, ça lui a fait
                problème ! Enfin il est intervenu et, à la suite de
                beaucoup de palabres, de discussions, de rencontres, de
                questionnaires, l'Abbé a finalement avec l'aide du
                Visiteur pris une décision courageuse : il a rétabli
                l'Office de Complies à 8h30 du soir. Et il a été décidé
                qu'à 8h30 on coupe la TV. Tout le monde va à Complies et
                puis c'est le grand silence.
 A la suite d'une enquête-qestionnaire dans la
                communauté, 20 demandaient l'usage tout à fait libre de
                la TV ; 15 demandaient au moins le journal TV du soir ;
                8 demandaient un usage modéré, modeste de la TV. Alors,
                après cette décision, voyez un peu le mécontentement
                chez certains, les troubles, car tout cela était
                puissamment et spirituellement motivé. Mais des
                motivations spirituelles très spécieuses naturellement
                apportées pour les besoins de la cause. Il y avait au
                moins 4 points. Voilà, pour telles raisons, pour notre
                progrès spirituel, etc, etc, etc, nous avons besoin de
                la TV pour c1ôturer notre journée convenablement. Oui ! Maintenant, ce qui est intéressant de savoir, c'est
                comment ça s’est introduit ? Et c'est ça pour nous qui
                est intéressant. Donc, dans cette Abbaye il y a comme
                partout une hôtellerie. Et comme c' est une grosse
                Abbaye, ce doit être une forte hôtellerie. Et voilà
                qu'on installe la TV à l'hôtellerie pour les hôtes. Mais
                petit à petit, un, deux, trois ... ça s'est introduit
                que les frères allaient voir la TV à l'hôtellerie. Et
                finalement, quasiment toute la communauté se rendait à
                l'hôtellerie au soir pour regarder la TV. Alors, pour éviter cet abus qu'on doive se rendre à
                l'hôtellerie pour regarder la TV, on en a acheté une et
                on l'a installée en communauté. Voilà ! Donc voyez un
                peu comme il faut être prudent, une toute petite chose !
                On a certainement voulu bien faire pour les hôtes. On
                s'est dit : mais voilà, ils l'ont peut-être demandé ? Je
                n'en sais rien ? Mais pour eux on l'installe à leur
                usage là-bas. Et puis petit à petit voilà où on en
                arrive finalement à la suite d'une évolution ou d'un
                glissement imperceptible, on en arrive à supprimer
                l’Office de Complies. Et puis alors, c'est une intoxication d'images. Ces
                hommes, maintenant, ont besoin de leur TV, comme
                d'autres ont besoin d'alcool. Voyez quelle catastrophe !
                Il a fallu un courage terrible au Père Abbé pour prendre
                cette décision, et il a fallu que le Visiteur soit
                derrière. Vous voyez un peu où on va !Donc mes frères, soyons très, très, très prudents
              concernant ces choses là. Le problème ne se pose pas ici,
              heureusement. Nous sommes des gens sensés, mais essayons
              de le rester ! Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 07.06.8018. Le téléphone.Mes frères,Maintenant, le Père Abbé Général - vous l'avez entendu - à
              la fin du paragraphe consacré au téléphone, il laisse
              échapper un cri d'indignation :
 On en arrive parfois à se demander quelle idée au monde
              certains moines peuvent bien se faire de la solitude et de
              la pauvreté ?
 Cela à propos du téléphone, car la note dans l'une ou
                l'autre maison, elle devient astronomique, dit-il. Oui,
                lorsqu'il s’agissait de la TV, nous pouvions regarder
                les choses de très loin. Mais le téléphone nous touche
                d'un peu plus près, et il est difficile de porter un
                jugement car les choses sont tellement relatives. La Belgique est un des pays du monde où le réseau
                téléphonique est le plus dense. On pousse même à
                l'installation du téléphone, dans un but non pas
                mercantile mais philanthropique et social. Les personnes
                âgées de plus de 70 ans qui sont seules bénéficient d'un
                tarif spécial pour le raccordement, pour l'abonnement,
                pour les communications. Elles ont droit par exemple à
                dix communications gratuites par mois. Pourquoi fait-on cela? Mais c'est parce que ces
                personnes seules doivent se sentir reliées à l'extérieur
                par un instrument qui est le téléphone. Il peut leur
                arriver un accident ? Elle doivent pouvoir appeler le
                médecin, n'importe qui. Elles ne sont plus isolées. Il existe aussi un service Télé-accueil ou Télé-service
                dont les personnes en détresse pour toutes sortent de
                motifs peuvent former ce numéro. Elles rencontrent une
                personne qui leur parle, qui les écoute, qui leur donne
                des conseils, qui les dirige dans une direction au une
                autre. Elles ont, je dirais, quelqu'un à qui
                s'accrocher. C'est tellement important de ne pas être
                seul dans la vie et de rencontrer une voix qui se veut
                attentive et amicale. Or une abbaye, nous le savons, elle est un peu un
                relais de Télé-accueil ou de Téléservice. Combien de
                personnes ne téléphonent pas ici à l'un ou l'autre pour
                recevoir un conseil ? C'est pour vous dire
                qu'aujourd'hui le téléphone prend dans notre vie une
                place de plus en plus large, qui est liée au contexte
                social, culturel qui est le nôtre, et nous n'avons pas
                le droit d'y tourner le dos et de le nier. Si une
                personne nous téléphone, ami, parent, ou même étranger,
                pour recevoir un mot de réconfort, nous sommes tenus de
                le lui donner, éventuellement de le lui rendre. Mais il y a aussi la contrepartie ! C'est qu'en
                Belgique le téléphone coûte cher ! C'est un tout petit
                pays ; alors que voulez-vous, pour organiser les choses
                ? C'est à la mesure de la superficie. J'ai lu l'année
                dernière une étude comparative entre le coup du
                téléphone en Belgique et aux Etats-Unis. Si j'avais su
                que le Père Abbé Général allait traiter de ces choses
                là, j'aurais soigneusement mis de c6té cette étude. Mais je me souviens très bien qu'aux Etats-Unis, où
                déjà la vie est moitié moins chère qu'ici, là-bas on
                téléphone de la côte Ouest à la côte Est, donc de New
                York à San Francisco, moins cher que d'ici à Namur !
                Mais çà, c'est à la taille des Etats-Unis. Voyez comme
                les choses sont relatives lorsqu'il faut parler de
                dépenses. Il y aura abus dans un monastère, lorsque un frère a
                besoin du téléphone. Il n'est plus à son aise dans le
                monastère. Il a besoin de regarder au delà du mur, de
                chercher des contacts dehors. Il ne sait pas sortir, il
                ne peut pas sortir. Pour ça il ne le voudrait jamais.
                Mais alors, il le fait grâce au téléphone. Il est pendu
                au téléphone. Voici alors les abus qui s'introduisent.
                Là est le danger. Et c'est sans doute à cela que fait appel ici le Père
                Abbé Général lorsqu'il dit : quelle idée peut-on avoir
                de la solitude, puis corrélativement, quelle idée alors
                de la pauvreté ? Car alors les notes s'accumulent, que
                ce soit aux Etats-Unis ou ici finalement ça se chiffre. Maintenant si le Père Abbé Général venait à Rochefort ?
                Lorsqu'il est passé je ne sais plus en quelle année, il
                n'a pas consulté les livres de compte. Donc lorsqu'il
                parle d'astronomie, ce n'est pas à propos de Rochefort.
                Mais nous pouvons tout de même nous poser la question :
                ICI ? Enfin, voilà à peu près quelques chiffres : on peut
                dire que la moyenne par homme et par mois est d'environ
                500 Frs. Mais tout compris, la location des appareils -
                il y en a 9 -, les taxes, tout. Maintenant il y a la
                dedans la brasserie fabrication et vente. La brasserie
                et aussi les annexes de la brasserie : les ateliers, y
                compris l'électricité. Il y a l'économat, il y a
                l'infirmerie, il y a tout le ménage. Il y a aussi des
                étrangers qui téléphonent à partir d'ici. Il y a la
                Documentation Cistercienne, il y a le Cercle Culturel ;
                ce n'est pas fréquent, mais enfin ça arrive tout de
                même. Mais enfin, tous ces étrangers à la communauté
                remboursent tout de même leurs frais...c'est remboursé
                tout ça... Il y a encore le fait de la vie privée, le Télé-secours
                ! Toutes sortes de choses, la famille, les amis, toutes
                sortes de situations qui se présentent. Or, comme il y a
                parmi nous assez bien de ressortissants Néerlandais, les
                notes à destination de l'étranger sont assez élevées.
                Hors taxe, la communication avec la Hollande coûte 13,50
                Frs la minute, ajoutez à cela 16% de TVA. Vous voyez !
                Tout ça fait qu'on arrive à 500 frs. Mais maintenant, je n'ai pas encore d'échelle de
                comparaison. Il faudrait un peu voir comment ça se passe
                dans les ménages. Or, j'en connais tout de même un. Et
                j'ai eu l'occasion une fois d'avoir en main la note de
                frais d'un ménage ou l'autre. Et je me suis aperçu à ma
                grande surprise que nous étions, mais presque des
                avares, ou certainement des économes. Pourquoi ? Parce
                que la note de frais pour un ménage de deux personnes
                s'élevait à une affaire de 2000 Frs par personne ! Vous
                voyez ! Toutes taxes comprises. Or ici nous sommes à 500
                Frs un dans l'autre. Donc, je pense que jusqu'à présent nous n'exagérons
                pas. Mais faisons tout de même attention, soyons
                prudents et ne prenons pas prétexte pour dire : Oh mais
                ça va bien, maintenant je vais téléphoner un peu plus
                souvent ! Chapitre : Lettre du Père Abbé général. 09.06.8019. La clôture.Mes frères,Le Père Abbé Général poursuit en ces termes :
 Il ne semble pas nécessaire de dire quelque chose ici
                de la clôture des moniales, puisque c'est une question
                en pleine évolution. Cependant il est peutêtre bon de
                faire remarquer qu'une forme ou l'autre de clôture est
                nécessaire aussi bien pour les moines que pour les
                moniales, car notre nature humaine exige des expressions
                matérielles comme supports des valeurs intérieures. C'est une illusion d'imaginer qu'une valeur puisse si
                bien être assimilée ou intériorisée qu'elle n'ait plus
                besoin d'aucune expression ou sauvegarde matérielle. Et
                il est également fallacieux de prétendre que des adultes
                doivent être traités comme tels avec une complète
                confiance Bien sûr, ils le doivent ! Mais s'ils sont
                vraiment adultes, ils doivent aussi comprendre que la
                forme de vie librement choisie par eux, comporte une
                solitude matérielle. Comme vous le voyez, le Père Abbé Général voit dans la
                clôture l'application d'un principe de base d'une vie
                monastique et chrétienne authentique. Et ce principe est
                le suivant : la vie divine, la vie surnaturelle, la vie
                spirituelle, elle arrive à nous toujours grâce à
                la médiation d'un support matériel, corporel, ou
                charnel. Donc, jamais directement ! C'est la logique de l'Incarnation. Depuis que Dieu,
                depuis que la connaissance que Dieu a de lui-même, son
                Verbe, est venu à nous dans un corps d'homme, depuis
                lors, tout le divin nous vient à travers le matériel ;
                ça ne souffre absolument aucune exception, aucune
                ! Nous connaissons des exemples. Vous avez les sacrements, et au coeur de ceux-ci,
                l'Eucharistie. Le sacrement, c'est un geste, une
                matière, sur laquelle descend l'Esprit, l'Esprit qui
                anime le geste et qui transforme la matière, qui la
                spiritualise, qui ainsi va jusqu'à la transsubstantier,
                faire que ce pain et ce vin ce n'est plus vraiment du
                pain et du vin, c'est le Corps et le Sang du Christ. Et vous avez autour de ces sacrements toute la
                liturgie, cet ensemble de gestes, de paroles, de
                postures, tout ce rituel qui est porteur de divin. Et
                c'est bien la raison pour laquelle nous devons être
                extrêmement attentifs à ce que nous faisons lorsque nous
                célébrons la liturgie. Il n'est pas question de prendre
                ça à la légère, de courir plus vite que les autres. Non, c'est un ensemble dans lequel nous sommes à la
                fois et spectateur et acteur tous autant que nous
                sommes. Mais chacun a son rôle comme dans une immense
                chorégraphie ; car elle s'étend bien au delà de notre
                petit monastère, elle s'étend même au delà du monde
                visible. Elle englobe le monde du ciel. Et c'est
                toujours, encore une fois, ce matériel, ce charnel que
                nous vivons, que nous sentons, auquel nous réagissons,
                qui est porteur aujourd'hui du divin. Vous avez encore quelque chose de beaucoup plus
                mystérieux : c'est le fait de la résurrection. Le Christ
                ressuscité n'est pas un pur esprit, ce n'est pas un Dieu
                immatériel. Non, le Christ ressuscité, c'est Jésus le
                Christ dans un corps spirituel, comme le dit Saint Paul.
                Mais qu'est-ce qu'un corps spirituel ? Nous ne pouvons
                pas l'imaginer ? Je pense qu'un homme qui est parvenu à un stade déjà
                très avancé de Christification, qui commence à goûter, à
                expérimenter ce que c'est déjà de ressusciter des morts,
                cet homme là voit son corps spirituel. Il doit le voir,
                le percevoir plutôt car il ne le verra pas avec ses yeux
                de chair. Mais s'il voit le Christ, ce ne peut être
                qu'avec les yeux de son corps spirituel. Or ce corps spirituel, il est en nous déjà maintenant,
                il est en train de se former. Il prend naissance le jour
                de notre baptême. Et puis les sacrements, enfin toute
                cette vie divine dans laquelle nous baignons en Eglise,
                elle fait croître ce corps spirituel. Nous nous
                nourrissons de la volonté de Dieu et un jour, c'est lui
                qui sera là. Mais sous quelle forme ? Et comment ? Mais
                ça, ne laissons pas travailler notre imagination. Il y a encore dans le monastère, puisque nous sommes
                ici dans une Abbaye Bénédictine, il y a que tout ce qui
                vient de Dieu arrive pour chacun de nous par
                l'intermédiaire du représentant du Christ qui est
                l'Abbé. Je l'ai rappelé il n'y a pas tellement
                longtemps. Toute la Règle de Saint Benoît pivote autour
                d'un petit mot qui est le creditur. Il
                faut croire que l'Abbé tient la place du Christ. Mais si l'Abbé est le Christ, mais vraiment, pour ses
                frères et pour lui d'abord, il doit le savoir et il doit
                le devenir ! C'est seulement alors lorsqu'il est devenu
                Christ qu'il a le droit de porter le nom d'Abbé. Avant
                ce peut être du protocole ! Comme dit Saint Benoît :
                d'abord être saint et puis alors on pourra être appelé
                Saint ; d'abord être Christ, et puis alors on pourra
                être appelé Abbé. Mais on doit tout de même être cru
                qu'on est le Christ ! Mais à partir du Christ, ça se répand aussi dans les
                frères. Chaque frère est aussi porteur d'un message de
                Dieu. Chaque frère est canal, chaque frère est
                médiateur. Et c'est ainsi que la vie Divine arrive pour
                nous. Rejeter ce fait c'est, comme le dit le Père Abbé
                Général, sombrer dans l'illusion ; ça veut dire qu'il
                n'y a plus de spirituel. On entre dans le néant. On
                n'est plus rien... C'est un danger qui nous guette, surtout à notre époque
                où nous voyons arriver de l'extérieur et sauter au
                dessus de murs des c1ôtures toutes ces techniques
                orientales qui ont la prétention de nous faire entrer
                dans le Divin en faisant l'économie de cette vue de foi.
                Comme si nous pouvions prendre d'assaut le monde de Dieu
                ? Naturellement ces techniques peuvent être utiles pour
                nous donner une certaine maîtrise de nous-mêmes, une
                certaine relaxation, un certain détachement
                psychologique. C'est une médication pour nous guérir de
                certains troubles de comportement, ça peut réussir! Mais
                attention, ce n'est pas cela qui nous permettra de
                recevoir le divin. Ce divin arrive en nous par des
                canaux creusés, ouverts par Dieu, remplis de sa grâce et
                sur lesquels nous pouvons voguer. Voilà, il est déjà temps d'aller à l'église. Je verrai
                la prochaine fois l'application qu'en fait le Père Abbé
                Général à la c1ôture, que nous nous rendions bien compte
                de ce que c'est. J'en ai déjà parlé auparavant, mais il
                est toujours possible d'y revenir en employant d'autres
                termes. Et ce sont des choses tellement importantes que
                nous devons nous en pénétrer. Nous devons toujours nous
                former de nouvelles convictions. Notre foi a besoin
                d'être nourrie, d'être entretenue, d'être fortifiée pour
                que nous puissions devenir des adultes. Ce sera encore
                un point délicat à aborder, mais nous avons encore toute
                une semaine devant nous. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 10.06.8020. La clôture (suite).Mes frères,Hier nous avons vu que le divin, le surnaturel, le
                spirituel arrivait à nous par le canal du corporel, du
                matériel. C'est une loi qui ne souffre absolument aucune
                exception depuis que le Verbe de Dieu s'est fait homme. Le Père Abbé Général applique ce principe à la clôture.
                Nous comprenons bien qu'il affirme que notre nature
                humaine exige des expressions matérielles comme support
                des valeurs spirituelles. Et ce serait une illusion
                d'imaginer qu'une valeur puisse si bien être
                intériorisée ou assimilée qu'elle n'ait plus besoin
                d'aucune expression ou sauvegarde matérielle. Donc,
                dit-il,Une forme ou une autre de c1ôture est nécessaire aussi
              bien pour les moines que pour les moniales. La c1ôture, nous la connaissons. Ici, c'est une
                enceinte de pierre. La c1ôture, elle nous constitue dans
                notre être de moine, et elle nous rappelle constamment
                ce que nous sommes. Ce qui se trouve à l'intérieur de
                cette enceinte est soustrait au monde. C'est devenu un
                territoire sacré. Tout ce qui se trouve sur ce
                territoire est consacré à Dieu. Les hommes qui y
                habitent sont des keduchim, disaient les Anciens.
                Ce sont des sanctifiés, ce sont des séparés. Ils
                appartiennent è Dieu. Ils portent la livrée de Dieu. Ils
                ont adopté les moeurs de Dieu ; ils travaillent à
                l'oeuvre de Dieu. C'est une nouvelle race d'homme qui
                est en train de se former et de proliférer. A l'extérieur de cette enceinte, c'est le profane dans
                le sens étymologique du terme, c'est à dire ce qui se
                trouve devant le sacré et ce qui n'y a pas accès. Il y a
                incompatibilité entre les deux, c'est contraire ! Ce ne
                sont pas des contraires comme les valeurs monastiques
                essentielles à tenir ici en équilibre ? Non, l'un annule
                l'autre. Ce sont des contradictoires. C'est comme un
                corbeau blanc, par exemple, ça ne va pas ! Ce sont deux
                choses qui s'excluent mutuellement. La c1ôture définit donc un espace sacré. Elle est aussi
                - maintenant je la vois dans sa matérialité - cette
                muraille, ça peut être autre chose qu'une muraille aussi
                naturellement, mais il faut que ce soit quelque chose de
                matériel. Cette c1ôture est une protection, une
                sauvegarde, dit le Père Abbé Général. Elle agit à la
                manière d'un filtre qui retient à l'extérieur ce qui
                pourrait, en pénétrant à l'intérieur de cet espace
                sacré, le polluer, le détériorer et même le détruire,
                l’anéantir. Saint Benoît nous dit que lorsque qu'un moine a circulé
                au dehors, il doit bien se garder de ne pas rapporter à
                un autre ce qu'il aurait vu ou entendu. Car, dit-il,
                  plurima destructio est, 67, 5, c'est, ce serait la
                cause, l'occasion de grands ravages. On peut le traduire
                ainsi, mais ça va plus loin : c'est une destructio,
                c'est une destruction, quelque chose qui serait démoli.
                Il y aurait là une ruine, et cette ruine serait de
                nature spirituelle. Voyez comme Saint Benoît était déjà averti ! Mais il le
                savait et était plus proche que nous des origines de ces
                sacrés. Il savait que autour du temple de Jérusalem il y
                avait aussi une protection que certains ne pouvaient pas
                franchir. Les goym, les païens ne pouvaient pas y
                entrer. Aujourd'hui encore, un non-musulman ne peut pas
                entrer dans le territoire de La Mecque, qui est
                délimité. Donc les aviateurs qui conduisent les pèlerins à La
                Mecque - aviateurs chrétiens, car la plupart de ces pays
                Musulmans Africains affrètent des compagnies, Belges
                entre autres, pour transporter leurs pèlerins là-bas -
                eh bien, ce personnel de l'avion atterrit et doit rester
                là. Il y aura des hôtels à sa disposition, mais il ne
                peut pas entrer dans la ville. Pourquoi ? Mais parce que
                c'est une ville sacrée. Saint Benoît avait encore très fort, Saint Benoît et
                les autres de son époque, le sens de ce sacré. Les
                premiers cisterciens l'avaient aussi. Pour nous ? Eh
                bien, vous savez ? On ne sait plus trop bien ce que ça
                représente. Ce que ça représente ? C'est tout simple :
                lorsque l'extérieur, le dehors entre dans le monastère,
                il le profane ni plus ni moins ; donc il le détruit. La
                clôture agit donc à la manière d'un filtre. Mais elle va tout de même laisser passer certaines
                choses. Elle retient ce qui pourrait profaner, mais elle
                laisse entrer ce qui peut enrichir, ce qui peut épanouir
                le spirituel. Car encore une fois, le surnaturel a
                besoin d'un intermédiaire : il a besoin du matériel, du
                charnel et du corporel. Ce sera entre autre le rôle de
                l'étranger, de l'hôte. Il vient de l'extérieur. Il va
                venir, mais comme représentant du Christ. Il ne
                va pas profaner. Et alors pour qu'il n'y ait pas de danger de
                profanation, que recommande Saint Benoît ? On va d'abord
                prier ensemble pour voir si l'hôte qui se présente est
                vraiment un envoyé ? Ou bien si ce n'est pas un envoyé
                du diable ? Vous voyez ! Le danger de détruire quelque
                chose. La clôture marque aussi une séparation, une frontière,
                une différence, une altérité. A l'intérieur de la
                clôture, c'est le Royaume de Dieu. A l'extérieur c'est
                le monde des hommes. A l'intérieur, il y a celui qui
                seul peut porter le titre de Roi : le Christ. Christ
                veut dire Roi. Et à l'extérieur, c'est le domaine d'un
                prince qui est le prince du monde, et qui est en conflit
                avec ce Roi. Et ce Roi, ce Christ va lutter, il va subir, il va
                mourir mais sa mort sera sa victoire, car en
                ressuscitant il va jeter dehors le prince du monde. Si
                bien que la terre entière, et même le cosmos tout entier
                deviendra sacré lorsque Dieu sera tout en tout. Dieu
                opère déjà cette petite merveille, cette grande
                merveille mais sur une petite échelle, à l'intérieur de
                cette clôture. La c1ôture va donc rappeler au moine toujours ce qu'il
                est. Elle va le constituer dans son être de consacré, de
                saint. Pour revenir à ce que je vous ai expliqué
                longuement déjà pendant des semaines et des semaines, la
                c1ôture c'est le sacrement de la xenitheia : un
                homme qui est devenu l'hôte de Dieu, qui est devenu
                citoyen d'un nouveau Royaume, et qui est soustrait au
                monde, et qui est devenu étranger au monde. A l'intérieur de ce Royaume, cet hôte qui vient
                travailler pour Dieu, il va se découvrir d'abord
                lui-même étranger, car il est, lui, une pièce profane.
                Et cette pièce profane va devoir être sacralisée,
                sanctifiée, consacrée. Mais ça ne se fait pas par le
                fait que je suis de ce côté-ci du mur de clôture ! Il faudra donc que Dieu prenne possession de moi pour
                faire de moi un saint, pour faire de moi un autre
                lui-même. Et le danger est là, toujours, que les
                influences de l'extérieur viennent lutter en moi et
                essayer de m'arracher à cet influx de Dieu. Et c'est
                alors la plurima destructio, 67, 5, de Saint
                Benoît. Le travail que Dieu opère en mai peut être démoli très
                vite. Pourquoi ? Parce que la part de malice qui est en
                moi, elle est tout de même encore très grande. Elle est,
                surtout au début, la plus forte. Ce n'est qu'après une
                longue période d'ascèse et de mort à tout ce profane que
                l'homme, devenu un autre Christ, pourrait alors si Dieu
                le demandait, sans danger retourner au delà du mur pour
                aller attaquer le profane et essayer, alors, de semer
                des semences, des graines de sacré. C'est ce qui expliquerait un peu le rôle de certains
                contemplatifs. Prenons le cas de Saint Bernard qui est
                un des plus célèbres. Lui pouvait le faire. Il y a
                réussi sans préjudice pour sa sainteté parce qu'il a été
                privilégié de Dieu pour ce rôle spécifique à son époque.
                Mais nous ne devons pas, nous, nous estimer de petits ou
                même de grands Saint Bernard pour commencer à aller au
                dehors, nous dire : maintenant ça va ! Les ruses du
                démon sont toujours très subtiles. Et alors, le Père Abbé Général prévient une objection
                sur laquelle je m'attarderai demain. C'est l'objection
                qui est toute ordinaire. Oui, ça peut venir à notre
                esprit : Oui mais, c'était bon dans le temps tout ça !
                Maintenant on a évolué, on a bien évolué. C'était
                bon pour des peuples primitifs, ou bien encore
                maintenant pour des Arabes. Eux, ils vivent à l'ère de
                l'hègire, 700 ans après nous. Ils sont en l'an 1200 et
                quelque chose et nous en 1980. Le Jubilé de Saint
                Benoît, n'est-ce pas ? 1500 ans après !Nous sommes maintenant des adultes. Nous allons
              voir ça demain. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 11.06.8021. Etre adulte !Mes frères,Revenons à la lettre du Père Abbé Général. Il devient
                ironique, quelque peu sarcastique. Mais sous ces
                paroles, nous entendrons une interrogation qu'il nous
                lance, une question qui vient de son souci pastoral.
                Ecoutez plutôt! Il est fallacieux de prétendre que des adultes doivent
                être traités comme tels avec une complète confiance.
                Bien sûr ils le doivent ! Mais s'ils sont vraiment
                adultes, ils doivent aussi comprendre que la forme de
                vie librement choisie par eux, comporte une solitude
                matérielle. Le Père Abbé Général joue sur le mot  adulte.
                On peut être catalogué comme tel au vu de la carte
                d'identité. Mais l'est-on en vérité psychologiquement et
                spirituellement ? Il y en a qui sont adultes très
                jeunes. Prenez le cas de Sainte Thérèse de Lisieux.
                Saint Benoît le dit aussi : Il arrive que Dieu révèle
                  le meilleur au plus jeune de la communauté. Mais
                ce plus jeune est alors certainement un adulte ? Il
                arrive aussi que l'on peut être pensionné et au delà
                sans encore être un adulte. Comment le savoir ? Un confrère a eu la bonne obligeance il y a déjà un
                petit temps, quelques mois de me remettre la définition
                d'un adulte qu'il avait découverte dans un ouvrage du
                père Loew . Je l'ai copiée et je me suis dit : ça pourra
                peut-être servir un jour. Et ce sera pour aujourd'hui.
                Je vais vous en donner lecture: Qu'est-ce qu'un adulte ? Non pas quelqu'un qui
                va criant partout qu'on ne le traite pas en adulte.
                C'est justement le signe de son adolescence. Mais c'est
                un homme cohérent qui a fait l'unité de sa personnalité.
                Il y a chez lui une stabilité, sa vie est orientée dans
                une direction déterminée. On peut compter sur lui. Ses
                amis savent qu'il n’est pas homme a changer d'avis tout
                le temps. Il a une certaine capacité de responsabilité.
                Il sait dépasser les emballements pour vivre de
                convictions. Il sait affronter la durée. Il se sait
                responsable de la totalité de sa vie, de sa vocation. C'est un homme socialisé, non centré sur lui-même,
                ouvert aux autres de façon active, capable d'assumer les
                situations sociales, les conditionnements dans lesquels
                il se trouve. Il accepte sans tricher les réalités de
                ses expériences et de ses propres limites, y compris ce
                qu’il y a encore en lui de déséquilibre, de fausseté. Il
                accepte sa condition de pécheur et de gracié. Voilà mes frères un beau petit tableau ! Est-ce que
                nous nous y reconnaissons ? That is the question ?
                Naturellement on pourrait commenter ceci encore pendant
                des soirées. Je vais vite passer dessus, mais je
                n'aurais tout de même pas fini aujourd'hui. Mais ça ne
                fait rien, ce sera pour demain. Un adulte, c'est d'abord quelqu'un qui a fait l'unité
                de sa personnalité. Cela veut dire qu'il sait très bien
                où il va. Il sait très bien ce qu'il fait. Il est
                cohérent dans ses pensées, dans ses jugements, dans sa
                conduite. Il est stable dans ce qu'il est. Ce n'est pas un homme qui virevolte suivant le vent de
                ses passions, ou de ses pulsions, ou de ses complexes.
                Il a des passions, il a des complexes, il a des
                pulsions, mais il ne triche pas avec. Il accepte les
                réalités de ses expériences et de ses limites. Mais ça
                ne l'empêche pas toujours d'avancer dans une même
                direction. Il est orienté - comme il le dit ici et on
                peut compter sur lui. Je pense, pour ma part, que c'est ça un des critères
                principaux de l'état d'adulte atteint par un homme : on
                peut compter sur lui. Il n'est pas homme à changer tout
                le temps d'avis. Je vais vous raconter une petite
                histoire pour vous permettre de comprendre ce que je
                veux dire. Je l'ai apprise dimanche dernier, je pense
                que c'est dimanche ? Enfin, il y a quelques jours
                seulement... C'est le comportement d'un adolescent, un adolescent
                qui collectionne : c'est un collectionneur. Et dans sa
                collection, il lui manque quelques pièces pour que sa
                collection soit complète. On trouve ces pièces au marché
                aux puces comme on dit, à la brocante mais ça coûte 1 Et
                son budget d'adolescent est mince. Alors on tanne et on
                frappe les parents. Et les parents jettent de hauts cris
                : dépenser pour des bêtises pareilles ! Le garçon en devient malade, mais sérieusement malade,
                toujours plus malade, à tel point qu'il faut consulter
                un médecin. Alors le médecin, comme ça se fait
                maintenant, examine et écoute le garçon seul, à
                l'abri des parents. Maintenant ce sont de petits
                adultes, vous comprenez. Et voilà, après on téléphone aux parents : attention
                tout de même ! L'enfant est de plus en plus affecté et
                il pense très sérieusement au suicide. Vous savez, c'est
                courant aujourd'hui. Les jeunes, ça ne va pas, on se
                suicide. Et oui, il pense au suicide à 14 ans. Alors les
                parents, affolés un peu, ils perdent le nord ! Mais
                enfin voilà, l'enfant ne doit pas savoir que le médecin
                a téléphoné aux parents, et le garçon est là ! Alors on
                devient maintenant beaucoup plus doux avec lui : mais
                enfin, si ça te fait plaisir, etc, etc, etc. Voilà, achète, comme ça tu seras bien. le papa va à la
                banque et va retirer 16.000 Francs. On le donne à
                l'enfant et alors il a sa collection complète. Il est
                heureux, heureux, heureux. Et voilà, maintenant ça va,
                que demander de plus ? Tranquillité de tout le monde,
                épanouissement du garçon. Or après, un peu après,
                qu’est-ce que les parents apprennent et remarquent ? Il
                a vendu sa collection pour acheter un cyclomoteur, et le
                voilà encore plus heureux. ! Eh bien c'est ça, vous voyez, le comportement de
                l'adolescent ! Est-ce que dans notre vie, allez, ici,
                nous ne sommes pas quelques fois ainsi ? Ou bien, est-ce
                que voilà on peut compter sur nous, s'appuyer sur nous
                pour quelque chose ? Est-ce que on ne change pas d'avis
                tout le temps ?Voilà mes frères, terminons aujourd'hui sur cette question
              et sur cette petite anecdote. Et demain nous avancerons
              encore un peu plus loin à l'intérieur de notre réflexion. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.06.8022. Etre adulte ! (suite)Mes frères,Je vais achever de camper sous vos regards le portrait
                d'un homme adulte. Nous avons vu hier que c'était une
                personne avec laquelle il était aisé de collaborer. Elle
                sait ce qu'elle veut. Elle a donné à sa vie une certaine
                orientation. On peut compter sur elle car elle ne change
                pas d'avis à tout moment. Sa vie est stable. Elle
                possède sa vie dans ses mains. Elle peut redire ce que
                le psalmiste disait, à l'époque où les psaumes se
                disaient en latin : anima mea in manibus meis semper,
                mon âme, ma vie, elle est toujours dans ma main. Voilà
                le premier trait d'un homme adulte ! Et voici un autre : c'est un homme qui sait prendre ses
                responsabilités. Il n'a pas besoin d'un parapluie, le
                parapluie de l'autorité, le parapluie du supérieur, ou
                le parapluie de la loi. Non, il assume les conséquences
                de ses actes, il ne les rejette pas sur les autres. Il
                s'est forgé une conviction, une foi si on est dans le
                monde religieux ou monastique. Il ne cède pas à des
                emballements passagers. Il sait très bien que Dieu a sur lui un projet et il
                entre de bon coeur dans le plan que Dieu ouvre devant
                lui. Il coopère avec Dieu. Il sait que le projet de Dieu
                aura besoin de la durée pour arriver à maturité. Il sait
                donc affronter la durée. Ce n'est pas l'homme d'un
                moment, il sait tenir. Et Saint Benoît le rappelle lorsque à la fin du
                chapitre quatrième, il traite justement du travail dans
                la maison de Dieu et avec Dieu. Il dit. Je cite encore
                en latin pour ceux qui ont entendu chanter la Règle en
                latin, au Chapitre, pendant des années. Il dit noctuque
                  incessabiliter adimpleta, 4,76. Jour et nuit, sans
                trêve, incessamment il s'acquitte de son devoir. C!est
                ça, un adulte ! C'est pas un qui capitule devant le petit monticule qui
                se dresse une fois ou l'autre devant lui. Il ne
                capitulera même pas devant une paroi rocheuse, il
                l'escaladera. Il sait très bien, alors, que l'Esprit de
                Dieu viendra se saisir de lui. On l'a lu il n'y a pas
                longtemps à l'église. C'est hier je pense, ou
                aujourd'hui...je ne sais plus. Elie voit arriver la pluie. Il dit à son serviteur : va
                trouver Achab et qu'il attelle son char s'il ne veut pas
                se faire prendre sous l'averse. Achab attelle son char
                et se met en route vers Yizréel. Que fait Elie ? Elie
                retrousse ses vêtements, il court devant Achab, plus
                vite que les chevaux et il arrive avant lui à Yizréel.
                Vous voyez; C'est ça un adulte ! Il ne recule devant
                rien. Il s'est forgé une conviction et jour après jour
                il s'y tient. Le gosse, lui, il a peur ! L'adulte n'a
                plus peur ! Un nouveau trait de la personnalité d'un adulte : c'est
                que c'est un homme qui n'est plus centré sur lui-même.
                Il ne mesure plus les autres et les événements à sa
                petite mesure personnelle. Il entre, il est à son aise
                dans une société, dans un groupe. C'est un être
                socialisé. Il sait se plier au conditionnement du groupe
                dans lequel il vit. Il prend les choses comme il les
                trouve et il y est à son aise. Ce n'est pas un contestataire qui veut tout
                bouleverser...Non pas pour que ça aille mieux, mais pour
                que ça aille selon ses vues à lui et pour qu'il en
                devienne le petit tyran. C'est souvent ainsi dans les
                maisons, dans les ménages maintenant : c'est le gosse
                qui est maître ! C'est un adolescent, il n'est pas
                encore socialisé. Saint Benoît le sait, ça aussi. Il emploie un beau
                petit mot encore :  contenctus quod invenerit,
                61,3. Il est contant de ce qu'il trouve quand il arrive
                dans une communauté monastique. Il ne commence pas par
                tout révolutionner. Et ici je vais vous faire part d'une
                expérience personnelle. Je puis me le permettre puisque
                le Père Abbé Général me donne l'exemple. Il va encore le
                rappeler. L'expérience me l'a montrer, va-t-il dire
                quelques lignes plus loin. Eh bien l'expérience m'a
                montré quelque chose. C'est très intéressant. Il y a
                déjà de ça, enfin à l'époque où j'étais un peu plus
                jeune dans le monastère. Vous avez des jeunes frères, des jeunes profès. Ils ont
                déjà dépassé le stade du noviciat. Ils ont franchi le
                portail de la profession temporaire. Et ça commence à
                devenir des petits messieurs dans la communauté ! Mais
                oui, n'est ce pas ! Alors on commence à leur confier un
                emploi. C'est bien, c'est même indispensable, car à
                travers cet emploi on va un peu voir ce qu'il y a en
                eux. Et qu'arrive-t-il parfois ? Il arrive parfois, que dès que c'est arrivé - je parle
                d'expérience, il y a des noms derrière tout ça -
                qu'arrive-t-il ? Voici donc notre jeune - ce sont des
                jeunes d'âge - notre jeune qui se sent un peu devenir un
                petit quelqu'un. Il entre dans son emploi où il n'est
                pas seul d'ailleurs, souvent - mais voilà, il regarde.
                Et puis il commence à avoir besoin de ceci, de ça, et
                encore de ça. Il faut tel nouvel appareil, il faut tel
                nouvel instrument, il faut telles nouvelles affaires
                sinon ça ne va pas. Si jamais on ne les lui donne pas,
                il ne saura pas s'acquitter convenablement de son emploi
                ? Et alors, vous voyez le supérieur devant tout cela ! Le
                supérieur ouvre de grands yeux, se dit : mais enfin, il
                a peut-être bien raison, on ne sait jamais ? Et de toute
                façon, mieux vaut ça qu'une dépression chez le jeune. Et
                alors, eh bien ma foi, on lui achète ceci et ça, comme
                ça il peut travailler à son aise. Eh bien, je l'ai vu
                plusieurs fois ça, chaque fois, mais chaque fois j'ai
                senti un malaise indéfinissable monter en moi. Et je me
                disais ceci : voilà, on achète ça, et ça, et ça, on
                installe ceci et encore ça et ce gamin va partir. Et
                alors quand il ne sera plus là, plus personne ne
                travaillera avec ces instruments ! Eh bien mes frères, chaque fois c'est arrivé. Je ne
                connais pas une seule exception. C'est arrivé chaque
                fois. C'était le contraire du contant de ce qu’il
                  trouvait. Naturellement, pour trouver
                l'explication ultime de tout cela, il faut bien savoir
                que ce besoin, ce besoin de s'affirmer, ce besoin
                d'avoir à sa disposition des choses que les autres
                n'avaient pas, eux qui travaillaient avant, ça
                trahissait une frustration fondamentale. Et cette
                frustration alors avec le temps ! Parce que le départ
                n'arrive pas de suite, ça peut durer 2, 3,4 ans ? Cette frustration alors ayant trouvé une sorte
                d'exutoire à ce moment là, une sorte de compensation,
                voilà qu'elle s'étend comme un champignon, comme une
                infection, comme une lèpre. Elle envahit toute la
                personne et le garçon commence à prendre en aversion
                tout ce qu'il voit. C'est tout qui devrait changer à sa
                mode ! Et alors ça ne va pas, et alors il doit partir.
                Donc, ce n'est pas un être socialisé, ce n'est pas un
                adulte. Et il est remarquable encore, quand on a
                l'occasion après d'entendre : un tel ? il est devenu
                ça...ça continue aussi dans le monde. Il y a là quelque
                chose qui reste comme si quelqu'un était bloqué dans son
                développement psychologique. Voilà mes frères, soyons donc toujours bien prudent !
                Je ne dis pas ceci en pensant à un des jeunes profès qui
                est ici, surtout qu'il y a déjà des vieux profès d'âge
                tout en étant jeune de profession ! Non, loin de là,
                loin de là ! Mais c'est pour illustrer un peu le fait
                que l'homme qui est en voie de devenir un adulte…. - Je ne dis pas encore qu'il le soit devenu tout à fait
                ! Quand on est jeune, on ne sait pas être adulte ; quand
                on a trente ans, ce n'est pas possible, à moins d'être
                d'exception, un saint ! - …. mais c'est pour dire qu'on
                doit être extrêmement délicat, extrêmement prudent ! Et lorsque vous voyez des jeunes comme ça qui font leur
                travail, sans prétention, en se contentant de, ce qu'ils
                trouvent, eh bien, je pense qu'on peut leur faire
                confiance pour plus tard. Cela ne veut pas dire
                maintenant qu'ils n'ont pas le droit et même le devoir
                d'apporter une amélioration à leur secteur. Mais alors
                ils vont faire - et ça c'est d'expérience aussi, je
                parle toujours d'expérience - que vont-ils faire ? Ils vont faire ce que Saint Benoît dit. Ils vont
                rationaliser raisonnablement. Au moment opportun, ils
                vont attirer l'attention de l'Abbé sur telle ou telle
                chose qui à leur avis pourrait changer, être modifiée.
                Dans un monastère, disons dans une entreprise les choses
                ne sont pas statiques, elles ne sont pas fixées pour
                l'éternité dans un cadre figé. Non, ça doit évoluer. Et
                un nouveau qui entre dans un emploie, même s'il est un
                tout jeune, mais il peut voir certaines choses qui
                échappent à un regard qui risque d'être un peu obscurci
                par une certaine routine. Mais alors le Supérieur écoute volontiers cela. Et il
                l'étudie. Et dans le fond le jeune serait contant que ça
                s'adapte un peu. Mais si on ne le fait pas, ce n'est pas
                pour ça qu'il va en devenir malade. Non, il continuera
                avec les moyens du bord. Mais le supérieur alors prudent
                fait ce que Saint Benoît demande,. car c'est peut-être
                le Christ qui lui fait savoir ? Il l'étudie, et si c'est raisonnable et s'il apparaît
                bien que c'est l'Esprit de Dieu qui inspire le jeune,
                mais alors on adapte les choses. Et je dois dire à la
                louange des jeunes ici, c'est ce qui est arrivé déjà une
                fois ou l'autre. Et je tiens à les en féliciter sans
                citer de noms. Mais c'est bien ! Alors, mes frères, un adulte sera donc un homme qui
                sait accepter sans tricher les réalités de ses
                expériences et de ses limites. C'est un homme lucide,
                lucide sur lui-même, sur lui-même d'abord ! On est si
                facilement lucide sur les autres quand on est jeune, et
                aussi quand on est moins jeune ! Mais lucide sur
                soi-même, s'accepter tel qu'on est avec ses limites.
                Comme le dit ici le Père en question avec ce qui reste
                de déséquilibre et de fausseté ! Ici, c'est se reconnaître pécheur. C'est un moine
                sincère qui dira, si on lui fait une remarque : oui
                voilà ! Oui, je suis encore ainsi, mais j'ai bon espoir
                que je ne serai pas toujours ainsi, que j'évoluerai, que
                je deviendrai le fils de Dieu que le Père attend de moi.
                C'est un homme qui fera sienne encore cette parole du
                prophète : je m'excuse de la citer en latin toujours,
                mais elles me reviennent en mémoire par coeur tellement
                on les a répétées auparavant. On disait : revela
                  domino viam tuam et spera in Deo, révèle à Dieu ta
                route, étale là devant lui et puis alors met tout ton
                espoir sur lui. Oui, il se montre a Dieu tel qu'il est, il se montre
                aux autres tel qu'il est, il s'accepte tel qu'il est, il
                est dans la vérité de son être aujourd'hui. Mais il sera
                dans la vérité de son être demain aussi, car Dieu peut
                tout lui demander, et ses frères aussi, et son Abbé
                aussi. Voilà, mes frères, un adulte ! Alors on comprendra que
                dans de telles conditions le Père Abbé Général puisse
                dire : des hommes de cette trempe comprennent que la
                vie, que la forme de vie librement choisie par eux
                comporte une solitude matérielle. Il insiste, le Père
                Abbé Général, sur le librement choisie. On n'a pas été les kidnapper dans le monde pour les
                introduire de force dans un monastère ? Non, ils ont
                répondu à un appel. Ils étaient libres. Saint Benoît le
                dit combien de fois ? Tu peux partir, tu peux rester, tu
                es libre. MAIS si tu restes, sache que maintenant tu
                devras marcher sur cette route. Il dit d'accord et il y
                marche. C'est un adulte ! Mes frères, nous verrons le tout dernier paragraphe
                demain. Et là le Père Abbé Général tire la conclusion en
                quelques lignes de toute la section où il traite des
                relations avec l'extérieur. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 14.06.8023. La vie cloîtrée.Mes frères,Le Père Abbé Général conclut la section relative aux
              relations avec l'extérieur en nous disant :
 Dans ce domaine, la solution dépend beaucoup, comme
                l'expérience me l'a montré, de la conviction de la
                valeur que la vie cloîtrée représente pour l'Eglise et
                le monde. Là où cette conviction existe réellement, le
                discernement nécessaire devant les divers problèmes qui
                surgissent est relativement simple. Vous savez qu'il a traité de l'hospitalité, de la TV,
                du téléphone, de la clôture. Il aurait pu parler aussi
                des sorties ! Il ne l'a pas fait. Peut-être parce que ce
                n'est pas nécessaire ? J'en doute fort ! Mais pour le
                Père Abbé Général, ces différentes choses peuvent dans
                les meilleures communautés, soit pour la personne, soit
                pour la communauté, être source de petits problèmes ou
                de grands. Et leur solution dépendra au premier chef de
                la valeur humaine et spirituelle des frères. Sont-ils
                des adultes, ou sont-ils encore des gosses prolongés ? Et le Père Abbé Général en appelle à son expérience.
                Comme l'expérience me l'a montré, dit-il. Et son
                expérience est énorme. Je suis frappé en lisant tous ces
                rapports des communautés présentés au Chapitre Général
                de 77, rapports qui sont en fait les Cartes de Visite ou
                les résumés des Cartes de Visite, combien de fois le
                Père Abbé Général est appelé comme arbitre de situations
                difficiles. Donc, son expérience, lorsqu'il y fait
                appel, nous pouvons franchement nous fonder sur elle. Il
                sait ce qu'il dit. Or pour lui, il y a une réponse aux problèmes qui
                peuvent surgir, une réponse rationnelle, une réponse
                équilibrée, une réponse surnaturelle dans une
                conviction, dit-il. Et qu'est-ce qu'une conviction ? Une conviction, c'est une certitude, une certitude qui
                emporte l'assentiment, qui balaie les objections, qui
                motive tout un comportement et qui donne une tranquille
                assurance. Cette conviction, elle doit exister
                réellement, dit-il. Ce n'est pas une conviction
                cérébrale d'intellectuel qui n'engage à rien du tout,
                mais qui permet d'écrire de très beaux articles. Non,
                c'est une conviction inscrite dans les faits, inscrite
                dans la vie, et qui alors façonne un jugement. Et cette
                conviction, la voici : c'est celle de la valeur que la
                vie cloîtrée représente pour l'Eglise et le monde. Mais
                qu'est-ce que la vie cloîtrée ? La vie cloîtrée, c'est tout bonnement ce que Saint
                Benoît appelle la vie  intra claustra monasterii,
                dans les cloîtres du monastère, c'est à dire à
                l'intérieur d'une clôture. C'est vivre, non pas dans une
                prison, avec toujours envie de regarder là ce qui ce
                passe au loin, tout près, sur la route ; les murs ne
                sont pas tellement élevés ! Ou les fenêtres maintenant ?
                Quel magnifique observatoire de là au-dessus ! Non, le cloître, c'est la maison de Dieu, c'est un
                territoire consacré à Dieu. C'est là que Dieu vit. Mais
                comme chez nous dans la vie monastique tout le matériel
                est le support symbolique d'autres réalités, il y a un
                cloître plus profond encore qui est la Trinité. C'est
                pénétrer à l'intérieur de la vie Divine. Car, la
                véritable maison de Dieu, c'est Dieu lui-même. Dieu
                habite en lui-même. C'est ce que les paroles un peu difficile de Siméon le
                Nouveau Théologien essayent de nous faire comprendre
                depuis un jour ou deux. Il joue sur les mots d'essence,
                de substance, de suressentiel. Comment est-il possible,
                dit-il, de voir Dieu quand il est invisible ? Et tout
                ça... Mais c'est parce que on est chez lui ; ce n'est
                pas plus difficile que ça ! Chez lui, ça veut dire à
                l'intérieur de son essence suressentielle. Mais
                n'entrons pas encore dans ces choses là maintenant. Donc, la vie cloîtrée, ce n'est pas seulement d'être à
                l'intérieur de murailles, mais c'est à l'intérieur de la
                Trinité. Et l'expérience prouve - vous la retrouvez chez
                vous ! - qu'on n'arrive pas immédiatement au centre de
                la Trinité. On peut distinguer deux périodes qui ne sont
                pas successives mais concomitantes avec des doses
                différentes. Dans une première phase il y a d'abord un égocentrisme
                assez prononcé. Je travaille à ma sanctification, à ma
                purification. Je cherche Dieu parce que j'y trouve ma
                satisfaction ou mon épanouissement, ma dilatatio
                  cordis, mon coeur qui se dilate en Dieu. Ce n'est
                pas possible qu'il en soit autrement. Au début, c'est
                toujours ainsi. Ce début peut durer longtemps. Il peut
                durer 10, 20, 30, 40, 50 ans, ça n'a pas d'importance,
                c'est une première phase. Vient ensuite un glissement, un glissement vers plus
                d'altruisme. A mesure que Dieu prend possession de moi,
                qu'il prend possession d'un frère, alors il se produit
                un changement. Car en même temps que Dieu entre dans un
                homme, en même temps l'homme entre chez Dieu. Et le
                voici introduit dans les celliers secrets de la
                divinité. Saint Bernard en parle en disant: c'est la
                  cella vinaria, c'est le cellier où se trouve le
                vin. Un des celliers, il y en a d'autres, mais il parle
                de celui-là au Cantique des cantiques. Et alors, qu'arrive-t-il ? Il arrive que la vie
                cloîtrée prend corps. Car le moine dans ces celliers
                intérieurs de Dieu, devient inconnu, inaperçu,
                invisible, inexistant ; exactement comme Dieu. Dieu est
                mort, Dieu n'existe pas ! Dieu, eh bien les cosmonautes
                ne l'ont pas encore vu, pourtant ils sont montés au ciel
                ! Vous voyez ! C'est ça Dieu ! Et Dieu ne bronche pas.
                Dieu laisse dire. Dieu laisse faire. MAIS Dieu continue
                à créer. Dieu continue à travailler, il continue à
                purifier, à sanctifier. Et voilà mon frère, mon moine qui est là ! Et il
                partage le sort de Dieu. Mais il habite chez Dieu et
                Dieu habite en lui. Il est de plus en plus possédé par
                l'Esprit. Il est de plus en plus un autre Christ. Ce
                n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui.
                Et il se produit en lui une métamorphose. Nous avons célébré hier la solennité du Coeur de Jésus.
                Aujourd'hui, la fête ou la mémoire du Coeur de Marie. Ce
                moine commence à avoir un coeur de Christ. Cela veut
                dire qu'à l'intérieur de son coeur, il porte le monde
                des hommes tout entier. Il le porte et là, il travaille
                sur ce monde. Il rédime ce monde, il le purifie, il le
                transforme et même il le divinise. Il est suprêmement
                actif. Il arrive au sommet de son activité d'homme. Il
                n'y a pas d'oeuvre plus haute, plus divine que de
                travailler avec Dieu et comme Dieu à la divinisation du
                monde. A ce stade, le moine ne pense plus du tout à lui. Il ne
                pense plus qu'à Dieu et aux autres. Il devient vraiment
                l'âme du monde. Il est partout présent avec Dieu et
                partout inconnu et invisible. Mais si jamais il se
                retirait du monde, à ce moment là le monde cesserait
                d'exister ! C'est jusque là qu'il faut aller lorsqu'on
                parle de vie cloîtrée ! Et c'est alors qu'on comprend la
                valeur qu'elle représente pour l'Eglise et pour le
                mande. Mais vous allez dire : Mais ça, c'est un sommet qui est
                rarement atteint ? Rarement ! Je n'oserais pas le dire,
                nous n'en savons rien. Nous ne savons pas ce qui se
                passe dans le secret des coeurs des hommes, même ceux
                avec lesquels an vit ? Mais c'est comme ça déjà au
                début, comme je l'ai dit, c'est une question de dosage
                différent. Au début, plutôt le dosage est sur moi : je
                pense trop à moi, mais ça est déjà là tout de même. Dieu
                est déjà en train de me travailler et de travailler
                grâce à moi. Mes frères, si cette conviction nous habite, dit le
                Père Abbé Général, de la valeur de cette vie cloîtrée,
                alors dit-il, s'il y a des problèmes, le discernement
                nécessaire trouvera une solution toujours relativement
                simple, et ça va de soi ! Lorsqu'on vit à ce niveau et
                qu'on situe son idéal à ce niveau là, les petits
                problèmes concernant les relations avec l'extérieur sont
                relativement simples à résoudre. Mais encore une fois,
                il faut que cette conviction nous habite...que ce soit
                une certitude qui nous donne une force qui nous permet
                d'affronter le présent, le quotidien et aussi de
                regarder l'avenir avec grande confiance. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 15.06.8024. L’expansion de l’Ordre.Mes frères,Dans la troisième section de sa lettre, le Père Abbé
              Général nous parle de l'expansion de l'Ordre dans les
              Cultures non occidentales.
 Il est intéressant d'étudier l'expansion géographique
                de l'Ordre depuis la deuxième guerre mondiale. NUNRAW a
                été fondé en 1946. Et après cette maison, il en vient
                trente autres de moines. LAPPA au Brésil et BEPPU au
                Japon ne sont pas mentionnés dans le tableau des
                monastères 1980. De ces 31 maisons, 4 sont en Europe, 9
                en Amérique du Nord, tandis que les 18 autres sont dans
                des contrées non occidentales. Chez les moniales, il y a eu 25 nouvelles maisons et il
                y en a encore 3 sur le point d'être fondées ; 11 sur 26
                sont situées en Occident. Toutes les fondations semblent
                pointer dans la direction de ce qu'on appelle le
                Tiersmonde pour l'emplacement des futures fondations.
                Cette expansion géographique a été un des facteurs qui
                ont amené l'Ordre a abandonner son insistance sur
                l'uniformité des observances. Mais elle a eu encore
                d'autres répercussions. C'est en général un plaisir de visiter ces monastères.
                Ils ont souvent une simplicité de vie que nous pourrions
                bien imiter en Occident. Et en même temps ils sont en
                quête de traditions solides. Je lisais dans un rapport de maison qu'au Philippines
                les autochtones Philippins trouvaient que le monastère
                exagérait ! Pourquoi ? Parce que on servait au
                réfectoire du fromage et du beurre, et de petites choses
                ainsi ; ce qui était un luxe que ne pouvait même pas
                s'accorder la classe moyenne aux Philippines. Alors à
                présent on a réglé tout ça et il n'y a plus de beurre,
                ni de fromage, ni rien ! Vous voyez, simplicité de vie
                que nous pourrions leur envier. On peut très bien vivre
                sans beurre et sans fromage. Les Philippins le font
                bien, pourquoi pas nous ? Vous voyez, ce sont ça des habitudes locales ! Et ça ne
                veut pas dire que demain on doit supprimer le fromage et
                le beurre ici. Il est vrai que pendant des dizaines
                d'années on n'en recevait pas, sauf un peu le mardi, le
                jeudi et le dimanche, un petit morceau au soir. Maintenant que les valeurs monastiques sont en train de
                s'implanter dans ces maisons, il est peut-être temps de
                voir si nous faisons suffisamment attention à la Culture
                locale. Naturellement en un tel domaine, nous devons
                marcher à pas prudents. Parfois, certains aspects d'une
                Culture locale ont besoin d'être christianisé. Nous
                devons également éviter de généraliser. A la réunion d'Abidjan, en Septembre 1979, j'ai été
                frappé des différences qui se sont révélées entre
                diverses contrées d'Afrique. J'espère aussi qu'on
                donnera la considération qu'elles méritent aux
                suggestions faites à la réunion Régionale Africaine
                Bamenda Janvier 1980, concernant les manières de
                procéder à une fondation. Si la tendance présente se maintient, il me semble
                clair que ces fondations non occidentales joueront un
                grand rôle dans l'avenir de l'Ordre. Il nous faut faire
                tout ce qui est raisonnablement possible pour que ces
                fondations soient bien établies et suffisamment
                soutenues. Nous ne devons pas oublier de prier non plus pour ces
                monastères et ces pays en voie de développement,
                spécialement la Chine. Bien qu'il ne soit peutêtre pas
                désirable de faire revivre l'oeuvre pie inaugurée dans
                notre Ordre il y a plus de 50 ans en faveur de la
                conversion de l'Extrême-Orient, le principe sousjacent
                est toujours valable : que ceux qui mènent la vie
                contemplative doivent prier pour leurs frères et soeurs
                dans le Christ qui travaillent plus activement à la
                diffusion de l'Evangile. Mes frères, pour ce qui regarde les Cultures non
                occidentales, je n'ai pas la moindre expérience. Vous
                non plus d'ailleurs ! C'est ce qui me console ! Ce que
                j'en sais, c'est par des lectures ou par des rencontres
                occasionnelles. Nous avons eu ici pendant un an un frère
                du monastère de Kasanza confié aux bons soins de notre
                Père Roland pour l'initiation à la comptabilité, et à
                notre frère Jacques pour quelques petits cours de
                Français. On ne sait pas juger. Il faudrait être sur les lieux
                pour pouvoir se rendre compte de ce qu'est une Culture
                non occidentale, et pas seulement quelques mois mais
                quelques années. Alors, je me garde bien de commenter
                les remarques du Père Abbé Général. Je les accepte
                telles qu'elles sont. Mais je vais tout de même, en guise d'illustration,
                vous donner lecture d'un rapport qui a été présenté au
                Chapitre Général de 77. Il l'a été par le Père Abbé de
                BAMENDA. C'est un monastère situé au Cameroun. Le
                Cameroun, c'est une ancienne colonie Allemande, et après
                la première guerre, il a été partagé comme il convenait
                entre la France et l'Angleterre. Ce monastère de BAMENDA est situé dans la région
                Anglophone. Il a été fondé par Mont Saint Bernard en
                1963. Il compte 38 personnes dont 28 Africains. Et parmi
                ces 28 Africains, il y a 12 ethnies différentes, ce qui
                signifie qu'on y parle 12 langues ! C'est autre chose
                que les petits problèmes de la petite Belgique ! Alors,
                pour mettre tout le monde d'accord, la langue
                véhiculaire est l'Anglais. Quelqu'un faisait remarquer au Chapitre Général : mais
                la première chose à faire lorsqu'on arrive comme ça
                quelque part, c'est d'apprendre la langue du pays 1 Et
                ce Père Abbé répondait : Oui, oui, c'est très facile à
                dire, mais chez nous - et c'est ainsi que je l'ai appris
                - il y a 12 langues dans notre petit monastère. Et
                laquelle faut-il apprendre ? Eh bien, disait-il, on a
                résolu le problème ; on les laisse de caté et on parle
                Anglais !Voici maintenant le texte de ce rapport: Les maisons de la régions Africaine couvrent une vaste
                zone dans 8 pays différents, sous des régimes politiques
                variés. On y retrouve 13 monastères : 9 d'hommes et 4 de
                femmes. 8 de ces maisons sont de langue Française et 4
                de langue Anglaise et 1 de langue Portugaise.La nouveauté de la vie contemplative en Afrique : Tout d'abord, la vie contemplative est quelque chose de
                nouveau en Afrique. En dehors de quelques cas
                particuliers, il n'y a pas de monachisme traditionnel en
                Afrique comme ceux qu'on peut rencontrer en Inde et dans
                d'autres pays d'Asie. Inutile de dire qu'il n'y a pas de technique locale de
                contemplation ! Il ignore peut-être le brave Père Abbé
                qu'il y a un monachisme extrêmement ancien en Ethiopie
                et en Egypte. Mais sans doute que lui voit plutôt la
                culture Africaine, la Négritude comme on dit et pas tant
                l'Egypte et l'Ethiopie qui sont de race sémite. C'est
                autre chose. Alors dans ce cas là, il a raison. Cependant, le sens de l'existence de Dieu et le monde
                spirituel sont très présents dans la société indigène.
                Dans la vie africaine traditionnelle, chaque chose est
                sacralisée en ce sens qu'elle est vue par rapport à un
                monde des esprits. Nous avons là un point de contact
                avec le monachisme chrétien traditionnel. Il y a d'autres éléments de la vie africaine qui sont
                des ouvertures à la vie monastique. Il y a un sens très
                fort de la famille qui confère une grande importance au
                père. Et cela permet aux Africains de s'accommoder sans
                peine de l'esprit fortement communautaire de notre Ordre
                et la place centrale donnée par Saint Benoît à l'Abbé. Les Africains sont aussi très fortement attirés par la
                Bible. Le style de vie qu'on y découvre est très proche
                du leur, et ils ne se sentent pas dans un monde étranger
                lorsqu'ils ouvrent la Bible. La célébration solennelle
                de la Liturgie est un autre élément de la vie monastique
                qui attire les Africains, surtout si on utilise leurs
                mélodies et leurs instruments de musique. Mais il existe d'autres aspects de la vie monastique
                qui leur sont beaucoup moins compréhensibles. L'un d'eux
                est la séparation du monde. Bien qu'étant essentiel au
                monachisme, cet aspect s'oppose à la très forte
                sociabilité qu'on trouve partout en Afrique. Le sens
                très fort de la famille signifie aussi que la plupart
                éprouvent des difficultés à vivre loin de leur famille,
                et qu'ils sentent le besoin de vacances et de visite
                chez eux. Et dans la plupart des maisons, on les envoie
                chez eux de temps en temps. Le voeu de pauvreté et l'ascèse ne sont pas en général
                facilement compris dans ces pays en voie de
                développement où les gouvernements et bien d'autres gens
                tentent de développer le niveau de vie. C'est presque
                une faute de ne pas utiliser les biens courants qui sont
                à votre disposition.N'oublions pas que c'est un Africain qui écrit cela ! Le voeu de chasteté est respecté en raison du sens de
                consécration qu'il confère. Mais quelques familles
                reprochent à leur fils de demeurer célibataire ! Comme
                dans l'Ancien Testament, l'idéal Africain normal est
                d'avoir autant d'enfants que possible pour prolonger la
                famille et la rendre puissante. Il faut souvent beaucoup
                de temps pour inculquer quelques uns de ces idéaux et
                les transformer en convictions bien établies.Adaptations Africaines: Que peut-on souhaiter en fait d'africanisation et
                d'adaptation ? En dehors de la musique et des
                instruments de musique, il est souvent difficile de
                discerner ce qui doit être conservé des traditions
                africaines. L'Afrique évolue constamment vers la
                civilisation Occidentale. Certaines coutumes locales
                sont déconsidérées parce que primitives ; d'autres
                peuvent être conservées. Les fondateurs européens
                pensent que leur travail est de mettre sur pied un
                monachisme authentique. C'est aux frères Africains de
                trouver par eux-mêmes la façon africaine et moderne de
                le vivre.Les fondations Africaines spontanées: Un phénomène récent est la création spontanée de
                communautés africaines qui désirent vivre la vie
                monastique. Nous connaissons le succès de AWHUM qui sera
                bientôt intégré à notre Ordre. (C'est fait maintenant)
                Une communauté semblable se forme au Ghana. Ces deux
                communautés ont besoin de formateurs et demandent de
                l'aide aux monastères de la Région Africaine. Une fondation spontanée, c'est ceci : vous avez un
                chrétien africain inspiré, charismatique, qui commence à
                vivre une vie chrétienne d'un genre plus solitaire, plus
                retirées. D'autres chrétiens sont attirés, viennent se
                joindre à lui. Voilà, ils vivent et ils forment une
                petite communauté.Et puis s'instaure spontanément une forme de vie
                monastique sous la direction de ce que nous allons
                appeler ce Père Spirituel. Et comme ils doivent
                s'organiser, ils se tournent vers un autre monastère qui
                existe quelque part et lui demandent de l'aide. Et ce
                monastère du Nigeria, AWHUM, s'est tourné vers un
                monastère Américain, le monastère de GENESEE dans l'Etat
                de New York, je pense.
 Ce monastère a envoyé là-bas deux ou trois frères pour
                essayer enfin de les aider, de les soutenir, de les
                conseiller; Il y en a un qui est passé ici il y a deux
                ans, un grand maigre. Il devait repasser ici dans
                quelques jours. Seulement il voyage par KLM du Nigeria à
                New York. Il va débarquer à Amsterdam un de ces jours.
                Il voulait venir vite ici. Seulement voyez un peu : il
                arrivait à Jemelle à minuit, mais il devait déjà
                repartir à 4 heurs de l'après-midi ! Alors il a jugé que
                c'était un peu court et un peu fatigant et il va
                s'arranger autrement. Il avait conservé un très bon
                souvenir de Rochefort. Nous le verrons peut-être encore
                ? Donc, voilà une fondation spontanée. C'est ainsi que la
                vie monastique a pris naissance partout, n'est-ce pas !
                Le supérieur de cette communauté du Nigeria s'appelle le
                Père Abraham.Formation et éducation: Cependant, beaucoup de monastères de la Région
                Africaine sont dans le même cas. (Ils ont besoin
                d'aide). La plupart des postulants qui entrent ont
                seulement une formation élémentaire. Il y a beaucoup à
                faire pour leur donner un enseignement à la fois en
                Sciences Humaines et en Doctrine Chrétienne - Bible et
                Théologie. La Région Africaine voulait présenter au Chapitre
                personnel de formation dans les monastères d'Afrique. Le
                prêt plus ou moins prolongé de moines et de moniales de
                valeur ayant des capacités pédagogiques serait très
                apprécié. Peut-être quelques maisons qui envisagent une
                fondation sans pouvoir encore le faire, pourrait-elle
                prêter quelqu'un qui aiderait un monastère Africain. De
                cette façon on répondrait à la demande formulée par Ad
                Gentes qui souhaite l'établissement de la vie
                contemplative dans les pays de mission. Mais ce n'est pas facile d'avoir là-bas un européen ou
                un américain qui doit former de jeunes africains en
                Sciences Humaines ou en Doctrine Chrétienne. Car ces
                jeunes africains se méfient beaucoup des européens et
                des américains. Ils ne savent pas s'ouvrir parce qu'il y
                a là une disharmonie. Les anciens africains, les plus
                anciens dans le monastère, eux, désirent vraiment être
                des africains. Mais les jeunes, eux, ont une toute autre
                intention. Eux, ils veulent évoluer, c'est à dire
                recueillir le plus possible de la tradition occidentale.
                C'est très, très ambigu et très, très difficile ! C'est
                pourquoi il est nécessaire que ce soit les africains
                eux-mêmes qui travaillent à leur propre évolution. Maintenant voici l'opinion du Père Abbé Général qui est
                intervenu. Il dit ceci. Le Père Abbé Général explique
                qu'il a récemment reçu deux lettres critiquant notre
                façon de faire les fondations. La première critiquant la
                taille de certaines propriétés, remarquant que la
                communauté tend alors à être écrasée par le poids d'un
                cadre qui n'est absolument pas africain. L'autre lettre provenant d'Amérique du Sud, indique
                simplement que si c'est notre intention de faire là-bas
                une fondation de type habituel, il vaudrait mieux ne pas
                nous déranger !Ecoutez ce que dit ici l'Abbé Général ! L'Abbé Général comprend que les experts (en économie,
                en politique, en démographie, en tout) soient maintenant
                d'accord sur le fait que le centre du monde politique et
                économique se déplace vers l'Est - Philippine et Japon ;
                l'océan Pacifique remplaçant la Méditerranée. Et il en
                est de même pour l'Eglise. En 1960, le nombre des catholiques aux Etats-Unis et en
                Europe, 297.000.000, représentait un peu plus des 51%
                des catholiques du monde. En Afrique-Asie-Océanie etc,
                ils étaient de 251.000.000 soit 48 %. Vers l'an 2000
                (voici de la futurologie) l'Occident représentera
                380.000.000 soit 30 %. Tandis que l'Orient avec ses
                854.000.000 représentera 70 % ! Cette tendance se retrouve déjà dans l'Ordre. Sur les
                19 dernières fondations de monastères d'homme, 16 se
                trouvent en Orient, tandis que les moniales en ont fait
                6 dans les mêmes régions. L'Abbé Général conclut que
                bien que toute décision soit hors de notre portée, il
                nous faut faire face au fait que quelques maisons
                d'Europe disparaîtront et que l'avenir de l'Ordre se
                trouve en Afrique et en Orient. Voilà un chose que les Fondateurs de Cîteaux n'avaient
                absolument pas prévu. Que l'avenir de l'Ordre se
                situerait dans des Cultures absolument étrangères à la
                nôtre, en Orient, en Afrique et en Amérique du Sud
                encore. Il ne le dit pas ici, le Père Abbé Général. Il
                ne parle que de l'Afrique et de l'Orient. Mais il y a
                aussi l'Amérique du Sud qui deviendrait alors un pays en
                bordure de l'océan Pacifique, cette immense mer
                Américano-japonaise et Chinoise bientôt. Et nous ici ? Eh bien voilà, quelques maisons d'Europe
                vont disparaître. J'en connais une, par exemple, ce
                n'est pas Rochefort ! J'en connais une de la région
                francophone qui se prépare à disparaître. Les moines
                prennent leur disposition au plan économique déjà pour
                leur disparition et leur extinction. Eh bien, mes frères, voilà des avis qui me semble sont
                autorisés : la voix d'un Africain, la voix du Père Abbé
                Général. Et nous ici, nous ne devons pas maintenant
                commencer à rêver fondation dans ces pays là. Mais
                rappelez-vous ce que je vous ai dit hier : le moine
                contemplatif à l'intérieur de sa clôture, dans cette
                maison de Dieu qui est pour lui le symbole d'une maison
                plus intime au coeur de la Trinité. Là, il domine le
                monde, il le tient dans sa main. Le monde des hommes est
                dans son coeur à lui qui se dilate aux dimensions de
                l'univers, aux dimensions du coeur du Christ. Et alors là, mes frères, soyons attentifs, soyons
                respectueux, soyons aussi discret lorsqu'il s’agit de
                ces monastères, de ces hommes qui vont là-bas, de ces
                régions où commence à germer une vie monastique qui se
                veut vraie, qui se veut tout à fait ouverte aux influa
                de l'Esprit.Et alors, portons-les en nous, portons-les en notre coeur.
              C'est la façon la meilleure pour nous de les aider. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 16.06.8025. De l’évolution !Mes frères,Ecoutons le Père Abbé Général qui ouvre la quatrième et
              dernière section de sa lettre. Elle traite des adaptations
              et du renouveau.
 Quelqu'un qui regarde notre Ordre de l'extérieur peut
                être tenté de penser que la vie demeure à peut de chose
                près la même qu'au moyen-âge. Cependant, ceux d'entre
                nous qui ont trente ou quarante ans d'expérience au
                monastère savent qu'il s'est fait de grands changements
                et qu'il s'en fait encore un peu. Il est inévitable que soient divers les jugements sur
                les faits et la valeur de tels changements. On peut voir
                des cas de crainte et d'hésitation en face des
                adaptations. Et je rencontre souvent des moines et des
                moniales qui parlent comme si l'Ordre était en état de
                décadence. Par contre, je trouve parfois des moines et
                des moniales qui disent que nous ne sommes pas encore
                réellement adaptés et qui pensent qu'il y a encore
                beaucoup à changer. Voilà mes frères ! Pour les gens de l'extérieur, et
                puis pour ceux qui vivent à l'intérieur du monastère,
                deux groupes. Que sommes nous pour les gens de
                l'extérieur ? Je ne parle pas des habitués de la maison,
                mais des gens qui nous voient de loin, ou bien qui
                viennent un peu ici en touriste. Ils tournent autour de
                l'Abbaye ; enfin, ils savent qu'il y a quelque chose !
                Nous sommes des moyenâgeux, c'est à dire des curios1tés. Le monastère, une sorte de réserve naturelle qui abrite
                des survivants rarissimes d'une espèce en voie de
                disparition, d'extinction. Surtout qu'on en voit parfois
                se promener dehors ici dans les environs ; un grand
                plaisir de les croquer en photo ; parfois même de les
                interviewer. Ils sont dans un harnachement qui vaut la
                peine d'être projeté sur un écran familial ! Ils sont
                figés dans des habitudes multiséculaires bizarres et
                étranges. Par exemple, ils sont tous habillés de la même
                façon, un habit étrange et peu pratique. Ce sont des hommes ou des femmes ? On n'en sait trop
                rien, il faut être tout près pour le voir ! Et on sait,
                on sait par des indiscrétions, que lorsqu'ils se
                déplacent ensemble, ils marchent à la queue leu leu et
                que quand ils prennent leur repas, c'est pas comme les
                autres. Ils sont assis les ans à côté des autres, ils ne
                prononcent pas un mot, au lieu d'être face à face comme
                tout le monde et de parler, d'échanger leurs
                impressions. Vous savez qu'il y a l'un ou l'autre retraitant qui
                trouve tout à fait aberrant cette lecture au réfectoire,
                surtout qu'elle est retransmise chez eux ! C'est le
                moment à table où on échange ! On ne subit pas
                encore ! Donc, nous sommes des êtres bizarres du Moyen
                Âge. Maintenant, pour ceux qui vivent à l'intérieur du
                monastère ? Nous ici qui avons une certaine ancienneté -
                le Père Abbé Général parle de 30 à 40 ans - ne remontons
                pas si loin tout de même, allez soyons modestes, mettons
                20 ans peut-être ? 25 ans ? dans les années 50 ? Alors
                pour ceux là, il Y a tout de même de grands changements.
                Et pour ma part, je me demande si nous ne les avons pas
                oubliés? Je pense que oui, et c'est un bien. L'homme
                doit oublier son passé. S'il devait retenir tout,
                absolument tout ce qu'il a vécu, mais il ne ferait plus
                rien. Il mourrait, il serait bloqué. D'ailleurs, c'est ce qui arrive dans les vieux jours,
                on ne vit plus que dans son passé. C'est la preuve qu'on
                est arrivé au terme. On peut s'envoler, on n'a plus rien
                à faire ici. C'est physiologique ça, biologique même, il
                vaut mieux le savoir pour ne pas être surpris lorsque le
                moment sera là et, peut-être essayer de diminuer les
                dégâts. Mais enfin, nous l'avons oublié aussi, parce que les
                changements que nous avons vécus ont été ressentis comme
                positifs et bénéfiques, comme libérateurs et
                épanouissants. Ils étaient le fruit d'une évolution
                saine. Nous trouvions tout naturel qu'il en ait été
                ainsi. Et je dois dire que maintenant nous nous sentons
                bien entre nous, nous nous sentons même mieux. Mais on n'est pas partout du même avis. Le Père Abbé
                Général dit qu'il rencontre encore souvent - il
                insiste sur le mot souvent - comme il circule beaucoup,
                il doit tout de même en rencontrer des dizaines et des
                dizaines, des moines et des moniales qui trouvent qu'on
                est en état de décadence. Qui peut bien réagir de cette
                façon ? A mon sens, il y a toujours partout des  laudatores
                  temporis acti, des louangeurs du bon vieux temps !
                C'était toujours beaucoup mieux dans le temps ! Mais il
                est probable que ces hommes ou ces femmes, ces moines ou
                ces moniales, lorsqu'ils étaient dans le bon vieux
                temps, ils étaient peut-être les premiers rouspéteurs ?
                C'est souvent ainsi, ils ne sont jamais contents. Ils
                sont toujours contents de ce qu'ils ne vivent pas. Et ce
                qu'ils vivent les met toujours hors d'eux-mêmes. Alors ce peut être des personnes, aussi, qui ont besoin
                de sécurité, d'être rassurée lorsqu'elles sont enserrées
                dans un cadre visible. Alors ils savent très bien ce
                qu'ils doivent faire, ils n'ont pas de questions à se
                poser, ils n'ont pas de problèmes à résoudre. Ils ne
                sont pas devenus des adultes, ils n'ont pas pris leur
                vie en main. Ils ne sont pas responsables de ce qu'ils
                font. Non, ils doivent être toujours pouponnés par des
                tas de choses qui les tiennent debout. Il est vrai qu'il existe aussi, attention, le Père Abbé
                Général en parlera, il y fera allusion plus tard, des
                situations dans des monastères où vraiment on aurait
                l'impression d'être en décadence. Mais alors ce qu'on
                vit là, on l'étend partout comme nous, qui ma foi
                n'avons pas trop à nous plaindre ici, nous aurions aussi
                tendance à étendre notre situation à toutes les autres
                abbayes. Non, il y a des endroits où vraiment ce qu'on
                appelle les adaptations ont provoqué de grands malheurs.
                Enfin le Père Abbé Général va y faire une petite
                allusion, mais patience ! Mais il rencontre aussi parfois des moines et des
                moniales qui ne sont pas contents parce que eux, ils
                pensent être les accélérateurs de l'histoire. L'Ordre
                n'a pas encore vraiment commencé à s'adapter. Il y a
                encore beaucoup, beaucoup de choses à changer. D'autres
                tempéraments ! Des gens pressés, impatients ! Vous
                savez, le petit enfant qui est pressé de mettre les
                pantalons de son papa, déjà ! Ou quand il est un peu
                plus grand, il lorgne du côté du volant de la voiture
                tout le temps ! ça peut être ça ? ça peut être des
                prophètes aussi ? Du moins ils penseraient l'être ! Mes frères, que penser de tout ça ? Je pense, à mon
                avis, que le vertu se trouve dans un juste milieu. Il y
                a beaucoup de changements, il y a encore des choses à
                changer. Ne soyons pas des rouspéteurs, ne soyons pas
                des impatients ! Prenons la vie comme elle se présente !
                Marchons au rythme d'une évolution, d'une croissance et
                d'un développement normal. Soyons à l'écoute de ce que
                nous demande l'Eglise, de ce que nous demande le
                Chapitre Général, de ce que nous demandent les Visites
                Régulières, de ce que nous demande la société. Ne faisons pas de ça une alchimie d'où extraire une
                sorte de liqueur qui nous permettrait de rester jeune
                tout en continuant à vieillir. Non, mais à partir de là,
                suivons les impulsions de l'Esprit, grandissons en Dieu,
                développons-nous normalement et alors nous verrons que
                les adaptations ont été bénéfiques et que les
                changements que nous avons connu, nous avons le droit de
                les oublier au fur et à mesure ; car la vie nous apporte
                chaque jour sa beauté qui est nouvelle, cette beauté
                toujours nouvelle qui est celle de la vie Divine qui
                s'offre à nous et qui insensiblement nous transfigure. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 17.06.8026. L’homme nouveau !Mes frères,En lisant ce que le Père Abbé Général nous dit à propos
                des adaptations, des changements et du renouveau, je
                pensais qu'il devait avoir les nerfs solides. Ce doit
                être un homme qui reçoit beaucoup plus de plaintes, de
                doléances, de récriminations, de critiques que de
                compliments et de félicitations. Et je me souvenais d'une suggestion que m'avait faite
                un des frères. Il me demandait s'il ne serait pas bien
                d'adresser au Père Abbé Général une lettre pour le
                remercier à l'occasion des .messages si beaux qu'il nous
                adresse ; l'année dernière, la Lectio Divina ;
                cette année-ci, la lettre dont nous poursuivons la
                lecture. Je pense que ce ne serait pas mal, car il est un homme
                comme nous. Et lorsque nous nous sommes donnés beaucoup
                de peine pour préparer quelque chose de bien, nous
                aimerions recueillir un merci. Enfin, attendons encore
                un peu d'être arrivé au bout et peut-être l'un ou
                l'autre sera-t-il saisi par l'inspiration ? Ce devrait
                être une lettre au nom de la communauté, pas quelque
                chose comme ça en privé ! La question des changements et des adaptations est
                extrêmement délicate, vous comprenez. Et à ce sujet le
                Père Abbé Général va se compromettre personnellement. Il
                va nous donner son opinion, la sienne. Et pas seulement
                en tant qu'Abbé Général, mais en tant qu'Abbé tout
                court. Il faut dire qu'il est en charge depuis 1959.
                Donc voilà 21 ans ! Il a dû introduire ces changements dans son propre
                monastère. Que s'est -il passé ? Nous n'en savons rien !
                Rien de grave certainement, mais je veux dire que tout
                de même là aussi il a dû réfléchir, il a dû consulter,
                il a du beaucoup prier. Et avant d'être Abbé il était
                comme la plupart d'entre nous, un piot parmi les autres.
                Et il nous livre alors son expérience de Père Ambroise
                tout court. Il lui faut du courage parce qu'il prend
                position. Ecoutez un peu ! Quant à mon jugement personnel, je pourrais le résumer
                en 6 points : 1°- Des changements étaient nécessaires
                dans notre Ordre. Nous en étions arrivés à être trop
                asservis à un extérieures et nous n'étions pas toujours
                formalisme avait intérieurement corrodé l'esprit.2°- Et jetant maintenant un regard en arrière, il
                apparaît que nous n'avons pas toujours suffisamment
                préparé le terrain pour ces changements et qu'ils n'ont
                pas toujours été accomplis avec assez de discernement.
 3°- Incontestablement en beaucoup de maisons la réaction
                contre le passé est allée trop loin et d'authentiques
                valeurs monastiques en ont souffert.
 4°- Beaucoup de maisons ont reconnu que la réaction
                avait été exagérée et il y a maintenant un désir
                d'atteindre un meilleur équilibre. Mais ce désir
                rencontre parfois l'opposition d'un groupe qui craint
                que ce ne soit là une grand nombre d'Observances
                conscient du degré auquel le tentative pour revenir à
                une Observance trop rigide. (Ici, vous le remarquez, il
                parle en Abbé Général)
 5°- Une grande somme de patience et de discernement
                spirituel est nécessaire en ce moment en chaque
                communauté pour affronter la situation actuelle, en
                sorte que ce qui est positif puisse être consolidé et ce
                qui est dommageable progressivement éliminé. Ce résultat
                ne sera pas atteint par des récriminations mutuelles,
                mais plutôt par un effort sincère de la communauté avec
                l'encouragement et sous la direction de l'Abbé.
 6°- Bien que le rôle de l'Abbé soit décisif, il reste
                toujours vrai qu'un renouveau authentique, y compris un
                renouveau communautaire, est une affaire très
                personnelle exigeant une continuelle conversion du coeur
                de la part des individus qui composent la communauté.
 Pourquoi les changements étaient-ils nécessaires ? Il
                répond à cette question dans son premier point. Mais
                avant de l'aborder, je voudrais chercher une cause
                beaucoup plus lointaine encore. Le Père Abbé Général ne
                pouvait pas en parler dans sa lettre. Ce n'était pas
                possible, c'était en dehors de son sujet. Certainement
                qu'il serait d'accord avec moi et vous le serez aussi. C'est que c'est un phénomène qui n'est pas propre à
                notre Ordre. Il s'inscrit dans un phénomène beaucoup
                plus large, un phénomène général dans le monde
                religieux, dans le monde ecclésiastique aussi. Et ce
                phénomène est lié à une mutation subie par l'humanité à
                la suite de la deuxième guerre mondiale. Il faut l'avoir
                vécu pour le comprendre. Pour les jeunes c'est peut être
                un peu ….. ils n'ont pas connu ce qui était auparavant
                ….. Cette mutation est encore en cours pour le moment.
                Et que s'est-il produit ? Il s'est produit après la guerre une véritable
                explosion, un décloisonnement, un décompartimentage
                général ; et alors après, une recomposition. Les petites
                entités ont éclaté et elles se sont regroupées en blocs
                gigantesques. Vous savez, il y a ce qu'on appelle les
                Pays de l'Est, il y a l'Occident, et maintenant il y a
                le Tiers-monde. Trois blocs ! Et dans ces trois blocs
                devenus démesurés, l'homme commence à avoir peur, ce
                n'est plus à taille humaine. C'est démesuré, hors
                mesure. Et que font les hommes alors ? Les hommes, instinctivement pour survivre recherchent
                la chaleur, la solidarité, la communion, l'amour. Et
                cela dans la liberté, dans le mouvement, dans l'espace,
                dans la vie. Regardez à titre d'exemple le phénomène des
                vacances. Mais vous avez des gosses, j'en connais comme
                ça, qui des Etats-Unis vont passer leurs vacances en
                Suisse, à 12 ans ? Pour eux, ce n'est plus rien du tout
                ! Les parents les mettent dans l'avion et puis c'est
                bon, en Suisse il y aura quelqu'un qui les attend. Voyez, ça, c'est le nouvel homme qui est en train de se
                créer. Ce n'est plus celui qui passe les vacances chez
                le grand-père ou la grand-mère du village voisin,
                n'est-ce pas ? Et pour lui, c'était un exploit ! Vous
                vous souvenez, quand on a lu le livre, ici, " Dure
                Ardenne ", il y avait tout un paragraphe intitulé "
                Lidje ", " Liège ". Aller à Liège pour un jeune
                Ardennais, mais c'était quelque chose comme d'aller dans
                la lune, la même chose. Il faut bien vous le dire, on
                vivait là sur un tout petit espace. Or maintenant c'est à l'échelle planétaire! Mais
                l'homme, alors, n'est plus à l'aise. Il va donc dans un
                mouvement presque grégaire se mettre les uns contre les
                autres pour avoir chaud, pour ne pas avoir peur, pour se
                sentir coude à coude, solidaire. Vous avez tous ces
                mouvements de jeunes, ces tous jeunes, ces hippies, et
                tout le reste ? C'est ça vous voyez. Alors, nous sommes les témoins et les acteurs d'une
                révolution qui fait venir au jour un type nouveau
                d'humanité. Et nous ne pouvons pas, nous dans notre
                monastère, nous contenter d'observer le phénomène comme
                des vaches dans la pâture qui regardent passer le train.
                Si nous ne sommes pas les co-auteurs de la révolution ou
                de l'évolution, nous en serons les déchets. Il faut bien
                se le dire. Notre Ordre doit donc changer. Et il doit changer pour
                rester identique à lui-même, pour ne pas perdre son
                identité. Et son identité, sa fonction, sa mission dans
                l'humanité, c'est d'être à la fine pointe de l'évolution
                spirituelle. Notre Ordre contemplatif, monastique, il
                est les narines qui aspirent l'air qui vient d'ailleurs,
                qui vient de l'autre rive, qui vient de l'autre monde,
                qui vient du Royaume. Et cet Esprit, car c'est l'Esprit
                Saint, doit alors pénétrer tout le Corps Mystique de
                l'humanité et le faire vivre sainement. L'Ordre doit changer pour rester ce qu'il est. Et nous
                voici en face d'un nouveau paradoxe. Deux réalités
                opposées, contraires, qu'il faut maintenir en tension
                constante sans sacrifier une à l'autre. Il faut changer
                pour rester ce qu'on est, mais comment faire ? C'est
                difficile ! C'est un problème qui est le nôtre
                aujourd'hui et nous ne pouvons pas nous permettre
                d'échouer. Le Père Abbé Général va examiner maintenant ce qui
                s'est passé, ce qui va se passer encore. Il va nous
                donner dans son premier point les raisons pour
                lesquelles ces changements étaient nécessaire au plan de
                l'immédiateté, du direct, de ce qui nous touche de plus
                près, pour que précisément nous conservions notre
                identité monastique et contemplative dans le monde
                d'aujourd'hui. Mais avant d'aborder ça, j'ai voulu vous donner une
                brève synthèse comme ça, beaucoup trop brève du
                phénomène. Il faudrait l'analyser beaucoup plus
                longuement, mais ça demanderait un énorme travail ; voir
                l'image de l'homme nouveau ! Il ne suffit pas de
                regarder des jeunes gens qui passent. Non, il faut même
                pouvoir recueillir des informations d'ailleurs, des
                autres continents, de partout. Le Père Abbé Général nous disait dans l'intervention au
                Chapitre Général de 1977 que en l'an 2000 le centre de
                gravité de l'Ordre se trouverait en Orient quelque part
                du côté du Pacifique, plus dans nos régions ! Vous
                voyez, c'est ça le nouveau type d'humanité.Eh bien, mes frères, je livre ça à votre réflexion, à
              votre prière. Vous voyez que nous sommes bien petits ;
              mais si l’Esprit de Dieu nous habite, tout nous devient
              possible. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 18.06.8027. Des Observances !Mes frères,Notre Ordre devait consentir à des changements s'il
                voulait demeurer identique à 1uimême, s'il voulait
                préserver son identité et rester fidèle à sa mission ;
                cette mission qui est splendide, incomparable, unique
                dans l'Eglise, dans le monde : tenir les yeux fixés sur
                Dieu, respirer le parfum de l'Esprit, boire la Lumière
                et devenir feu dans les artères et les veines de
                l'humanité. Voilà le rôle du contemplatif ! Nous avons vu hier que partout surgissait une nouvelle
                civilisation, qu'une race nouvelle d'homme se répandait
                sur la planète. Il était donc nécessaire, indispensable
                de procéder à une rénovation adaptée. Elle était déjà en
                cours avant le Concile. Le Concile nous l’a imposée. Des
                changements pour ce qui regarde les Observances
                extérieures, comme dit le Père Abbé Général. Pas
                question de supprimer ces Observances, mais les élaguer.
                Leur foisonnement commençait à étouffer la vie. Quel est le rôle des Observances ? Il faut toujours
                bien se replacer dans le contexte d'une vie qui est
                difficile parce qu'elle est surhumaine ; elle est
                surnaturelle, mais incarnée. Notre hebdomadier y a fait
                allusion ce matin. Le rôle des Observances ? Elles sont un langage qui dit
                la vérité spirituelle cachée. Elles sont symboles qui
                révèlent des réalités invisibles. Mais attention, si
                elles sont langage symbolique, elles ne peuvent pas
                devenir bavardage ; bavardage creux, vide, qui tourne
                sur lui-même, qui revient sans cesse sur lui-même et qui
                finalement s'intoxique et en meurt. Les Observances sont aussi tuteur pour la croissance,
                soutient pour la marche. Mais elles ne peuvent devenir
                une masse pesante qui écrase et qui bloque, qui empêche
                les hommes de grandir ou qui les tient rivés au même
                endroit, sur place ; ils ne savent plus remuer. Voilà ce
                que doivent être les Observances et ce qu'elles ne
                doivent pas devenir ! Or il est certain que le buissonnement des Observances
                extérieures de notre Ordre ligotait au lieu de libérer.
                Il opprimait, il resserrait les liens au lieu de
                dilater. Il paralysait au lieu d’assouplir.
                Naturellement, pour être juste et pour être honnête, il
                faudrait procéder à toute une étude sur l'origine et le
                pourquoi de ces Observances. Il faudrait remonter très
                loin. Il fut un temps où elles étaient valables, mais on
                avait oublié d’élaguer. Il faut, dans un Ordre comme le nôtre, procéder
                régulièrement à un élagage. Ce qui est expression vraie
                aujourd'hui ne le sera pas nécessairement en l'an 2000.
                Ce qui l'était entre les deux guerres pour d'autres
                hommes, dans un autre contexte social, culturel,
                religieux, ne l'est plus aujourd'hui ! Mais c'était
                resté là ! Et ces Observances extérieures alors, qui étaient
                maintenues à tout prix, elles finissaient par endormir
                tout le monde dans un formalisme qui, comme le dit le
                Père Abbé Général, avait intérieurement corrodé
                l'esprit. Et comme ont était endormi, on n'en prenait
                pas conscience. Mais qu'est-ce que le formalisme ? Le formalisme, c'est un attachement exagéré, excessif
                aux formes. On en arrive alors à des déviations car la
                pointe doit être placée sur l'adjectif excessif. Il faut
                être attaché aux formes. Ces formes sont requises. Mais
                on ne peut pas sombrer dans le culte, dans la religion
                de la forme, des Observances, de la lettre. On en
                arriverait alors si on cédait à cette manie qui est, il
                faut bien le dire très humaine car elle rassure l'homme.
                Elle pacifie la peur qu'il y a en lui d'être en défaut. Il est beaucoup plus facile d'obéir à des points précis
                de règlement - on est donc en règle et on a fait tout ce
                qu'on devait - plutôt que de se livrer, de s'abandonner
                à l'impétuosité de l'Esprit qui lui n'a pas de règle.
                Mais pourtant, il nous porte sur des règles ? Vous avez
                toujours, encore une fois ici, cette tension entre des
                valeurs antinomiques qu'il faut exploiter à fond chacune
                de leur côté. L'Esprit est toujours incarné dans une
                lettre, mais la lettre n'a aucune valeur sans l'Esprit
                qui l'anime. Mais si on dévie et qu'on s'attache trop à ce
                formalisme littéral, à ce culte de la lettre, alors
                s'installe un automatisme quasi animal, comme celui de
                la bête. Et cela corrode l’Esprit qui est sous la
                lettre. Corroder, cela veut dire que ça ronge l'Esprit
                insensiblement et, finalement il n'y en a plus. Mes frères, les Observances, si on les regarde pour ce
                qu'elles sont, nous devons les voir comme le code de
                politesse, comme le manuel de savoir vivre de la maison
                de Dieu. Pour être à l'aise dans les Observances, pour
                voir ce qui est capital, ce qui devient excroissance
                cancéreuse, adventice, il faut toujours savoir que nous
                vivons ici chez Dieu, avec une Personne, une société de
                Personnes, car Dieu est trois Personnes. Et comment nous
                tenir devant lui ? L'Observance n'est rien d'autre que
                ça...et c'est un code qui demeurera pour l'éternité. Le livre de l'Apocalypse nous décrit une liturgie
                céleste où nous voyons qu'il y a des rites, qu'il y a un
                rituel. Les 4 animaux, les 24 vieillards, les 144.000
                qui sont là, ils ne sont pas n'importe comment ! Ils ont
                des gestes, des attitudes, il y a des cérémonies. Ils
                sont chez Dieu. Eh bien nous, ici, nous sommes aussi
                chez Dieu. Nous le regardons, nous respirons son parfum,
                nous buvons sa Lumière comme je le rappelais tantôt. Et
                alors, tout ça ne peut pas se faire n'importe comment. Nous devons nous conduire chez Dieu en gens polis, en
                gens bien éduqués, et non pas en grossiers personnages.
                Il y a une façon de sortir de l'église qui montre que
                quelqu'un ne croit pas du tout que Dieu est présent !
                C'est un païen sous un habit de Trappiste, c'est du
                théâtre. Il y a des hommes de théâtre qui sont tellement
                bien dans leur rôle que même dans leur vie privée ils
                jouent ce rôle, parce qu'ils en sont imprégnés. Après ce
                sera une autre représentation et un autre rôle ; et à
                nouveau ils entrent tellement dedans que tout leur
                entourage doit savoir. Il n'y a rien à faire, ils sont
                devenus un autre personnage. Mais ce n'est pas ça ici !
                Ici, nous sommes chez Dieu, nous sommes chez quelqu'un.
                Nous ne jouons pas un raIe. Nous ne changeons pas à tout
                bout de champ. Nous sommes des adultes ou nous le
                devenons. Voyez mes frères, c'est ça les Observances. Prenons
                garde ! On les a fameusement élaguées depuis quelques
                années. Je pense que maintenant elles sont suffisamment
                simples et suffisamment parlantes, expressives que pour
                ne pas jouer avec. Soyons dignes, soyons polis et ainsi
                nous sentirons avec plus de vérité la force qui nous
                habite, cette force Divine, cette force spirituelle qui,
                de simple serviteur de Dieu, ici dans sa maison, fait de
                nous des fils qui devront hériter de sa vie, de son
                bonheur et de sa gloire. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 19.06.8028. Les changements.Mes frères, Le Père Abbé Général nous a dit que des
                changements étaient nécessaire à l'intérieur de l'Ordre
                parce que nous étions trop asservis à un grand nombre
                d'Observances extérieures. Etre asservi à l'Observance,
                mais c'est le monde à l'envers ! L'Observance, en effet,
                est faite pour l'homme et non pas l'homme pour
                l'Observance. La fonction de l'Observance est de libérer
                à l'intérieur du moine toutes les virtualités, les
                potentiels, les semences déposées par le créateur et non
                pas de réduire le moine en esclavage et de corroder les
                énergies spirituelles. Or c'était le cas, dit le Père Abbé Général. Et nous
                n'en n'avions pas conscience, du moins une conscience
                nette. Car à l'âge d'or de l'Observance stricte les
                monastères étaient surpeuplés. Entre les deux guerres,
                pour ne pas aller trop loin, Rochefort comptait 70 à 80
                personnes peut-être ? Et Scourmont loin au delà des 100
                ! N'était-ce pas la preuve qu'on était dans la vérité ?
                Or en réalité une corrosion spirituelle rongeait l'acier
                de nos âmes.Alors le Père Abbé Général poursuit et dit : En jetant maintenant un regard en arrière, il apparaît
                que nous n'avons pas toujours préparé suffisamment le
                terrain pour ces changements, et qu'ils n'ont pas
                toujours été accomplis avec assez de discernement. Pour faire le point de l'actualité, il faudrait
                remonter dans le passé et étudier comment ces
                changements ont été introduits. Il faudrait voir quel a
                été le rôle et la responsabilité du Chapitre Général.
                Mais vous comprenez que c'est là une étude qui dépasse
                de loin mes loisirs et ma compétence. Ainsi, pour illustrer un peu et vous faire sentir, avec
                moi d'ailleurs, comment les choses se sont passées, je
                vais vous donner lecture de quelques extraits d'une
                causerie présentée lors de la Conférence Régionale
                D'Orval en Octobre dernier par Dom André Louf, l'Abbé du
                Mont-des-Cats.Il remonte assez loin, en 1905. Et voici ce que disait
              dans son discours d'ouverture du Chapitre Général, l'Abbé
              Général de l'époque, Dom Augustin Marre : Le Chapitre Général est la supr3me autorité de l'Ordre.
                C'est lui qui juge en dernier ressort toutes les causes
                régulières qui lui sont soumises. Cette autorité lui
                vient de Dieu puisqu'elle lui vient de l'Esprit.
                Désobéir au Chapitre Général, c'est désobéir à Dieu.
                D'autre part, vous savez comme moi que la force d’un
                Ordre réside dans le principe d'autorité qui le régit ;
                et que si cette autorité vient à être amoindrie ou
                méconnue, des effets désastreux ne tardent pas à se
                produire. Si le Chapitre Général a le droit de connaître les abus
                qui se glissent dans l'Ordre, c'est parce qu'il a le
                devoir de les corriger, et de les corriger efficacement.
                Or, la Sainte Règle sous laquelle nous militons ensemble
                nous fait comprendre à chaque page que la correction des
                vices ne saurait être efficace sans la sanction. Nos
                pères le comprenaient. Et jusque dans les siècles du
                plus grand relâchement, nous voyons les Abbés les plus
                éminents de l'Ordre condamnés au jeûne au pain et à
                l'eau, privés pendant un certain temps de leur place au
                choeur, déposés même de leur charge par le Chapitre
                Général, et cela pour des fautes que nous considérerions
                aujourd'hui comme assez légères. Nous devons constater avec évidence et tristesse que si
                l'autorité locale est affaiblie, c'est parce que
                l’autorité supérieure est elle-même amoindrie. Les
                religieux pourraient-ils se croire tenu à l'obéissance
                envers nous s'ils nous voyaient nousmêmes faire des
                actes contraires aux Constitutions et aux décisions des
                Chapitres Généraux. On n'imagine plus un Abbé Général ? Vous sentez la
                différence de ton entre ceci et la lettre du Père Abbé
                Général aujourd'hui. Je saute beaucoup de choses.
                J'arrive maintenant 25 ans plus tard en 1930. Un nouvel
                Abbé Général qui prononce son allocution d'ouverture, la
                première : Dom Herman-Joseph Smets. Le Chapitre Général est l'autorité suprême. Il a le
                pouvoir de légiférer et il légifère sagement. Le fait
                est qu'à côté des Supérieurs conscients et fidèles à
                leur devoir, il s'en trouve d'autres qui soit par oubli
                ou négligence, soit par interprétation mollement
                bénigne, soit enfin ce qui paraît invraisemblable, par
                le mépris non dissimulé de ses prescriptions ou
                défenses, se chargent cyniquement la conscience de
                l'inefficacité des remèdes suprêmes de nos Assemblées
                Capitulaires. Regardez autour de vous et avouez que je
                ne me perds pas dans l'exagération. Maintenant encore beaucoup plus près. Nous voici en
                1953 et Dom Gabriel Sortais prononce le discours
                traditionnel d'ouverture. Nous sommes très proche de
                nous. C'est une période que nous connaissons maintenant.
                Il dit ceci entre autre: Quel est celui d'entre vous, mes Révérends Pères, qui
                en visite dans nos monastères n'a été frappé par les
                particularités qui se sont introduites un peu partout
                depuis quelques années, surtout depuis la dernière
                guerre, que ce soit dans la manière de conduire un
                choeur, dans la façon de se vêtir ou dans l'appréciation
                de ce qui a été traditionnellement la pauvreté et la
                mortification des Cisterciens. Que d'interprétations
                diverses que de modifications apportées aux coutumes
                séculaires de l'Ordre. (Vous voyez, des changements !) Faut-il donner quelques exemples ? Dans un bon nombre
                de monastères on a établi une schola, et le Père Chantre
                placé au milieu du choeur dirige les voix de sa main. Je
                ne cherche pas en ce moment si cette méthode est
                meilleure qu'une autre pour la bonne exécution du chant
                ? Je constate seulement l'innovation et déclare qu'elle
                n'aurait pas dû voir le jour sans l'assentiment du
                Chapitre Général. Admettons que certaines adaptations
                étaient souhaitables, que plusieurs même s'imposaient,
                il n'en reste pas moins vrai que personne n'était
                autorisé à les faire motu proprio. Le Chapitre
                Général avait le droit de pouvoir apprécier les
                nécessités qui se présentaient.Maintenant avançons encore. C'est Dom André Louf qui parle
              maintenant : On assiste ainsi jusqu'au Concile à un allongement
                croissant d'année en année, de la liste toujours plus
                impressionnante des dispenses accordées par les
                Chapitres Généraux. (Les changements dont parle Dom
                Ambrose) Ces dispenses se rapportent souvent à des
                questions aussi insignifiantes que de permettre le port
                des bas de toile au lieu des bas de laine, ou
                d'autoriser une communauté à célébrer Tierce à 7h30 au
                lieu de 7h45. (L'heure solaire naturellement)A partir du Concile, ce mouvement s'accélère encore. Tout
              passe par le Chapitre Général. Celui-ci dispense
              massivement par paquet. Vous comprenez mieux ce que dit le Père Abbé Général. Je
              relis:
 Jetons un regard en arrière maintenant. Il apparaît que
                nous n'avons pas toujours préparé suffisamment le
                terrain pour ces changements, et qu'ils n'ont pas
                toujours été accomplis avec assez de discernement. Mais il faut, pour comprendre, se replacer
                naturellement à l'époque. Il n'était pas possible dans
                la conception qu'on avait à ce moment là du rôle du
                Chapitre Général, de la fonction de l'Abbé, de la
                position des moines, des frères dans la communauté, il
                n'était pas possible de réagir autrement. Nous ne devons
                pas jeter la pierre, loin de là !Mais Dom André Louf constate pour finir : Un malais se fait sentir de manière également croissante
              et on éprouve la nécessité de rechercher une nouvelle
              manière pour le Chapitre Général d'exercer son autorité.
 Eh bien, dans les jours qui viennent, nous allons un
                peu voir, reprendre ce que nous dit Dom Ambrose. Et à la
                lumière de ceci réfléchir comment on doit procéder à des
                changements en préparant bien le terrain et en usant de
                tout son discernement. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 21.06.8029. Comment faire un changement ?Mes frères,Revenons-en au Père Abbé Général et à son opinion sur les
              changements et adaptations. Il avait dit :
 En jetant un regard en arrière, il apparaît que nous
                n'avons pas toujours préparé suffisamment le terrains
                pour ces changements et qu'ils n'ont pas été accomplis
                avec assez de discernement. Ici le Père Abbé Général met à notre disposition un
                double principe, une règle d'or qui doit régir tous les
                changements que nous désirons introduire dans notre vie
                communautaire. Il faut préparer le terrain et user de
                discernement ; sinon il est préférable de ne rien faire
                du tout. Cela veut dire que les changements doivent être
                longuement mûris. Et ici, s'engage lourdement la
                responsabilité de l'Abbé. Un changement ne peut pas être
                le fruit de la fantaisie Abbatiale. Quasi libera
                  utens potestate, dit Saint Benoît, 63,2, comme
                s'il avait le droit d'user d'un pouvoir arbitraire. Non, c'est un serviteur. Il est le premier des
                serviteurs. Il est au service de l'Esprit, il est au
                service des frères. Il doit donc être, lui-même, sans
                arrêt à l'écoute de cet Esprit, comme une antenne qui
                capte tout ce qui arrive comme message. Il doit être
                comme un appareil qui décode ces messages, qui les
                assemble et puis qui lit la Parole que Dieu adresse. Cette Parole est perceptible dans les événements, dans
                les frères qui parlent, qui font des remarques, qui
                expriment des souhaits, comme ça au hasard. Il ne faut
                pas organiser des réunions communautaires pour dire :
                qu'est-ce qu'on pourrait bien adapter et changer ? Non, l'Abbé est autre chose. Il est un organe unique
                dans une communauté, mais il doit bien s'acquitter de
                son rôle. Il doit avoir une très bonne oreille et ça
                demande de sa part, ça exige beaucoup d'attention ! Et
                c'est fatigant ! Parce qu'il y a des parasites qui
                viennent s'introduire dans ces messages. Voyez, il faut
                pouvoir les choisir. Oui, il ne suffit pas d'être à l'écoute de l'Esprit, il
                faut encore se faire contrôler soimême, c'est à dire
                prendre conseil, ce qui ne signifie pas réunir le
                conseil ! Non, c'est autre chose, c'est informel. On
                semble avoir saisi, voilà, puis en parler à un, à
                l'autre, susciter comme ça des réflexions, des remarques
                mais sans même que l'autre, que le frère s'en aperçoive.
                On dirait en terme plus moderne : prendre le pouls, le
                pouls des frères, prendre le pouls de la communauté. Saint Benoît le dit : Fais tout avec conseil, tu
                n'auras jamais à t'en repentir. Mais il dit aussi :
                Attention ! Il ne faut pas à priori prendre conseil de
                tous. Il faut la pars sanior, il y a une partie
                de la communauté qui est plus saine. Attention ici ! Je veux dire que tout le monde n'est
                pas compétent dans la même matière. C'est ça, un plus
                sain en matière de liturgie - pas de sainteté, de santé
                - une meilleure santé en matière de liturgie. Un autre
                aura une meilleure santé dans le jugement en matière de
                nourriture, il faut changer quelque chose. Vous voyez,
                c'est cela que je veux dire. Il faut encore peser les conséquences des changements
                et adaptations ; les conséquences à court terme, les
                conséquences à long terme aussi. Il faut être
                prévisionnel, voir loin. Une toute petite histoire au
                début, et ça peut être après des mois et des années
                quelque chose qui s'éloigne très fort de ce qu'on avait
                prévu au début. Il faut sentir, ce doit être longuement
                mûri, et puis, ça doit être raisonnablement motivé. C'est à dire que lorsqu'on en parle, ça doit entraîner
                l'assentiment. Je ne dis pas le forcer, mais l'entraîner
                de soi par la clarté et la force de la vérité. On dit :
                oui, c'est vrai, c'est mieux ainsi tout bien pesé. Ce
                n'est pas plus mal, comme on dirait dans la région ici
                pour dire que c'est bien. Voyez, la vérité doit s'imposer ! C'est pour cela qu'il
                faut, comme le dit le Père Abbé Général, préparer le
                terrain. Ce qui signifie en pratique qu'il faut donner
                un enseignement approprié qui touche les esprits, mais
                aussi les coeurs. Je pense que dès l'instant où un homme
                construit normalement, comme nous le sommes tous ici, a
                compris que telle chose devait être adaptée ou changée
                pour tel, tel, et tels motifs qui sont vrais, qui sont
                raisonnables, mais l'homme entre de lui-même dans le
                changement, il l'appelle, il le désire. C'est à cela qu'il faut arriver ! Préparer le terrain
                si bien, que le terrain demande le changement,
                l'adaptation ; ça ne doit pas venir de l'extérieur
                brutalement et être impose. Non, il faut que les esprits
                et les coeurs soient dans l'expectative de ce qui va
                arriver, qui est presque d'éveiller une sorte
                d'impatience. Maintenant, n'allez pas penser que je suis en train de
                préparer le terrain pour quelque chose ? Non, mais ça
                arrivera ! C'est déjà arrivé et ça arrivera encore. Mais
                j'essaie d'illustrer un peu ce qu'entend le Père Abbé
                Général. Et alors, ce doit être aussi mis en oeuvre, accompli au
                temps opportun. Non pas à n'importe quel moment, comme
                ça ne va pas de semer du froment à ce moment ci. On le
                sème avant l'hiver ou au mois de mars, mais pas
                maintenant. C'est ça, il faut pouvoir déposer la graine
                de l'adaptation au moment où ça aura des chances de
                pousser et de mûrir. Voilà mes frères, là dessus nous pourrons terminer la
                semaine en rendant grâce à Dieu de ce que ici les
                changements et les adaptations qui ont du se faire
                depuis des années - vous avez entendu le Père Abbé
                Général et le Père Abbé du Mont-des-Cats hier soir - se
                sont opérés dans la tranquillité et dans la paix grâce
                surtout à l'homme de bon sens, de jugement et de
                prudence qui a été notre Abbé pendant si longtemps : Dom
                Félicien. Mais nous y reviendrons dans quelques jours. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 22.06.8030. Le Chapitre Général.Mes frères,Il n'est pas possible de parler d'adaptations et de
                changements sans toucher ou heurter, sans effleurer ou
                égratigner implicitement ou explicitement le Chapitre
                Général qui se considère à tort ou à raison comme le
                premier responsable du progrès ou de la décadence de
                l'Ordre. Autrefois, le Chapitre Général était le
                  custos Legis, le gardien de la Loi, d'une Loi
                vénérable, codifiée dans des textes intangibles : la
                Règle de Saint Benoît, la Charte de Charité, les
                Constitutions, et les Coutumes séculaires de l'Ordre,
                pour reprendre une expression de Dom Sortais. Il appartenait au Chapitre Général de veiller
                soigneusement sur ce dépôt sacré. Sa tache consistait
                essentiellement à légiférer sagement, exécuter
                fidèlement et punir efficacement. Il fallait donner des
                interprétations autorisées des Lois et Coutumes de
                l'Ordre. Les Abbés, rentrés chez eux, devaient veiller à
                l'exécution fidèle des prescriptions, des instructions
                reçues. Et chaque année, la Visite Régulière venait contrô1er
                si tout se passait selon ce que le Chapitre Général
                avait décidé. Et on comprend alors que certains Abbés à
                l'approche de la Visite Régulière devenaient malade
                parce qu'il faudrait après devant l'assemblée annuelle
                du Chapitre Général, rendre compte de sa gestion. Il faut dire que dans le fond la tâche du Chapitre
                Général était relativement facile. En effet, l'Ordre
                était répandu sur une ère géographique relativement
                étroite : en pratique l'Europe Occidentale. Il y avait
                bien quelques monastères en Amérique du Nord et en
                Extrême-Orient, mais entièrement Occidentalisés ! Et de
                ces monastères, les cadres Culturels étaient homogènes. Il y avait aussi l'uniformité des Observances qui
                étaient identiques partout. Vous vous en rappelez
                peut-être, ceux qui ont eux l'occasion d'aller dans un
                monastère ou l'autre il y a une vingtaine d'année. On ne
                voyait pas de différence. Partout c'était la même
                disposition des lieux ( église, chapitre, réfectoire),
                les mêmes gestes, les mêmes postures, les mêmes paroles,
                les mêmes chants. On n'était pas dépaysé du tout ! Non,
                c'était d'autres figures, seulement. Il faut dire que l'Ordre reflétait l'Appareil
                Ecclésiastique dans son ensemble qui était extrêmement
                centralisé. Vous vous souvenez des reproches adressés
                par Louis Bouyer à l'Episcopat Français qui n'était,
                disait-il, que l'organe d'exécution des directives
                transmises par la Curie Romaine. Il en était de même dans l'Ordre. Chaque Abbé, chaque
                Supérieur était l'exécutant fidèle des décisions du
                Chapitre Général. Rappelez-vous : légiférer sagement,
                exécuter fidèlement et punir ou être puni efficacement.
                Et ça maintenait une stabilité. Et ça donnait
                l'impression de devoir durer éternellement. Mais le
                vent, la tempête, l'ouragan du Concile est passé et
                aujourd'hui la situation a changé du tout au tout. Le Concile a rendu à chaque Evêque sa responsabilité
                locale. Et dans le sillage du Concile, le Chapitre
                Général a redécouvert l'idée de l'autonomie de chaque
                Abbé. Mais si chaque Abbé est autonome dans son
                monastère, on introduit le concept de pluralisme. Il
                fallait donc qu'on maintienne malgré tout une unité dans
                l'Ordre. Et en 1969 le Chapitre Général a édicté une loi
                cadre, dont il laissait, dont il abandonnait les détails
                aux supérieurs locaux : le Statut sur l'Unité et le
                Pluralisme. (le S.U.P) Cette date de 1969 est une date pivot historique pour
                l'Ordre. Ce ne sera jamais plus maintenant comme c'était
                auparavant. C'est fini ! Voyez un pivot : ça a tourné et
                ça a pris une autre direction. Mais quel est maintenant
                le rôle du Chapitre Général ? Qu'a-t-il encore à dire, à
                faire puisque chaque Supérieur local est autonome et
                qu'on dispose d'une loi cadre ? On en est toujours à
                l'ère des tâtonnements et des indécisions. Disons-le, le
                Chapitre Général traverse ce qu'on appelle une crise
                d'identité. Il ne sait plus trop bien ce qu'il est, et
                il est toujours, comme on dit encore, en recherche. Le frère Jacques n'est pas d'accord ! Car, dit-il, à la
                Conférence Régionale d'Orval, les Abbés étaient d'accord
                qu'actuellement le Chapitre Général devrait finir de
                légiférer. On a parlé beaucoup de ce que devrait faire
                un Chapitre Général actuellement. Et tout le monde était
                d'accord, surtout les Abbés, qu'il devrait finir de
                légiférer et d'édicter des lois qui intéressent ou qui
                n'intéressent pas. Mais il devrait surtout essayer
                d'être pastoral. Et on trouvait que c'était aux Abbés
                qui y assistaient à venir rendre à leur communauté toute
                la valeur de ce qu'ils avaient pu prendre, entendre ou
                recevoir. Oui, eh bien, justement j'avais l'intention de vous
                donner lecture de la proposition émise par la Conférence
                Régionale d'Orval. Ce n'est pas mal, et à mon avis,
                c'est même très bien ! Et ça pourrait être une voie sur
                laquelle le Chapitre Général devrait s'engager. Mais
                vous allez voir que c'est extrêmement difficile. Le Chapitre Général doit être de plus en plus un lieu
                de communion pour les Abbés, dans le partage du soucis
                de leur service pastoral. Les communautés attendent que
                leurs Abbés en reviennent confortés, comme transformés
                et transparents à l'Esprit Saint à l'oeuvre dans
                l'Ordre. La qualité de cette communion assurera la qualité de la
                communion entre les communautés de qui viendront les
                questions posées, et le Chapitre qui leur apportera dans
                un langage clair et adapté des principes de discernement
                et des directives pour les aider à mener leur vie
                concrète. Ces principes seront à la fois en lien avec les racines
                de notre tradition et ouverts à travers les différentes
                Cultures et vers l'avenir à ce que l'Esprit dit au monde
                et à l'Eglise de notre temps. En d'autres termes, on voudrait un Chapitre Général
                prophétique et pastoral Prophétique, parce qu'il serait
                un lieu de communion fraternelle entre les Abbés, et à
                travers les Abbés, entre les communautés. Donc, l'Abbé
                ne se rend pas au Chapitre Général à titre personnel. Il
                est comme un petit Corps Mystique qui porte en lui tous
                les frères. Il doit le savoir, il doit en avoir
                conscience. Là-bas, tous ces Abbés réunis sont à l'écoute de
                l'Esprit : ce que l'Esprit dit aux Eglises et ce qu'il
                dit au Monde. Capter ce message de l'Esprit, le faire
                sien ; puis en revenir, de ce Chapitre Général dans la
                communion donc de tous, réconforté, fortifié, encouragé,
                transformé ; et puis faire passer ce feu de l’Esprit
                dans chaque communauté.C'est très prophétique, c'est très beau ! Mais dans la
              pratique ? Dans la pratique, ce n'est pas impossible ! Mais à mon
                sens, pour que ce soit réalisable, il faudrait qu'il y
                'ait au Chapitre Général au moins deux ou trois
                prophètes, c'est à dire des hommes qui soient possédés
                par l'Esprit et puis qui puissent alors dire, exprimer
                ce que chacun ressent. Il est certain que chaque Abbé, à ce moment là - c'est
                une grâce unique dans une vie d'un Ordre - que chaque
                Abbé à ce moment là reçoit des grâces spéciales de Dieu.
                Mais pour la plupart ce sera confus, ce sera indistinct.
                Il faudrait donc qu'il y ait des éveilleurs de
                conscience, deux ou trois, pas plus ! Pas de
                haut-parleurs ni des ténors ? Non, pas même des
                animateurs, ni des facilitateurs ? Non, mais voilà le
                mot, c'est le mieux : des prophètes. Il y a quelques années de cela, je l'ai vu encore
                quelques part ici dans ces rapports, un Abbé avait parlé
                un peu dans ce sens là au Chapitre Général. Et ça avait
                produit un certain agacement. Depuis lors, cet Abbé qui
                avait été élu à tempus definitum, n'a pas été
                réélu dans sa communauté. Donc c'est qu'il n'était
                peut-être pas aussi prophète que lui ne se l'imaginait ! Mais malgré tout il faut dire que son idée était bonne
                et que ce qu'il a dit là était vrai. C'est cela que
                devrait être d'abord le Chapitre Général. Mais encore
                une fois, c'est une hauteur spirituelle et surnaturelle
                qui, peut-être dépasse la moyenne des hommes. Car,
                lorsqu'un Abbé arrive au Chapitre Général - je l'imagine
                bien - il arrive avec beaucoup de soucis et des
                questions pratiques. Il se passe ça chez moi ; J'ai tel problème, telle
                difficulté. Je vais revenir avec une solution pour moi,
                pour les frères. C'est juste, c'est vrai et il faut
                répondre à ces interrogations. Mais d'abord baigner dans
                une atmosphère spirituelle. Et c'est cela que voudrait
                réaliser la Conférence Centre-Europe, voir se réaliser
                plutôt. Car l'Abbé reviendrait du Chapitre Général, comme on le
                dit, transformé et transparent à l'Esprit qui est à
                l'oeuvre dans l'Ordre. Et il ferait passer tout cela
                dans ses frères. Je vois que notre délégué à la
                Conférence Régionale est en train de s'agiter de
                nouveau. Il a peut-être quelque chose à dire : Frère Jacques : Je voudrais ajouter qu'on a fait un
                beau progrès dans l'Ordre puisque le fait est qu'on en a
                reparlé et qu'on a terminé par cette proposition. Cela
                vient de la Conférence Régionale de Port-du-Salut ou un
                Abbé qui ne savait pas qu'il risquait d'être déboulonné
                avait risqué d'en parler. Et ça a été écouté, repris et
                creusé par à peu près toutes les communautés puisque
                tous les délégués et tous les Abbés - nous étions en
                petite réunion pour parler de ce renouveau du Chapitre
                Général et nous avons rentré 4 ou 5 textes différents -
                mais tous nous étions d'accord sur le fait que ça devait
                sortir. Donc depuis Port-du-Salut ? C'est qu'il y a un
                gros progrès... Oui, il y a certainement un progrès, une avancée. Mais
                je pense qu'une des difficultés vient de ce que ce sont
                les mêmes hommes qui doivent opérer en eux cette
                mutation. Je veux dire, donc des Abbés qui ont connu
                comme Abbé l'ancien système et qui doivent maintenant
                entrer dans une toute autre vision des choses C'est
                difficile ! Pour eux, ça demande une conversion. Non seulement une
                conversion mentale, mais aussi une conversion
                psychologique et même spirituelle. C'est une autre façon
                d'envisager et de voir les choses. Et d'un autre côté, c'est une sauvegarde ! Car il ne
                faudrait pas que des blancs-becs qui n'ont pas connu -
                comme abbé, attention hein ! - l'ancienne façon de
                faire, qu'ils forment un Chapitre Général et puis se
                lancent à l'aventure. Alors on tomberait dans le trou de
                l'illuminisme. Non, il y a là toujours cette beauté de l'incarnation
                de l’Esprit. Il vit dans les hommes. Mais Dieu n'est pas
                pressé. Nous autres, nous sommes toujours pressés. Nous
                voudrions que ça se fasse de notre temps...Oui, mais les
                prophètes étaient déjà ainsi. Ils attendaient pour leur
                temps la venue du Messie. Mais le Messie est venu au
                temps que Dieu a voulu et décidé et tous les prophètes
                étaient disparus depuis longtemps. Mais ça ne fait rien,
                ils le saluaient de loin. Nous autres, nous devons
                peut-être aussi saluer de loin un Ordre nouveau. Il sera donc  prophétique. Espérons-le avec nos
                confrères, nos frères de la Conférence Régionale ! Mais
                il sera aussi alors pastoral - l'un entraîne l'autre -
                indirectement par la force reçue là-bas, par l'énergie
                qui aura été infusée aux Abbés, qui reviennent dans leur
                communauté et qui alors animent spirituellement les
                frères. Il sera  pastoral aussi plus directement parce
                qu'il va établir un climat de confiance entre les
                communautés et le Chapitre Général ; et aussi les
                communautés entre elles. Les communautés posent des
                questions. Voilà, je reviens à ce que je disais : les
                Abbés ont des questions lorsqu'ils sont là ensemble. Et
                le Chapitre Général doit apporter des réponses, des
                réponses à ces questions, dans un langage clair qui
                permette de transcrire ces réponses dans la vie concrète
                des communautés. C'est très ambitieux ! Mais je pense que si on est des
                hommes spirituels, il ne faut pas avoir peur de
                l'ambition spirituelle. Rien n'est impossible à Dieu !
                Ce que dans notre petitesse et dans notre étroitesse
                nous jugeons démesuré, mais c'est à la mesure de Dieu.
                Et nous devons être, nous, les instruments de Dieu pour
                que son oeuvre croisse et s'achève avec notre humble
                mais fidèle collaboration. Voilà mes frères, essayons de retenir cela - puisque
                c'est le fruit de notre Conférence Régionale - que le
                Chapitre devrait être prophétique et pastoral.
                Et il sera vraiment pastoral s'il est prophétique. Lorsque j'en aurais terminé avec la lettre du Père Abbé
                Général, on arrive tout doucement à la fin, alors je
                commencerais à vous expliquer, à vous exposer le
                Chapitre Général, ça va prendre du temps. Mais ainsi
                vous saurez ce que je vais faire là-bas, si Dieu me
                conduit jusque là ? Et vous saurez, et vous sentirez que
                même si de corps vous êtes ici, qu'en esprit et
                espérance vous serez là-bas et que je serais là-bas
                l'interprète fidèle - dans la mesure où j'aurai
                l'occasion de dire quelque chose toujours - l'interprète
                fidèle de ce que vous êtes ici et de ce que vous
                espérez. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 23.06.8031. Changer contre quelque chose !Mes frères,Le Père Abbé Général nous donne la suite de son opinion au
              sujet des changements et adaptations :
 Incontestablement en beaucoup de maisons la réaction
                contre le passé est allée trop loin et d'authentiques
                valeurs monastiques en ont souffert. Beaucoup de maisons
                ont reconnu que la réaction avait été exagérée et il y a
                maintenant un désir d'atteindre un meilleur équilibre.
                Mais ce désir rencontre parfois l'opposition d'un groupe
                qui craint que ce ne soit là une tentative pour revenir
                à une Observance trop rigide. Ceci appelle deux observations : Tout d'abord, en
                beaucoup de maisons les changements ont été contaminés
                par un vice caché, par un péché occulte dissimulé dans
                les plis de la bonne volonté. Vous savez que l'enfer est
                pavé de bonne volonté ! Et ce péché, le voici :  on a changé contre quelque
                  chose et en l'occurrence contre le passé. Or c'est
                ça une faute irrémissible, c'est une aberration qui ne
                se pardonne pas. Je me suis souvenu alors en lisant ceci
                de ce proverbe antique : Ceux qu'il veut perdre, Jupiter
                les frappe de démence. Changer contre, c'est une forme démentielle. Pourquoi ?
                Mais réagir contre, cela trahit le ressentiment ou la
                peur, ou une mauvaise conscience. Ce n'est certainement
                pas un comportement adulte, c'est le fait d'hommes qui
                manquent de maturité. Vous savez que dans la jeunesse d'aujourd'hui et même
                ailleurs que dans la jeunesse, il est de bon ton d'être
                contre. On est contre les parents, on est contre la
                bourgeoisie, on est contre les patrons, on est contre
                les flics. On est contre l'Ordre établi comme on est
                contre la pollution, contre la guerre contre l'apartheid
                ; on est contre ! Oui, et dans les monastères on est contre le passé !
                Or, je ne puis être, moi, dissocié de mon passé. Je suis
                mon passé. Et si je m'élève, si je me révolte contre mon
                passé, je scie la branche sur laquelle je suis assis. Je
                me détruis moi-même. C'est une espèce d'autophagie, je
                me mange moi-même et je n'existe plus comme homme. Dès
                l'instant où je pars en guerre contre mon passé, où je
                charge contre lui, je me bloque ; je n'évolue plus, je
                régresse. Les Sciences psychologiques d'aujourd'hui qui sont très
                avancées, ont étudié la pathologie de ces états de
                révolte contre le passé. Naturellement je ne suis pas
                spécialiste làdedans, j'ai déjà lu une chose ou l'autre
                ainsi qui paraissent dans les revues qui sont là ; vous
                l'avez peut-être lu aussi ? Mais enfin ça n'attire pas
                souvent l'attention parce qu'on se dit : c'est trop
                difficile pour moi ! Mais ça nous touche parfois de très
                près et on voit que c'est là une maladie qui est très
                difficile à guérir. Lorsqu'on se révolte ainsi contre son passé, c'est
                qu'on ne parvient pas à se réconcilier avec soi-même. Et
                alors, on est toujours en conflit avec soi, et
                naturellement en conflit avec les autres. C'est pour
                cela qu'on sera contre, contre une quantité de choses.
                Et dans un monastère, on sera contre le passé. Et alors
                aussi contre ceux qui incarnent le passé, ceux qui sont
                les témoins de ce passé. Et alors contre celui qui est
                soi-disant le gardien du passé, c'est à dire le
                supérieur. Non, je dois, si je veux devenir un homme sain, et si
                je veux devenir un moine achevé et réussi, je dois
                assumer mon passé. Je dois l'assumer et je ne dois
                jamais le renier quel qu'ai été mon passé. Même si je
                dois regretter certains aspects de mon passé, je ne dois
                pourtant pas le renier. Je dois au contraire prendre
                appui sur lui pour grandir et m'élancer plus haut.
                Pensez à deux exemples, ce sont peut-être les deux plus
                remarquables de l'histoire du Christianisme, de la
                spiritualité chrétienne. Vous avez l'Apôtre Paul et vous
                avez Saint Augustin, deux personnalités contestées et
                contestables. Ils n'ont pas eu de passé d'enfant de
                choeur ni l'un ni l'autre, chacun dans leur genre et
                chacun dans leur faille et leurs errements. Et pourtant
                vous ne retrouverez pas une ligne chez Saint Paul où il
                refuse d'assumer son passé. Au contraire, il dira : j'ai
                persécuté l'Eglise de Dieu. Il n'en fait pas un titre de
                gloire, mais il dit : voilà ce que j'ai été et c'est à
                partir de là que le Christ m' a choisi, moi. Et Saint
                Augustin, lui c'est encore beaucoup plus ! Mais il
                regrette et à partir de là il devient un saint. Je pense que en chacun de nous il doit y avoir une
                bonne couche de fumier pour que le terreau soit fertile
                et que la semence de la vie divine puisse germer
                vigoureusement et porter un fruit qui demeure. Et bien
                ce fumier, nous ne devons pas le renier. C'est lui qui
                nous donne vie ! Voyez, c'est ça que je veux dire
                assumer son passer et construire dessus.Et ce qui vaut pour les individus vaut pour les
              communautés. Donc retenons bien cela, et ayons bien soin
              de ne pas tomber dans ce péché ! Une seconde observation car le Père Abbé Général dit :
 On essaye de retrouver un meilleur équilibre. Mais ce
                désir rencontre parfois l'opposition d'un groupe qui
                craint que ce ne soit là une tentative pour revenir à
                une Observance trop rigide. Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien cela veut dire
                que la rigidité exagérée, que la sévérité, ça traumatise
                les hommes surtout dans les communautés. Voilà
                certainement des hommes qui ont été blessés je ne sais
                pas comment parce que c'était trop dur pour eux ? Il
                s'est créé, il s'est noué en eux des complexes, celui
                  du chat échaudé qui craint l'eau froide. Voyez un
                peu la situation d'un Abbé qui se trouve en présence,
                d'hommes blessés à ce point ! Quelle patience infinie
                pour les rassurer, pour les apprivoiser, pour les guérir
                ? Mes frères, rappelons-nous ce que dit Saint Benoît. Il
                dit : Il faut toujours s'arranger pour que les faibles
                ne soient pas découragés et pour que les plus forts
                aient le désir de faire davantage. Et il a un si beau
                mot : Omnia temperare. Temperare, c'est
                quasi intraduisible en Français. On dira : il faut
                modéré, il faut tempérer toute chose. Mais temperare
                en latin ça veut dire étymologiquement : mélanger les
                choses de façon à ce que ce soit bon et beau, comme une
                belle sauce qui va plaire à tout le monde, et qui va
                éveiller l'appétit sans jamais engendrer le dégoût.
                C'est ça temperare ! Alors comprenez bien ceci et retenez-le à l'occasion de
                cette remarque du Père Abbé Général : c'est que chacun
                de nous doit porter un habit taillé à sa mesure. Et ne
                regardons jamais l'habit que porte notre frère, c'est le
                sien ! C'est le sien et moi j'ai le mien, et chacun à sa
                mesure. Mais Attention ! Toujours tous ensemble sur la
                même ligne et dans la même direction. C'est cela la vie
                monastique équilibrée et équilibrante pour tous. Et alors, mes frères, il est certain que nous aurons
                encore parfois l'une ou l'autre chose à changer. Dans
                une communauté qui vit et qui évolue, il y a toujours
                des petites choses à régler et à changer. Eh bien,
                prenons cette résolution ci : Ne changeons jamais contre le passé, même si ce passé
                est tout récent. Mais au contraire, à partir de
                l'existant construisons, changeons, évoluons pour que ce
                soit mieux, pour que ce soit plus parlant, pour que ce
                soit PLUS ; mais jamais en regardant en arrière avec la
                satisfaction d'avoir été contre et d'avoir démoli
                quelque chose. Non mes frères, ça ne doit jamais arriver ici,
                prenons-en la résolution. Et ainsi vous verrez, nous
                continuerons à nous développer et à grandir ; et nous
                serons de plus en plus satisfaits d'être dans notre
                peau, dans notre communauté et aussi dans notre Ordre et
                dans l'Eglise ; et allons plus loin encore dans
                l'humanité. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 25.06.8032. Les récriminations mutuelles.Mes frères,Revenons-en à la lettre du Père Abbé Général. Comme vous
              allez l'entendre, il se veut maintenant persuasif :
 Une grande somme de patience et de discernement
                spirituel est nécessaire en ce moment en chaque
                communauté pour affronter la situation actuelle, en
                sorte que ce qui est positif puisse être consolidé et ce
                qui est dommageable progressivement éliminé. Ce résultat
                ne sera pas atteint par des récriminations mutuelles
                mais plutôt par un effort sincère de la communauté avec
                l'encouragement et sous la direction de l'Abbé. Ces récriminations mutuelles dans l'oeuvre de réforme
                se rapportent à ce qu'il a dit antérieurement, où dans
                certaines communautés on rencontre parfois l'opposition
                d'un groupe qui craint que le retour à un meilleur
                équilibre ne sait une tentative pour revenir à une
                Observance trop rigide. Et alors on comprend qu'il y ait
                des récriminations mutuelles. Les uns veulent une chose,
                les autres veulent autre chose. Mais le Père Abbé Général, ici, ne parle plus de
                beaucoup de communautés, de certaines maisons, de
                groupes. Non, il s'adresse maintenant à chaque
                communauté, donc à toutes indistinctement, donc à nous
                aussi ! Et il nous demande de regarder en face la situation
                actuelle, dans chaque communauté et dans l'Ordre entier.
                Et puis de l'affronter, c'est à dire de ne pas fermer
                les yeux, de ne pas se dérober ni prendre la fuite, mais
                de faire front. Et puis travailler et lutter avec
                patience et discernement, ces deux vertus qui seront
                certainement données aux frères de bonne volonté. Car nous sommes chez Dieu et c'est lui qui anime le
                renouveau de l'Ordre et de chaque Abbaye. Il est donc
                tenu de donner à ses serviteurs les moyens spirituels,
                surnaturels et même tout bonnement humains pour parvenir
                à réaliser ce renouveau. Et le Père Abbé Général nous
                livre un programme en deux points. D'abord consolider ce
                qui est positif et éliminer ce qui est dommageables. Pensons à ce qu'il nous a dit auparavant. Il a dit : la
                réaction de beaucoup de maisons a été trop vive. On a
                exagéré dans la réaction contre le passé. Nous avons
                analysé un peu cette affaire. Mais dans chaque maison il
                y a tout de même eu de fameux changements depuis une
                vingtaine d'année. Et on a pu, il a pu s'introduire
                subrepticement des choses qui aujourd'hui s'avéreraient
                négatives et dommageables. Il faut dire que nous vivons des temps difficiles, car
                nous sommes en période de transition. Nous vivons une
                Pâque et ce n'est pas un jeu de mot. Nous passons de
                l'Egypte de la lettre à la terre du Royaume, de
                l'asservissement à une Observance pointilleuse à la
                liberté de l'Esprit. Mais nous devons désapprendre un
                certain formalisme pour nous initier à la spontanéité de
                la vérité et de l'amour. Or, nous sommes maintenant entre les deux : abandonner,
                je reprends les termes du pères Abbé Général,
                l'asservissement, et il dit bien asservi,
                l'asservissement à des Observances trop rigides pour
                entrer dans une liberté spirituelle qui est, en fait, se
                mettre sous la tutelle d'une autre loi. C'est la Loi de
                l'Esprit, c'est la Loi du Royaume. Naturellement cette
                Loi spirituelle informait déjà les Observances
                antérieures. Mais au fil des siècles s'était introduit
                et fixé, et incrusté, un formalisme qui corrodait le
                spirituel. Maintenant que l'on procède à un travail de décapage,
                d'élagage de tout cela, il ne faut pas dire : mais ça va
                bien, an envoie tout promener ; maintenant c'est le
                laisser vivre, c'est le laisser-aller, chacun fait ce
                qu'il lui plait. Non, non, la Loi du Royaume est plus
                contraignante que la Loi des Observances. Nous devons
                bien nous le dire. Celui qui connaît un tout petit peu
                Dieu, déjà, dans la vie contemplative qui est la nôtre,
                sait que Dieu n'est pas un être commode à vivre. Il
                n'est pas un tyran, il n'est pas un bourreau, il n'est
                pas un être pervers qui donne d'une main pour pouvoir
                mieux étrangler de l'autre. Non, il est tout amour, toute bonté, mais c'est nous
                qui sommes malades, c'est nous qui sommes corrompus. Et
                nous préférons les chaudrons, et les oignons, et les
                viandes de l’Egypte même si ça nous coûte un peu de
                devoir observer certaines choses, que d'être livré
                devant l'aventure de l'obéissance, de l'abandon de soi à
                Dieu qui peut alors tout nous demander. Il est plus
                facile d'être asservi aux travaux de la Lettre que de
                devoir suivre les instructions de détachement, de
                dépouillement, de renoncement à notre égoïsme que sans
                cesse nous inspire l'amour qui est Dieu. Alors c'est pour ça, mes frères, que nous sommes
                maintenant en train de voyager d'un point à l'autre.
                Nous rencontrons des difficultés chacun personnellement,
                communautairement aussi. Nous nous trouvons parfois
                devant des mers rouges à traverser, devant des Sinaï
                fumant et flamboyant qui nous inquiètent, qui nous
                effrayent, devant lesquels nous sommes tremblants car
                nous ne savons pas ce qui va nous arriver. Mais voilà, il nous est demandé de continuer à marcher
                car l'entrée dans une vie spirituelle plus libre, tout
                en étant entièrement donnée à Dieu n'oublions pas que
                nous sommes les esclaves de Dieu, ses serviteurs, en
                attendant de devenir ses fils qui ne feront plus qu'un
                avec la volonté de leur Père - car l'entrée dans une vie
                spirituelle plus libre donc est le fruit d'une conquête,
                mais d'une conquête sur nous-mêmes. J'y reviendrai la fois prochaine car le Père Abbé
                Général y fait allusion dans le paragraphe suivant.
                Aujourd'hui je voudrais poser une question pratique :
                dans les changements qui se sont opérés ici depuis x
                années, il y a-t-il du positif à consolider ? Et il y
                a-t-il du dommageable à éliminer ? Qu'il y ait du
                positif à consolider, c'est certain. Je vais en prendre
                un détail seulement, un seul : le domaine de la liturgie
                qui est essentiel à une vie monastique. Voyez un peu tout ce qui s'est réalisé depuis une
                quinzaine d'années ! Dans le domaine de l'Eucharistie,
                dans celui de l'Office, voyez un peu ce passage de la
                langue Latine à la langue vernaculaire, le nouveau rite
                Eucharistique. Et nous ne sommes pas encore au bout de
                nos peines, nous le voyons bien. Il faut encore tous les
                jours au soir répéter des chants ! Et ce n'est pas
                encore fini ! Et avant que nous les connaissions et que
                nous les ayons bien assimilés, et que ça devienne chez
                nous une habitude, que ça aille tout seul comme ça va
                tout seul pour les petites Heures à l'office, mais se
                passera encore des mois, des années peut-être ?Car il y a encore tout le Sanctoral à mettre au point, le
              Temporal. Oh tant de choses à faire ! Et puis des tas de
              petits détails à fignoler, même pour l'Eucharistie. Ce que nous devons éviter de faire pour toujours
                consolider ce qui est, sans introduire des choses qui
                seraient négatives, c'est qu'il ne faut pas vouloir
                faire du jamais vu nulle part. Non, nous devons
                nous enraciner toujours d'avantage dans la tradition,
                dans le vrai. Ce doit être une recherche du vrai, une
                apparition du vrai. Le vrai est en dessous, parfois on
                ne le voit plus, mais lui permettre de pousser, de
                grandir, d'apparaître. Au début ça peut sembler : tiens, on n'a jamais fait ça
                ! Si, ça s'est fait autrefois, et puis ça a été enseveli
                sous beaucoup de détritus. Maintenant, on le ramène à la
                surface. C'est cela retrouver le vrai ! Et c'est dans ce
                sens là que nous devons continuer à travailler et à
                consolider ce qui est positif. Il y a aussi, dans le positif, l'ambiance générale
                d'une communauté aujourd'hui. Cette ouverture beaucoup
                plus confiante, fraternelle, franche, cordiale. C'est
                tout autre chose qu'il y a 20 ou 30 ans, pour ceux qui
                ont connu. Eh bien, ça aussi est à consolider, à
                renforcer toujours. Les liens de communion doivent
                toujours devenir plus solides jusqu'à ce qu'ils
                deviennent infrangibles. Maintenant, il y aurait-il du dommageable à éliminer ?
                Du négatif dans ce qu'on aurait introduit de nouveau ?
                Et là, je me suis creusé la tête, je me suis informé ici
                ou là et je dois dire en toute sincérité que moi je n'en
                vois pas. Il faut bien me comprendre ! Des choses qui auraient
                été introduites de façon inconsidérée dans le sens où le
                dit le Père Abbé Général, en réaction contre le passé,
                et puis qui maintenant s'avérerait : on a fait une
                bêtise dommageable. Et voilà, il faut maintenant essayer
                d'éliminer ça parce que c'est entré dans les moeurs. Enfin pour vous donner un cas, il n'est pas ici
                naturellement, mais vous comprendrez mieux ce que je
                veux dire : voilà des Abbayes où on a introduit la TV
                tous les jours au soir. On a supprimé l'Office de
                Complies. Voilà, ça c'est du nouveau dommageable ! Alors
                revenir, éliminer cela et revenir à une situation
                normale. Eh bien moi, je pense qu'ici je n'en vois pas.
                Si vous en voyez une fois, il ne faut pas avoir peur de
                venir me le dire car alors on essayerait de corriger
                cela. Mais ce ne doit pas tout de même être terrible. Maintenant, s'il n'y a pas eu de dommageable du moins
                visible, je pense que nous le devons surtout à la
                sagesse, à la prudence, à la modération et à la
                discrétion de Dom Félicien. N'oublions jamais ça ! Je
                sais que je le couvre de confusion maintenant, mais
                enfin je pense que ça doit être dit. Pourquoi ? Parce
                qu'il faut bien savoir que c'est lui qui a porté le
                poids des changements et des adaptations. C'est lui qui
                était en charge à ce moment là, qui a du prendre les
                décisions, agir, réfléchir, consulter la communauté ;
                c'est lui qui a du tout faire ! Et voilà ses successeurs dont je suis un bien petit
                indigne, eh bien, ils sont entrés dans un travail qui
                était déjà fait. On peut m'appliquer ce que le Christ
                disait à ses Apôtres : C'est d'autres qui ont fait le
                travail et vous, vous entrez dans leurs travaux. Et il
                disait ainsi : Vrai est le proverbe, c'est un qui sème
                et c'est un autre qui a la joie de récolter. Mais,
                disait-il la récompense sera la même et pour celui qui
                sème et pour celui qui moissonne. Donc voilà mes frères, je pense que je dis la vérité
                ici. Vous le savez tout aussi bien que moi. Et alors
                maintenant nous devons remercier Dom Félicien l'entourer
                de notre affection, de notre vénération. Il doit savoir
                que nous lui sommes reconnaissant du point où il a
                conduit la communauté. Car il faut bien le savoir, si
                nous sommes arrivés ici aujourd'hui c'est d'abord et
                surtout parce que lui a mis l'affaire en marche, il l'a
                portée, et les autres n'ont eu qu'à suivre, et à avancer
                encore. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 28.06.80Mes frères,33. Le véritable renouveau.
Voici le dernier point soulevé par le Père Abbé Général au
              moment où il donne son jugement personnel sur la situation
              d'aujourd'hui par rapport aux adaptations et au renouveau
              :
 Bien sûr, le rôle de l'Abbé est décisif. Il reste
                cependant toujours vrai qu'un renouveau authentique, y
                compris un renouveau communautaire, est un affaire très
                personnelle exigeant une continuelle conversion du coeur
                de la part des individus qui composent la communauté. Il dit : le rôle de l'Abbé est décisif, mais il y a
                aussi les frères. L'Abbé à lui seul n'est pas toute la
                communauté. Or il s’agit ici d'un renouveau
                communautaire. Donc, à mon avis, maintenant pour que le
                travail de renouveau, d'adaptation aux circonstances
                nouvelles puisse se faire, puisse s'achever aussi - il
                ne faut pas rester en panne à un moment donné - et cela
                dans la paix et avec un certain enthousiasme, il faut
                d'abord que l'Abbé lui-même y croit. Il doit y croire et
                faire passer sa flamme dans le coeur de ses frères. Et pour cela, il doit se tenir en garde contre deux
                écueils. Un sur sa gauche : il ne doit pas être un
                timoré ni un geignard ; et un écueil sur sa droite : il
                ne faut pas qu'il soit une tête brûlée, un fanatique des
                changements et du renouveau suivant ses idées à lui.
                Non, il doit plutôt faire confiance au pouvoir à la
                poussée de la vie, faire confiance à l'Esprit qui vit en
                lui et qui vit aussi dans les frères, et entrer dans une
                collaboration confiante, courageuse, et convaincue avec
                cet Esprit. Un renouveau communautaire, une adaptation aux
                circonstances d'aujourd'hui, naturellement c'est le
                travail de la communauté, mais c'est d'abord avant tout
                le travail de l'Esprit de Dieu. La vie monastique, ce
                n'est pas une entreprise à l'américaine ou même à la
                petite échelle européenne. Non, c'est une entreprise à
                l'échelle divine, infiniment au delà de tout ça. Et
                l'artisan en est l’Esprit de Dieu, et nous, simplement,
                avec confiance. Et comme je le disais tantôt, avec une
                flamme enthousiaste nous entrons dans le jeu de Dieu et
                nous travaillons avec lui. Qui a-t-il de plus beau que de faire d'une communauté
                une portion du Royaume de Dieu, un endroit où habitent
                des hommes divinisés ? I1 faut bien savoir ce que c'est
                ! Donc des hommes qui n'ont plus dans le coeur que de
                l'amour, des hommes qu'il suffit de rencontrer pour être
                pacifié, pour sentir qu'il y a dans l'existence, dans le
                monde, autre chose que l'argent, que le rendement, que
                le business, qu'il y a Dieu et que la grande affaire est
                de devenir des saints. Voilà mes frères le véritable
                renouveau ! Nous pouvons donc dire que nous sommes embarqués dans
                une opération renouveau. Et nous n'en sommes pas fâchés
                car c'est la volonté de l'Eglise, donc la volonté du
                Christ. Renovatio adaptata, disait-elle, un
                renouveau adapté aux circonstances d'aujourd'hui. Et
                c'est aussi notre souhait profond. Oui, il ne faut pas
                avoir peur de le dire : nous souhaitons être renouvelés
                de fond en comble, sinon nous ne sommes mêmes pas des
                chrétiens. Rappelezvous ce que dit Saint Paul: je
                vieillis, le phénomène d'entropie travaille en moi, mais
                à l'intérieur mon être se renouvelle de jour en jour. Cela tient en halène notre voeu de conversion des
                moeurs. Nous nous sommes engagés à ce renouveau - ça
                fait l'objet d'un voeu pour nous - jusqu'à la mort. Mais
                la mort, que sera-telle pour nous dans ces conditions ?
                Elle sera le fruit cueillit par Dieu et entreposé
                quelque part dans ses celliers chez lui. Et un jour, ce
                fruit sera exposé à la vue de tout le monde. Dieu sera
                fier de la plante qu'il a fait grandir dans son paradis. Notre voeu de conversion des moeurs, si nous le voyons
                dans cette optique, nous comprenons qu'il est pour nous
                une eau de jouvence. Vous connaissez cette fameuse eau
                que les anciens recherchaient. Au Moyen Age aussi ça
                revenait souvent. Il est possible, oh il est certain que
                les premiers cisterciens connaissaient ça. Cette eau,
                quand on en a bu, on rajeunit tout le temps, on ne
                dépérit jamais. Souvenez-vous de ce que le Christ disait : Moi, je te
                donnerai une eau, et quand tu en auras bu, tu n'auras
                plus jamais soif, mais elle deviendra en toi une eau qui
                jaillit en vie pour l'éternité. Voilà l'eau de jouvence
                ! C'est cette eau qui est en nous, dégageons la source
                et laissons la jaillir librement. Voilà notre voeu de
                conversion ! Et l'année jubilaire de Saint Benoît peut lui donner un
                nouvel élan, une nouvelle motivation comme on dirait
                aujourd'hui. Nous comprenons mieux ce que nous faisons.
                Et comme le Père Abbé Général le dit, c'est une tâche
                qui nous concerne tous et chacun personnellement.
                Personne ne doit rester à la traîne. Pourquoi ? Mais
                s'il y a un traînard, il va freiner le mouvement de
                l'ensemble... Naturellement Saint Benoît dit : il ne faut pas faire
                courir ! Dans un troupeau il y a des brebis, et elles
                ont des grandes jambes ; il y a des agneaux, des petites
                jambes ceux-là et des petites pattes. Eh bien, si je les
                fait aller trop vite, au bout de deux ou trois jours ils
                seront tous morts. Non, un traînard c'est autre chose. Un traînard, c'est un qui préfère aller voir d'un côté
                et de l'autre, ça n'avance pas. Dans le fond, il ne se
                plait pas dans le troupeau. Ce sera ce qu'on appellera
                des marginaux. Faut pas des marginaux ! Il n'yen a pas
                dans notre communauté, savez-vous. C'est un bonheur, une
                bénédiction, une grâce. Mais attention ! Toujours le danger de le devenir ! Ne
                devenons pas des traînards, car on freine l'avance de la
                communauté. Et le danger, alors, c'est qu'un beau jour
                on traîne tellement qu'an perd de vue le troupeau et
                qu'on reste là. Et ça c'est malheureux parce que c'est
                un échec dans une vie. Mes frères, travailler à notre renouveau personnel et
                communautaire, pratiquer toujours mieux notre voeu de
                conversion des moeurs, ce sera surtout revitaliser la
                première des vertus théologales : la vertu de foi. Nous
                exercer à voir les choses telles quelles sont, c'est à
                dire telles que Dieu lui-même les voit. L'univers, notre
                communauté, les événements, les hommes en général,
                chacun de nos frères, nous-mêmes aussi, nous voir tels
                que nous sommes. Qui suis-je ? Que suis-je au juste ? Dieu le sait, il
                va me le découvrir petit à petit. Et ce sera pour moi un
                bonheur. Ce ne sera peut-être pas très reluisant ? Mais
                ça n'a pas d'importance, c'est ce que je suis. Et avec
                ce matériel très brut encore, Dieu va pouvoir réaliser
                quelque chose de magnifique. Vous savez que plus la matière est dure et plus
                l'artiste doit être primé d'une école pour travailler
                cette dure matière sans l'abîmer et en extraire un chef
                d'oeuvre. Avec de la terre glaise, quand ça ne va pas,
                eh bien, on la repétrit et on recommence. Avec un bloc
                de marbre, il n'en n'est pas ainsi, ou un bloc de
                pierre. Donc si je suis une pierre très dure, tant mieux
                pour Dieu et tant mieux pour moi aussi. Mes frères, n'ayons pas peur de nous voir et de voir
                toutes les choses comme Dieu les voit. Car pour
                reprendre une image qui pour moi est puissamment
                évocatrice : la création toute entière est une immense
                chorégraphie dont l'auteur et le meneur est le Logos
                de Dieu, le Christ. Chacun y a sa place et nous avons la
                nôtre irremplaçable. Ayons bien soin de ne pas introduire de fausses notes,
                mais tenons les yeux fixés sur ce Christ qui imprime le
                mouvement à l'ensemble. Ayons aussi l'oreille ouverte à
                l’Esprit qui est musique, qui est mélodie, car il est
                beauté et il est amour. Retenez bien ceci car c'est très
                vrai : la beauté, c'est la musicalité de l'amour. Alors mes frères, dans ces conditions nous comprenons
                que cette foi vivante, cette foi qui entre dans le jeu
                de l'amour créateur du Logos de Dieu, elle crée
                aussi entre nous une communion qui devient notre force. Alors, comme nous sommes aussi dans l'année jubilaire
                de Saint Benoît, je vous propose de faire de cette
                revigoration de notre Esprit de foi un des objectifs de
                cette année jubilaire. Que nous ayons l'esprit attentif
                à ce pivot autour duquel gravite la Règle de Saint
                Benoît, ce petit mot creditur. On croit, c'est la
                foi qui construit notre vie monastique, c'est la foi qui
                la structure et c'est la foi qui lui infuse une vie qui
                doit perdurer. Voilà mes frères, je pense qu'ainsi nous pourrons aller
                de l'avant, ne pas cesser de grandir et nous
                rencontrerons le souhait exprimé par le Père Abbé
                Général. Il nous a donné son opinion personnelle. Demain
                nous allons aborder la conclusion. Elle ne sera pas
                terminée en un jour car elle nous dit encore des choses
                très importantes. Mais nous aurons l'oreille ouverte à
                cette musique de l'Esprit, à cet Esprit qui est musique
                et qui va arriver jusqu'à nous à travers les paroles et
                les conseils de cette lettre. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 29.06.8034. Des Convers – Relations entre les deux Branches.Mes frères,Le Père Abbé Général commence la conclusion de sa lettre:
 Après avoir lu tout ceci, vous pouvez être tentés de
                dire que je n'ai rien écrit de très neuf. Peut-être en
                effet ! Mais cela représente mes impressions honnêtes et
                réfléchies après avoir visité une première fois tous les
                139 monastères de l'Ordre et au moins 30 d'entre eux
                pour la seconde fois. Naturellement il y a bien des domaines auxquels je n'ai
                pas touché, comme par exemple les relations entre les
                deux branches de l'Ordre ou la structure centrale de
                l'Ordre : Chapitre Général, Conseil Général, etc. Mais
                on ne peut pas parler de tout. Il y a cependant un sujet
                sur lequel j'aimerais voir faire des recherches plus
                détaillées. Et c'est l'effet produit sur l'Ordre par le
                soidisant Décret d'Unification. Il me semble que nous
                n'avons pas encore saisi l'importance de ce Décret, ni
                réellement fait face à ses conséquences. Comme vous l'entendez, le Père Abbé Général semble
                vouloir s'excuser, aller au devant d'éventuelles
                critiques. Vous pouvez être tentés de dire, écrit-il,
                que je n'ai rien écrit de très neuf. Le Père Abbé
                Général connaît les hommes. Il sait qu'il se rencontre
                toujours des esprits tordus qui n'ont d'estime que pour
                eux-mêmes, que pour leur propre production littéraire ou
                autre. Mais pour nous, mes frères, nous savons que cette
                lettre est remarquable. C'est probablement la meilleure
                que le Père Abbé Général nous ait adressé. Elle est
                remarquable par son honnêteté - il le dit lui-même : mes
                impressions honnêtes et réfléchies - par sa fermeté, par
                sa vérité, par son humilité. Et je sais par les
                remarques que vous m'avez adressées que tous nous en
                tirons un très grand profit. Il lui était impossible de parler de tout, c'est
                certain. Il n'a pas abordé le domaine des structures
                centrales de l'Ordre. Nous aurons l'occasion de
                l'étudier lorsque nous préparerons ensemble le Chapitre
                Général. Il ne parle pas non plus des relations entre
                les deux Branches de l'Ordre. Je vais en toucher un mot
                dans quelques instants. Il estime que nous n'avons pas
                saisi encore l'importance du Décret d'Unification, ni
                réellement fait face à ses conséquences. Vous savez ce qu'est ce fameux Décret d'Unification ?
                C'est celui par lequel ont été supprimés les Frères
                Convers. A mon avis, le nom Décret d'Unification n'est
                pas trop bien choisi ! Et le Père Abbé Général, je
                pense, n'est pas éloigné non plus de cette opinion
                puisqu'il dit le soi-disant Décret d'Unification. Moi,
                je l'aurais plutôt appelé Décret d'Intégration. Enfin,
                ça c'est un détail. Ce qui importe, c'est la chose
                plutôt que le mot. Or, ce décret a bouleversé l'Ordre jusque dans ses
                fondements. Nous n'en mesurons pas encore les
                conséquences. Il faut dire qu'ici tout s'est fait dans
                la plus grande paix, grâce encore une fois à la prudence
                de Dom Félicien. Mais voyons un peu en quoi consiste ce
                décret. Les Fondateurs de Cîteaux, dans un souci de fidélité à
                la Règle de Saint Benoît surtout en ce qui regardait la
                clôture et l'Office Divin, ont repris l'institution des
                Frères Convers. Elle existait en dehors de Cîteaux, mais
                les Fondateurs lui ont donné une motivation d'ordre
                surnaturel. Ils voulaient, grâce à ces Frères Convers,
                être plus fidèlement moine Bénédictin. Or, voici que maintenant les choses évoluent. Eux, sans
                le remarquer, par un souci de fidélité à la Règle, ont
                introduit dans la lecture de la Règle un élément
                étranger. Aujourd'hui, nous introduisons une lecture de
                la Règle de Saint Benoît différente de celle des
                Fondateurs, et cela par un même souci de fidélité à la
                Règle. Et en écartant les Frères Convers des structures de
                l'Ordre, je pense que nous revenons à une lecture plus
                vrai de la Règle de Saint Benoît pour lequel il n'y
                avait que des moines. Mais dans cette nouvelle optique,
                dans cette nouvelle vision des choses, en réalité c'est
                un nouvel Ordre de Cîteaux qui est en train de naître.
                Est-ce que nous le réalisons bien ? C'est autre chose que ce que les Fondateurs ont voulu,
                et nous ne mesurons pas la portée de la décision qui a
                été prise alors ! Nous la saisirons davantage plus tard
                ; peut-être pas nous, parce que nous sommes encore trop
                conditionnés par le passé, mais disons les jeunes, ceux
                qui entrent maintenant, qui n'ont pas connu l'ancien
                mode de vie. Naturellement, eux trouveront tout naturel
                que c'eût été toujours ainsi. Je vous le dis, nous ne pouvons pas comprendre encore
                maintenant. Nous sommes toujours dans cette phase de
                transition, dans ce passage d'un état de vie à un autre.
                Et nous devons prendre garde de ne pas préfabriquer des
                cadres dans lesquels vouloir à tout prix fourrer les
                hommes. Mais nous devons plutôt abandonner notre
                ancienne approche des choses et laisser venir la vie
                tout en la guidant. Donc, ne pas vouloir déjà maintenant ici dans la
                communauté organiser la vie en nous disant : Oui, mais
                quand un tel qui est un ancien frère ne sera plus dans
                son emploi pour des questions d'infirmités, d'âge ou de
                décès, n'importe quoi, alors comment ferons-nous ?
                Comment va s'organiser notre vie ? Saurons-nous encore
                être de vrais moines si nous ne savons plus participer
                aux Offices ? Mais il faut déjà former les jeunes maintenant dans une
                vision un peu malgré tout futuriste et leur dire : oui,
                vous assistez aux Offices, vous y venez, c'est très bien
                tout ce que vous faites. Dans votre vie c'est capital,
                c'est essentiel ; mais le premier, ce qui compte, c'est
                d'abord la vie. La vie toute simple et puis la vie
                surnaturelle, la vie divine. Dieu prend possession de vous à travers tous les
                événements que vous allez rencontrer. Et entre autre il
                puisse se faire qu'un jour vous ne sachiez plus assister
                à tous les Offices. Mais alors vous y participerez d'une
                façon différente. L'Office Divin est une affaire
                communautaire avant d'être une affaire personnelle. Et
                il est possible de le prier tout en étant uni par
                l'intention à ceux qui sont à l'église. Il y en a déjà
                parmi les jeunes qui sont embarqués dans cette direction
                et je dois dire qu'ils le font très bien. Pour eux, ça
                ne pose pas de problème de conscience. Je pense ici à deux, allez je vais citer leur nom :
                vous avez le frère Pierre qui de temps en temps doit
                brasser et il ne sait pas venir à l'Office de Nuit, ni à
                l'Office de Laudes. Et il le fait tout simplement. Vous
                avez aussi le boulanger, le frère Paul-Michel qui une
                journée entière ne peut pas se présenter à l'église.
                Mais ça ne fait rien, il est là dans la volonté de Dieu
                et il célèbre les Offices à sa façon. Ils n'ont pourtant
                point reçu une formation de frère Convers. Voyez, c'est
                une nouvelle race de moine qui est en train de se
                former. Eh bien, faisons confiance à la vie ! N'essayons pas
                d'usurper la place de l'Esprit Saint. Il connaît son
                métier. C'est Lui qui est le Maître, ici, dans notre
                communauté et dans nos coeurs. Voilà, soumettons-nous
                humblement et avec confiance au réel. Et ainsi sans que
                nous le remarquions nous allons entrer dans une nouvelle
                façon de vivre, sans heurts, sans problèmes et au
                contraire avec toujours plus de satisfaction. Maintenant venons-en un peu à l'unité ……. à non,
                J'oublie encore ceci : C'est que dans certaines
                communautés ce Décret d'unification n'a pas été sans
                problèmes. Je viens de lire les comptes rendus du
                Chapitre Général de 77, et où la situation d'une
                communauté parait énorme à côté de la nôtre. Il y a 99
                profès solennels et en tout 115 personnes. Cette
                communauté comptait 2/3 de frères convers. Et voilà, on
                a tout unifié. Maintenant en 1977, il y a dans cette communauté 3
                groupes différents pour la célébration de l'Office. Le
                plus important se réunit à l'église et il célèbre
                l'Office selon les normes liturgiques connues. Tous les
                jeunes qui se présentent sont d'abord à l'hôtellerie et
                ils assistent à cet Office à l'église naturellement. Et
                lorsqu'ils entrent en communauté, c'est à cet Office
                qu'ils s'agrègent. Pour eux il n'y a pas de problèmes. Mais lorsqu'ils sont en communauté depuis un certain
                temps, ils s'aperçoivent qu'il y a d'autres Offices
                ailleurs. Il y a un Office d'abord d'une quinzaine
                d'hommes. Ils célèbrent un Office au début de la
                journée, à la fin de la journée, et un petit aux
                environs de midi. C'est un Office de Pater et d'Avé,
                l'ancien Office des frères. Mais il y a aussi un troisième groupe. Et ce troisième
                groupe se réunit, comme je comprend, au Chapitre. Et là
                on va célébrer un Office tout à fait autre, dans lequel
                il y a beaucoup de chants que ces hommes connaissaient
                avant d'entrer. Mais ce sont déjà des chants assez
                anciens puisque ça date d'avant le Décret d'Unification,
                donc au début des années 6o, et donc des chants
                religieux. Alors voyez un peu la situation de ces hommes qui
                vivent des Offices différents. Ils ont l'impression - on
                le disait - d'être tout simplement tolérés. Et que le
                gros de la communauté prend patience en attendant leur
                disparition dans les ténèbres de la mort. Et ça les
                affecte. Voyez, des hommes qui n'ont pas réussi à s'intégrer. Et
                c'est pourquoi je pensais que le mot intégration pour le
                décret eut été plus vrai...essayer d'aider des hommes à
                s'intégrer dans une nouvelle vision des choses, une
                nouvelle vie. A titre anecdotique existe aussi dans ce monastère ce
                qu'on appelle des Vigiles Egyptiennes. Deux fois par
                semaine - c'est dans l'église cette fois - l'église est
                plongée dans la pénombre. Tout le monde est assis. Il y
                a un lecteur qui se rend à un pupitre et qui lit les
                psaumes, puis il y a les lectures aussi. Mais tout le
                monde est là et ça dure une heure...tout le monde écoute
                dans l'obscurité, dans la demi obscurité. Il y en a qui se pose la question : Est-ce que c'est
                tout à fait conforme à ce que demande l'Eglise ? Et
                puis, il y a un autre Abbé qui est allé passer là
                quelques jours et qui a assisté à cet Office Egyptien.
                Et il a reconnu qu'il avait cédé à la faiblesse de la
                nature. C'est à dire qu'il s'était carrément endormi.
                Alors on se demande si ce n'est pas le cas de beaucoup
                de frères pendant cet Office dans l'obscurité ?Voilà mes frères, voyez, ce sont des recherches ! Maintenant  l'Unité des deux branches de l'Ordre.
                Il s’agit en fait de la branche masculine et de la
                branche féminine. C'est un seul Ordre, un seul tronc
                mais deux branches. Les moniales sont sous la
                juridiction des Evêques. Il est vrai que maintenant Rome
                a restitué un peu de juridiction aux Abbés, à l'Ordre.
                Mais quelles sont les relations entre ces deux branches
                du même arbre ? Jusque la révolution Française, il n'y
                avait pas de problèmes, les moniales étaient sous la
                juridiction des moines, totale, entière. Et ça
                correspondait à la situation de la femme dans la société
                de l'époque. Aujourd'hui, elles sont soustraites à la juridiction
                masculine, mais pour tomber sous la férule d'un Evêque !
                Ce n'est pas mieux ! Que faire ? La législation civile
                en Belgique - je prends le cas parce que je le connais -
                depuis 1 an ou 2, je ne saurais pas dire si c'est 78 ou
                79, a décidé qu'il n'y avait absolument plus aucune
                distinction entre l'homme et la femme, exactement sur le
                même pied dans tous les domaines. Ce qui veut dire ceci : mettons le domaine des offres
                de travail. Maintenant, lorsqu'on fait paraître une
                annonce pour demander de la main d'oeuvre - on demande
                un ouvrier manutentionnaire par exemple - il faut mettre
                aussi le féminin : un ouvrier ou une ouvrière
                manutentionnaire. Si par exemple on demande des
                chauffeurs de gros transport, de camion, s'il se
                présente une femme, on ne peut pas l'écarter parce que
                c'est une femme. On ne peut l'écarter que pour des
                raisons d'ordre technique : si elle ne sait pas conduire
                un gros camion, si elle n'a pas la compétence
                nécessaire. Sinon, on est obligé de la prendre. Et c'est ainsi partout ! Donc attention ici, on ne peut
                pas dire rechercher un ouvrier de brasserie car si c'est
                une dame qui se présente on ne peut pas l'écarter. On
                pourrait dire : oui mais ici il y a la c1ôture ! Oui,
                c'est un motif, mais peut-être si elle porte le litige
                devant un tribunal, ça va faire une histoire. Soyons
                donc prudent lorsque maintenant nous engageons quelqu'un
                ! Laissons-le plutôt venir. Il y a un endroit pourtant où la législation a été
                maintenue en Belgique, et pourtant on a posé la question
                devant le parlement. Vous savez qu'en Belgique la
                succession dynastique est uniquement du caté masculin.
                Mais maintenant voilà, pourquoi pas aussi du caté
                féminin ? Et on a décidé : non, on ne touche pas à ça,
                ça posait déjà des tas de problèmes ! On se disait par
                exemple: Le Roi Baudouin vient a décédé. Dans le cas
                d'une dynastie qui serait aussi du c8té féminin, qui lui
                succéderait? Ce ne pourrait pas être la Reine Fabiola. Ce serait qui
                ? Ce serait sa soeur, la Grande Duchesse du Luxembourg.
                Alors, de suite on dit : mais ça irait très bien, voici
                donc un seul pays, le Luxembourg est a nouveau annexé.
                Non, on a dit, ça ne va pas, ça ne va pas du tout. Elle
                serait la souveraine de deux pays en même temps ! Voyez
                un peu les élucubrations dans lesquelles les juristes
                étaient déjà plongés. Alors on a coupé court en disant :
                non, ça va rester comme ça. Voilà la seule exception ! Alors maintenant, le problème se pose ici dans l’Ordre,
                il faut bien se le dire. C'est le même problème : quelle
                est la place de la femme? On veut maintenant que les
                moniales soient exactement sur le même pied que les
                moines. Mais que va-t-il se passer ? D'abord, il y a, vous le savez, des Conférences
                Régionales, un Conseil Général et même un Chapitre
                Général. Veut-on introduire la mixité parfaite ? D'abord
                des Conférences Régionales mixtes ! On dit : oui, c'est
                très bien mais ce serait dangereux. Pourquoi ? Parce que
                si on commence avec des Conférences Régionales mixtes,
                il faudra aller plus loin. Si on introduit un Conseil
                Général mixte, alors cela suppose que la Chapitre
                Général soit aussi mixte. Mais la Sacré Congrégation des
                Religieux, elle, elle veille au grain ! Et elle ne
                prétend pas qu'on arrive à la mixité parfaite. Elle dit
                : on veut bien un seul Ordre, mais deux législations, et
                deux branches et deux Corps distincts. Et le problème
                est : comment maintenant harmoniser tout cela ? Vous allez penser : c'est extrêmement théorique pour
                nous, et c'est vrai, ça ne nous touche que de très loin.
                C'est plutôt pour en parler. Mais des Conférences
                Régionales mixtes, on n'en veut pas ! Ce qu'on veut, ce
                sont des assemblées libres, des réunions informelles
                comme on dit. Les deux Conférences Régionales vont donc
                se réunir en même temps au même endroit ; mais elles
                auront des réunions séparées et de temps en temps elles
                se retrouveront. Je pense que quelque chose d'autre est en train de
                s’introduire. Cela me paraît à mon sens un peu
                hypocrite. On tourne autour de la Loi et on n'ose pas
                dire ce qu'on fait. Il y auraitil encore un complexe du
                côté relation masculin-féminin ? Vous savez le Pape nous
                en parle chaque semaine. Mais en tout cas, en Hollande, dans la Région
                Néerlandophone plutôt, là à mon avis il n'y a qu'une
                seule Conférence Régionale et elle est mixte. Mais on
                n'ose pas le dire, on ne le dit pas ! Est-ce que il y a
                une contagion qui va s'étendre ? Nous n'en savons rien !
                Voilà, ce sont toutes ces questions que le Père Abbé
                Général n'a pas voulu aborder dans sa lettre et vous
                sentez bien un peu pourquoi, un terrain mouvant et
                dangereux !Voilà mes frères, la première chose qu'il nous dit dans sa
              conclusion. Nous verrons le reste plus tard. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 01.07.8035. La conversion des mœurs.Mes frères,Revenons à la lettre de notre Père Abbé Général. Il nous
              dit :
 En relisant ce que j'ai écrit, je vois quant à moi se
                détacher trois sujets : la nécessité d'affermir l'aspect
                contemplatif de notre vie l'importance d'une vrai
                compréhension de la pauvreté dans la structure
                économique moderne - la difficulté de faire assimiler
                réellement les valeurs monastiques. Si nous pouvions
                faire quelque chose de substantiel en ces trois
                secteurs, les résultats en seraient de grande portée en
                d’autres domaines. Pour le Père Abbé Général, sa lettre se construit sur
                trois lignes de force sur lesquelles nous devons axer
                notre travail de conversion.Ce travail de conversion doit consister d'abord en une
                réflexion, une réflexion qui sera une analyse de notre
                situation personnelle et communautaire. Donc, dresser un
                bilan ! Et puis, à partir de ce bilan voir comment
                intensifier ou poursuivre notre travail de rénovation ou
                d'approfondissement. Tout ça pour nous orienter vers un
                mieux vivre et un mieux être.
 C'est donc autre chose qu'une recherche spéculative.
                C'est tellement facile d'être des moines ou des
                théologiens en chambre. Ce ne sont pas ceux qui en
                parlent le plus facilement et le plus aisément qui sont
                les plus compétents dans ces matières.
 Donc pour notre conversion personnelle, car c'est à
                cela que le Père Abbé Général nous appelle, nous
                devrions avoir le courage de réfléchir à ce que nous
                sommes vraiment personnellement et dans la communauté ;
                établir un état de la situation et, à partir de là, voir
                comment intensifier notre travail d'adaptation,
                d'approfondissement comme le demande le Père Abbé
                Général, comme il nous le conseille. Et ici, prenons bien garde ! La vie monastique, elle
                n'est pas quelque chose de tellement facile. Il nous le
                dira dans le dernier point auquel il fait allusion :
                difficultés d'assimiler réellement les valeurs
                monastiques. Nous devons prendre garde de ne pas nous assoupir dans
                le duvet de nos sécurités matérielles, intellectuelles
                ou spirituelles. C'est extrêmement dangereux ! Car que
                pourrait-il arriver ? Il pourrait se faire qu'au moment
                où nous ne nous y attendons absolument pas, Dieu arrive,
                qu'il nous prenne avec notre nid, notre nid bien
                douillet, et qu'il nous jette à la poubelle. Et là, il
                n'y aurait plus que des pleurs et des grincements de
                dents. Oui, alors nous verrions, mais un peu tard, que tout ce
                sur quoi nous fondions notre assurance, ce n'était rien
                ! Ce n'est pas parce que nous avons les moyens, ce n'est
                pas parce que nous savons en parler, ce n'est pas parce
                que nous sommes fervents que nous avons progressé dans
                la ligne que Dieu ouvre devant nous pour nous conduire à
                la perfection de notre état monastique. Je veux dire que le voeu de conversion des moeurs que
                nous avons prononcé, c'est quelque chose d'actif dans
                notre vie, tous les jours. Nous ne pouvons pas nous
                créer un moment donné une mentalité de pensionné, de
                dire : j'en ai fait assez ; j'ai apporté tout ce que je
                pouvais, eh bien, maintenant c'est fini ! Je jouis de ma
                pension, je l'ai bien méritée. Oui, pour le civil, ça va bien, même dans un monastère
                aussi. Mais attention je dirais à un moment donné les
                forces déclines et on ne sait plus faire. Et on dira
                aujourd'hui : voilà, étiquette pensionné. Mais non, je
                me place ici à un autre niveau, celui de la vie
                spirituelle. Nous n'avons pas le droit de penser ainsi
                et encore moins de le faire. C'est ça s'endormir dans le
                duvet de ses sécurités. Non hein, plus un homme dans un monastère prend de
                l'âge au physique, plus il doit être fervent et ardent
                dans sa recherche spirituelle. Le voeu de conversion des
                moeurs, c'est de s'éveiller tous les jours en se disant
                : aujourd'hui je vais m'y mettre. Je me suis déjà dit ça
                la veille et je le dirai encore demain. Mais je peux
                avoir 90 ans presque et me dire tous les jours : je
                commence. C'est cette mentalité d'enfant qui continue à grandir.
                Le petit enfant, tous les jours au matin il est heureux
                de se lever parce que aujourd'hui il sera plus grand que
                hier. Ce sont les personnes qui n'attendent plus rien de
                la vie qui le matin disent : encore une journée devant
                moi ! Non, pas ainsi chez les enfants. Et le Christ nous
                l'a bien dit : Si vous ne devenez pas comme eux
                  spirituellement, le Royaume de Dieu, vous n'y
                  arriverez jamais ! Je pense que c'est une des plus belle leçon que nous
                pouvons retenir de la fréquentation des Pères du désert.
                C'était là des hommes qui nous ont laissé une quantité
                de conseils spirituels qui étaient très bien. Mais
                voyons les hommes eux-mêmes. Ils étaient tous très âgés,
                c'était tous des vieillards, et jusqu'à leur dernier
                souffle ils travaillaient. Ils travaillaient à la
                conquête du Royaume. Ils travaillaient sur eux-mêmes.
                Ils attendaient tout de Dieu. Ils étaient quémandeurs,
                ils priaient. Ils ne savaient pas s'endormir avant
                d'avoir achevé leur tâche tous les jours. E Et au moment ou ils mouraient, ce n'était pas quelque
                chose qui leur arrivait comme cela brusquement de
                l'extérieur. Non, c'était le dernier bon qu'ils
                faisaient pour partir là où Dieu les appelait. Tous les
                jours ils étaient à l'écoute de cet appel, tous les
                jours ils y répondaient. Et plus ils se développaient
                spirituellement et plus ils rajeunissaient divinement.
                Ils devenaient des enfants de Dieu. Voyez mes frères, c'est cela je pense que nous devrions
                essayer de réaliser chacun pour notre part. Car ici,
                c'est un choix que nous devons faire : bien comprendre
                l'essence de notre voeu de conversion des moeurs. Ce
                n'est pas tout de devenir meilleur de jour en jour ?
                Non, mais c'est de ne pas perdre la confiance, la
                candeur, la naïveté qui nous fait espérer la rencontre
                de Dieu pour tout moment. Etre prêt ! Etre là ! Etre heureux de le recevoir même
                si à l'intérieur de nous nous connaissons les ténèbres
                et les angoisses les plus terribles. Malgré tout il y a
                cette attente, cette joie profonde de se dire : je ne
                m'appartiens pas, je suis donné à un autre, je vieillis,
                je décrépis physiquement, mais divinement je sens que je
                me rapproche de celui qui m'appelle et j'entends sa voix
                qui me dit : viens, c'est l'heure, elle approche, elle
                est presque là ! Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir de ce
                premier contact avec la conclusion du Père Abbé Général.
                Demain nous verrons d'un peu plus près chacun des
                aspects qu'il soulève. Et vous verrez alors que sa
                lettre a été en toute vérité un monument que nous
                devrons reprendre, que nous devrons méditer. Et ainsi je pense que nous entrerons dans l'esprit qui
                a présidé à la rédaction de ce document. Et nous serons
                bénis de Dieu, chacun individuellement et aussi la
                communauté dans son ensemble. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 02.07.8036. D’abord vivre !Mes frères,La vie monastique est un mouvement extatique qui nous
                arrache à nous-mêmes pour nous projeter dans la sphère
                du divin. Nous devons être très attentif à ne pas gêner
                ce mouvement, à ne pas le freiner, mais bien plutôt à
                l'entretenir, à le nourrir. Cela nous sera facilité si nous faisons nôtre les trois
                lignes de force qui ont été dégagées par le Père Abbé
                Général, et si nous prenons garde aux termes qu'il
                emploie. Il les, voit comme nécessité, comme importance,
                comme difficulté, mais chacune à son rang : nécessité
                d'affermir l'aspect contemplatif de notre vie -
                importance de la pauvreté communautaire dans le contexte
                économique actuel et enfin difficulté d'assimiler les
                paradoxes de notre vie. Il ne faut jamais dissocier ces trois éléments. Mais
                dans la pratique il y a entre eux comme un étalement à
                travers la temporalité, comme une succession
                chronologique ou, si vous préférez, un ordre logique qui
                répond aux exigences de la vie, aux lois de la vie. Et en tout premier lieu se présente l'axiome que je
                vous ai déjà bien souvent rappelé : que l'économique
                  conditionne le spirituel. Suivant l'adage des
                Anciens : Primum vivere deinde philosophari,
                d'abord vivre et puis alors commencer à faire de la
                philosophie. La première urgence qui s'impose à moi,
                c'est de manger, c'est de me vêtir, c'est de trouver un
                habitat. Le Pape se trouve pour l'instant au Brésil. Il
                va entre autre visiter quelques quartiers bidonvilles.La lettre que l'on nous a lue dernièrement, qui est
                arrivée du Brésil, nous a quelque peu décrit la vie de
                ces ménages dans ces quartiers. Et l'Eglise Brésilienne
                est affrontée à ces problèmes ! Comment voulez-vous
                parler de Dieu, du Christ, à ces gens qui sont
                totalement pris par le besoin de manger, et le besoin de
                se mettre à l'abri. D'abord poser ce fondement qui est
                un fondement humain. On ne sait pas construire du
                spirituel sur rien du tout.
 Mais il y a toujours un danger ! C'est que ce pur
                matériel finisse par s'imposer et à rejeter sur le côté,
                et même à expédier dans l’ombre le spirituel Ce n'est
                pas quelque chose, ici, d'illusoire. C'est bien ainsi
                que cela se passe : d'abord vivre et puis chercher Dieu
                ! Mais attention ! Ne pas commencer par trouver un tel
                goût à jouir des plaisirs de la vie, que je perde le
                goût de regarder Dieu, de m'adresser à lui. Et ce péril
                se trouve aussi bien dans les monastères que dans le
                monde. Aucun homme n'y échappe ! Il faudra donc, comme le rappelle le Père Abbé Général,
                s'efforcer de maintenir la pauvreté communautaire à
                l'intérieur d'un contexte économique qui nous inonde de
                biens autant que nous le désirons, et même, au delà de
                nos besoins. Si nous préservons la pauvreté dans notre économie,
                dans nos rapports avec le monde extérieur quel qu'il
                soit, lui, économiquement développé, c'est la preuve que
                notre trésor est ailleurs. On ne sait pas servir deux
                maîtres à la fois. Ou, dit le Christ, vous servirez
                Mammon c'est à dire l'amoncellement de biens matériels,
                ou bien vous vous détacherez de ces biens matériels pour
                servir Dieu. Or Dieu, c'est la nudité ! Je n'ai rien en main lorsque
                je cherche Dieu, lorsque je suis en rapport avec lui ;
                mais rien du tout, rien de tangible, rien que je puisse
                présenter, dont je puisse me parer. Je n'ai rien ! Je
                dois donc choisir entre les deux. Mon coeur sera d'un
                côté ou il sera de l'autre. Il ne saurait pas être
                partagé. Eh bien, si communautairement nous optons pour une
                véritable pauvreté, c'est la preuve irréfutable,
                indubitable que le coeur de la communauté est quelque
                part en train de chercher le Royaume de Dieu, s'il n'y
                est pas encore arrivé ? Voilà mes frères, il faut bien que j'arrête car il est
                temps d'aller à l'église. Nous continuerons demain parce
                que vous allez comprendre - c'est encore un paradoxe
                parmi d'autres de la vie monastique - c'est que si une
                communauté monastique est un véritable Corps, comme le
                demande Saint Benoît - le Corps du monastère - ce Corps
                possède un coeur. Réfléchissons-y un peu : notre communauté a un coeur,
                un coeur qui est le lieu de ses désirs, le lieu de ses
                options, le lieu de ses luttes. Ce coeur est invisible,
                mais il doit tout de même être symbolisé et apparaître.
                Et c'est ce que nous essayerons de voir demain. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 03.07.8037. Notre communauté a un coeur.Mes frères,Si une communauté monastique tout en s'intégrant
                parfaitement dans les structures modernes prend garde de
                ne pas céder au vertige de la production à outrance et
                du profit, cette communauté donne par là même la preuve
                que son coeur est ailleurs, à savoir chez Dieu. Elle a
                choisi entre les richesses, ce qui est plutôt une
                pauvreté au plan divin, et une pauvreté matérielle qui
                va lui permettre de s'enrichir spirituellement. Une communauté monastique a donc un coeur qui choisit.
                Et c'est là quelque chose de remarquable car en fait,
                une communauté est composée de quelques dizaines
                d'hommes. Chacun, chaque frère a un coeur qui choisit,
                un coeur qui désire, un coeur qui lutte, un coeur qui
                rencontre des peines et des difficultés. Mais l'ensemble
                de ces coeurs bat au même rythme si chacun est habité
                par la charité qui est l'Esprit même de Dieu. Dans ce
                cas, on peut dire que le Corps du monastère à un seul
                coeur, ce qu'on disait des toutes premières communautés
                chrétiennes. Mais pour que ce soit vrai, mais vrai pratiquement, pas
                vrai mystiquement seulement, il faut que ce coeur soit
                symbolisé dans une personne. Et ce sera dans la personne
                de l'Abbé. Et nous touchons peut-être ici la toute
                première mission de l'Abbé dans une communauté.
                Naturellement il est là pour conduire, il est là pour
                régir, il est là pour inspirer. Mais il le sera à
                condition d'être pour ses frères le symbole du coeur de
                ce Corps que tous ensemble constituent. Mais maintenant, pour qu'il soit vraiment ce symbole -
                on exige beaucoup de lui - il doit d'abord être un homme
                qui vit en espérance là où le Corps tout entier se rend.
                Or vous savez, je l'ai rappelé le jour de la Trinité,
                l'espérance est la façon humaine de possédé le Royaume
                dans sa source qu'est le Père. L'Abbé doit donc être un homme qui vit habituellement
                en Dieu, chez Dieu. Il doit être - pour reprendre une
                expression du Nouveau Testament  in sinu Patris,
                dans le sein du Père. C'est là qu'il doit vivre. Alors il sera, mais réellement, le Christ pour ses
                frères s'il vit là où vivait le Christ pendant sa vie
                terrestre et là où il vit maintenant. A cette condition
                il est, comme vous le percevez certainement, le coeur de
                tous. Il faudra donc que cela se traduise à l'extérieur
                pour lui, mais exactement comme pour la communauté. Cela
                veut dire qu'il doit être inattaquable sur le plan de la
                pauvreté. On doit dans ce domaine là pouvoir ne lui
                adresser aucun reproche. Ce sera pour tous et pour chacun l'indice que même s'il
                est physiquement présent comme il convient, son coeur à
                lui est chez Dieu ; son être éternel, son corps
                spirituel en voie de formation vit chez Dieu. Et alors
                comme il est le symbole du coeur de la communauté, le
                coeur de la communauté bat et vit aussi chez Dieu. Et
                c'est ainsi que par un retour, la communauté
                collégialement pourra être pauvre au sein de l'économie
                moderne. Il devra donc être de la veine d'un Apôtre Paul qui,
                lui, se faisait un titre de gloire de n'avoir jamais
                rien exigé de personne en contrepartie de la vie qu’il
                leur apportait. Paul était pauvre. Et aussi dans ces
                conditions, il sera un véritable cistercien. Car je le
                rappelle, les Fondateurs de Cîteaux, mais
                particulièrement le rédacteur de la Charte de Charité
                qui était Etienne, il a bien précisé tout au début qu'il
                ne voulait absolument pas profiter de la situation qui
                était la sienne pour soutirer des maisons filles quelque
                chose qui augmenterait sa puissance matérielle à lui. Il
                disait : nous ne désirons pas nous enrichir de leur
                pauvreté. Si jamais nous le faisions, nous prouverions
                par la que nous ne sommes pas les serviteurs de Dieu
                mais les serviteurs des idoles. Il était terrible. Eh bien cela, mes frères, c'est toujours la même veine.
                On n'a pas le choix. Ou bien an sert Dieu, ou bien on
                sert les idoles ! Et les idoles, pour eux comme pour
                nous maintenant, étaient toutes ramassées dans l'argent,
                l'argent qui permet de tout acheter, qui permet de vivre
                de mieux en mieux sur la terre. Mais qui alors fait
                perdre le goût de ce qui est au-delà du sensible et qui
                pourtant soutient le sensible. Voilà,mes frères, la raison pour laquelle nous devons
                maintenir contre vent et marée notre intention de
                pauvreté. Ne jamais nous laisser sucer et aspirer par le
                gouffre du matérialisme omniprésent, mais jamais ! Si ce
                malheur devait nous arriver, alors nous devrions bien
                dire que c'en est fini de nous. Le Père Abbé Général nous dit que nous devons saisir
                l'importance d'une vrai compréhension de la pauvreté. Je
                pense que maintenant nous en comprenons encore mieux les
                motifs et la profondeur spirituelle de la pauvreté. Mais attention ! Ici je veux préciser : ne pas
                confondre pauvreté et misère ! Il parle d'une vrai
                compréhension de la pauvreté dans la structure
                économique moderne. Nous devons y avoir notre place.
                Nous devons nous y adapter. Mais nous devons toujours
                maintenir un équilibre sage, prudent, entre les besoins
                et les obligations d'une entreprise d'aujourd'hui et
                notre tension vers le Royaume de Dieu, encore une fois
                une recherche. Mais ce qui est premier, ce qui est primordial, c'est
                la tension, l'élan vers le Royaume. Comme je le
                rappelais hier, la vie monastique est un mouvement
                extatique qui nous arrache à nous-mêmes pour nous
                projeter chez Dieu. Et ce mouvement, nous devons le
                guider, nous devons l'entretenir, nous devons veiller à
                ne pas le freiner. Et en même temps nous devons vivre
                comme des hommes d'aujourd'hui, dans le monde
                d'aujourd'hui, en nous procurant des ressources, en
                collaborant avec l'environnement, avec le milieu qui est
                le nôtre. Et cet équilibre est un équilibre d'ordre spirituel.
                Nous l'avons choisi il y a bientôt trente ans. Nous le
                maintenons jusqu'aujourd'hui et je pense que nous en
                voyons les résultats. Car, si dans notre communauté il y
                a une âme, il y a un coeur, s'il y a une cordialité
                perceptible même aux yeux du dehors, c'est parce que
                notre intention première n'est pas de nous ménager ici
                une belle petite vie en attendant d'arriver de l'autre
                côté. Non, c'est parce que d'abord nous voulons essayer de
                rencontrer Dieu, en nous servant naturellement de ce que
                Dieu nous met à notre disposition ici pour que nous
                puissions subsister honnêtement et en bonne santé
                physique, intellectuelle et spirituelle naturellement. Voilà mes frères, je pense que ainsi nous comprenons un
                peu mieux l'intention de Père Abbé Général. Nous en
                faisons notre profit. Et je pense que nous pouvons
                encore une fois nous en féliciter et remercier Dieu de
                nous avoir accordé cette grâce. Et demandons-lui chaque
                jour, humblement, de pouvoir y rester inébranlablement
                fidèle. Récollection du mois de juillet. 05.07.80Lutter avec ardeur contre les obstacles !Mes frères,A l'occasion de la retraite annuelle, il nous a été
                rappelé que le moine contemplatif devait, à l'exemple de
                notre Père Saint Benoît, habiter avec soi-même, ce qui
                ne signifie pas se calfeutrer dans la tour d'ivoire de
                ses suffisances, ou dans l'ouate de ses rêves, ou dans
                la cuirasse de ses peurs. Non, habiter avec soi-même, c'est vivre dans les
                celliers de son coeur en compagnie de l'Esprit Saint qui
                purifie, qui transforme, qui dilate. Et là, dans le
                secret rencontrer Dieu et le monde, rencontrer le monde
                en Dieu. Un coeur en voie de divinisation, un coeur qui
                devient lumière s'élargit à des dimensions quasi
                infinies. Et il sait qu'il possède la suprême puissance
                de l'amour. Voilà mes frères où nous conduit habiter
                avec soi-même. La lettre du Père Abbé Général essaye de nous acheminer
                vers ces sublimités de contemplation, de dynamisme et de
                gloire. Elle nous le dit avec beaucoup de discrétion
                lorsqu'il nous enseigne à nouveau que l'idéal de la vie
                monastique c'est la prière continuelle qui jaillit d'un
                coeur purifié qui ne peut plus rien faire d'autre que
                d'aimer parfaitement. Il nous dit aussi que pour parvenir à ces sommets, à
                ces  culmina de vertu et de véritable vie, il
                faut lutter avec ardeur contre les obstacles :
                l'obstacle de l'avoir, l'obstacle de la richesse,
                l'obstacle de ce qu'on pense posséder. Il faut remporter
                la victoire de la pauvreté. Affronter aussi les
                paradoxes antinomiques que nous croisons sur notre
                route. Et alors à travers eux, devenir un homme achevé
                qui ne peut jamais être qu'un fils de Dieu. Mes frères, ce combat, nous devons le mener à son terme
                et nous devons remporter la victoire. Il n'y a pas
                d'autres choix pour nous : ou être écrasé, ou bien
                briser les murailles de la peur, les murailles de la
                mort, les murailles des frustrations, les murailles de
                l'acédie, de toutes les lassitudes. Et alors il n'y aura
                plus en nous place que pour la Vie éternelle, et le
                besoin de communiquer cette Vie aux autres et même à
                l'univers entier.Je le rappelle : un coeur qui est habité par Dieu, il
              s'élargit au-delà des dimensions de l'univers. Et comme
              pour Saint Benoît, on sait le voir dans un seul rayon de
              lumière. Mes frères, dans quelques jours nous allons à nouveau
                célébrer la fête de Saint Benoît. Cette solennité va
                dominer et animer tout le mois de juillet. Nous devons
                déjà dès maintenant, à l'occasion de cette récollection,
                nous demander si l'Année Jubilaire de Saint Benoît nous
                apporte quelque chose ? Pouvons-nous dire qu'elle est fructueuse pour chacun de
                nous personnellement et pour notre communauté ? Il y
                a-t-il entre nous plus de vrai fraternité, plus de
                transparence, plus de cordialité, plus de mutuelle
                confiance, plus de vraie charité ? En toute honnêteté je
                pense pouvoir répondre par l'affirmative. Mais nous ne
                devons pas en rester là ! Le progrès, sur la route de la
                perfection spirituelle est quasiment indéfini ; il l'est
                d'ailleurs ! Nous n'avons jamais fini de grandir en
                Dieu. Nous devons donc regarder s'il ne subsiste pas en nous,
                ici ou là, des poches de résistance. Pouvons-nous dire
                que toujours et partout notre volonté est collée à celle
                de Dieu au point qu'on ne sait plus les distinguer l'une
                de l'autre ? Ces noyaux durs, nous devons ou bien les
                dissoudre, ou bien les concasser. Mais nous devons les
                supprimer. Ce sont des obstacles sur la route qui nous
                conduit à Dieu, cette via oboedientiae, cette
                route de l'abandon, de l'obéissance, de l'amour qui nous
                conduit vers lui. Mes frères, Saint Benoît était un convaincu. Nous
                devons l'être avec lui. Je pense que c'est là un des
                plus beau gage de reconnaissance que nous pouvons lui
                donner en cette année, lui ressembler sous ce rapport.
                Il croyait, il savait à qui il avait donné sa foi. Il
                savait qu'on obtient de Dieu autant et même plus que ce
                qu'on en espère. Alors mes frères, si parfois cela nous semble dur, si
                cela nous paraît impossible, n'hésitons pas, appelons-le
                à notre aide. Nous savons que l'Esprit qui habitait
                Saint Benoît était le maître de l'impossible et que cet
                Esprit, jamais ne nous fait défaut. Il nous portera là
                où nous voulons aller, là où nous sommes attendus, là où
                nous sommes appelés, et là où nous sommes déjà
                maintenant. Car une communauté monastique, elle est le
                lieu de l'Esprit ; en elle on respire cette vie et on la
                rayonne. Mes frères, que ce soit notre pensée, notre
                encouragement, notre secours en cette soirée, demain le
                jour de récollection, pendant tous le mois, pendant tout
                le restant de cette année jubilaire. Et nous devons nous
                le promettre jusqu'à la fin de notre vie, jusqu'au
                moment où Dieu nous dira : viens, l'heure a sonné pour
                toi. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.07.8038. Devenir Dieu par participation.Mes frères,Remettons-nous d'abord en mémoire la conclusion du Père
              Abbé Général. Il nous dit :
 En relisant ce que j'ai écrit, je vois quant à moi se
                détacher trois sujets : la nécessité d'affermir l'aspect
                contemplatif de notre vie, l'importance d'une vrai
                compréhension de la pauvreté dans la structure
                économique moderne, et la difficulté pouvions résultats
                en seraient de grande portée en d'autres domaines. de
                faire assimiler réellement les valeurs faire quelque chose de substantiel dans monastiques. Si
                nous ces trois secteurs, les Nous avons déjà réfléchi à l'importance d'une vrai
                compréhens10n de la pauvreté dans la structure de la vie
                économique moderne. Si nous avons pris le parti d'être
                pauvre, de demeurer pauvre, c'est à dire de nous
                contenter du nécessaire en refusant d'être inféodé à la
                société de consommation, ou d'être asservi à un appareil
                de production, nous sommes dans les conditions optimales
                pour vivre l'aspect contemplatif de notre vocation. Notre vocation, en effet, elle a son centre de gravité
                ou son point d'encrage au-delà du visible, au-delà du
                matériel et de l'économique. Le contemplatif vit auprès
                du Créateur. Et de l'endroit où il se trouve il acquiert
                un sens aigu de la relativité des choses. Je veux dire
                qu'il s'aperçoit de plus en plus, comme le dit l'Apôtre
                Paul, que ce qui est visible est condamné à l'usure, à
                la détérioration, à la ruine, à la disparition. Tandis
                que ce qui est invisible est promis à l'éternité. Mais
                attention ! Par invisible, je n'entends pas l'intelligible, ou les
                idées pures, ou l'abstraction. L'invisible, c'est ce que
                le contemplatif regarde. Il voit la présence et
                l'énergie de Dieu en action partout, à tout moment à
                l'intérieur de ce qui est visible. Mais il ne s'arrête
                pas à ce qui tombe sous l'appréhension de ses sens
                charnels ou de ses sens intellectuels. Son regard
                aiguisé, son regard purifié, son regard théologal
                perçoit autre chose : c'est une personne, cette Personne
                qui agit. Et c'est là que se trouve, comme je le disais tantôt,
                son point d'encrage. C'est là qu'il vit. Et tout ce qui
                est présentation de cette action divine, il en voit la
                relativité. Il voit ce Dieu qui agit. Et ce Dieu pour
                lui - il le voit, attention ! Ce n'est pas un travail
                forcené d'intellection ! C'est aussi simple que je vous
                vois maintenant, ce n'est pas plus difficile - il voit
                le Dieu travaillant par son Verbe incarné, le Christ
                ressuscité et transfiguré. Donc tout ce qui est condamné à la disparition doit en
                fait être renouvelé. Il attend le moment où le Créateur
                prononcera cette Parole : Je fais toutes choses
                  nouvelles ! Mais cette nouveauté est déjà en train
                de se faire. Disons que s'il fallait traduire exactement
                cette Parole de l'Ecriture, il faudrait dire dans la
                façon Hébraïque de voir : J’achève toutes choses
                  nouvelles ! Quand cette Parole sera prononcée, ce
                sera un point final pour dire que c'est terminé, mais
                c'est déjà en train de se faire aujourd'hui. Le contemplatif vit là. Donc pour lui, rien n'est
                absolu de ce qui est créé. Il attend le moment où cette
                création sera devenue transparente au Dieu qui agit en
                elle et qui la transforme. Mais en attendant, il est
                au-delà de tout en étant dedans lui-même. Car il
                l'observe en tout premier lieu dans sa propre personne. C'est ce que Saint Benoît dira : L'homme qui aura un
                coeur pur, lorsqu'il sera tout à fait purifié, alors ce
                coeur pourra se dilater. Et l'Esprit de Dieu qui habite
                ce coeur pourra faire goûter au moine des choses qui ne
                viennent même pas à son esprit au moment où il s'engage
                pour la première fois à la suite de ce Dieu qui
                l'appelle. On comprend donc que le contemplatif se laisse
                dépouiller de tout, de tout l'inutile. Et en cette
                matière il s'en remet au seul juge compétant qui est
                Dieu. Ce n'est pas lui qui peut juger de ce qui est
                utile ou inutile, c'est Dieu ! Et tout ce qui est
                superflu ou inutile, il s'en laisse dépouiller. Voyez un
                peu ! Je pense qu'à partir de là on peut mieux
                comprendre la rigueur de Saint Benoît lorsqu'il dit
                qu'il faut retrancher tout le superflu. En d'autres
                termes, le contemplatif a franchi un portail. Et on peut dire qu'expérimentalement ce portail, c'est
                une espèce de mort. Il est démuni de tout il n'a pas de
                vouloir propre, il n'a pas de désir propre, il n'a pas
                de goût propre. Il n'a pas de vouloir propre : sa
                nourriture, c'est la volonté de Dieu. Or, comme nous
                sommes constitués de ce que nous mangeons, si je mange
                la volonté de Dieu, je deviens moi-même dans tout mon
                être vouloir de Dieu. Je n'existe plus qu'en tant que je
                suis une apparition de la volonté de Dieu, c'est à dire
                de son Amour. Car Dieu ne peut rien vouloir que ce qui
                est bien. Le contemplatif n'aura donc plus de désir propre. C'est
                un autre qui désire pour lui, et ça l'arrange très bien
                d'ailleurs. Comme le dira encore l'Apôtre Paul : nous ne
                savons pas ce qui nous convient, nous ne savons pas le
                demander. Mais il y a en nous un Esprit, un autre qui
                pousse des gémissements indicibles. Et cet Esprit
                exprime ce qui constitue le désir des hommes habités par
                la sainteté. C'est l'Esprit qui devient le désir du contemplatif.
                Non pas que le contemplatif désire l'Esprit, mais c'est
                l'Esprit qui désire en lui. Et alors, cet Esprit ne se
                trompe jamais. On ne peut plus rien désirer que ce que
                Dieu veut donner. On est volonté de Dieu, on désire ce
                que l'Esprit veut nous donner et on comprend alors que
                des miracles peuvent se produirent, invisibles la plus
                part du temps, disons toujours. Le contemplatif n'aura plus de goût propre. Il habite
                dans la Sagesse qui est, comme l'a si bien compris Saint
                Bernard : sapientia est le sapor boni, la
                saveur, le goût du bon, du vrai, du beau. Les goûts
                frelatés que peut donner la jouissance propre, les
                désirs personnels qu'on poursuit et puis qu'on atteint,
                qu'on voit réaliser, mais jouissance qui alors s'éteint
                dès que l'objet est possédé, tout ça est évanoui,
                évaporé lorsque quelqu'un est possédé par la Sagesse.
                Car alors il déguste ce qui constitue en Dieu
                l'intelligence. Dieu a tout organisé avec poids, avec
                mesure, avec sagesse. Il est infaillible dans ses
                desseins. Alors mes frères, un tel homme est affranchi des
                concupiscences et des passions. Il est intérieurement
                libre, une totale liberté. Il est maître de lui-même et
                il est aussi maître du monde. Et si maintenant je veux
                ramasser ça en une expression : il est devenu Dieu par
                participation. Voilà mes frères, ce qu'on peut qualifié comme étant
                l'aspect contemplatif de notre vie. Le Père Abbé Général
                nous dit que c'était le premier et qu'il était
                regrettable qu'on ne le mette pas suffisamment en
                évidence. Et nous verrons la fois prochaine comment
                faire pour réponde à son souhait et comment affermir cet
                aspect contemplatif de notre vie. Du Chapitre Général. 13.07.801. Inauguration de la préparation.Mes frères,Nous allons inaugurer la préparation du Chapitre
                Général. Comme vous vous en doutez, en ce domaine je
                suis un novice. Mais comme un novice qui se respecte, je
                suis d'une grande bonne volonté. Et il est donc heureux
                de recevoir des avis, des remarques de façon à pouvoir
                se former. Un novice doit être aidé par ses frères et
                c'est ainsi qu'il peut arriver à la pleine stature
                d'adulte monastique. Nous allons donc ensemble voir toutes les questions de
                ce Chapitre Général. Et je pense que lorsque ce sera
                terminé, vous serez aussi compétents que moi. Et en cas
                de besoin, je me suis aperçu - je ne le savais pas - que
                la communauté en cas de défaillance de l'Abbé peut
                toujours choisir un dé1égué. Donc, faisons les choses
                pour un mieux et tenons-nous prêt. Le Chapitre Général aura lieu du vendredi 29 Août au
                samedi 27 septembre à midi ; ça fait exactement quatre
                semaines. Il se tiendra dans une petite localité située
                à une trentaine de Km au sud de Rome, dans une maison
                qui est tenue par les Filles de Saint Paul, une
                congrégation, attention ! C'est une maison qui doit être
                assez spacieuse et qui est organisée probablement pour
                des retraites de grands groupes. Primitivement, vous le savez, le Chapitre Général était
                beaucoup plus simple. Chaque année, les Abbayes issues
                de Cîteaux, en la personne de leur Abbé revenaient à
                Cîteaux et rendaient compte de leur administration au
                Chapitre Conventuel de Cîteaux. C'était donc très
                familial, tout le monde se connaissait. Puis on rentrait
                chez soi et on attendait l'année suivante. Maintenant
                c'est quelque chose de gigantesque. Il y a - je le sais parce qu'on me l'a dit - commence à
                se glisser chez les Abbés un regret de devoir tenir leur
                Chapitre Général en terre étrangère, dans une maison
                anonyme. On préférerait que ce soit dans une Abbaye
                Cistercienne, à proximité d'une communauté vivante et
                priante, à laquelle on peut s'unir pour les Offices. Or
                dans tout l'Ordre, il y a une seule Abbaye aujourd'hui
                capable d'accueillir un Chapitre Général, c'est Orval.
                Le Père Abbé d'Orval a été contacté en ce sens. Il n'a
                pas dit non. Mais il doit prendre aussi l'avis de la
                communauté. Et je pense qu'à ce Chapitre Général-ci, il
                donnerait une réponse. Ce serait une fameuse facilité ! Mais à Orval, ça demanderait tout de même quelques
                petits aménagements, par exemple pour la traduction
                simultanée. Mais enfin, on fait appel à une firme
                spécialisée. A cette occasion là, une fois tous les
                trois ans, ce n'est pas terrible. Et d'ailleurs, c'est
                le Chapitre Général qui paye ! Donc de ce côté là il n'y
                a pas de prob1èmes. Enfin, attendons ce qui sera décidé. Les participants au Chapitre Général se subdivisent en
                deux catégories : ceux qui ont droit de vote et ceux qui
                n'ont pas droit de vote. Et il y a encore un petit
                appendice : ceux qui n'ont même pas voix au Chapitre.
                Parmi ceux qui ont le droit de vote, il y en a qui sont
                obligés d'assister au Chapitre Général et il y en a
                auxquels on accorde la permission d'assister. Sont
                obligés d'y assister : les Supérieurs de maison
                autonome, par exemple l'Abbé de Rochefort ; obligés
                aussi les membres du Conseil Permanent. Reçoivent la
                permission à condition qu'ils soient autorisés par leur
                Père Immédiat et que l'Abbé Général soit également
                d'accord, les Supérieurs de fondation. Je pense bien que
                cette permission est largement accordée. Donc, ceux-là
                ont droit de vote. Il y a aussi des participants sans droit de vote. Ce
                sont les représentants des Régions. Chaque Région
                choisit un représentant. La Région Néerlandophone qui
                n'est jamais la dernière pour innover en la matière, à
                décider que pour elle chaque Abbaye serait représentée à
                tour de rôle suivant l'ordre d'ancienneté. Je pense que
                c'est une heureuse initiative qui va faire tache
                d'huile. Donc le délégué de Rochefort peut espérer un
                jour assister sans droit de vote au Chapitre Général. Mais attention ! Ne soyons pas trop vite réjoui. Sur la
                liste de la Région, Rochefort est en 8° position. A
                raison d'un Chapitre Général tous les trois ans, c'est
                donc au plutôt dans 24 ans que le délégué pourrait y
                assister. Bon espoir pour les jeunes ! Il y a aussi, sans droit de vote, des experts : experts
                en Droit Canonique, experts en Liturgie, experts en
                Cisterciologie et autres Sciences Monastiques. Ce sont à
                peu près toujours les mêmes. On trouve leurs noms au bas
                des articles dans la revue Cîteaux et Collectanea. Il y a aussi les Observateurs et les Observatrices.
                Observateurs ? Je ne vois pas très bien qui ? Peut-être
                des membres de l'Ordre Bénédictin ? Je ne sais pas, ils
                ont leur Chapitre Général au même moment. Peut-être des
                membres du Saint Ordre de Cîteaux ? Mais ils ont leur
                Chapitre Général aussi à ce moment-là. Mais des Observatrices ? C'est beaucoup plus
                intéressant, ce sont des Révérendes Mères Abbesses. La
                Région Néerlandophone qui encore une fois n'est pas la
                dernière - il est vrai que ça se fait ailleurs, mais
                alors c'est voilé encore dans le secret. Mais les
                Néerlandais, eux, mettent tout sur la table et ont déjà
                choisi leur deux Observatrices. Plutôt, elles ont été
                invitées, on a donné leurs noms : c'est la Mère
                Michaela, la Supérieure de Klaarland et une certaine
                Mère Bénédicta qui est l'Abbesse de Brecht. Par un jeu de hasard, j'ai été en contact épistolaire
                avec cette Mère Bénédicta. Je ne l'ai jamais vue, mais
                je la connais d'après son écriture. Je n'ai pas fait
                procéder à une analyse graphologique, je ne suis pas si
                méchant. Mais enfin, voici qui elle est : Alors qu'elle
                était encore simple moniale, elle était déjà promotrice
                du Chapitre Général des Abbesses, ça veut dire que
                c'était elle qui faisait marcher le Chapitre Général. A
                l'issue du dernier Chapitre Général des Abbesses, elle a
                été invitée par le Père Abbé Général a l'accompagner en
                Espagne car un monastère de moniales devait déménager. Une fois qu'elle a été là, le Père Abbé Général lui a
                demandé de rester là pendant 6 mois pour aider la
                communauté à déménager. C'est à ce moment là que j'ai
                reçu une lettre de cette Mère Bénédicta qui m'exposait
                la situation de la communauté et me demandait une aide
                financière. Lorsque j'ai reçu cette lettre, je me suis
                dit : qu'est-ce que ça veut dire ? Ce n'est pas une
                escroquerie par hasard ? N'importe qui peut s'appeler
                Mère Bénédicta ! Mais heureusement la Mère Abbesse avait
                ajouté de sa propre main quelques lignes en Espagnol. J'ai tout de même répondu en Espagne en disant :
                Ecoutez, ça irait bien, mais il faudrait connaître par
                quelle voie faire parvenir cet argent. Donc, faites
                connaître le CCP ou le n° de Banque de l'Abbaye. Et ça
                est venu quelques temps après et alors nous avons versé
                ce don. Et la Mère Bénédicta et la Mère Abbesse ont
                envoyé toutes les deux une belle lettre de
                remerciements.A la dernière élection à l'Abbaye de Brecht, il était
                normal que ce fut la Mère
 Bénédicta qui fut élue Abbesse. Je pense que notre
                Frère Jacques la connaît bien, car il l'a approchée à la
                dernière Conférence Régionale. Elle est donc
                Observatrice pour la Région Néerlandophone. Maintenant, il y a aussi des collaborateurs qui n'ont
                pas voix au Chapitre mais qui sont là pour aider au
                déroulement heureux du Chapitre Général. Ce sont des
                secrétaires qui doivent pouvoir sténographier les
                interventions, et les interprètes. Il y a au Chapitre
                Général trois langues officielles : l'Anglais, le
                Français et l'Espagnol. Il faut donc traduire
                immédiatement ce qu'un Abbé dit dans les autres langues. Il faut donc savoir traduire du Français en Espagnol,
                mais aussi du Français en Anglais ou de l'Espagnol en
                Anglais, ou de l'Espagnol en Français, etc. Il y a donc
                là toute une équipe d'interprètes qui connaissent
                parfaitement les langues. Il y a aussi prévu des Abbés
                qui connaissent aussi parfaitement les langues et qui
                doivent au besoin corriger les interprètes. Et maintenant, quand on n'est ni Francophone, ni
                Anglophone, ni Espagnolophone, peut-on user de sa propre
                langue ? Oui, à condition d'être accompagné d'un
                interprète. Voyez un peu, un Japonais peut avoir avec
                lui un moine de son monastère qui connaît le Français,
                l'Anglais ou l'Espagnol, pour pouvoir immédiatement
                traduire dès qu'il intervient dans sa langue Japonaise.
                C'est la même chose pour les Néer1andophones et les
                Germanophones. J'ai vu comment ça fonctionnait à la Conférence
                Régionale. Le Père Abbé de Mariawa1d qui comprend bien
                le Français mais qui ne sait pas du tout le parler,
                intervenait en Allemand. Et immédiatement l'Abbé
                d'Oelenberg traduisait en Français pour ceux qui ne
                comprenaient pas l'Allemand. Il faut dire que c'est assez lourd parce que ça
                multiplie par deux la durée des interventions quand on
                n'a pas la traduction simultanée. Quand on voit tout ce
                monde ensemble, ça représente plus ou moins 120
                personnes. Au cours du Chapitre Général sera fêté là-bas également
                le Centenaire de Saint Benoît. Des rencontres sont
                prévues avec le Saint Ordre de Cîteaux qui tient son
                Chapitre Général à Rome et les Bénédictins qui tiennent
                aussi leur Congresso. L'Ordre de Cîteaux, ça se ferait
                le 16 Septembre. Avec les Bénédictins, du 17 au 20
                Septembre avec une c1ôture au Mont Cassin le Dimanche
                21. C'est ce qu'on appelle un symposium. Vont intervenir
                de grandes personna1ités. Enfin nous verrons à ce moment
                là. Il y a un certain mécontentement au sujet de cela parce
                que on a fourré cette célébration du Centenaire en plein
                milieu du Chapitre Général. Pour certains, ça peut être
                vu comme une détente, une récréation. Mais il y en a
                d'autres qui trouvent que ça allonge le Chapitre
                Général. La réponse : Si on avait mis cette célébration
                à la fin, il y en a certains, un nombre plus ou moins
                élevé qui seraient rentrés chez eux au lieu d'aller à ce
                symposium. J'ai déjà entendu, suite à la rencontre de Maredsous
                qu'un Abbé de notre Ordre allait déjà prendre ses
                dispositions pour y échapper. Comme il est très
                dynamique, il est possible qu'il profitera de ce temps
                là pour revenir voir dans son monastère s'il n'y a pas
                un Jubilé à y fêter, comment les affaires fonctionnent,
                et puis tout aussi vite rentrer. Ce n'est pas difficile,
                savez-vous ! C'est plus facile de se rendre à Rome que
                de se rendre à Achel, ça prend deux petites heures ; la
                difficulté, c'est d'aller jusqu'à l'aéroport. Donc, s'il
                y a quelque chose qui ne va pas, si jamais je suis là,
                n'ayez pas peur de donner un coup de fi1. Je me ferais
                un plaisir de rentrer et de régler les affaires, et puis
                encor de retourner si ça en vaut encore la peine ! Mais voilà, mes frères, une petite ouverture, une
                petite entrée en matière. Dès que j'en aurais terminé
                avec la lettre du Père Abbé Général, ce qui ne tardera
                pas, nous allons voir d'abord comment est organisé ce
                Chapitre Général en lui-même, puis passer en revue
                toutes les questions. Homélie : 15° dimanche ordinaire année C. 13.07.80*Le bon samaritain. Lc 10, 25-37.Mes frères,La parabole du bon Samaritain tire au jour un de nos
                complexes les mieux enracinés : le besoin
                d'autojustification. Nous voulons à tout prix nous
                montrer à nous-mêmes et démontrer aux autres que nous
                sommes des hommes justes. Nous faisons ce que nous avons
                à faire, tout ce qui nous est demandé, et nous n'avons
                rien à nous reprocher, et nous avons droit à la juste et
                belle gratification de la vie éternelle. Au départ, naturellement, notre intention est droite.
                Nous avons répondu à l'appel de Dieu. Nous sommes venus
                pour chercher Dieu. Nous espérons bien le trouver. Et à
                ce moment dans la contemplation de son visage, déguster
                longuement la vie impérissable. Il y a pourtant de suite quelque part une déviance et
                je lui verrais un double visage. D'abord une erreur de
                jugement sur la nature de la vie éternelle. Nous rampons
                au ras du sol et nous ne désirons que l'assouvissement
                de nos petits désirs terrestres. Nous nous imaginons
                alors être comblés. Et puis, il y a en nous une prétention insoutenable,
                celle d'escamoter la durée. C'est tout de suite que nous
                avons besoin de ce bonheur. Et volontiers nous userions
                de ce que j'appellerais des moyens magiques pour le
                faire descendre du ciel ou le faire monter de la terre,
                mais qu'il soit là à notre disposition immédiatement,
                sans effort. Mes frères, nos Pères de la vie monastique, eux, ne s'y
                trompaient pas. Et nous devons toujours revenir à leur
                exemple et à leur enseignement. Ils savaient qu'ils
                seraient en possession de la vie éternelle le jour où
                ils seraient entièrement divinisés. Et c'est pourquoi
                ils se livraient au doigt de l'Esprit. Et déjà ils se
                sentaient devenir lumière et amour. Tout homme vivait en
                eux ; eux vivaient en tout homme à la manière du Christ
                qui emplit tout de sa présence et de sa force. Car nous devons toujours remonter jusqu'au Christ dont
                nous sommes les membres et nous laisser imprégner de sa
                Parole créante et transformante, cette Parole qu'il est,
                lui, dans sa chair ressuscitée et eucharistiée. Et cette
                Parole, elle n'est pas loin de nous. Elle sourd sans fin
                au plus secret de notre coeur. Elle est musique et
                séduction, elle est poème et beauté, tout à la fois
                inaudible et perceptible, infiniment fragile et toute
                puissante. C'est elle qui est la vie éternelle, elle par
                qui tout a été créé, elle qui porte tout. elle qui nous
                transfigure si nous avons assez de foi que pour nous
                laisser agir. Mes frères, nous comprenons pourquoi Saint Benoît
                demande à son disciple une seule chose: d'être écoutant.
                Ecouter, attendre, patienter, c'est à dire obéir et
                suivre patiemment. Voilà la route qu'il nous demande
                d'emprunter, voilà la route sur laquelle il nous
                précède, et derrière lui une multitude d'hommes qui ont
                cru. C'est cette route qui va nous conduire jusqu'à la
                véritable vie. Alors nous serons devenus des fils de
                Dieu et le prochain de tout homme !Amen. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 14.07.8039. Croire en l’Amour !Mes frères,Maintenant une question : Comment affermir l'aspect
                contemplatif de notre vie monastique ?Il faut, pour affermir l'aspect contemplatif de notre
                vie, nous dégager sans relâche de la tentation des
                richesses matérielles, intellectuelles et spirituelles.
                Tout ce que Dieu a créé, tout ce qu'Il nous a donné est
                excellent, magnifique. Mais c'est peut-être tellement
                attrayant que nous restons là et, que nous prenons le
                moyen pour un but. Là est le danger, même lorsqu'il
                s’agit de richesses spirituelles, même ce qu'on appelle
                les vertus ! Il y a un risque qui n'est pas illusoire
                ici.
 Vous savez ce qu'on disait des moniales de Port-Royal -
                c'était un monastère cistercien! - : Pures comme des
                  anges, orgueilleuses comme des démons... C'est
                cela se complaire dans sa vertu. Je suis en train de
                lire un livre rédigé par un théologien contemporain et
                qui analyse avec une précision quasi diabolique - c'est
                le cas de le dire - toutes les déviations comme ça de la
                vertu, soit disant vertu. Ce livre est ici en
                bibliothèque et il a pour titre : Le Dieu pervers. La
                perversion qui s'introduit dans ce Dieu que nous
                cherchons. Alors ce n'est plus Dieu, vous comprenez, il devient
                une de ces idoles épouvantables comme il en existait
                dans le monde païen. C'est une idole, alors, qui est
                intellectuelle, qui est imaginaire, qui prend toute
                notre affectivité, qui nous emprisonne dans ce que nous
                sommes, dans nos culpabilités, dans nos erreurs, dans
                nos déviances, enfin dans tout ce qui nous empêche de
                vivre et qui finalement aboutit à la mort. C'est cela que nous devons toujours éviter lorsque nous
                avons à notre disposition des richesses, mêmes les
                richesses spirituelles, c'est de les annexer et alors
                tout bonnement les diviniser, les déifier et tomber dans
                le piège de l'idolâtrie. Cela signifiera donc aussi retirer sans cesse nos pieds
                de la glu des convoitises facilitantes et débilitantes.
                Il est tellement facile, et tellement agréable aussi de
                nous arrêter dans ce qui nous donne une illusion de
                plénitude, mais plénitude purement humaine alors. Et on
                en est vite lassé. Je connais comme ça une personne qui n'avait jamais eu
                l'occasion de rencontrer telle satisfaction sensible.
                Cette personne la rencontre. Et après quelques semaines
                d'expérience, selon sa terminologie très moderne dit :
                c'est tout à fait barbant ! Alors que pendant des années
                cela avait été presque le but de sa vie. Une fois qu'on
                la possède, c'est barbant, c'est lassant, on n'en veut
                plus, il faut autre chose. Voilà, mes frères, des glus dont nous devons sans cesse
                nous retirer. Donc garder notre coeur pur de toute
                compromission avec le monde, avec la chair. Quand je
                pense à la chair, c'est dans le sens Paulinien du mot :
                tout notre être naturel condamné à la décrépitude, mais
                qui se cramponne à des illusions et à des images. Et la
                première de ces idoles étant lui-même. Vous savez ce que Saint Paul nous dit aussi : ces
                richesses auxquelles nous nous arrêtons si aisément, que
                nous divinisons, ça devient idolâtrie. Ce sont des
                satisfactions à bon marché et le Royaume de Dieu ne
                s'achète pas pour une bagatelle. Le Fils nous l'a encore
                rappelé aujourd'hui. Il n'est pas venu apporter la paix
                mais le glaive. Pour rencontrer la Paix véritable qu'il
                veut nous donner et que nous demandons encore en chaque
                Eucharistie, nous devons lutter ! Et cette lutte, elle est donc d'abord négative : nous
                désengluer, nous désencombrer et sans cesse repousser
                ces tentations qui nous arrêteraient dans notre route
                vers Dieu. Car ce qui est moyen, lorsque ça devient trop
                attachant, ça commence à peser sur nous et ça nous
                empêche d'être léger, de courir, de voler. Or Saint
                Benoît nous dit que sur la route vers Dieu, il ne faut
                pas traîner, il faut courir. Mais il y a aussi tout un côté positif dans notre
                effort d'affermissement de notre conviction
                contemplative. C'est que nous devons devenir prière en
                étant constamment tourné vers Dieu. Oui, nous devons
                être aimantés par lui et toujours nous orienter vers
                lui. Oui, la tentation, c'est d'avoir envie d'être
                attiré par autre chose. Mais non, chaque fois nous
                reprendre et nous retourner vers lui comme une fleur qui
                suit la course du soleil et qui boit les rayons, la
                chaleur, la vie. C'est cela contempler ! Ce n'est pas
                plus difficile, ce n'est pas plus compliqué ! Et pour cela, nous devons toujours donner la préférence
                à Dieu. Et non seulement à sa personne, mais aussi à
                  l'Opus Dei. Et je n'entends pas Opus Dei
                dans le sens étroit du terme de l'Office Divin, mais
                dans le sens Johannique de l'Oeuvre de Dieu, du travail
                que Dieu nous demande à chacun d'entre nous ; lui donner
                la préférence absolue ! Ce sera donc suivre Dieu, écouter, donner la préférence
                et aussi scruter sa Parole, car ce qu'il attend de nous,
                il nous le dit. Les Juifs, encore aujourd'hui, passent
                un temps incroyable pour notre mesure à nous à scruter
                la Loi, à scruter la Parole de Dieu. Or, en plus de
                leurs écrits, nous avons les nôtres. Nous avons la
                Parole Nouvelle qui nous a été donnée par le Verbe de
                Dieu en personne. On n'aura jamais fini de s'en
                imprégner. C'est cela aussi travailler à mieux vivre
                l'aspect contemplatif de notre vocation. Et enfin, à mon sens c'est le plus important de tout,
                il faut croire en l'Amour que Dieu est. Et ça, c'est
                quelque chose qui lorsque ça se rencontre chez
                quelqu'un, je pense que c'est gagné. Et croire à
                l'amour, c'est faire confiance. Le tout premier péché,
                le péché primordial, au delà duquel il n'est pas
                possible de remonter, c'est la méfiance. L'homme était
                dans le Jardin d'Eden. Il dégustait tous les jours
                chaque fois qu'il le désirait, les fruits de l'arbre de
                vie. Il devenait un Dieu grâce à cette Vie qu'il
                recevait. Il n'aurait pas connu la mort, cette mort que nous
                expérimentons aujourd'hui. Il aurait connu autre chose
                que la mort, un phénomène qui l'aurait fait passer
                directement dans l'univers de Dieu sans les angoisses
                qui sont les nôtres maintenant. Mais à ce moment s'est
                introduit dans son coeur le germe de la méfiance. Alors
                c'était fini ! Il a posé la question : mais pourquoi ?
                Ce n'était pas le pourquoi philosophique, c'était le
                pourquoi du soupçon : qu'est-ce que Dieu me veut ?
                Pourquoi ? La méfiance s'introduit. Alors c'est fini,
                c'est le péché ! Mes frères, essayons donc de vivre ainsi avec Dieu en
                toute simplicité, en toute confiance. Et lorsque je dis
                avec Dieu, je ne pense pas seulement au Dieu qui se
                révèle dans le Christ, mais aussi qui se révèle en
                chacun de nos frères, qui se révèle en l'Abbé d'abord,
                et puis en chacun d'entre nous. L'homme ne saurait pas
                vivre sans amour, sans être aimé. Or, la plus grande marque d'amour qu'on puisse donner à
                quelqu'un, c'est de lui faire confiance. Et la plus
                grande marque d'aversion, c'est de ne pas lui donner
                confiance. Et alors, on le tue; on le détruit. Mes frères, essayons donc pour affermir l'aspect
                contemplatif de notre vie de nous donner toujours de
                plus en plus confiance. Et ainsi nous sentirons grandir
                en nous une vie nouvelle qui n'est rien d'autre que la
                vie éternelle. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 15.07.8030. Assimiler réellement les valeurs monastiques.Mes frères,Pour rester pauvre et libre dans un monde avide de
                richesses, de consommation et de divertissements, et
                pour tenir l'oeil du coeur fixé sur les beautés de Dieu
                et les attraits du Royaume, il faut un effort, il faut
                s'imposer un effort de manière à assimiler les paradoxes
                de notre vie. Le Père Abbé Général nous en a parlé. Mais
                maintenant, dans le troisième point de sa conclusion, il
                nous dit la difficulté de faire assimiler réellement les
                valeurs de la vie monastique. Il ne s’agit pas ici d'une assimilation intellectuelle,
                que nous pourrions démonter le mécanisme de la vie
                monastique dans ses antinomies, dans ses contraires,
                dans ses contradictoires mêmes. Non, nous devons, comme
                il le dit, les assimiler réellement, ça veut dire nous
                les incorporer jusque dans la moelle de nos os et les
                globules de notre sang. Nous devons devenir des êtres paradoxaux, c'est à dire
                des hommes qui sont tout aussi à l'aise dans la parole
                que dans le silence, dans la solitude que dans la
                société, dans la prière que dans le travail manuel. On
                pourrait encore poursuivre ! Apparemment solitude et société s'excluent. On pourrait
                très bien être à l'aise dans une vie parfaitement
                solitaire, mais dès que l'on se trouve en rapport avec
                des frères que l'on soit inhibé, bloqué. C'est signe que
                les valeurs contradictoires de notre vie ne sont pas
                encore devenues nôtre. Nous pouvons très bien nous
                imaginer, nous représenter que la vie monastique soit
                bien ainsi, mais sans être encore capable de la vivre.
                Or c'est difficile de les assimiler jusque là ! Et
                pourtant, dit le Père Abbé Général, il faut y arriver. Mais il va encore plus loin. Il dit : non seulement les
                assimiler, mais les faire assimiler. C'est ça qui est
                encore plus difficile. Et ici, ça regarde en tout
                premier lieu l'Abbé, c'est son devoir de les faire
                assimiler. Et cela il y arrivera, du moins il doit
                essayer d'y arriver, par sa conduite et par sa parole.
                Il doit être pour ses frères un paradigme vivant. Il
                doit être devant eux l'idéal auquel ils aspirent. Et
                aussi être dans leur coeur la voix de leur conscience. Et cela, il ne pourra l'être que si lui-même vit ses
                paradoxes. Il ne faut pas qu'il y ait une faille en lui,
                parce que par cette faille, à cause de cette faille va
                s'introduire chez les frères l'hésitation. Je ne dirais
                pas la méfiance parce que ça c'est le péché, mais une
                certaine hésitation pour leur vie personnelle. On pourrait dire que l'Abbé idéal, c'est le Christ en
                personne. C'est donc vers ce modèle, vers cette
                configuration que l'Abbé doit sans cesse tendre.
                D'ailleurs, si Saint Benoît dit qu'il doit être cru par
                les frères comme étant le Christ, il importe qu'il le
                soit, lui, le Christ de plus en plus. D'abord donc par
                sa conduite, mais aussi par sa parole, une parole qui
                doit être courageuse et prophétique. C'est à dire que cette parole doit être la traduction
                vocale d'une expérience de vie ; ça ne peut pas être des
                élucubrations peut-être très belles, très hautes, très
                élevées, très spirituelles. Non, rien ne doit être dit
                qui n’ait été expérimenté, qui n'ait été testé et
                réussi. Je veux dire ceci : un Abbé n'a pas le droit de
                faire ses expériences personnelles sur le dos des
                autres. Il doit d'abord les faire. Et si l'expérience
                réussi, alors seulement il a le droit de la proposer aux
                autres. C'est extrêmement exigeant ça, vous devez le
                comprendre. Disons même que c'est une tâche surhumaine. On peut même se demander si un homme physiquement
                constitué en chair, qui a une certaine capacité de
                résistance et d'activité, si un tel homme est capable de
                faire tout cela ? Ce sera possible si on a suffisamment
                de lucidité et d'humilité que pour savoir que c'est
                irréalisable si on veut s'appuyer sur ses puissances,
                sur ses énergies personnelles. On doit s'ouvrir à
                l'énergie d'un autre qui est le Christ lui-même dans son
                Esprit. Et alors, la faiblesse que l'on ressent devient la
                canalisation libre qui permet à la force de Dieu d'agir.
                Il n'y a plus alors d'interférences, d'obstacles. Non,
                c'est vide et la faiblesse d'un homme qui doit être le
                représentant du Christ, c'est sa force. Saint Paul le
                disait déjà: C'est quand je suis faible que j'arrive
                  au maximum de mon dynamisme. Car un Abbé ne doit
                pas seulement lutter contre les vices de la chair, comme
                dit Saint Benoît, et de l'esprit dans sa propre
                personne, mais aussi dans celle des autres. Voyez un peu ! Il faut respecter l'autre, respecter sa
                liberté, respecter sa personnalité, respecter sa
                vocation personnelle qui est unique. Et pourtant il faut
                aider le frère à lutter contre ses vices. Voyez tout
                cela, c'est quelque chose qui est bien au-delà des
                possibilités d'un homme. Mais c'est tout de même
                réalisable, encore une fois, si l'homme dans sa
                faiblesse se livre lui-même au dynamisme de l'Esprit.
                Car ce n'est plus lui qui travaille alors, il n'est plus
                que transparence de celui dont il est le lieutenant.
                Voilà mes frères ce que ça signifie faire assimiler les
                valeurs de la vie monastique ! Et le Père Abbé Général très discrètement nous dit à
                présent son espoir que nous ferons quelque chose dans ce
                domaine. Il dit : si nous pouvions faire quelque chose
                de substantiel en ces trois secteurs, c'est à dire
                pauvreté, vrai compréhension de la vie contemplative et
                puis assimilation de ses valeurs contradictoires, alors,
                dit-il, les résultats en seraient de grande portée en
                d'autres domaines. Le Père Abbé Général nous demande de faire quelque
                chose de substantiel. Donc pas n'importe quoi de
                superficiel, pas un petit vernis ici et là, pas un petit
                badigeon qui pourrait dissimuler quelques taches. Non,
                il demande d'aller au fond des choses et que des
                changements s'opèrent. Et alors, je le répète, les résultats en seraient de
                grande portée en d'autres domaines. Pourquoi? Mais parce
                que si nous parvenons à faire ce qu'il nous demande,
                nous créons dans la communauté un climat, un climat qui
                va nous acheminer vers une santé spirituelle meilleure.
                Et pas seulement santé spirituelle, mais aussi santé
                physique meilleure. Car alors, lorsqu'un homme est
                spirituellement heureux, lorsqu'un homme s'épanouit
                spirituellement en Dieu, ça rejaillit, ça rebondit sur
                sa santé physique. Maintenant n'allons pas nous dire : tiens, celui-la il
                traîne la patte, c'est que sa vie spirituelle n'est pas
                fameuse. Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Mais
                c'est que lorsque on est épanoui spirituellement il y a
                une santé, un climat de santé dans toute la communauté
                qui fait que même alors physiologiquement on sera mieux
                dans sa peau. Et étant mieux dans sa peau, on sera plus
                heureux de faire ce que l’on fait, On le fera mieux. On
                sera plus heureux dans son emploi, on sera plus heureux
                d'aller à l'Office, on sera même plus heureux de se
                reposer, enfin de vivre. Et ce climat alors fait que
                tous les domaines de la vie communautaires se trouvent
                revigorés. Cela donne aussi une vision meilleure des choses, une
                vision de vérité. Lorsqu'on a bien pris en main ce qui
                constitue l'essentiel de notre vie, mais les problèmes
                qui se posent dans la pratique concrète de cette vie, au
                jour le jour, mais ils prennent leur véritable
                dimension, ils se relativisent par rapport à l'absolu
                que nous poursuivons. Et dans cette vision de vérité, on
                en trouve beaucoup plus aisément la solution. Donc on a
                tout à gagner ! Et enfin cela éveille des motivations mieux senties. On
                se forme des convictions assises sur une base solide. Et
                l'édifice peut s'élever et s'embellir parce qu'on sait
                bien ce qu'on veut, et on sait bien ce qu'on fait, et on
                sait bien ce qu'on cherche et ce qu'on poursuit. On est
                donc motivé. On a une conviction et on peut avancer.
                Vous comprenez alors ce que le Père Abbé Général dit :
                que les résultats seraient de grande portée en d'autres
                domaines. Voilà mes frères, je pense que nous avons toujours à
                nous interroger personnellement et communautairement, et
                nous demander si nous faisons à tout moment ce que notre
                état monastique exige ? Avons-nous, comme je l'ai dit
                hier au début de l'Eucharistie et comme Saint Benoît
                nous le demande, toujours les actions de notre vie bien
                en main ? Pour bien faire, nous ne devrions jamais être distrait,
                être diverti, avoir une attention dispersée. Le moine
                est un homme d'une visée, d'une optique, d'une
                recherche, d'un élan, d'une impulsion. Or nous sommes
                pécheurs et nous ne savons pas tenir cette direction
                unique. C'est pourquoi nous devons toujours nous
                reprendre et être attentifs, je le répète à la suite de
                Saint Benoît, aux actions de notre vie. Voilà mes frères, la prochaine fois nous allons tirer
                la conclusion générale de cette lettre avec le Père Abbé
                Général. Et ainsi je pense que nous aurons tous fait
                ensemble un fructueux travail. Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 19.07.8041. Une orientation dynamique vers l’avenir.Mes frères,Voici les derniers mots du Père Abbé Général, ce ne sont
              pas ses dernières paroles !
 L'année qui commémore le 15 Centenaire de la naissance
                de Saint Benoît vient de commencer et toutes sortes de
                festivités et célébrations ont été projetées. Cela est
                normal. Mais il faut garder à l'esprit ce qui était dit
                dans la première lettre circulaire qui vous a été
                envoyée à ce sujet en Mars 1976. Ce 15° Centenaire
                pourrait être une excellente occasion pour tous les
                disciples de Saint Benoît d'examiner à nouveau les
                valeurs grâce auxquelles la vie monastique a joué un
                rôle si important dans l'histoire de l'Eglise. Et aussi,
                renforcer ces valeurs dans notre orientation dynamique
                vers l'avenir. Que Saint Benoît et tous les saints de l'
                Ordre vous aident dans cette tâche. Naturellement le Père Général ne pouvait pas terminer
                sa lettre sans faire une allusion au centenaire de Saint
                Benoît. Mais comme vous le remarquez, avec sa prudence
                coutumière il situe l'événement à sa vraie place et lui
                trace une direction. Pour lui, les festivités et
                célébrations sont un accessoire obligé. L'essentiel
                n'est pas là, l'essentiel se trouve dans une prise de
                conscience plus aigue de notre identité bénédictine. Cela signifie que nous devons être fiers et heureux
                d'être les disciples de Saint Benoît et de marcher avec
                plus de décision, avec plus de conviction sur la route
                que Saint Benoît ouvre devant nous : chercher Dieu, le
                rencontrer, nous unir à lui, devenir avec lui un seul
                Esprit. Et pour cela, non seulement marcher, mais
                courir. Ce qui veut dire dans la pratique : abandonner à
                lui toute la place en nous sans rien nous réserver, de
                façon à ce qu'il n'y ait pas un écran, ou un voile, ou
                même une pellicule entre Dieu et nous. Nous deviendrons un seul Esprit avec lui si nous avons
                le courage de tout lui laisser en nous. Ce n'est rien
                d'autre que la voie de l'obéissance qui doit directement
                nous conduire jusqu'à Dieu. Et sur cette voie de
                l'obéissance, nous sommes attirés comme par un aimant,
                et nous sommes propulsés comme par un vent. C'est Dieu
                le Père qui nous attire, c'est l'Esprit qui nous pousse
                en avant. En nous laissant transporter, nous devenons
                d'autres Christ. Voilà en gros ce que nous pouvons dire vraiment aimer
                Saint Benoît et lui être fidèle ! Alors vous comprenez
                que les célébrations et festivités, pour reprendre les
                termes du Père Abbé Général, c'est normal qu'il y en
                ait, mais il faut garder présent à l'esprit autre chose. Et le Père Abbé Général dirige résolument nos regards
                vers l'avenir. Il parle d'une orientation dynamique vers
                l'avenir. Ce sont ses derniers mots. Nous pouvons
                presque les prendre, les recueillir comme son testament.
                Non pas son testament spirituel - il n'en n'est pas
                encore là ! - mais le testament qu'il nous laisse cette
                année-ci à l'occasion de cette lettre : une orientation
                dynamique vers l'avenir. Cela veut dire que nous devons nous abandonner à la
                puissance infinie de cet Esprit qui nous porte et qui
                nous pousse. Et cet Esprit désire faire de nous une
                seule chose. Il veut faire de nous des saints, n'ayons
                pas peur de le dire. N'ayons pas peur de le croire et
                n'ayons surtout pas peur de nous laisser faire, car ce
                sont les saints qui dans l'invisible gouvernent et
                transforment le monde. Eux et personne d'autre ! C'est à
                dire que dans le monde ils sont - je pense l'avoir dit
                dimanche au cours de l'homélie, si je m'en souviens bien
                - ils sont ces glandes minuscules qui secrètent des
                hormones spirituelles grâce auxquelles l'organisme peut
                vivre et agir. Thérèse de Lisieux disait la même chose mais dans un
                autre langage, celui de son temps : Si l'Amour vient à
                cesser dans l'Eglise, et bien tout va s'arrêter. Donc,
                s'il n'y a plus de saints, mais tout va s'arrêter, mais
                même en dehors de l'Eglise ! Donc toutes les découvertes
                techniques qui sont fantastiques aujourd'hui, et qui
                commencent seulement, donc toutes ces découvertes, elles
                seront bénéfiques pour l'humanité s'il y a quelque part
                dans le monde des saints qui vont infuser dans
                l'utilisation de ces techniques un esprit qui serait
                absent si ces saints n'existaient pas. C'est cela le
                processus de transformation, de transfiguration du
                cosmos. Et dans les saints, c'est le Christ qui poursuit sa
                mission. Il est devenu homme pour que l'homme puisse
                devenir Dieu ; et l'homme devenant Dieu pour que
                l'univers entier devienne habitat de Dieu, que Dieu soit
                tout en tout. Il faut donc qu'il y ait sur la terre des
                hommes qui s'abandonnent à l'action de Dieu, qui
                deviennent des instruments grâce auxquels le Christ
                poursuit sa mission. S'il n'yen avait pas, ce serait un
                échec, ce serait un avortement. Il y en aura donc
                toujours. Et Saint Benoît nous demande que ce soit nous, ici,
                n'est-ce pas ! N'allons pas nous imaginer que ça
                dépasse, que c'est au-delà, que c'est trop ambitieux ?
                Mais non ce n'est pas trop ambitieux, c'est plutôt le
                contraire. Et le contraire, c'est faire injure à Dieu,
                c'est donc ne pas croire qu'il est Dieu. C'est croire
                qu'il est une idole, une idole qui peut satisfaire
                certains de nos instincts, de nos satisfactions purement
                humaines. Quelle différence y a-t-il entre Baal et Dieu
                alors ? Mais il n'yen a pas, c'est une confusion totale. NON, Dieu veut faire de nous d'autres lui-même. Et de
                tels hommes agissent d'une façon qui est divine. Ce sont
                des êtres théandriques comme on peut dire, c'est à dire
                que ce sont des hommes, mais Dieu habitant en eux, tout
                ce qu'ils font, même les choses les plus banales,
                humainement banales, ce sont des actions divines
                exactement comme le Christ. Mais le Christ l'était par
                nature, parce qu'il était le Fils ; mais nous, c'est par
                participation, par grâce. Alors mes frères, c'est là le seul avenir valable pour
                nous. Notre orientation dynamique vers l'avenir doit
                s'orienter vers ce but. Et pourquoi est-ce le seul
                valable pour nous ? Maintenant je parle de façon un peu
                égoïste ! C'est parce que ça nous introduit déjà à
                l'intérieur de la vie éternelle. C'est donc un avenir qui est promis à ne jamais nous
                décevoir. C'est ça un avenir dynamique ! Je puis avoir
                un avenir à court terme. Lorsque j'ai en possession ce
                que j'espérais, pour moi il s'en traduit à l'instant
                même, après un moment d'euphorie s'introduit déjà une
                certaine tristesse parce que: voilà c'est fini ! Je n'ai
                plus rien à espérer. Ce qui nous comble, c'est ce que
                nous ne possédons pas encore. Je dois donc toujours recevoir, toujours espérer
                recevoir davantage. C'est cela la vie éternelle. C'est
                cela le fait de posséder Dieu en soi. Et c'est cela la
                vie à l'intérieur de Dieu. C'est ainsi que Dieu vit. Et
                n'allons pas nous imaginer que Dieu est fermé sur
                lui-même comme à l'intérieur d'un oeuf qui serait sa
                propre nature. Non, Dieu est un être explosif. Mais voilà mes frères, demain vous allez recevoir
                chacun l'exemplaire de cette lettre da Père Abbé
                Général. Alors je vous invite à la lire et à la relire
                avec grand respect et en vous remémorant tout ce qui a
                fait l'objet de nos entretiens vespéraux. Savez-vous
                qu'il y en a eu 40 ? Je pense que cette lettre a été
                analysée fouillée et commentée je n'ose pas dire de
                façon exhaustive car, à mon avis, on pourrait encore la
                reprendre et on trouverait encore de nouvelles
                richesses. Nous allons nous en souvenir et nous serons heureux et
                encouragés parce que cette lettre nous a confirmé dans
                notre option monastique. Et nous savons que nous sommes
                en parfait accord avec le Père Abbé Général. Et pour conclure, mes frères, je vous demanderai de
                bien vouloir prier pour lui. Sa tâche est grande, sa
                tâche est belle, mais elle est difficile, vous vous en
                doutez bien ? Alors je vous demande de ne pas l'oublier.
                C'est un homme qui a un très grand sens de ses
                responsabilités, nous l'avons bien vu dans cette lettre.
                Mais il est un homme fragile comme n'importe lequel
                d'entre nous. Soyons en union spirituelle avec lui, ne l'oublions pas
                ! Pensons à lui de temps en temps et je suis certain que
                nos prières lui seront un puissant réconfort même si
                nous n'allons pas le lui crier à ses oreilles. Notre
                respect et presque notre amitié doivent lui être acquis,
                encore une fois dans le secret, dans l'invisible, et ce
                sera pour lui le meilleur soutien.FIN DE CETTE LETTRE. Le Chapitre Général. 22.07.802. Concile de l’Eglise monastique.Mes frères,Revenons-en au Chapitre Général. Nous avons rencontré
                les Abbés, les délégués, les observatrices, les
                interprètes, les secrétaires, les experts. Il me reste à
                vous dire quelques mots d'un personnage important et
                très occupé, à savoir le sacristain. Le Chapitre Général
                n'est pas une assemblée délibérante ordinaire. C'est un
                Organe d'Eglise. Il importe donc qu'il baigne dans la
                prière privée et liturgique. Le sacristain est chargé
                d'organiser cette prière liturgique. L'Office de Laudes et l'Office des Vêpres sont chantés
                par groupes linguistiques. Les autres Offices sont
                récités en privé. L'Eucharistie est célébrée en commun.
                Le sacristain choisit chaque jour un premier célébrant
                parmi les groupes linguistiques les mieux représentés.
                Il veille aussi à ce que le groupe linguistique concerné
                prenne en charge tous les chants. Si le premier
                célébrant veut faire une homélie, il doit la faire dans
                une des langues officielle (Anglais - Espagnol -
                Français). Le récit de l'Institution est toujours dit en latin.
                Mais il va de soi que le premier célébrant peut choisir
                la langue latine pour l'ensemble. Mais il devra quand
                même faire l'homélie dans une langue vernaculaire. Je
                pense que c'est une initiative heureuse que l'on puisse
                ainsi travailler dans une ambiance de véritable prière.
                Cela va demander, j'en suis certain, un gros effort non
                seulement au sacristain mais aussi aux capitulants qui
                seront choisis pour célébrer. Mais à mon sens ça ne suffit pas encore. Les Abbés qui
                sont réunis là-bas, et les délégués sont représentants
                de communautés. Ils portent chacun en leur personne
                d'autres hommes qui attendent quelque chose en retour.
                Il est donc indispensable que chaque communauté s'unisse
                effectivement aux prières qui seront dites là-bas. Alors je propose ceci : c'est que chaque jour il y ait
                une intention prévue aux Offices de Laudes, de Vêpres et
                à la Concélébration. Ainsi vous saurez qu'à peu près au
                même moment, là-bas, tous ces Abbés, tout ce personnel
                sera en prière pour demander à Dieu pour l'Ordre tout
                entier, pour chacun d'entre-nous, que nous puissions
                mieux voir ce que Dieu nous demande, ce que Dieu espère
                de nous, et que nous avions alors la force de
                l'accomplir. Donc si notre intentionnaire et si les
                prêtres premier célébrant veulent s'en souvenir ! Après tout ce que j'ai déjà dit du Chapitre Général, on
                retire l'impression que c'est une machinerie lourde et
                compliquée. Et je pense que cette impression
                s'accentuera encore lorsque nous aurons quelque peu
                avancé à l'intérieur du programme. Mais nous devons avoir le courage de la vérité. C'est à
                dire d'abord éviter le rêve. Rêver d'une assemblée, d'un
                Chapitre sans squelette, sans muscles, sans nerfs, une
                espèce de Corps angélique qui serait légèrement emporté
                sur les ailes de l'Esprit. C'est une tentation, c'est
                une illusion dans laquelle tombe si facilement ces
                petits groupes qui ont pullulé il n'y a pas tellement
                longtemps et qui se voulaient Pneumatique, Pentecôtiste,
                Charismatique. La plupart sont évanouis en fumée, mais
                il en existe encore un ou l'autre. Et l'expérience maintenant nous apprend qu'ils se sont
                durcis dans des structures qui sont impitoyables,
                oppressives et même tyranniques. Comme quoi il est
                impossible d'échapper au réel ! Dès que des hommes
                doivent vivre ensemble, après un certain temps ils
                doivent s'organiser. Et si l'organisation n'est pas
                prise à l'intérieur d'une tradition, alors les instincts
                mauvais de l'homme, des hommes autoritaires, prennent le
                dessus. Et ce sont les plus forts qui oppriment les plus
                faibles, qui imposent leurs vues. C'est terrible cela ! Donc mes frères, ayons le courage de la vérité qui se
                trouve dans le réalisme charnel et scandaleux de
                l'Incarnation. Dieu a voulu, et il veut encore se faire
                connaître de nous dans un homme faible, passible,
                mortel, qui a été le Christ Jésus et qui l'est encore
                maintenant. Lorsqu'il était parmi nous, nous ne l'avons pas reconnu
                ! S'il se trouve parmi nous maintenant, le
                reconnaissons-nous ? Je veux dire qu'il vit
                naturellement dans chacun des hommes, plus
                particulièrement dans chacun de nos frères lorsqu'on est
                dans une communauté monastique. Mais il a un Corps
                mystérieux qui s'édifie également. Et il s'édifie à
                travers ces structures, à travers ces institutions qui
                nous paraissent parfois tellement étrangères et
                étranges. Mais là, nous devons nous rappeler ce que nous disait
                le Père Abbé Général : parvenir à réussir
                l'harmonisation des contraires. Ce n'est pas une
                entreprise aisée. Il faut pour cela d'abord, me
                semble-t-il, un bon jugement, un grand équilibre
                psychologique et spirituel naturellement. Il faut que
                l'appareil institutionnalisé, humain, inévitable,
                nécessaire, devienne le lieu d'une révélation
                spirituelle et le véhicule d'une semence de vie. Un Chapitre Général, ce n'est rien moins que le Concile
                d'une Eglise Monastique particulière. L'Esprit de Dieu
                repose sur lui et le Christ vit en lui. C'est à cette
                condition que le projet de Dieu sur nous se manifeste à
                travers le Chapitre Général. Et c'est la raison pour
                laquelle il doit baigner dans la prière ; non seulement
                la prière des Capitulants, mais la prière de tous les
                membres de l'Ordre, et une prière constante. C'est une question qui a été posée encore, si j'ai bon
                souvenir, à Port du Salut à la Conférence Régionale :
                Quel intérêt les communautés prennent-elles au Chapitre
                Général ? Et la réponse unanime était : AUCUN ! Alors
                venait le pourquoi ? Et on cherchait toutes sortes de
                raisons qui étaient toutes valables. Mais moi je pense
                que la raison première c'est un défaut dans la foi. Nous
                ne parvenons pas à réaliser que le Chapitre Général est
                la conscience que l'Ordre doit prendre de lui-même pour
                conserver son identité. Vous savez que la folie est une perte de conscience de
                ce qu'on est. On va jouer à n'importe quoi : on se
                prendra pour un général, ou bien pour un Pape, ou bien
                pour un grand brigand, enfin pour n'importe quoi. On
                rêve, on est en dehors du réel, on a perdu la conscience
                de ce qu'on est. Et le Chapitre Général est l'Organe qui nous permet de
                toujours savoir ce que nous sommes. Pourquoi ? Mais
                parce que comme je le rappelais il y a un instant, c'est
                en lui que vit le Christ qui est en train de se
                construire à travers nous et grâce à nous. Il n'est pas
                possible d'échapper à cette réalité. C'est quelque chose
                qui est voulu par Dieu lui-même. Naturellement, le
                Christ n'a pas institué un Chapitre Général. Non, mais
                il a tout de même constitué une équipe, un collège de
                douze Apôtres. Et à partir de là tout le Corps a grandi. Et je pense que le courage de la vérité, c'est d'entrer
                là dedans, de ne pas vouloir le nier. Et puis alors, de
                l'assumer, et de vivre et d'agir en conséquence. Il faut
                donc que les membres du Chapitre Général soient les
                premiers à le croire, et puis alors chacun d'entrenous.
                Il serait peut-être utile - ça se fera, je n'en sait
                rien ! ça s'est peut-être déjà fait - qu'au début du
                Chapitre Général on rappelle ces vérités, qui pour moi
                sont élémentaires. Mais quand on l'a dit une fois c'est
                supposé connu ? Mais on devrait toujours le répéter. Le Chapitre Général remplit dans l'Ordre ce que le
                Chapitre conventuel remplit ici. Je l'ai déjà dit et je
                le crois sincèrement, et c'est la vérité : l'Esprit
                repose sur la communauté et non pas sur l'Abbé. L'Abbé
                n'est que le frère choisi par Dieu pour être le
                révélateur de la voix de l'Esprit. Mais l'Esprit est
                d'abord donné à la mini-Eglise qu'est la communauté. Et
                le Chapitre Général est l'organe qui permet à l'Ordre de
                saisir la voix de l'Esprit qui repose sur l'Ordre tout
                entier. Je pense que c'est là quelque chose de très beau et
                voulu par Dieu. Essayons de mieux nous en pénétrer. Et
                alors je suis certain que les travaux qui se dérouleront
                là-bas seront fructueux non seulement pour les
                participants, mais aussi pour chacun d'entre nous. Récollection du mois d’août. 02.08.80Saint Benoît, un homme de Dieu.Mes frères,La lecture que nous venons d'entendre nous rappellerait
                si besoin était que nous sommes encore dans l'année du
                Jubilé de Saint Benoît. Il est utile que de temps en
                temps nous aiguisions notre attention qui se laisse si
                aisément émousser par l'acier contondant des événements
                qui se précipitent. Je vous rappelle que le 11 Juillet, au jour où nous
                avons célébré Saint Benoît comme Patron de l'Europe, je
                vous ai dit que notre mission dans cette Europe en voie
                de construction était celle de ces glandes minuscules,
                ignorées, qui secrètent des hormones spirituelles,
                hormones qui vont permettre la croissance harmonieuse,
                équilibrée du Corps. Oui mes frères, nous devons être fidèles à notre
                vocation d'homme, et d'hommes intégrés dans une société
                qui se cherche sans arrêt. Et pour cela nous devons
                demeurer vigilants, ne pas s'assoupir dans quelques
                fausses sécurités. Notre coeur est investi à toute heure
                du jour et de la nuit par des cohortes de tentations qui
                battent ses murailles et ses portes, qui s'efforcent de
                pénétrer afin de brouiller nos chemins, de nous faire
                prendre les ténèbres pour la lumière, et nous conduire
                là où de sang-froid nous ne vaudrions jamais nous
                rendre. Mes frères, Saint Grégoire dit de Saint Benoît qu'il
                était un homme de Dieu, expression vétérotestamentaire
                aujourd'hui quelque peu éculée. Nous devons essayer de
                rendre à cette qualification homme de Dieu toute
                sa vigueur originelle. La vie monastique doit finalement
                à son terme, à son sommet, rendre l'homme semblable à un
                ange, isangelos, je reprends les paroles tombées
                de la bouche même du Christ. Mais cela ne signifie nullement que notre nature soit
                modifiée. Au contraire, l'Esprit nous transfigure, il
                nous rend lumineux dans l'amour à condition de
                travailler sur un substrat humain existant. Je suis
                d'avis que nous négligeons peut-être trop les fondements
                anthropologiques d'une vie monastique saine. Nous devons
                être des hommes heureux d'être dans une peau d'homme,
                fiers de l'être, pour que nous puissions en nous nourrir
                l'espoir de devenir des fils de Dieu. Ainsi mes frères, nous ne devons pas nous satisfaire
                d'une existence larvaire. Saint Benoît désire que la vie
                monastique qu'il préconise sait dilatante et exaltante.
                Il parle de la dilatatio cordis, un cœur qui
                s'élargit dans des proportions infinies. Au dehors, le
                combat se poursuit plus implacable que jamais. Mais c'en est fait, plus aucun ennemi ne sait pénétrer
                à l’intérieur. Et là dans ce coeur règne une paix
                divine, la paix que le Christ a promise, celle qui
                habitait son coeur à lui, la paix que le monde ne peut
                donner, dont il ne soupçonne même pas la possibilité. Et
                cette paix, c'est la possession consciente de la vie
                Trinitaire dans la vision réelle de Dieu. Saint Benoît parle aussi d'une vie monastique
                exaltante,  exaltatio coelestis, un homme dont
                la taille spirituelle grandit jusqu'à atteindre les plus
                hauts sommets des cieux, là où Dieu demeure. Et de cette
                hauteur le regard surplombe absolument tout ; et l'homme
                est revêtu d'une audace qui lui permet d'opérer des
                miracles. Mes frères, le mois d'août est riche en certitudes
                encourageantes. Nous rencontrons d'abord - dans quelques
                jours ce sera là - la Transfiguration du Seigneur qui
                est la célébration festive de la chair divinisée, d'une
                chair d'homme encore une fois. Je l'ai déjà dit et je
                suis heureux de le répéter : le Christianisme est la
                religion de la chair, de la chair appelée à partager la
                vie même de Dieu. Et par après nous rencontrons la créature qui a le
                mieux vécu cette réalité : Marie, Reine de l'univers.
                Elle qui est devenue aussi Reine de chacun de nos
                monastères, elle n'a pas hésité un seul instant face à
                l'impossible, parce que cet impossible était déposé là
                devant elle par la main même de Dieu. Et derrière elle nous rencontrons Bernard. Il l'a
                suivie comme on se repère sur une étoile. Et il a été
                conduit jusqu'au port où il espérait aller, là où s'est
                réalisée son union sponsale avec le Verbe de Dieu. Voilà, mes frères, les lumières qui se trouvent sur
                notre route. Nous les rencontrerons au cours de ce mois.
                Et nous devons nous laisser captiver par elles dans une
                foi que rien jamais ne fera reculer. Le Chapitre Général. (extraits) 05.08.803. Du Postulateur Général : tendre à la perfection.Mes frères,Demain nous allons célébrer la fête de la
                Transfiguration. Et ce que je viens de dire ici, notez
                bien que ce n'est pas intentionnel, dans l'ordre des
                questions, c'est sur celle-la que je devais tomber
                aujourd'hui. Et cette affaire du Postulateur Général,
                elle nous rappelle ceci : que notre devoir, c'est de
                tendre â la sainteté. C'est pour ça que nous sommes
                venus ici ! Ce n'est pas pour ne pas aller en enfer,
                mais c'est pour tendre à la sainteté. Et moi, j'aurais un peu peur que quelqu'un, un moine,
                qui ne voudrait pas tendre à la sainteté, qu'il pourrait
                très bien se retrouver en enfer ! ça oui ! Qu'aurait-il
                fait alors de son voeu de conversion des mœurs ? Il l'a
                tout de même promis solennellement ! Et tendre à la
                sainteté, ça ne signifie pas se contenter d'une petite
                vie quelconque, même exemplaire ? Non, il faut faire comme l'a fait ce brave père Cassant
                à son époque, donc à la fin du siècle dernier, dans les
                trois premières années de ce siècle-ci. Il faut se
                livrer corps et âme, et esprit à Dieu pour qu'il puisse
                prendre possession de tout notre être et faire un avec
                nous, de façon à ce que nous puissions devenir
                apparition de Dieu pour les hommes. Nous n'avons rien d'autre à faire que cela. Mais c'est
                beaucoup, c'est tout, et ce n'est pas facile. Vous avez
                toute cette lutte contre notre égoïsme à laquelle nous
                nous sommes engagés par ce voeu. Nous nous sommes
                engagés à mettre à mort notre égoïsme pour que ce ne
                soit plus nous qui vivions, mais que ce soit Dieu qui
                vive en nous, le Christ qui vive en nous, et nos frères
                qui vivent en nous. Pour que nous portions en nous,
                encore une fois, les misères de nos frères, que nous les
                fassions nôtres, et aussi leurs joies, et aussi la
                sainteté à laquelle ils sont déjà parvenus. Parce que
                nous ne croissons pas vers Dieu en. francs-tireurs tout
                seul. Non, c'est toujours en groupe. Voilà mes frères ce que nous rappelle cette affaire de
                Postulateur Général. Et espérons que le voeu du Chapitre
                Général de 1935 se réalise et qu'il se trouve non
                seulement dans notre Ordre, mais aussi d'abord à Saint
                Remy, de nombreux moines véritablement saints. Ce qui ne
                veut pas dire nécessairement que leur cause doive être
                introduite ; je ne vais pas jusque là, ce n'est pas
                nécessaire. Un suffit de temps à autre. Mais que au regard de Dieu qui nous connaît, et aussi
                un peu au regard des frères parmi lesquels nous vivons,
                et aussi des personnes du monde que nous rencontrons,
                que nous puissions être pour eux tous, comme je le
                rappelais, présence, et apparition, et révélation de
                Dieu. Départ du Père E. 04.08.80Mes frères,Demain matin aussitôt après la célébration
                Eucharistique, notre frère Jacques escortera jusqu'à O
                notre frère E qui va assumer entièrement la mission à
                lui confiée par l'Ordre et par l'Eglise. Cette mission
                consistera essentiellement pour lui à être pour ses
                frères un centre d'unité, une source de charité et un
                pilier de sécurité. Comme vous vous en doutez, c'est là un rô1e qui dépasse
                et de loin les forces d'un homme laissé à lui-même.
                C'est pourquoi, la présence pour quelques heures
                seulement là-bas à O du délégué de la communauté sera le
                signe que tout Saint Remy sera à tous moments derrière
                Père E pour lui insuffler inspiration et courage. Il ne
                s'en va pas seul...nous descendons avec lui. Il va maintenant nous adresser quelques paroles. Mais
                avant de lui céder la place, je veux une nouvelle fais
                lui présenter nos sincères félicitations et lui dire une
                chose, la dernière : Nous avons confiance que là-bas à O
                il sera toujours digne de la communauté de Saint Remy
                qui lui a donné la vie et qui maintenant lui permet de
                s'engager dans son nouveau destin. Chapitre : Fête de la Transfiguration. 06.08.80La Transfiguration, trophée de notre vie monastique
                  accomplie.Mes frères,Nous ne devons pas craindre de regarder en face le
                phénomène de la Transfiguration. Il est un fait inscrit
                dans notre histoire tout autant que la Résurrection du
                Christ. Et pourtant il est transhistorique et
                eschatologique. Transhistorique parce que il nous
                conduit au-delà de l'histoire, à ce point où tout est
                achevé, tout est terminé, où le travail de Dieu est
                arrivé à son point d'aboutissement. Il est eschatologique parce qu'il nous rend présent ce
                que nous serons demain. Il place sous nos yeux la
                création dans sa perfection finale : le moment où Dieu
                sera tout en toute chose, où le Christ sera - mais
                visiblement pour tous les vivants - où il sera la
                lumière de l'univers. Mes frères, la Transfiguration nous interpelle
                puissamment, surtout en cette année jubilaire de Saint
                Benoît, et après les enseignements que nous avons
                entendu de la bouche de notre Père Abbé Général. Avons
                nous l'audace d'envisager notre transfiguration
                personnelle dès cette vie comme le trophée de notre vie
                monastique accomplie ? Avons-nous cette audace Vous
                allez me répondre : mais on veut bien ! Mais qu'est-ce
                que cela veut dire au juste ? Estce possible ? Comment
                faire ? Nous devons bien brider notre imagination d'abord, ne
                pas nous laisser transporter sur les ailes du
                fantastique, ne pas sombrer dans des rêveries
                fantasmagoriques dans lesquelles s'insinue l'ange des
                ténèbres qui peut nous faire prendre l’illusion pour la
                vérité et nous faire tomber finalement dans le doute,
                dans la déception, dans le désespoir. Non, nous devons bien regarder en face, comme je le
                disais en commençant, ce phénomène de la
                Transfiguration. Or, il est à notre portée parce que ce
                qu'il représente dans la réalité, c'est un ensemble de
                qualités qui peuvent être nôtres si nous' prenons au
                sérieux notre vie monastique. La Transfiguration, ce n'est rien d'autre, pour nous,
                qu'un coeur pur, qu'un coeur habité par Dieu, qu'un
                coeur possédé par le plus grand amour. Ce n'est rien
                d'autre que cela ! Et le Christ était cela. Il l'était,
                lui, par nature étant le Verbe de Dieu. Nous, nous
                devons le devenir par grâce si nous l'acceptons. Or il y
                a toujours en nous un refus. Faites bien attention à
                cette lecture du réfectoire ( Moïse raconté par les
                Sages). C'est peut-être un peu bizarre à notre esprit
                cartésien, mais il y a là en dessous une richesse
                spirituelle incroyable. Par exemple ceci : n'aurions nous pas, nous, parfois un
                coeur égyptien ? Ne serionsnous pas des hébreux au coeur
                égyptien ? C’est à dire des moines au coeur séculier,
                donc des hommes qui dans le fond ne croient pas en la
                vigueur de leur race spirituelle. Ils doutent sans
                arrêt. Ils ne prennent pas Dieu au sérieux. Et sans
                cesse alors, ils récriminent, ils essayent de profiter
                de leur situation pour acquérir des avantages au plan
                humain. Et le plus grave de tout : ils distillent leur doute et
                leur incrédulité dans le coeur des autres. Ils les
                détournent alors de la confiance absolue qu'il faut
                donner à ce Dieu qui nous appelle. Saint Benoît le
                savait. Cette révolte de Datân, de Coré, d'Abiram, elle
                s'est préparée longtemps à l'avance. Et Dieu a été
                infiniment patient jusqu'au jour où ça ne pouvait plus
                durer parce que le sort du Peuple entier était en jeu.
                La terre s'ouvre, et elle les engloutit, et elle se
                referme, et c'est fini : on n'en parle plus. Ils sont un
                exemple maintenant pour les générations à venir. Saint Benoît dit la même chose lorsqu'il parle quelque
                part de ces moines qui ne veulent pas croire ce qu'on
                leur dit, ce qu'on leur répète. Alors en latin, c'est
                effrayant presque. Il dit ceci : eis praevalens ipsa
                  mors, 2, 10, ça se termine la dessus. Finalement,
                dit-il, que vat-il arriver ? C'est la mort qui va
                prévaloir sur eux. C'est la terre qui va s'ouvrir sous
                leurs pieds et ils seront engloutis. Je suis ici
                moralement certain que Saint Benoît avait en vue cette
                révolte des incrédules au désert. ( Nb 16, 1-12 ). Eh bien, mes frères, nous pouvons nous demander si
                parfois il n'en va pas de même pour nous par rapport à
                ce trophée d'une vie monastique parfaite qu'est la
                Transfiguration. Voyons un peu ce qu'elle est maintenant
                : d'abord un coeur pur. Donc, c'est un coeur duquel a été arraché cette racine
                de tous les vices et péchés qu'est l'égoïsme. Donc un
                coeur qui, au lieu d'être replié sur lui-même toujours
                en train de grogner, de ruminer ses rancoeurs parce que
                ça ne va pas, parce que on ne sait pas s'approprier,
                qu'on ne sait pas dominer, qu'on ne soit pas suivre ses
                passions ; c'est un coeur qui, au lieu d'être tout cela,
                au lieu d'être égoïste, il est ouvert, il vit des
                autres, il vit pour les autres, il est tout accueil,
                toute ouverture, toute bienveillance. Il ne fait plus de
                retour sur lui, ça lui est devenu impossible. Et ce n'est pas là quelque chose d'extraordinaire, vous
                le savez bien. Cela, c'est le terme obligé de toute vie
                chrétienne, et en particulier de la vie monastique. Je
                l'ai rappelé hier encore en parlant de la sainteté, du
                Postulateur Général et de tous ces statuts de droit
                canonique. Non, c'est quelque chose vers lequel nous
                sommes engagés à tendre par un voeu. Et ici, il nous faut être logique avec nous-mêmes. Et
                si nous n'étions pas logiques avec nous-mêmes, eh bien
                je le dis carrément, mais il vaut mieux repartir. Si
                j'ai un coeur séculier, eh bien, que j'aille vivre avec
                les séculiers, je ne suis pas à ma place dans un
                monastère. Il vaut mieux cela, que de voir le sol
                s'entrouvrir sous mes pieds et que je tombe dans le
                trou. Voilà un coeur pur ! Un coeur pur, c'est un coeur qui
                sera habité par Dieu, ça va de soi ! Pour être ainsi
                purifié, il faut que l'Esprit de Dieu s'en soit emparé.
                Et alors, ce coeur va devenir transparent, il va devenir
                lumineux, il va devenir chaud. Et à ce moment là, il est
                impossible que ce coeur qui est habité par ce Dieu qui
                est lumière ne laisse pas transparaître quelque chose à
                l’extérieur. Et maintenant, nous avons ce phénomène proprement dit
                de la Transfiguration d'un homme. Cette lumière qui est
                dans le coeur et qui le rend pur doit briller dehors.
                Elle brillera d'abord dans le regard. On dit que les
                yeux sont les fenêtres de l'âme et c'est bien vrai.
                C'est dans le regard de quelqu'un qu'on sait voir ce
                qu'il y a dans son cœur. Si Dieu y habite, Lui qui est
                lumière, ça brille dans le regard. On disait du Curé d'Ars qu'on voyait la chasteté
                briller dans son regard. Et chasteté, il faut l'entendre
                dans le sens plénier du mot, c'est à dire cette
                luminescence d'un amour total pour Dieu et pour les
                hommes, pour soi-même aussi car alors on s'aime dans la
                vérité. Cela transparaît aussi dans la conduite, la conduite
                qui sera naturellement surnaturelle, si je puis me
                permettre cette expression un peu paradoxale. C'est à
                dire que le surnaturel devient naturel chez cet homme.
                Il ne doit pas faire un effort, il ne doit pas se
                forcer, il ne doit pas réfléchir. Non, chez lui c'est
                spontané, quasi naturaliter dira Saint Benoît,
                7,68, comme si c'était naturel. Or cela, mes frères, encore une fois, c'est une chose à
                laquelle nous devons travailler, ou plutôt nous laisser
                travailler par Dieu. On se donne à lui, eh bien,
                laissons-le faire, et on y arrive. C'est un cadeau qu'il
                nous fait : ouvrons les mains bien larges, le plus large
                possible, tendons nos bras, toute notre musculature pour
                pouvoir porter ce cadeau. Avec Dieu, plus on espère,
                plus on reçoit. Quand on n'espère rien du tout, mais il
                ne donne rien, alors ! Oui, quelques richesses de
                l'Egypte, mais finalement, ces richesses seront aussi
                englouties dans ce trou. Et enfin, un coeur pur, un coeur en voie de
                transfiguration, c'est un coeur habité non seulement par
                Dieu, mais par Dieu qui est le plus grand amour. C’est à
                dire que l'homme alors, tout naturellement, pour
                reprendre une nouvelle fois l'expression de Saint
                Benoît, il donne sa vie pour les autres. Il ne lui vient
                même pas à l'idée de garder sa vie pour lui. Dieu, lui, il est écoulement de vie, il est source de
                vie. C'est d'ailleurs ça Dieu le Père : Source de vie.
                Alors, l'homme qui est habité par ce Dieu devient
                lui-même aussi source de vie pour les autres. Il ne la
                tient pas pour lui. Il ne va pas chercher la vie chez
                les autres pour s'en repaître. Non, lui, il donne la
                sienne et tout simplement.Vous voyez que la Transfiguration, ce n'est pas quelque
              chose encore une fois de fantasmagorique. Non, c'est cela
              ! Maintenant, le Christ, lui, il était cela. Il s'est
                montré, lui, mais vraiment lumineux comme le soleil.
                Mais il a voulu, là, nous faire voir ce que nous serons
                un jour. Car si la lumière qui est en nous maintenant
                déjà, si cette lumière qui nous habite déjà même quand
                nous ne sommes pas tout à fait transfigurés, si nous
                pouvions la voir, mais nous deviendrions aveugles. Nous
                ne saurions pas en supporter l'éclat. Il faut que cette
                lumière, dans notre situation présente, soit tamisée par
                l'obscurité de la foi. Mais dans le Christ est apparu ce que nous serons un
                jour. Nous brillerons tous comme des soleils. Mais ce
                sera, je dirais notre clarté, la clarté universelle qui
                sera en même temps vie et qui sera en même temps notre
                plus grand bonheur. On parle que la lumière éternelle
                luise sur les défunts. Mais il faut prendre ça au
                sérieux. C'est cette lumière qui était celle dans
                laquelle vivait le Christ, et qui rayonnait de sa
                personne, et qui nous habite déjà maintenant, et à
                laquelle nous devons faire confiance pour qu'elle nous
                transforme totalement et qu'un jour, après la
                résurrection de la chair, elle soit vraiment notre
                vêtement. Mes frères, vous comprenez qu'on pourrait parler sans
                fin là-dessus. Mais nous avons les moyens à notre
                disposition. Voilà, nous avons d'abord l'Eucharistie.
                Est-ce que nous nous rendons bien compte de ce que c'est
                ? Nous recevons en nous et nous assimilons tous les
                jours le Corps et le Sang du Christ ressuscité. Nous
                l'avons en nous. A moins de recevoir l'Eucharistie comme un chien la
                recevrait, ça doit agir en nous, ce n'est pas possible
                autrement. Cela doit insensiblement, comme une
                nourriture spirituelle que nous recevons, ça doit nous
                diviniser. Mais recevons la dans des dispositions
                convenables en sachant bien ce que nous faisons, de
                façon consciente, en ayant à ce moment-là, dans toute la
                mesure du possible, écarté tout ce qui peut être
                souillure pour notre coeur. Nous avons aussi l'oraison. L'oraison, mais voyez un
                peu : on se tient là en présence du Christ qui est
                ressuscité, qui rayonne, lui, maintenant. Et je le
                répète, nous ne pouvons pas voir cette lumière avec nos
                yeux de chair parce que alors nous serions
                instantanément aveuglés. Mais ça ne fait rien, ça est là
                ! Essayez un peu, en cette saison ci, on s'expose à la
                lumière solaire. Et qu'arrive-t-il ? Certains brunissent
                tout de suite à fond, d'autres beaucoup moins, mais ça
                ne fait rien, il en reste quelque chose. Suivant la
                qualité de notre peau, ça s'imprime. Si nous nous exposons à ce soleil qu'est le Christ, il
                est impossible que notre corps spirituel en formation
                n'en soit indélébilement marqué. Vous voyez, c'est cela
                l'oraison. C'est cette lumière qui s'imprime en nous,
                qui nous donne une autre apparence. Et pourtant on nous
                reconnaît, c'est toujours nous. Mais il y a un quelque
                chose qui maintenant est de Dieu. Nous sommes en train
                d'être des fils de Dieu, d'être divinisés. Et enfin il y a l'ensemble de notre vie. Une vie qui
                est, dans notre vie monastique, participation à la
                Passion, à la Croix, à la souffrance, aux travaux, mais
                aussi à la glorification du Christ. Saint Benoît le dit
                : Allez, dit-il, passez par toutes ces misères que le
                Christ a connues pour arriver à la gloire de sa
                résurrection. Voyez mes frères ! Nous avons tout à notre disposition.
                Et je pense que nous pouvons être reconnaissant à Dieu
                de nous avoir appelés à une telle vie. Et reconnaissant
                de ce qu'il nous donne de toujours mieux la comprendre,
                d'en saisir la beauté pour nous laisser prendre par elle
                et emporter jusque là où il nous appelle et qui est,
                vous pouvez m'en croire, une transfiguration de notre
                être semblable - je ne dis pas identique - semblable à
                celle du Christ. Mais qui un jour, vous le verrez, et
                nous nous reverrons alors, sera identique à la sienne. Le Chapitre Général. (extraits) 10.08.804. Nature et fonction du Chapitre Général.Mes frères, La nature et la fonction du Chapitre
                Général dépendent au premier chef de la nature et de la
                qualité du projet Cistercien. Or, une analyse
                pénétrante, attentive, sympathique des premiers textes
                Cisterciens fait apparaître que les Fondateurs de
                Cîteaux en s'enfonçant dans leur forêt impénétrable ont
                eu l'intention de vivre une spiritualité du désert dans
                le cadre de la Règle de Saint Benoît. Cela signifie que
                leur objectif était d'atteindre le plus rapidement
                possible les culmina doctrinae et virtutum dont
                parle Saint Benoît, ces sommets de sciences et de vertus
                dont nous parle la Règle. 73, 25. Et maintenant, si je traduis en langage monastique
                primitif cette expression sommets de sciences et
                de vertus, je retrouve les deux buts
                qu'essayaient d'atteindre les premiers moines. Le
                premier moine était d'abord un praktikos, c'est à
                dire un frère qui devenait expert dans le combat
                ascétique. Il connaissait tous les détours des pensées
                et des passions. Il connaissait toutes les ruses des
                démons. Il pouvait lutter à visage découvert et à mains
                nues contre les vices de la chair et de l'esprit. Il
                pouvait vaincre. Et à ce moment, avec la grâce de Dieu toujours, son
                coeur devenait pur, son coeur devenait limpide. Et Dieu
                le prenait et l'introduisait au plus profond de son
                intimité. Et là, il devenait un gnostikos, c'est
                à dire un moine qui savait, un moine qui voyait. En
                terminologie d'aujourd'hui, il devenait un contemplatif. Il regardait Dieu, il explorait les secrets de la
                divinité, non pas de façon spéculative mais directe. Un
                simple voile était tendu entre Dieu et lui, mais son
                regard devenu pur perçait ce voile. Le voile n'était là
                que pour protéger la faiblesse de la chair. Mais l'homme
                tout entier dans son corps et dans son âme était chez
                Dieu. Voilà l'idéal monastique à son état le plus simple mais
                aussi le plus beau. Il est repris par Saint Benoît. Les
                premiers Cisterciens veulent y retourner. Qu'ont-ils
                fait ? Cela signifie qu'ils ont essayé de recevoir ce
                cadeau extraordinaire qu'est la divinisation. Et ici,
                pour exprimer leur expérience, ils ont usé d'expressions
                qui ne laissent aucun doute. Cela se trouve sur les
                lèvres et sous la plume des premiers disciples des
                Fondateurs, ceux qu'on appelle les Grands Pères
                Cisterciens. Il y en a beaucoup, je vais en rappeler
                deux. Ils ont emprunté leurs paroles soit à l'Ecriture,
                soit qu'ils ont forgé eux-mêmes des formules originales. Voici une empruntée à l'Ecriture : Celui qui est uni à
                Dieu, qui adhère Dieu qui colle à Dieu, ne fait plus
                avec Dieu qu'un seul Esprit. Le voici donc devenu Dieu
                par participation. Saint Bernard a forgé une belle sentence qui dit très
                bien le sommet de cette vie à laquelle ils aspiraient.
                L'âme, dit-il, devenue épouse du Verbe conçoit du Verbe
                ce qu'elle enfante au Verbe de Dieu. Et ça veut dire
                ceci : l'homme, le moine est devenu épouse du Verbe de
                Dieu Incarné. Et alors il commence comme une bonne
                épouse à engendrer, à produire des enfants. Le voici donc qui participe à la fonction créatrice et
                rédemptrice du Christ glorifié. C'est un homme qui jouit
                d'un état qui le rend ressuscité avant même d'être mort.
                San corps spirituel est presque achevé. Et ce corps
                spirituel porte en lui d'autres personnes qui deviennent
                ses enfants spirituels dans l'invisible.Voilà donc mes frères, là il n'y a aucune hésitation
              possible, le sommet auquel désiraient parvenir les
              Cisterciens lorsqu'ils relisaient la Règle avec un regard
              neuf. Maintenant le Chapitre Général, il est, ou du moins il
                doit être une assemblée de moines possédés par cet
                idéal. Tous désirent y parvenir. Certains peut-être y
                sont déjà ? Mais surtout ils désirent y conduire leurs
                frères. Ils désirent faire de leur monastère une cellule
                du Royaume de Dieu, une maison de Dieu. Mais dans le monastère on n'est pas chez soi, on est
                chez Dieu. Tout ce qui se trouve dans le monastère est
                saint et sacré. Il y règne une atmosphère unique qu'on
                ne trouvera jamais en dehors des murs. Le Chapitre
                général dans ces conditions sera à la fois pneumatique
                et pastoral. Pneumatique, je veux dire ceci. L'Esprit de Dieu repose
                sur la communauté comme telle. Et à l'intérieure de
                cette communauté, il y a un frère qui doit être
                l'oreille et la bouche de la communauté. Oreille qui
                perçoit le souffle de l'Esprit et une bouche qui chante,
                qui traduit, qui mélodie le chant que l'Esprit fait
                retentir, plutôt fait sourdre à l'intérieur de la
                communauté. Le Chapitre Général est par excellence le lieu de
                l'Esprit. Et les Abbés qui sont là doivent être
                attentifs à perfectionner leur ouïe et leur parole. Si
                bien que lorsqu'ils reviennent dans leur communauté, ils
                sont devenus des instruments plus délicats, mieux
                adaptés encore. Le Chapitre Général sera donc par
                excellence, pour reprendre une expression cistercienne,
                le auditorium spiritus sancti, l'endroit où on
                écoute l'Esprit Saint. Saint Benoît le disait du
                Chapitre Conventuel. Cela vaut à fortiori du Chapitre
                Général. Dans ce sens il doit être pneumatique. Mais il sera aussi pastoral. Pastoral parce que on y
                apprendra l'art, ou on se perfectionnera dans l'art
                sublime de l'Amour. C'est là qu'on doit apprendre à
                aimer mieux de façon à faire vivre mieux les frères avec
                lesquels on est en contact permanent. Le Chapitre
                Général doit être une schola caritatis. Et
                n'oublions pas que son fondement est la Charte de
                Charité. A cette condition il sera pastoral. Le Chapitre Général doit être habité aussi par une
                préoccupation : Comment incarné aujourd'hui cet idéal
                Cistercien ? Il faut éviter de faire de l'anachronisme
                ou de la théâtralité. Il faut plutôt se demander comment
                aujourd'hui être dans un monde sécularisé, agnostique,
                athée, comment être des glandes invisibles qui
                distillent les hormones spirituelles qui permettent à
                l'humanité de croître de façon équilibrée, harmonieuse
                et saine, quelque soient les hommes, quelque soient les
                soucis de cette humanité toujours, toujours en état de
                recherche. Cela, c'est la question que doivent se poser les
                Capitulants. Comment être aujourd'hui à notre place dans
                le monde ? Comment chacun des frères pourra-t-il se
                sentir responsable des autres ? Et ici, il me semble que
                le Chapitre Général devrait d'abord mettre en lumière la
                vérité, la vérité sur l'idéal qu'on poursuit, la vérité
                sur les responsabilités que l'on encourt. Et puis
                baliser le chemin vers cette vérité, placer des bornes,
                des repères, qui permettent à chacun de se guider. Puis,
                adapter les moyens, les instruments, les outils ; les
                adapter aux hommes et aux besoins d'aujourd'hui. Ne pas
                vouloir travailler avec des outils d'avant hier. Non,
                les outils d'aujourd'hui, les mettre entre les mains de
                chacun. Et enfin, ne pas avoir peur de pratiquer la
                prospective, c'est-à-dire ne pas craindre la nouveauté,
                mais la nouveauté dans le sens Cistercien du terme, ces
                premiers hommes, ces Fondateurs qui affectionnaient le
                mot nouveau. Leur monastère s'appelait le Nouveau
                Monastère. On y voyait ce qu'on n'avait jamais vu
                auparavant ailleurs, nouveau dans le sens Paulinien du
                mot : un homme nouveau, un esprit nouveau, un coeur
                nouveau. Ne pas avoir peur d'innover, ce qui ne veut pas
                dire démolir l'ancien ! Non, mais à partir de l'ancien
                faire surgir le nouveau qui sera le support de demain.Voilà l'aspect juridique du Chapitre Général. Cela
              consistera à canaliser la vie, à l'encourager, à la faire
              avancer. Il sera donc générateur de jeunesse. Maintenant, il existe dans l'Ordre une carence grave.
                C'est qu'il n'existe plus de monastère de référence.
                Primitivement il existait l'Abbaye de Cîteaux. Les
                Abbés-fils y revenaient pour se ressourcer, pour se
                corriger, et pour repartir avec un feu nouveau -
                toujours ce mot nouveau ! Aujourd'hui ça n'existe plus.
                Et c'est manifesté symboliquement par un fait
                regrettable que d'après ce que j'ai entendu dire, les
                Capitulants commencent à sentir : c'est que le Chapitre
                Général se tient dans une maison étrangère à l'Ordre. Il n'y a plus de maison de l'Ordre où le Chapitre
                Général puisse se retrouver, retrouver son image. C'est
                pourquoi on voudrait à nouveau se réunir dans une maison
                ; mais la difficulté c'est qu'il n'y a pas de maison
                suffisamment grande. Ou peut-être Oelenberg prévu pour
                200 moines ? Mais l'hôtellerie est peut-être toute
                petite ? Enfin je n'en sais rien ! Mais je vous dis :
                là, il y a quelque chose qui manque. Mais comment
                compenser cette carence ? A mon avis c'est possible et cela pourrait être la
                mission de l'Abbé Général. L'Abbé Général pourrait être
                par ses visites amicales dans les communautés, par ses
                lettres circulaires, la conscience que l'Ordre prend de
                lui-même de son état présent, de ses faiblesses, de ses
                lacunes, mais aussi de sa force, de ses espoirs. L'Abbé
                Général L'Abbé Général pourrait alors par ce qu'il est
                dans sa personne, par ce qu'il fait, par ce qu'il dit,
                remplacer très avantageusement les documents que la
                Chapitre Général s'efforce de produire, et qui n'ont
                aucun impact sur les communautés ! Ce qui vient d'un
                homme conscient de sa mission sonne beaucoup plus vrai
                qu'un document élaboré à grand peine par des hommes qui
                veulent à tout prix produire quelque chose. C'est de
                l'artificiel ! Et alors, je me permettrais de proposer un programme
                pour un Chapitre Général futur ou bien utopique ! Un
                Chapitre Général vu comme je viens de l'expliquer
                maintenant pourrait prendre, pourrait inscrire à son
                programme trois points, rien que trois. Ce sont les
                trois points repris en conclusion par le Père Abbé
                Général dans sa dernière lettre. D'abord la nécessité de mettre l'accent sur l'aspect
                contemplatif de notre vie, l'importance d'une véritable
                pauvreté dans la structure économique moderne, et enfin
                la difficulté de faire assimiler les valeurs
                antinomiques d'une vrai vie monastique. Si un Chapitre Général composés d'hommes habités par
                l'Esprit voulait réfléchir sur ces questions, je pense
                que la résonance serait quasi infinie dans tout l'Ordre.
                A condition, naturellement, qu'ils fassent part de leurs
                expériences, de leurs échanges à chacune de leur
                communauté. Chapitre : Fête de l’Assomption de Marie. 15.08.80Secours Notre-Dame.Mes frères, Nous connaissons tous la dévotion sans
                pareille de Saint Bernard et des premiers cisterciens
                peur la vierge Marie. Trois éclairs de la beauté de
                Marie les avaient captivés : sa maternité divine - sa
                fonction de médiatrice - et son exaltation dans la
                gloire du ciel auprès de sen Fils. Ils savaient que ces
                privilèges de Marie étaient fondés dans une élection à
                laquelle eux-mêmes avaient part. Marie était leur mère.
                Marie voulait leur faire partager toutes ses
                prérogatives. Il n'est rien dans Marie qui ne fut pour
                eux ; et ils en avaient conscience. Et c'est cela qui leur donnait une audace sans
                pareille. C'est la raison pour laquelle également ils
                n'ont pas tardé à placer leurs monastères sous le
                patronage de la Vierge Marie. Et en cette année où nous
                célébrons le 750° anniversaire de la fondation de notre
                monastère, nous pourrions nous rappeler que le nom
                primitif de notre Abbaye était : Sucursus beatae
                    Mariae virginis, Secours Notre-Dame,
                ou plus précisément : Secours Vierge Marie. Nous sommes à l'âge de la chevalerie, à l'époque des
                croisades, et ce nom sonne comme un cri de ralliement et
                un appel. Pour bien comprendre le sens, nous devons voir
                d'où nous partons et où nous allons. Alors, nous
                pourrons en extraire la moelle spirituelle, la déguster
                et nous en fortifier. Nous allons à  l'exaltatio coelestis dont nous
                parle Saint Benoît. Nous allons là où est Marie, là où
                elle a été élevée. Et nous y sommes conduits par la même
                grâce que la sienne. Nous espérons même déjà dès cette
                vie voir filtrer jusqu'à nous, par cette fenêtre qu'est
                Marie, les rayons de la lumière dans laquelle elle vit,
                cette lumière de Dieu qui n'est rien d'autre que la
                Trinité. L'hymne que nous chantons, que nous avons encore chanté
                aujourd'hui, voit Marie comme une fenêtre ouverte dans
                le ciel. Elle la voit comme une étoile, comme une porte.
                Il y a la une invitation, un appel pour nous. Et les
                premiers cisterciens n'ont pas hésité un instant dans
                leur coeur. Ils n'ont pas hésité à croire que cette
                porte était ouverte pour eux, que cette fenêtre était là
                pour les inviter et pour leur permettre de toujours voir
                leur route. Ils savaient où ils allaient. Voilà où nous
                nous rendons ! Et nous partons d'un marécage de vices et de péchés
                dont nous parle aussi Saint Benoît. Nous partons de la
                région de l'hostilité et du refus, région de la
                dissimilitude, de la dissemblance, disait Saint Bernard.
                Avant de commencer, nous avons déjà dit non. Et de
                l'endroit de cette terre d'exil où nous plonge notre
                péché, dès notre naissance nous entendons un chant, nous
                entendons une voix qui nous invite. Rappelez-vous ce que dit Saint Benoît :  Ecoutez,
                  qu'y a-t-il de plus doux que cette voix du Seigneur
                  qui nous appelle. Pr,45. Mais cette voix, elle est
                en harmonie avec un chant qui est la voix de Marie. Et
                ces deux voix nous séduisent, nous font lever la tête,
                nous mettent en branle, nous donnent le courage de
                marcher. Nous ne sommes pas seul sur cette route. Nous
                allons en groupe. La communauté monastique est une
                  militia, une armée, un corps d'armée qui s'avance. Rappelons-nous cette époque des croisades où ils
                partaient de ces régions-ci. Ils se mettaient en route à
                pied ou à cheval pour des terres inconnues. Ce n'était
                pas programmé, ni touristiquement équipé comme
                aujourd'hui. Une route qui est encore la nôtre, où pour
                nous maintenant une route truffée de pièges, semée
                d'embuscades. Cette route était organisée. Celui qui
                s'en écartait tant soi peu était en péril de mort. Il
                tombait entre les mains des ennemis ou des brigands. Il fallait donc que brille à leurs yeux un écu. Donc un
                écusson, une devise qui était comme un drapeau et qu'ils
                pouvaient toujours voir. Ils pouvaient se reconnaître.
                C'était comme un mot de passe qui leur faisait éviter de
                tomber dans les séductions d'un ennemi astucieux. Et
                alors de temps en temps un cri lancé qui leur permettait
                dans l'obscurité de reconnaître la route, de savoir où
                se trouvait le groupe. Et ce cri de ralliement était
                pour le monastère dans lequel nous vivons maintenant :
                  Secours Notre Dame. Il était aussi un appel, un appel lancé vers celle qui
                était capable de nous aider, un appel à l'aide adressé à
                la femme qui avait réussi à vaincre le serpent. Notre
                vie monastique est une vie mystique. Nous devons
                toujours baigner dans cette atmosphère de réalités que
                nous ne pouvons comprendre et traduire qu'à travers des
                images et des symboles. Nous allons dire : Oui mais ! Nous sommes ici dans un
                endroit, nous vivons dans une c1ôture, nous ne circulons
                pas facilement en dehors. Et pourtant, comment se
                fait-il que nous soyons une armée en route vers un
                objectif ? Nous le sommes spirituellement, nous le
                sommes mystiquement, nous le sommes ensemble. Le  corpus monasterii est une réalité en
                mouvement. Ce n'est pas une chose statique. Ce mouvement
                va vers l'avant, mais il s'élève aussi vers le haut. Il
                s'élève vers le lieu où Marie nous a précédée à la
                suite, elle-même de Celui qui est le prototype de
                l'humanité divinisée, le Christ Seigneur ressuscité. Le cri que nous lançons  Secours Notre Dame et
                par lequel nous appelons au secours, est adressé à Marie
                parce que nous savons qu'elle nous donnera part à sa
                foi, à sa confiance, à sa fidélité et à sa force, toutes
                vertus dont nous avons besoin pour avoir le courage et
                l'endurance de marcher jusqu'au bout. Mes frères, en
                invoquant ainsi Marie nous devons tenir le regard fixé
                vers l'endroit où elle se trouve déjà. Où elle est, elle
                est comblée, elle est transformée. Et nous savons que
                demain nous serons avec elle et auprès d'elle. Et lorsque je dis demain, je ne pense pas seulement à
                notre résurrection d'entre les morts, ni même après
                notre mort physique. Mais demain, pour nous, c'est le 16
                Août ! Vous comprenez ! C'est un véritable demain. Et
                nous pouvons être avec elle si nous sommes déjà dans son
                obéissance, si nous sommes dans sa confiance, si nous
                sommes dans sa fidélité, si nous sommes dans sa force,
                si nous sommes dans son amour. La réalité de notre divinisation, elle est présente en
                nous. Et le regard purifié de notre coeur voit déjà, de
                façon indistincte mais bien réelle, la lumière dont nous
                serons revêtus entièrement à l'heure de notre
                résurrection charnelle, corporelle. Mais cela, ce sera
                l'aprèsdemain ! Mes frères, tenons au coeur, mais solidement chevillé,
                l'espérance que notre vie elle a un sens, que notre vie
                elle est réussie maintenant. Et que si nous partageons
                la foi de Marie, si noua ne craignons pas de l'appeler à
                notre secours, c'est la devise de notre monastère
                  Secours Notre Dame, alors nous savons que nous
                serons avec elle parce que nous le sommes déjà
                maintenant. Et rien, jamais, ne pourra arracher de notre
                coeur l'espérance de la vie éternelle qui nous est
                promise, qu'elle possède déjà, et qu'elle nous donne
                amoureusement, maternellement à chaque instant de notre
                vie. Le Chapitre Général. 22.08.805. Comment être Père Immédiat aujourd’hui ?Mes frères,Ces derniers jours nous avons beaucoup discouru de
                filiations trop nombreuses. Nous avons parlé de la
                paternité de la Trappe. Il a été question de maison-mère
                avec ses filles, de Père Immédiat. Et ce soir, grâce à
                la bonne obligeance de notre professeur de chant nous
                disposons encore de quelques minutes. Je vais vous
                donner un peu mon avis au sujet de la façon d'être Père
                Immédiat aujourd’hui. C'est très facile vu que je ne le suis pas, ou qu'il
                n'y a pas encore de danger de l'être, du mains dans
                l'immédiat. Mais c'est difficile car maintenant chaque
                communauté à le droit d'incarner l'idéal cistercien
                suivant la personnalité qu'elle possède, originale,
                typique. Personnalité façonnée par une multitude de
                facteurs : par l'environnement, par les locaux, par les
                bâtiments, par les personnes qui la composent
                naturellement, par son économie, la façon dont elle
                s'occupe, dont elle s'emploie pour gagner sa vie comme
                on dit. Il y a donc une légitime diversité au sein d'une
                unité foncière dans l'Ordre. Cet idéal de personnalisme doit malgré tout rester dans
                la ligne de l'idéal voulu par les fondateurs de Cîteaux,
                c'est à dire une anachorèse réelle, la vie
                contemplative, une lecture spécifique de la Règle de
                Saint Benoît. C'est un peu sur ces thèmes qu'a évolué la
                dernière lettre du père Abbé Général. Le Père Immédiat
                doit donc faire preuve de très grand discernement, de
                façon à éviter de faire de la maison-fille la réplique
                de la maison-mère. Vous savez que l'on fait plaisir à
                une maman lorsqu'on lui dit : Oh, votre petite fille,
                votre petit garçon, mais c'est tout à fait vous ! Oui,
                mais on ne peut pas dire ça d'une maison-fille dans
                l'ordre des filiations des monastères. Or, ça peut être une tentation chez un Abbé: sans le
                chercher, sans le vouloir, essayer de faire passer ses
                idées dans la maison-fille. Pour lui, son abbaye, c'est
                l'idéal ! C'est ce qu'il fait qui est le mieux et, ma
                foi, il n'y a pas de raison que la parenté ne soit pas
                un peu dans la même ligne. Il doit donc éviter cela ! Au
                contraire, il doit aider la fille à toujours mieux
                découvrir son identité. Il doit l'aider pour cela en
                s'oubliant lui-même. C'est la première chose à faire. Il doit s'oublier pour
                épouser les désirs légitimes de la fille. C'est le grand
                drame aussi dans les familles. Combien de fois
                n'entend-on pas les grands garçons, les grandes filles :
                ça ne va plus avec les parents ? Mais les parents, ils
                n'imaginent pas que les choses ont tellement évolués en
                une génération ! Et ils voudraient que leurs enfants
                soient tout à fait comme eux. Mais ce n'est pas possible
                ! Alors, c'est la guerre, des conflits sans fin, ça peut
                même aller très loin ! Parfois, ça s'arrange. Mais je le dis, souvent le
                défaut, la faute première est chez les parents d'abord.
                Les enfants sont encore trop jeunes, ils ne savent pas
                encore très bien ce qu'ils font et les parents sont
                sensés être adultes ! Mais ce n'est pas si simple. Et on
                doit s'oublier pour permettre à l'autre de découvrir son
                identité. Et puis alors, un Père Immédiat ne doit rien brusquer.
                Non, au contraire, il doit, je pense qu'il est très
                important qu'un Père Immédiat se fasse aimer, qu'on aime
                à le voir venir dans la maison-fille. Il ne faut pas que
                lorsqu'il annonce sa visite, on dise : encore une fois !
                Qu'est-ce qu'il peut bien venir faire ? Qui lui a encore
                écrit pour se plaindre ? Mais non, on doit être heureux de le voir arriver,
                parce qu'il vient aider la fille à devenir elle-même. Il
                doit donc être extrêmement discret, lorsqu'il vient. Il
                ne doit pas faire l'importun, mais faire confiance.
                C'est tellement important aujourd'hui : faire confiance
                à toute une communauté. Autrefois le rôle du Père Immédiat, surtout dans les
                Visites Régulières, était de contrôler l'Observance. Si
                des points n'étaient pas en ordre, il fallait le
                signaler dans la Carte de Visite et veiller qu'à partir
                de ce moment les choses tournent comme c'était prévu
                dans les règlements. Non, tout ça est fini ! Ce que le Père Immédiat doit
                faire, c'est insuffler aux frères de la maison-fille le
                goût de vivre. Le goût de vivre humainement d' abord, et
                puis le goût de vivre spirituellement. Si je n'est pas
                le goût de vivre au naturel, comment pourrais-je l'avoir
                au surnaturel ? Ce n'est pas possible ! Il doit donc apporter une ambiance de sérénité. de
                paix, une joie de vivre qui doit un peu se communiquer.
                Il ne doit pas arriver dans sa maison-fille avec les
                problèmes de la maison-mère, ni avec ses problèmes à
                lui. Non, il doit tout à fait oublier. Une fois qu'il
                est chez sa fille, il est un autre. Mais espérons
                naturellement que dans la maison-mère tout aille bien,
                et chez le Père Immédiat aussi personnellement. Mais je veux dire : il n'y a rien à faire, il est un
                homme, il est un frère comme les autres, il a ses
                difficultés. Eh bien, quand il arrive chez la fille, il
                doit oublier tout ça. Il doit répandre la paix qui doit
                toujours être au fond de son coeur, même si en surface
                il y a des remous et des tempêtes. Alors, ça exige
                beaucoup ! Oui, ça exige une connaissance aimante de la
                fille, c'est à dire de tous les membres de la
                communauté. Il est important qu'il les connaisse tous
                personnellement. Une maison-fille, ce n'est pas une
                abstraction, ce sont des hommes. Il faut donc les
                connaître, et les connaître en les aimant. Il y a une façon de connaître les gens - je vous l'ai
                déjà dit - qui les tue. C'est la connaissance mauvaise,
                la connaissance presque diabolique. La tentation se
                trouve en nous. Il faut une connaissance aimante, c'est
                à dire voir dans l'autre l'Esprit de Dieu qui travaille,
                la Lumière qui est là, et qui brille et qui essaye de
                percer. Et aider alors chacun des membres de la
                communauté, et la communauté toute entière à découvrir
                ce qui a de bien en elle et à le cultiver. Vous voyez,
                connaissance presque amoureuse. Et puis alors, naturellement, ça exige des contacts
                fréquents, des contacts, oui, fréquents. Ils ne doivent
                pas être importuns, il ne doit pas être là tous les
                jours, mais malgré tout, pour apprendre à connaître ? Et
                aussi une longue expérience. J'imagine un Père Immédiat
                nouveau. Il ne connaît pas une communauté. Il lui faudra
                longtemps avant de connaître ses filles dans le détail. La connaissance des filles autrefois, peut-être se
                bornait-elle à voir un peu si les questions financières
                et économiques étaient en ordre, si on gagnait bien sa
                vie ? Si on n'avait pas de dettes ? Pas de difficultés ?
                Et puis connaître aussi les petits côtés. Voyez, c'était
                ce qui n'allait pas. Mais maintenant il faut plutôt
                connaître ce qui va bien. Mais pour ça, il faut une
                longue expérience et des contacts fréquents. Ce qui veut
                dire certainement qu'être Père Immédiat aujourd'hui
                prend plus de temps qu'autrefois. Mais on dira : Mais la Visite Régulière, c'est une fois
                tous les deux ou trois ans. C'est vrai. Mais il s’agit
                bien autre chose que de Visite Régulière. La Visite
                Régulière est un moment, disons un peu plus fort que
                d'autres. Mais il y a des visites qui ne sont pas
                régulières, qui sont ces prises de contact, ces échanges
                de vie entre non pas seulement l'homme, l'Abbé, le Père
                Immédiat mais aussi la communauté qu'il porte en lui. La
                mère qui essaye de faire parvenir sa fille à sa taille
                parfaite, unique, originale, belle, différente de celle
                de la mère. Donc, ça prendra beaucoup plus de temps. Mais les forces d'un Père Immédiat sont limitées. Il
                pourra faire ça probablement avec une de ses filles.
                Mais lorsqu'il en a deux, trois, quatre, cinq ?
                Lorsqu'un Abbé démissionne, on place à la tête de cette
                Abbaye un Supérieur. Nous avons connu ça dernièrement.
                Mais voici que l'Abbé de Port du Salut qui en plus de
                ses maisons-filles qui sont déjà nombreuses, en attrape
                trois nouvelles ! Vous voyez, parce que ce Supérieur
                nommé n'a pas le droit de faire la Visite Régulière. Ses
                pouvoirs sont limités. Vous voyez, ça pose des problèmes
                ! Alors les forces d'un Père Immédiat sont limitées. Il
                faut donc comprendre que la limitation du nombre des
                maisons-filles fait problème aujourd'hui, alors que ça
                pouvait très bien ne pas le faire il y a vingt ou trente
                ans. C'est parce que maintenant on voit les rapports
                Père Immédiat < maison-fille sous un tout autre jour.
                Et en plus, il est indispensable que le Père Immédiat ne
                néglige pas sa propre communauté. Il ne faut pas qu'il
                soit dehors en train de faire vivre ses filles et en
                train, à cause de ça, de se ruiner lui-même dans sa
                communauté. Je pourrais conclure en disant ceci : c'est que à style
                nouveau, il faut des méthodes nouvelles ? Mais
                lesquelles ? On est tout au début, il faut tout
                apprendre. Je pense que d'ici une vingtaine d'année,
                disons en l'an 2000, beaucoup de problèmes auront été
                résolus parce que l'expérience se sera constituée, ainsi
                qu'une sorte de jurisprudence un peu, dans laquelle tout
                le monde pourra puiser. Voilà mes frères, encore un petit mot. Nous aurons donc
                pitié des Pères Immédiats, nous qui sommes en dehors de
                toutes ces choses, en nous disant que dans le remue
                ménage actuel, on ne sait jamais ce qui peut nous
                arriver. Tenons-nous donc prêt, mais confions-nous à la
                grâce de Dieu qui jamais ne nous fait défaut. Le Chapitre Général. 24.08.806. L’accueil vu par les régions.Mes frères,A présent, après la lecture de ces différents rapports,
                je vais vous donner mon avis personnel sur cette
                question. Je remarque d'abord un glissement de
                vocabulaire. On a abandonné le terme spécifiquement
                monastique d'hospitalité pour parler d'accueil. Le mot
                accueil est chaud, il est chaleureux. Il s'ouvre sur le
                partage, mais il nous dilue dans l'indifférencier, car
                on parle partout d'accueil. Il y a des maisons
                d'accueil, il y a des centres d'accueil, accueil pour
                sortants de prison, accueil pour femmes en détresse,
                accueil pour foyers en difficulté. Et ainsi ça se passe
                dans nos monastères, grâce à l'accueil, un peu comme
                partout ailleurs ! Qu'est devenue là-dedans l'hospitalité monastique
                Bénédictine ? Il est bon de revenir encore une fois à
                une analyse du mot. Hospitalité vient du latin hospes,
                traduit par hôte. Or, le mot hospes est parallèle
                à un autre mot latin hostis qui signifie
                l'ennemi. C'est la même racine, on la retrouve aussi en
                Grec. Et cette racine commune aux deux présente
                l'arrivant comme un homme qui vient de l'extérieur. Il
                vient d'ailleurs. Il est un étranger, un inconnu.
                Rappelezvous ce que Saint Benoît dit : S'il arrive un
                  moine de province lointaine, 61, 1. Voyez, c'est
                cela l'hôte. Mais l'étranger, celui qui est différent,
                il peut être dangereux ! Voyez la relation entre celui
                qui arrive, l'hôte, et l'ennemi. Il est peut-être source
                de danger pour moi, pour la communauté ? Pour comprendre le sens du mot hôte, pensons à ce qui
                se passe maintenant dans nos grandes villes. Vous avez
                ce qu'on appelle des travailleurs étrangers immigrés. Ce
                sont des Marocains, des Turcs, des Algériens. A
                Bruxelles, dans certains quartiers, ils représentent
                près de la moitié de la population. Et ça commence à
                créer de vrais difficultés car ils parlent une autre
                langue, ils ont d'autres moeurs, il leur faut des écoles
                pour eux, et puis ils sont habillés autrement et ils ont
                une autre religion. Les gens commencent à avoir peur :
                l'étranger qui devient dangereux ! Pourtant ce sont des
                braves gens, aussi braves que vous et moi. Mais ça ne
                fait rien, il y a là un péril. Or, nous retrouvons cela chez Saint Benoît. Que dit-il
                en effet ? Lorsque, dit-il, un hôte se présente au
                monastère, il faut d'abord prier avec lui à cause,
                dit-il, propter illusiones diabolicas, 53, 5, car
                ce peut très bien être le diable déguisé en homme. Voyez
                là la scène ! Celui qui est là devant moi, qui est-ce ?
                Je vais donc d'abord prier avec lui. Si c'est le démon,
                ma prière va le faire disparaître. Si ce n'est pas le
                démon, alors c'est la Christ. Je dois me prosterner
                devant lui pour l'adorer. Puis, je dois lui rendre tous
                les services d'une fervente charité. L'hospitalité, mes frères, exige donc autre chose que
                ce que demande l'accueil. Elle exige tout en dessous,
                n'est-ce pas, un acte de foi. Un acte de foi qui demande
                un effort et un regard autre, un regard pur mais aussi
                un regard circonspect. Ma foi n'est pas de la naïveté.
                Ma foi doit me faire reconnaître Dieu dans l'autre. Et
                pour me le faire reconnaître, je dois prendre des
                précautions. C'est cela l'hospitalité ! C'est autre
                chose que de dire : voilà, porte ouverte, venez, venez,
                vous serez toujours les bienvenus, accueillis. Non, Saint Benoît dit :  supervenient hospes, 53,
                  16. C'est quelqu'un qui vient presque par hasard.
                Il a prévenu peut-être aussi ? Mais on n'a pas mis des
                affiches pour dire : venez ! On n'a pas mis des annonces
                dans les journaux - ce qui se fait aujourd'hui - pour
                dire : venez ! Mes frères, il me semble qu'il faudrait d'abord revenir
                à la terminologie primitive traditionnelle, qui elle
                permet une vision monastique de ce que aujourd'hui on
                appelle l'accueil. Vous comprendrez un peu mieux
                maintenant ce que je vais vous dire. A mon avis, à la
                base, il y a un défaut de réflexion sur les fondements
                et les présupposés anthropologiques et théologiques de
                notre vie monastique. Le résultat, c'est que l'on
                emboîte le pas au monde, on suit les idées séculières,
                on est hors de sa vérité. Voilà un exemple : J'entends beaucoup de choses de
                l'extérieur. Quand je vois même certains rapports, on
                sent que l'accueil comme on dit est organisé en vue de
                la publicité et du recrutement. Plus on voit de monde et
                plus on a de chance qu'il y en aura qui...voilà, qui
                viendront... On se fait connaître. On se fait connaître
                et puis alors : venez, voyez, et restez !Oui, ça, ce sont les vues séculières ! le recrutement -
              encore un très mauvais mot, mais je l'emploie faute de
              mieux - c'est tout autre chose que cela. C'est pas ça du
              tout ! Maintenant l'hôtellerie ? Quelle est la place de
                l'hôtellerie dans une vie monastique ? Elle est
                indispensable. Elle est un facteur d'équilibre. Elle est
                le test d'authenticité et de vérité de notre vie.
                L'hôtellerie, l'hôte, la présence de l'hôte dans la
                communauté, elle prévient le péril de ce que
                j'appellerais la relation duel. Je vous ai déjà expliqué
                tout çà...( voir les chapitres sur la lettre du Père
                Abbé Général : l'hospitalité 2/6/80 - obligation
                d'accueillir 3/6/80. La relation duel signifie que je
                suis seul, mais tout seul avec Dieu. Je mène alors la
                vie contemplative. Je vois Dieu, je le regarde, je vis
                de son esprit. Mais il n'y a que Dieu et moi. Le danger, où est-il ? C'est que en réalité je
                m'enferme dans une relation paralysante et mortelle. Car
                la relation duel est narcissique. Elle me fait
                m'endormir dans une torpeur qui me conduit au non-être.
                En effet, celui que je regarde n'est pas Dieu. C'est une
                idole. C'est mon égaux, c'est mon moi hypertrophié,
                hystérisé, mon moi qui m'absorbe tout entier. Je suis
                tout, je suis Dieu, je suis le monde, je suis l'univers.
                Il n'y a que moi qui existe et je contemple ma beauté.
                Mais cette beauté, je l'appelle Dieu. Voilà la relation
                narcissique et la relation duel. C'est comme ça déjà au plan de l'éducation pour les
                petits enfants. Il faut toujours que la relation soit
                triangulaire. Il faut toujours qu'il y ait un troisième.
                Et ce troisième, il est le test de ma vérité. Ce
                troisième, c’est l’hôte, c'est cet étranger qui vient
                troubler ma contemplation. Mais cet étranger, en fait,
                c'est le Christ qui vient vérifier la qualité de ma vie.
                Si je vois réellement le Christ dans ma contemplation,
                si c'est lui vraiment, mais lorsqu'il se présentera à
                moi sous les apparences de l'étranger, mais je le
                reconnaîtrai. Je lui dirai : « Mais enfin, mais c'est
                Toi ! Mais maintenant ce n'est plus toi comme ça dans le
                brouillard, dans la brume de ma foi. Non, c'est Toi en
                chair et en os. Et alors comme Saint Benoît, je te
                reçois et je t'adore. Les Fondateurs de Cîteaux s'étaient retirés dans un
                endroit inaccessible. Et cet endroit répondait d'autant
                mieux à leurs souhaits, à leurs désirs, qu'il était d'un
                accès difficile. Il fallait franchir des barrières de
                ronces et d'épines. Il n'y avait pas de routes, il n'y
                avait rien. Et pourtant, en dépit de ces propos
                d'anachorèse parfaite, ils accueillaient des hôtes et
                ils prenaient des dispositions pour les accueillir,
                riches et pauvres, tous sans distinction. Et Ils se
                demandaient : où allons-nous trouver les ressources pour
                les accueillir, les recevoir dignement ? Ils savaient, mes frères, ces Fondateurs de Cîteaux qui
                étaient inspirés par Dieu, que l'hôte est indispensable
                dans un monastère. L'Eglise le sait aussi, car elle
                vient de nous rappeler que les monastères de
                contemplatifs étaient obligés d'accueillir jusque dans
                leur liturgie ceux qui désiraient partager de quelque
                façon leur vie spirituelle. Mais il faut le faire,
                précise-t-on, dans la fidélité à l'esprit propre et en
                préservant franchement les exigences de la clôture. Mes frères, l'hôtellerie est donc nécessaire ! Ce n'est
                pas facultatif ni subsidiaire. Mais, vous le sentez,
                cela demande un grand discernement pour que l'hôte soit
                accueilli pour qui il est, c'est à dire comme le Christ,
                s'intégrant le mieux possible à la vie de la communauté
                mais sans la perturber, sans entrer là où se développe
                l'intimité entre chaque frère et Dieu. Il est un
                adjuvant de vérité. Il ne peut pas être un obstacle. Et à mon avis, on peut retrouver cet équilibre si on
                prend comme norme un avis que 3'ai découvert dans le
                rapport de la Conférence Canadienne. Ce rapport se
                conclut sur ces lignes : Il suffirait d'avoir devant les
                yeux les principes très sages établit par Saint Benoît,
                et de les appliquer avec discrétion et discernement,
                tout en étant très attentif aux besoins des hommes
                d'aujourd'hui, et avec en outre le contrôle de la Visité
                Régulière.Et ça, c'est un programme auquel je souscris entièrement.
              Et voyez ce contrôle de la Visite Régulière dont j'ai
              parlé il y a deux ou trois jours ! A la question de l'hôtellerie est intimement lié celle
                de la clôture, et plus précisément la présence de femmes
                à l'intérieur de la clôture, en dehors de la clôture,
                mais aussi à l'église ? Vous avez vu que dans notre
                Région, il n'y a qu'un seul monastère où les femmes ne
                sont pas accueillies à l'église. Dans les autres
                rapports, j'ai vu que c'était aussi le cas dans certains
                monastères d'Espagne. Mais partout ailleurs les femmes
                participent activement à la liturgie monastique ; ça
                fait un problème ! Il est lié à une juste conception de la clôture. Le
                Père Abbé Général a dit que nous devions revenir à une
                vision exacte, correcte de la clôture monastique et que,
                à ce moment là, beaucoup de problèmes et de difficultés
                seraient résolus. Vous comprenez que c'est un sujet
                immense que je ne saurais pas aborder aujourd'hui. Je me
                réserve, si Dieu le veut, d'y revenir après le Chapitre
                Général. J'ai déjà réfléchi, j'ai déjà un peu consulté
                et je pense que ce serait intéressant d'essayer de
                dégager là aussi les présupposés théologiques, mystiques
                et anthropologiques de la clôture.C'est très beau, je pense que ce sera passionnant et que
              nous verrons un peu plus clair dans l'option qui est la
              nôtre ici. Départ pour le Chapitre Général. Retour du Chapitre
              Général.
 750 ans de l’Abbaye N.-D. de Saint Remy. 01.10.80Allocution de Dom Hubert à la fin du dîner.Permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions
                qui ont grandi en moi à mesure qu'approchait ce jour du
                1° Octobre. Elles se sont concrétisées hier, et encore
                ce matin en écoutant le Père Albert. Il est un fait auquel j'attache personnellement une
                importance singulière. C'est celuici : Saint Remy comme
                vous le savez, ou si vous ne le savez pas vous allez
                l'apprendre à l'instant, est la dernière née de l'Abbaye
                de Cîteaux en 1230. Et aujourd'hui, de tous les fils et
                filles de Cîteaux, elle est l'unique survivante.Je me demande s'il n'y pas la derrière un message
              prophétique qui nous serait adressé ? A mon sens, il y en
              a un. Et le voici tel que je le perçois : En ce lieu de Saint Remy, là où vit encore la dernière
                fille de Cîteaux, ici, devrait pouvoir se vivre dans sa
                pureté et sa limpidité l'idéal des Fondateurs de
                Cîteaux. Idéal d’une extraordinaire beauté, mais d'une
                âpreté et d'une dureté qui semble parfois dépasser les
                forces humaines. Et cet idéal, voici tel qu'il se
                présente : Lorsqu'on lit avec sympathie, Fondateurs Cisterciens,
                on s'aperçoit impénétrable - une forêt qui était
                d'autant plus propice à leur dessein qu'elle était
                inaccessible aux hommes - avaient une intention qui se
                lit en filigrane à travers leurs écrits, à travers leur
                histoire. Leurs premiers successeurs aussi, les grands
                cisterciens, comme on dit, l'ont bien exprimé.avec perspicacité aussi, les écrits primitifs des que
                ces hommes en pénétrant dans leur forêt
 Et ce souci, je l'ai déjà expliqué à la communauté,
                mais je tiens à le rappeler, c'est de vivre une
                spiritualité du désert dans le cadre de la Règle de
                Saint Benoît. Ces premiers cisterciens et fondateurs de
                Cîteaux parlaient avec affection de ce qu'ils appelaient
                le désert de Cîteaux. Et en échos on peut entendre ici
                les vibrations et les fulgurances aussi d'un autre
                désert: le désert de Saint Remy. Solitude, silence, calme, tranquillité, paix aussi.
                Mais pas la paix qui vient du monde, une Paix qui vient
                de Dieu et qui habite les cœurs, qui emplit les
                bâtiments et qui se répand aussi un peu dans notre
                voisinage. Ces premiers cisterciens, que désiraient-ils faire dans
                leur désert ? Tout simplement ils renouaient avec la
                visée bénédictine. Saint Benoît trace une rampe de
                lancement sur laquelle s'élance un moine. Et alors il
                part et on ne sait pas ce qu'il va devenir ? Saint
                Benoît dit : C'est laissé à l'Esprit, on verra. Mais ce qu'il faut faire, c'est à la suite de Saint
                Benoît, à la suite des premiers cisterciens gravir les
                  culmina doctrinae virtutum, ces sommets de
                science, d'ascèse, de vertu, de pratique. On ne recule
                devant aucun renoncements ; ne pas avoir peur de rien ni
                de personne, franchir les murailles de la lassitude, de
                la frustration, et même de la mort et, audelà se livrer
                au feu de l'Esprit. Récollection du mois d’octobre. 04.10.80Mes frères,Le poème que nous venons d'entendre nous montre que
                Saint François voyait les  logoï des choses,
                c'est à dire qu'il contemplait la création par
                l'intérieur d'elle-même ; il faisait corps avec elle, il
                en déchiffrait les énigmes, il lisait le message que
                Dieu y avait inscrit. Et à travers cette création si
                belle, il percevait les vouloirs et la nature. C'était
                là l'expérience des premiers moines, ces géants du
                désert, si vous vous en souvenez ? Et dans le courant du mois de Septembre, il nous a été
                à nous aussi donnés de faire une expérience singulière.
                Il est bon de la rappeler aujourd'hui. Chacun à notre
                place, vous ici, moi là-bas au loin, nous étions
                corporellement séparés et cependant notre union
                spirituelle atteignait un degré extraordinaire
                d'intensité. La même Vie continuait à circuler entre
                nous et elle assurait notre croissance. Oui, les frères
                dans le coeur desquels habite l'amour, absolument rien
                ni personne ne peut les disloquer, ni les disjoindre. Nous comprenons mieux aujourd’hui le mot de Saint
                Benoît, le  Corpus Monasterii, le Corps que
                constitue un monastère. Ce Corps a une tête. Et cette
                tête est ornée d'organes : des oreilles, des yeux, une
                bouche. Cette tête, elle écoute, elle enregistre le
                chant et la musique de l'Esprit. Cette tête, elle
                contemple, elle admire, elle voit la lumière de Dieu. Et
                cette tête, elle énonce des paroles prophétiques, des
                jugements de vie. Elle est l'organe qui fait passer les
                vouloirs de Dieu. Et cette tête, mes frères, vous le savez, c'est celui
                qui parmi vous tient la place du Christ. C'est quelque
                chose de terrible à constater, car cet homme faible,
                sujet comme chacun d'entre vous aux tentations et aux
                chutes, cet homme devrait être totalement christifié
                pour être vraiment la tête de ce Corps, une tête
                infaillible. Mes frères, ce Corps a aussi des membres. Et ce sont
                ces membres qui portent la tête ; ce n'est pas la tête
                qui porte les membres. La tête n'est rien, la tête ne
                peut rien sans les membres qui lui communiquent leur
                vie, qui lancent vers elle leurs appels et leurs
                besoins. Ces membres s'ajustent les une aux autres et ce
                sont eux qui constituent le Corps. Le monastère, ce
                  Corpus Monasterii est la réplique miniaturisée du
                Corps Mystique, cette Eglise dont la tête est le Christ. Mes frères, l'expérience que nous avons faite est une
                expérience ecclésiale. Elle brille avec une force et une
                intensité peu commune. Elle a renforcé, raffermi les
                liens de notre unité. Et elle a enrichi la paix
                qui est le trésor de ce monastère...une paix qui
                dilate nos coeurs. Lorsque je suis rentré, j'ai été
                frappé par cette atmosphère de paix. Il me
                semblait - c'était un sentiment, mais il répondait à une
                réalité - que cette paix avait encore grandit,
                que les coeurs étaient devenus plus larges, plus
                accueillants, plus ouverts, plus heureux. Et alors dans cet Esprit, devenir lumière par une
                totale assimilation à la personne du Christ ressuscité
                et transfiguré. Et à ce moment, comme le dit Saint
                Benoît, on verra ce que cet Esprit qui a pris possession
                d'un homme - cet homme, ce moine qui est devenu un fils,
                qui est tout à fait Christifié - on verra ce qui va
                arriver ? On ne sait pas ? L'Esprit vient de quelque
                part. Il souffle ailleurs, on ne sait pas ? Voilà mes frères, je pense, un message que nous
                pouvons, que nous devons recueillir aujourd'hui : Cette
                spiritualité cistercienne primitive dans son noyau, mais
                un noyau d'une telle puissance...qui est capable de
                transformer les hommes, de transformer un groupement
                d'hommes, ce Corpus monasterii, ce Corps que
                constitue une communauté. Le Père Albert nous a rappelés tantôt que le nom
                primitif de notre Abbaye était Secours Notre-Dame.
                J'entends cette devise - car c'en est une - comme un cri
                de ralliement et d'espoir. La maison de Dieu qu'est un
                monastère est un lieu de lutte, un combat implacable
                contre les vices de la chair et des pensées. Devenir maître de ses pensées, c'est à dire de toutes
                ses passions et retrouver un équilibre humain, être un
                homme qui est bien dans sa peau, en société ou seul,
                c'est indifférent. Ce n'est plus lui qui vit, c'est le
                Christ qui vit en lui. Il est vainqueur. Comme le Christ
                peut dire : J'ai vaincu le monde, cet homme peut dire
                aussi : j'ai vaincu, non pas moi mais la force et la
                grâce du Christ en moi. Mais le monastère est aussi la Maison de Dieu. Il est
                un endroit où le coeur se dilate dans une ineffable
                douceur d'amour aux dimensions du monde, ce monde qui
                alors devient perceptible dans un simple rayon de
                lumière. Le monde entier dans les mains d'un homme,
                comme le monde entier était dans les mains de Saint
                Benoît. Voilà encore un autre aspect de la vocation
                cistercienne. Et ce monde, alors ramassé dans un homme, cet homme
                devenu  sponsa Verbi, époux du Verbe de Dieu et
                commençant à engendrer quam naturaliter, comme
                naturellement dans le monde de la surnature. Voilà 750 ans que cette Abbaye existe ! J'y vois aussi
                un symbole de la pérennité d'une vie, même de la vie
                d'un seul homme. Je ne parle pas seulement de la
                pérennité d'une communauté qui se perpétue dans le temps
                depuis 750 ans, mais même de l'homme qui étant
                ressuscité en Christ ne meurt plus. Il a réalisé, il a
                atteint l'objectif que Saint Benoît lui présente
                lorsqu'il dit qu'il faut désirer la Vie Eternelle de
                  toute l'ardeur d'une convoitise spirituelle... Cette  concupiscentia qui était habituellement
                mise au service de la chair et des choses du monde, elle
                est transformée, et la voila mise au service de
                l'Esprit. A ce moment là, l'homme est entré dans la Vie
                éternelle. Et cette pérennité est assurée dans une
                fidélité qui ne se démentira jamais. Car le moment de ce
                que nous appelons la mort biologique n'est pour lui que
                l'entrée dans la plénitude de la vie. Et sa mission
                inaugurée ici dans le monde, appelons le des mortels,
                peut se perpétuer alors pour toujours. Voilà mes frères les quelques impressions que j'ai
                recueillies depuis deux ou trois jours, depuis quelques
                heures encore, depuis ce matin. Je vous les communique
                bien simplement et je demanderai à nos amis ici, qui
                nous rendent visite aujourd'hui de bien vouloir nous
                aider de leurs prières et de leur exemple pour qu'un
                jour, au jour où Dieu le voudra, nous nous retrouvions
                tous ensemble dans la joie de la Trinité, réunis au
                banquet de la béatitude éternelle, des noces éternelles
                de l'Agneau, où nous serons vraiment UN pour ne plus
                jamais être séparés, ni par les discordes c'est à dire
                des opinions divergentes, ni par l'espace, mais nous
                serons tous UN dans la joie pleine pour jamais. Nous devons remercier Dieu pour une telle grâce, elle
                est rare. C'est un cadeau ! Et vous savez, les cadeaux
                les meilleurs sont ceux qu'on ne mérite pas. Nous sommes
                des pécheurs, mais si nous nous reconnaissons pécheurs,
                Dieu alors peut tout nous donner, car il sait que nous
                ne gaspillons pas ses dons. Et ce trésor qui nous est
                confié, nous devons jalousement le préserver. Il y a des
                ennemis qui tentent de nous le ravir, ou de le souiller,
                ou de le piller ou de le salir. Nous devons toujours
                être sur nos gardes et ne pas avoir peur de nous plonger
                de temps en temps dans le bain du sacrement de
                pénitence, là où le sang du Christ, ce sang spirituel,
                ce sang divin, nous lave et nous rend notre clarté,
                notre pureté première. Et nous entrons déjà dans le mois d'octobre. Peu à peu
                Dieu nous achemine vers les longues soirées et le repos
                de l'hiver. Mes frères, ne pourrions-nous pas, comme le
                faisait Saint François, capter le message caché dans ce
                déroulement harmonieux des saisons. Dieu s'entend à
                faire lentement mûrir l'heure où dans la contemplation
                de la lumière nous pourrons goûter la joie d'une
                plénitude sans limites. Cette heure, mes frères, elle
                nous attend et, d'une certaine façon, elle est déjà
                présente. Le mois d'Octobre, nous allons le placer sous le signe
                de l'espérance. L'espérance est cette vertu théologale,
                cette vertu divine qui est la manière humaine de
                posséder déjà le divin. En cette espérance, cette heure
                de notre plénitude, elle est déjà nôtre. Et cette joie,
                nous la goûterons sans contention, sans envie, sans
                regarder autour de nous en nous demandant si notre frire
                n'a pas reçu d'avantage ? Non, nous savons que les richesses de l'un, les
                richesses de chacun sont la propriété de tous. Et je
                reviens à ce que j'ai dit en commençant : le Corps que
                nous sommes forme un seul coeur, une seule âme, un seul
                esprit. Nous sommes UN, et notre amitié, nous la
                renforçons chaque jour dans la paix. . Et ainsi nous réalisons l'idéal que s'étaient proposés
                les Fondateurs de Cîteaux lorsqu'ils disaient que les
                monastères dispersés à travers le monde.....Mais passons
                du monastère dans les communautés, les frères séparés
                par tant de différences individuelles d'âge, de
                caractère, d'aptitude, de tempérament, de traumatisme
                aussi, de complexe...enfin tout ce qui constitue chacun
                de nous. Nous sommes tellement séparés, distincts les
                uns des autres ? Mais ensemble nous ne formons qu'un
                seul Corps animé d'une seule vie qui est l'Amour. Un
                Amour qui grandira jusqu'à ce qu'il nous ait transfiguré
                totalement dans la lumière. Partage du Chapitre Général. 07.10.801. Les canadiens.Mes frères,Il est nécessaire, utile, indispensable, a-t-on dit,
                que les Abbés fassent participer le plus étroitement
                possible les frères à leur expérience du Chapitre
                Général. Cela va de soi ! L'Abbé ne va pas là-bas en son
                nom personnel. Il porte en lui tous ceux dont il a reçu
                mandat de conduire, tous ceux dont il est responsable,
                dont il devra rendre compte un jour au Seigneur qui les
                lui a confiés. Voici une quinzaine de jours environ que ce Chapitre
                Général est terminé et ça commence à se décanter dans
                mon esprit. Il y a des choses qui entrent dans l'ombre,
                d'autres demeurent et s'imposent. Ce sont les hommes que
                j'ai rencontrés là-bas. Je ne les ai pas contacté tous,
                loin de là, mais tout de même j'en ai rencontré assez
                bien. Et une première approche de mon expérience, ce sera
                sans doute celle de ces contacts personnels. Pas tant de
                la réaction des intervenants au cours du Chapitre en
                séance plénière ou en commission, car on ne faisait
                partie que d'une commission, que d'un petit groupe. Mais
                ce sont ces rapports de coulisse ou de couloir comme on
                dit, qui sont les plus révélateurs de ce que sont les
                hommes. Et je voulais entre autre vous parler de mon expérience
                Canadienne. Mais voici que vous avez vu, vous avez
                entendu, vous avez observez deux de ces Canadiens. Il
                faut retenir en gros que ces hommes sont équilibrés,
                qu'ils ont du bon sens, qu'ils ont du jugement, qu'ils
                sont discrets, ce ne sont pas des têtes brûlées. Et je
                me suis demandé pourquoi ? Car c'était général !
                Pourquoi ? Vous les avez vus ici. Ce sont des hommes très simples,
                qui savent de suite s'intégrer dans une communauté. Je
                voyais le Père Abbé qui était à côté de moi au choeur.
                Il ne fallait pas lui montrer deux fois comment s'y
                retrouver dans le livre. C'était tout de suite. La façon
                de se tenir au chœur ? On aurait dit qu'il était là
                depuis plusieurs semaines. La façon de chanter. Mais
                pourquoi ? Je pense que la raison profonde est la difficulté de la
                lutte qu'ils doivent mener pour survivre. Leur région
                est exposée à un climat trop rude...Vous avez entendu le
                deuxième jour un vrai canadien qui parlait. Il avait son
                accent difficile à comprendre peut-être, ou à entendre ?
                J'ai demandé à un Canadien à quoi correspondait cet
                accent ? C'est l'accent des Normands qui ont peuplé le Canada au
                XVII° siècle. Ils ont été coupés de la France et ils
                n'ont pas évolué dans leur langue. Ils ont conservé et
                l’accent, et certaines locutions qui étaient propres à
                la Normandie du XVII° siècle. Un de nos Pères ici, c'est à dire notre cher Prieur qui
                était comme vous le savez un voyageur au long cours, et
                qui connaît très bien la Normandie, m'a dit que dans
                certaines régions de Normandie on parlait encore
                exactement comme le Père Prieur Canadien que nous avons
                entendu hier. En tout cas, ils doivent lutter contre des températures
                de - 40°, des mètres de neige, 80 jours de floraison par
                an ! Et il ne faut pas pendant l'hiver se croiser les
                bras, sinon on mourrait de froid. Il faut donc se
                chauffer. Et pour se chauffer, il faut aller abattre des
                arbres dans la forêt. Il faut les débiter. Donc le
                travail doit continuer, c'est vraiment la lutte pour la
                vie. Donc ces hommes là, ils n'auront pas le temps, ni
                le loisir, ni le goût à s'envoler dans de hautes
                considérations philosophiques, au théologiques, ou
                mystiques, au n'importe quoi ? Non, ils ont les pieds par terre. Ils auront sur les
                choses et sur les gens un regard clair, un regard juste.
                Et ça, c'est une leçon pour nous : l'importance du
                travail dur, du travail manuel, du travail qui fatigue ;
                du travail, je ne dis pas qui use quelqu'un - ça c'est
                exagéré mais du travail qu'an doit accomplir, sinon, si
                on ne le fait pas, on ne sait pas s'acheter sa
                nourriture, on ne sait plus se vêtir, on ne sait plus
                s'abriter, on ne sait plus se chauffer. Non, il faut
                travailler. Le travail n'est pas boucher des trous pour
                passer le temps. Non, c'est pour vivre et survivre. Et ces hommes qui sont affrontés à ces problèmes seront
                en général équilibrés. Le travail vrai, dans un
                monastère, est un élément équilibrant pour les personnes
                et pour les communautés. Je parle ici du travail manuel
                concret. Naturellement maintenant on va me dire : on
                travaille à des machines ! Et pour traire les vaches, et
                pour évacuer le fumier, et pour soutirer, maintenant
                c'est automatisé. C'est vrai ! Mais cet automatisme requiert tout de même une présence
                et il y a toujours des éléments de soucis, de fatigue
                qui sont présents. Or, c'est cela qui équilibre. Il est
                reconnu que les communautés - je l'ai vu au Chapitre
                Général - que dans les communautés il y a des
                difficultés qui surgissent de deux pôles : soit que
                l'économie n'est pas bien organisée, soit parce qu'elle
                pèse trop lourd sur la communauté. Donc ici alors, c'est un travail qui écrase les hommes,
                ou bien une économie qui est trop large, une économie
                qui laisse la part trop grande à des étrangers. Si bien
                que les hommes, les moines, les frères sont entraînés
                dans des relations qui les tirent de leur atmosphère
                native, qui leur donnent un air pollué parce que c'est
                un air semi séculier, semi mondain et qui les
                empoisonne. Ou bien une économie qui est trop riche et
                qui alors fait que les frères s'occupent. Ils ne
                travaillent pas vraiment, on les occupe ! Cela c'est
                pour l'économie. Alors de l'autre côté, des communautés où l'élément
                intellectuel est mis en vedette. Alors à ce moment là,
                vous voyez les hommes se dresser plus ou moins les uns
                contre les autres. Parce que si le travail manuel
                rentable unit les hommes parce qu'il faut vivre, le
                travail intellectuel qui est un travail plus de loisir,
                il les sépare et les divise. La sueur en commun fait
                qu'an se soutient et qu'on s'aime. Tandis que les
                discussions sur les idées écartent les hommes les uns
                des autres. Et on ne trouvera pas ça au Canada, vous voyez, parce
                que là, le climat, le sol, la région les accule et ils
                n'ont pas le choix. Voilà une des premières choses que
                je voulais vous dire. Et comme vous avez eu deux
                échantillons devant vous, vous avez pu vous rendre
                compte que c'était bien ainsi. INTERVENTION du Frère Jacques : Le Canadien Dom Marcel
                (N.-D. des Prairies) m’a dit que les intellectuels, chez
                eux, devaient se faire oublier ! Qu’il en fallait,
                qu'ils étaient contents qu'il en ait, qu'ils donnaient
                des cours, des conférences, et qu'on les aimait
                beaucoup. Mais que c'était un peu dans le fond le climat
                que nous vivions ici aussi...Il en faut, nous les
                aimons. Mais au Canada, dans une vue saine des choses :
                c'est travailler. Oui, travailler, mais pas un rendement, mais un travail
                effectif auquel on est obligé si on veut vivre, si on
                veut survivre. C'est très, très Bénédictin. Et ça ne
                veut pas dire que le travail est mis en vedette. Voyez ! Vous avez ce trépied dont j'ai déjà parlé : 
                  Opus Dei - Lectio Divina et Travail Manuel. Aucun
                n'est favorisé par rapport aux autres. Ils ont égale
                valeur tous les trois, mais ils doivent avoir leur
                valeur ! Et la valeur du travail, elle est dans sa
                rentabilité ; ça ne veut pas dire rentabilité pour
                gagner de l'argent. Il en faut aussi, naturellement,
                mais c'est aussi rentabilité au service des autres. Prenons le cas d'un travail qui en soi n'est pas
                rentable au plan financier : c'est le travail du
                vestiaire par exemple. Il faut entretenir les vêtements,
                il faut les laver toutes les semaines. Mais ça, c'est un
                travail qui est rentable parce que si on ne fait pas ça,
                après quelques mois la communauté courra en loques.
                C'est ça un travail rentable ! Alors, quand on parle d'intellectuels, il faut encore
                bien s'entendre. Les intellectuels, ce ne sont pas les
                gens qui ont fait des études, qu'ont pourrait dire :
                ceux-là font des études et ceux-là n'en font pas,
                ceux-là sont des manuels et ceux-là des intellectuels.
                Non, ce n'est pas ça. Ce sont des hommes qui dans une
                communauté ont reçu la mission, soit parce qu'ils ont
                des aptitudes personnelles, soit parce qu'ils sont
                mandatés par le Supérieur. Mais la plupart du temps
                c'est les deux ensemble, c'est le Supérieur qui leur
                demande parce qu'il sait qu'un tel ou un tel a des
                aptitudes. Alors ces hommes doivent eux aussi partager avec la
                communauté le fruit de leurs recherches. Ils ne vivent
                pas séparé des autres, mais ils vivent en continuité
                avec les autres. Alors, il est aussi indispensable que
                ces hommes qui ont une tournure plus spéculative, et qui
                peuvent alors expliquer certaines choses à la
                communauté, il est indispensable que ces hommes soient
                parfaitement aptes à un travail manuel. Ce sont ceux qui
                ne sont pas capables de faire les deux qui se
                déséquilibrent et qui déséquilibrent la communauté. Donc
                plus un homme, je dirais, a des aptitudes pour l'étude -
                appelons ça ainsi - plus cet homme doit aussi savoir
                travailler. Nous en avions un auparavant ici, un très ancien. On en
                parle, je pense, dans le nécrologe. Moi, j'en garde un
                bon souvenir. Tous les anciens l'ont connu. C'était le
                Père Stanislas, professeur de Théologie dogmatique. A
                cette époque, c'était ce qu’on pouvait appeler un
                intellectuel. Il scrutait toutes sortes de choses, il
                enseignait. Il se donnait beaucoup de mal pour donner
                aux étudiants un enseignement sérieux, solide. C'était
                un chercheur. Il accumulait les notes à longueur de
                journées sur des petits papiers qu'il recopiait avec
                beaucoup de soins. Mais vous savez très bien que cet homme était un
                travailleur aussi. Et c'est la raison pour laquelle ceux
                qui ont été formés par lui' ne l'oublient pas et qu'ils
                ont reçu quelque chose de vivant, de solide, de durable.
                Et pour la communauté, cet homme était aussi très
                estimé. Il avait le droit de parler et on l'écoutait.
                Mais le danger, ce sont ces intellectuels qui ne veulent
                pas mettre la main à la pâte. Alors ils peuvent dire ce
                qu'ils veulent, ça trouble, ça n'apporte pas
                l'apaisement et ça ne nourrit pas les frères. C'est pour cela que l'élément  Lectio Divina
                doit demeurer toujours en équilibre avec l'élément
                travail. Et disons, un intellectuel - employons ce mot
                puisque on en parle ici - ce qu'il doit donner à la
                communauté, ce ne sera pas tant le fruit de recherches
                spéculatives, mais ce qu'il a perçu, ce qu'il a goûté
                dans ses recherches personnelles à travers cette
                  Lectio Divina qui est une écoute patiente de la
                Parole de Dieu. Naturellement certaines tournures d'esprit vont devoir
                couler cette science acquise et reçue de Dieu dans une
                certaine forme qui sera plus cérébrale. Ils ont du y
                réfléchir. Mais il faut qu'il y ait toujours à la base
                cet élément de contact avec la Parole de Dieu. Alors
                vous avez l'équilibre Travail - Lectio Divina et
                on peut alors le transmettre aux frères. Et ces Canadiens ont été très contents de leur visite
                ici. Je leur ai demandé, je l'ai dis au Père Abbé :
                écoutez, Saint Benoît le dit bien. Lorsqu'un moine
                étranger se présente dans une communauté, il peut très
                bien faire des remarques à l'Abbé, dire : voilà, ceci ou
                cela pourrait peut-être être un peu arrangé autrement ?
                Est-ce que vous n'avez rien remarqué comme cela à
                Rochefort ? Il m'a dit : Non ! Ce qui est le plus remarquable chez
                vous, a-t-il dit, et je pense que c'est unique dans
                l'Ordre, c'est la solitude, le calme et la tranquillité,
                et la paix qu'on y goûte et qu'on y perçoit. C'est
                l'entente fraternelle, ça se sent de suite, dit-il,
                lorsqu'on arrive dans une communauté - c'est une
                expérience que je n'ai pas parce que je ne suis pas un
                visiteur de communauté – Quand on entre dans une communauté où il y a des
                tensions, où ça ne va pas trop bien, ça se perçoit de
                suite, dit-il. Et lorsqu'on se trouve sur une estrade
                comme ici et qu'on doit parler, on perçoit de suite si à
                l'intérieur de la communauté ça va ou ça ne va pas. Or
                chez vous, dit-il, c'est remarquable l'atmosphère
                d'entente fraternelle qui règne. On la sent. Alors il a
                dit : surtout, surtout ne changez rien, ne changez rien
                à ça ! Donc voilà, mes frères, pour ce premier soir, une toute
                petite expérience du Chapitre Général. Je pense que nous
                pouvons en prendre de la graine puisque, je vous dis,
                nous avons eu ici deux représentants qui nous ont bien
                édifiés. Ils ont pris l'avion ce matin. Nous les avons conduits
                presque jusqu'au quai d'embarquement, jusqu'à l'endroit
                au delà duquel on ne pouvait pas entrer. Ils sont
                partis. Nous avons vu l'avion partir à 8,05 H. Cinquante
                minutes après ils étaient à Paris. Ils reprenaient
                l'avion et ils sont arrivés chez eux vers 2 H. de
                l'après midi locale, ce qui représente 7 H. du soir.
                Donc ils arrivent maintenant chez eux. Nous ne les oublierons pas. Nous penserons à eux. Et
                eux de leur côté conserveront de nous un excellent
                souvenir. Et je suis certain qu'un jour nous nous
                retrouverons tous - pour reprendre une expression que
                j'ai encore citée dernièrement - au banquet du Royaume
                où nous nous reconnaîtrons. Car à ce moment-là nous
                serons revenus à notre jeunesse dans sa magnifique
                pureté et beauté. Partage du Chapitre Général. 11.10.802. Tarrawarra. (Australie)Mes frères,Dès le début du Chapitre Général j'ai remarqué un Abbé
                qui, dans ce qu'on peut appeler les intervalles, priait
                fréquemment à la Chapelle, toujours au même endroit,
                assis dans la même posture. C'était un Irlandais, Abbé
                du monastère de Tarrawarra en Australie, Abbé depuis une
                vingtaine d'année et sans doute encore bien connu de Dom
                Félicien ? Il s'appelle Dom Kevin, un nom Irlandais ! Un jour il m'a abordé dans un couloir et il m'a posé
                des questions au sujet de Rochefort dont il avait lu le
                rapport. Cet Abbé est un grand, et même un très grand
                contemplatif. Par après il a continué à s'entretenir une
                fois ou l'autre avec moi, toujours en Anglais, car s'il
                comprend un peu le Français, il ne le parle pas. Et
                lorsque je ne trouvais pas mon mot d'Anglais,
                j'intercalais un mot latin ! Il m'a parlé un peu de sa façon de vivre avec Dieu,
                avec la Vierge Marie, et ce qui se passait en lui, et
                qui de là rebondissait sur les frères de sa communauté.
                Je ne dis pas qu'il était inquiet, mais enfin, vous
                savez, dans des états d'oraison pareils, il y a toujours
                le risque qu'il y ait illusion ou erreur. Mais j'ai pu
                le rassurer tout à fait. C'est même pas le rassurer, ce
                n'était pas nécessaire de la rassurer. Mais j'ai pu le confirmer dans ce qu'il expérimentait,
                qui est un niveau mystique très, très, très élevé. Et je
                lui ai dit : écoutez, lorsque Dieu et la Vierge Marie
                accordent de telles faveurs à un Abbé, ça doit
                s'inscrire dans la communauté. Et là, c'est le signe
                indubitable de la vérité de ce que Dieu fait avec vous,
                et à travers vous sur d'autres. Je vais vous donner lecture du rapport de cette
                communauté. Le Père Immédiat est Mont Saint Joseph, un
                monastère Irlandais. L'Abbé de Mont Saint Joseph est
                passé ici après le Conseil Général de Tilburg en
                Février. Il était accompagné de Dom Jehan de Ruette et
                ils se rendaient à Orval. Ils ne sont pas restés
                longtemps, deux heures peut-être ? Au Chapitre Général il était assis à ma gauche, ou
                plutôt c'est moi qui était assis à sa droite, je n'en
                sais rien. Un homme très simple aussi, cet Abbé
                Irlandais, très simple, très gentil, très affable. Il
                comprenait bien le français, lui, mais il ne le parlait
                pas. Il fallait donc lui parler en anglais. Et il n'est
                presque pas intervenu dans les séances publiques. Le personnel de la communauté de Tarrawarra au moment
                de la dernière Visite Régulière en août 1979 se
                composait de 29 profès solennels dont 12 prêtres, de 4
                profès temporaires, de un novice et de deux postulants.
                Donc en tout 36 personnes. Quand on a demandé aux frères
                de participer à la rédaction de ce rapport pour le
                Chapitre Général, ils ont voté en en grande majorité
                pour reproduire le relevé général de l'état de la
                communauté par leur Père Immédiat à la dernière Visite
                Régulière. Donc, nous allons entendre un rapport de la Visite
                Régulière. C'est tout a fait comme ça c'est passé ici.
                Le Père Abbé d'Achel avait demandé que le rapport soit
                le reflet fidèle de la Carte de Visite. Et à propos, ça
                me passe tout de suite par la tête, je ne pense pas
                l'avoir déjà dit ? Il y avait une petite Abbesse
                Italienne qui était là en observatrice. Elle parlait
                très bien le Français. Mais une vraie petite Italienne
                des environs de Rome. Elle avait entendu donc le rapport de Rochefort. Et
                alors, après, elle est allée trouver le Père Abbé
                d'Achel et elle a dit : C'est trop beau pour être vrai !
                Eh bien alors écoutez, lui a dit l'Abbé d'Achel, vous
                avez bien entendu, c'est la synthèse de la Carte de
                Visite. Et alors, est-ce que j'aurais raconté des
                mensonges ? Ah non ça, ah non, certainement pas des
                mensonges ! Eh bien alors, dit l'Abbé d'Achel, quoi ? Eh
                bien alors, dit-elle, si c'est vraiment comme ça,
                Rochefort ça doit être un paradis. C'est authentique !
                C'est l'Abbé d'Achel qui me l'a répété la dernière fois
                qu'il est venu.Voici donc ce relevé de Tarrawarra, abrégé pour ce rapport
              à cause du manque d'espace : Durant ces deux dernières semaines nous avons eu des
                entretiens privés et des discussions publiques en vue de
                trouver ce que Dieu fait pour vous en ce temps
                particulier, et la réponse qu'il pourrait attendre.
                Permettez-moi de mettre sur papier le tableau qui me
                paraît se dégager. Il y a dans la communauté une charité fraternelle très
                attachante. Des mots comme bonté, intérêt, paix, unité
                viennent à l'esprit. C'est une communauté chaude. Vous
                vous acceptez les uns les autres. Vous avez confiance
                les uns dans les autres. Il y a un sens de communion
                dans la recherche de Dieu et vous êtes tolérants pour
                les fragilités les uns des autres. Il y a aussi
                d'excellentes ressources humaines dans la communauté. Un solide noyau d'hommes toujours fidèles à leur vie au
                coeur de la communauté, adonnés à la prière et au
                travail. On est aussi frappé par le grand nombre
                d'hommes excellemment préparés que vous avez comme
                équipe de formation. L'effet de leur compétence est
                évident à la fois chez les jeunes encore en formation,
                et sur le reste de la maison par des cours bien choisis. Comme partie du tableau, j'aimerais mentionner votre
                économie simple. Plusieurs ont remarqué qu'il y avait
                amplement de temps pour la prière et la Lectio. J'ai
                ressenti l'atmosphère priante de la maison. J'ai
                remarqué le naturel avec lequel plusieurs passent d'un
                sujet séculier à un autre spirituel, dans la
                conversation. Et vous m'avez rapporté les paroles des
                hôtes : qu'ils trouvent Dieu plus facilement à
                Tarrawarra. Pour examiner de plus près ce tableau précédent, j'ai
                lu les Cartes de Visite de 1976 par l'Abbé Général et de
                1978 par Dom Edouard, aussi bien que mes notes privées
                de 1973. Sans l'ombre d'un doute, il y a eu net progrès
                depuis. Vous avez maintenant le pied plus sûr. Il y a
                plus de profondeur, plus de substance. Les changements
                que vous appréhendiez un peu en ce temps là ont été
                intégrés et portent fruit. Dans une vision plus claire de la vie cistercienne, la
                communauté a une meilleure direction, une meilleure idée
                du but. Plusieurs sentent un appel pressant à une vie
                personnelle de prière plus profonde, et à la Lectio et à
                l'étude qui la nourrisse. Quelques uns m'ont dit que
                vous n'avez jamais été aussi heureux que vous êtes
                maintenant. Il y a de la liberté, liberté de surcharges
                de travail, liberté d'être soi-même, liberté de croître
                dans une atmosphère paisible et agréable. Si ce tableau est vrai, comme je le pense honnêtement,
                quelle réponse Dieu attend-il de vous ? Sûrement il veut
                que la communauté reconnaisse très humblement que si la
                communauté est ainsi, c'est à cause de l' amour spécial
                de Dieu pour la communauté. Reconnaître l'amour de Dieu
                pour la communauté comme il s'exprime dans le tableau si
                haut, peut bien être j'imagine, une des grâces de la
                visite. Continuez à croître en cet amour pour le temps à
                venir sera précisément un défit plus difficile. Quelques-uns ont exprimé un certain ennui des éloges.
                Ce qui précède ne se présente pas comme un éloge de ce
                genre, mais veut orienter vos esprits vers l'amour de
                Dieu pour vous, de sorte que vous puissiez y répondre
                par une foi éprouvée et par l'action de la grâce. Si une part importante de votre identité comme
                communauté est exprimée dans le tableau ci-dessus,
                sûrement c'est en coopérant avec Dieu selon les voies
                par où il vous conduit actuellement que vous raffermirez
                votre identité comme communauté. Notre Dame avait le
                secret de reconnaître ce que Dieu faisait pour elle.
                Tenez les yeux sur elle ! Elle est avec vous, elle
                continuera d'être avec vous. Voilà, mes frères, le tableau de cette communauté.
                Est-ce qu'il ne vous semble pas que nous avons là dans
                cette communauté une sorte de soeur jumelle aux
                antipodes, à 20.000 Km ? Voyez ce qu'on y retrouve, ceci
                que je viens encore de remarquer en le relisant : Le naturel avec lequel plusieurs passent d'un sujet
                séculier à un sujet spirituel dans la conversation.
                Cela, c'est le critère d'hommes qui sont possédés par
                l'Esprit de Dieu, ce même Esprit de Dieu qui sanctifie
                et qui crée. Dieu crée par sa Parole. Sa Parole est
                porteuse de puissance d'amour, et elle est Esprit et
                elle est Vie. Et cette Parole qui crée l'univers, donc
                qui crée le séculier, donc qui crée le monde, le
                matériel, le concret, est la même qui transfigure les
                coeurs des hommes, qui les rend purs et qui leur permet
                de voir la lumière de Dieu. Un homme qui est donc dans cet état passe sans aucune
                difficulté d'un sujet spirituel à un sujet matériel. Il
                n'a pas peur d'un sujet matériel. Pourquoi ? Parce que
                étant possédé par l'Esprit de Dieu, il a conscience de
                créer lui-même. Il tient le monde dans ses mains. Et le
                spirituel ne lui fait plus peur non plus, vu qu'à ce
                moment là Dieu l'inspire et lui met sur les lèvres les
                paroles qui peuvent toucher. J'ai déjà attiré votre attention, ici, là-dessus. Et
                c'est pour vous montrer que vraiment je sais que ça
                existe ici en communauté. Je ne vais pas citer des noms.
                Mais ça existe aussi ailleurs. Donc, c'est un critère
                qui est très encourageant pour nous. Il parle aussi de
                ceci : Il y a dit-il, de la liberté dans votre
                communauté, liberté d'être soi-même. Et c'est cela, vous
                voyez, c'est à cela que nous devons arriver. Etre libre
                d'être nous-mêmes sans avoir à subir le regard critique
                des autres. Cela ne veut pas dire que nous avons le droit d'être
                extravagant ? Ce n'est pas ça ! Mais le droit de nous
                développer dans les limites de nos capacités. Nous avons
                des limites ! Et bien sûr, dans ces limites, qui ne sont
                pas celles de mon voisin, j'ai le droit de me développer
                totalement et mon voisin dans les siennes. J'ai donc le
                droit d'être moi-même. Je n'ai pas à devoir m'imposer
                des choses qui ne me vont pas, parce qu'elles ne
                correspondent pas à ce que je suis. Il faut qu'il y ait dans la communauté une ligne qui
                soit la même pour tous. Cela va de soi ! Avancer, comme
                dit Saint Paul, dans la même ligne, mais chacun sur sa
                route suivant ce qu'on est. Or, la ligne qui est la même
                pour tous, c'est l'amour. L'amour qui fait que nous
                sommes attirés par Dieu, et nous sommes comme sucés par
                lui, mais sucé d'après ce que nous sommes. Dieu ne
                violente pas notre nature. Il l'élague, il la corrige,
                mais pour lui permettre d'être plus parfaitement
                elle-même. C'est ça la liberté d'être soi-même. Je pense
                que c'est là quelque chose d'extrêmement beau. Et la
                liberté alors dans ces conditions là, de croître dans
                une atmosphère paisible et agréable. Voyez un peu ! Si je sens posé sur moi le regard d'un
                frère, et je sais que ce regard est un regard d'estime
                et de respect, d'affection et d'amour, qu'il m'aime
                comme je suis avec mes défauts, ça c'est certain ! Mais
                mes défauts, ce sont des qualités qui ne sont pas,
                encore arrivées à leur plein épanouissement. Et je suis
                aimé comme ça ! Et si c'est chacun les uns pour les
                autres, alors c'est ça agréable, ça permet à chacun
                d'être heureux. Et alors nous avons l'atmosphère de
                paix. Il le dit ici encore : dans la communauté, des mots
                comme bonté, intérêt, intérêt les uns pour les autres,
                paix, unité, viennent à l'esprit. Une communauté chaude
                où on s'accepte les uns les autres et où on fait
                confiance les uns aux autres. Oui, c'est cela ! Or,
                encore une fois, ça ne se réalise que si l'Abbé d'abord
                est possédé par l'Esprit de Dieu. Et puis alors, s'il
                est possédé par l'Esprit, ça va passer sur les frères.
                Souvenons-nous de ce que le Christ disait : Même de
                  ces cailloux, disait-il, Dieu peut fabriquer
                  des enfants d'Abraham. Même dans la communauté, s'il y a un ou l'autre frère
                qui est un caillou, ça n'a pas d'importance. Le Christ
                qui vit dans la personne de l'Abbé fera fondre ce
                caillou. Et ce caillou va peut-être devenir un chef
                d'oeuvre unique en son genre ? Parce que de cette masse
                qui paraissait impossible, Dieu aura fabriqué un saint.
                Le type du caillou, vous le savez, c'était l'Apôtre Paul
                et vous voyez ce qu'il est devenu. Eh bien, mes frères, voilà un échantillon de
                communauté. J'ai voulu m’y arrêter aujourd’hui parce que
                je pense qu'il est utile de commencer par une note de
                beauté et de nous dire encore une fois que si nous
                pouvons être fiers de notre communauté aujourd'hui, nous
                ne devons pas en tirer prétention car il y en a
                d'autres. Mais ce doit être un encouragement de savoir
                que l'effort que nous faisons ici, et qui avec la grâce
                de Dieu produit de tels résultats, le même effort
                ailleurs produit des résultats semblables. Et au-delà des océans et des montagnes, noue avons des
                frères dans une communion à un même idéal que nous
                voyons concrétisé presque dans les mêmes mots. Et je
                pense que le paradis, ce sera la découverte dans
                l'étonnement et l'admiration de frères que nous aurons
                ignoré mais que nous découvrirons avec ravissement. Déjà maintenant, ceux-ci que nous connaissons par le
                rapport, ceux qui sont dispersés ailleurs, portons-les
                en notre coeur. Qu'il y ait ainsi de par le monde un
                tissu d'amour, de grâce, qui va transformer le coeur de
                tous les hommes, qui va hâter la Parousie, le Jour où
                Dieu sera vraiment tout en tous pour, je le répète, le
                ravissement et la joie de tous sans exception. Partage du Chapitre Général. 18.10.803. Portrait de trois Abbés Américains.Mes frères,Ce soir, nous allons faire rapidement la connaissance
                de trois Abbés Américains. L'un d'eux était assis à ma
                droite dans la salle des séances. C'était l'Abbé de
                Spencer, un grand maigre. Un homme qui n'est presque pas
                intervenu sauf lorsqu'on a touché un problème qui le
                préoccupe très fort : celui des frères convers, qui est
                spécifique aux Etats-Unis. Je devrais en parler plus
                tard. C'est un homme qui au cours de ses interventions
                élevait les débats au niveau surnaturel, ce qui était
                très rare. Il était toujours pondéré dans ses paroles.
                Quelques jours après le début du Chapitre Général il est
                tombé malade, une sorte de grippe. Comme j'étais son
                voisin de séance, je me suis occupé de lui, pour lui
                porter les documents, et tout cela. Il paraissait très
                fatigué. Il faut dire qu'il a une très forte communauté. Elle
                compte 96 membres. Il y a 73 profès solennels, 7 profès
                temporaires, 11 novices et 5 postulants. Il y a une
                communauté qui est plus forte encore, c'est celle de
                Gethsémani qui compte 99 membres : 88 profès solennels,
                4 profès temporaires, 3 novices et 2 postulants. Voila
                ce qu'on dit de cette communauté de Spencer. Je ne lis
                pas tout car ce serait trop long, simplement quelques
                extraits : Un caractère remarquable de la communauté de Spencer
                est la chaleur de charité unissant des membres qui
                diffèrent de formation, de points de vue et de qualités. Tout ça vient de la question non encore résolue
                aujourd'hui : des frères convers. C'est très pénible. Il
                y a des Abbés qui s'impatientaient : mais enfin, pour
                deux ou trois Abbayes Américaines, pourquoi encore
                remuer tout ça ? Il n'y a plus de problèmes chez nous,
                tout ça est fini. Non, le Chapitre Général, s'il est
                pastoral, il doit entrer dans les préoccupations de ces
                Abbés et surtout des frères qui souffrent dans leur
                coeur et dans leur esprit une situation qui les a
                bouleversés, et qu'ils ne parviennent pas à assumer. C'est un problème sérieux pour ces Abbés, je le
                sentais. Cet homme était à côté de moi, alors je sentais
                cela à ses réflexions, à ses interventions, à ses
                efforts. Parfois, il avait l'air de s'ennuyer ? Vous
                comprenez bien, toutes ces séances pendant des jours, et
                des jours, et des jours. Et je voyais que discrètement
                il récitait son chapelet. Oui, mais c'était bien. Il
                était toujours très calme, et il aurait pu sommeiller ou
                faire n'importe quoi. Non, il récitait son chapelet. Il
                était aussi très attentif aux autres, ça, je l'ai
                remarqué. Je retrouvais ce qu'il est dit ici. La chaleur
                de charité, c'était chez lui. Le Père Abbé s'efforce d'équilibrer au mieux avec
                chaque individu les éléments majeurs de la Règle. Pour
                ceux qui sont entrés après le décret d'unification des
                communautés, et qui sont encore en formation, la
                participation à la messe de communauté, à l'Office, le
                sérieux au travail, la Lectio et la Prière ont la
                nette priorité. Ils travaillent 5 heures par jour, tout
                en donnant à l'assistance aux Heures la préférence
                prescrite par la Règle. Ils sont encouragés à s'engager
                au service de la communauté.Notre père Abbé, après 19 ans de service suivi et….. Et avant ces 19 ans d'Abbatiat à Spencer, il a été
                plusieurs années Supérieur à Snowmass. C'est maintenant
                une Abbaye. Elle est située dans les Montagnes
                Rocheuses. Il m'a dit que c'était splendide comme
                paysage, on ne peut pas l'imaginer. Et d'un calme, et
                d'une paix qu'on ne connaît pas aux Etats-Unis. Snowmass
                signifie masse de neige. Ils sont aussi sous la neige en
                hiver. Donc ce père Abbé …......après 19 ans de service suivi est maintenant en
              période Sabbatique de 6 mois selon la suggestion de l'Abbé
              Général. Donc, pendant six mois il est hors de sa communauté et
                il se repose. Et il se reposait justement dans les
                Montagnes Rocheuses. Je lui ai demandé où se situait
                exactement Spencer ? C'est en plein centre des
                Etats-Unis, dans la région du confluent du Mississipi et
                du Missouri. Si jamais le Chapitre Général prochain se
                tient là, j'aurai l'occasion de le voir ! (L'Abbé de
                Spencer a mal compris et il situe l'Abbaye de Gethsémani
                dans le Kentucky, Père Immédiat de Spencer. L'Abbaye de
                Spencer se trouve dans le Massachusetts, près de
                Worcester, au dessus de New York) Ce repos sabbatique est rendu possible par la confiance
                que la communauté et le Père Abbé mettent dans le Père
                Prieur. Le service du Père Abbé est très apprécié par la
                grande majorité de la communauté et a contribué à la
                charité mutuelle et à la nouvelle forme que la
                communauté est en train de prendre, tandis qu'elle
                augmente en nombre. Donc, vous avez déjà un peu ici une toute petite note
                de ce qu'est le monastère Américain. Maintenant, nous
                allons en voir un autre. C'est le monastère de Genesee.
                Cette Abbaye est située dans l'Etat de New York, à 600
                Km au Nord-ouest de la ville, près des chutes du
                Niagara. Vous voyez, ce sont de beaux endroits
                touristiques ? Cet Abbé est assez connu. Il est venu ici, m'a-t-il
                dit, mais il y a longtemps. Avant d'entrer il était
                Docteur en Médecine et sa spécialité était la
                Psychiatrie. Sans doute juste ce qu'il faut pour faire
                un bon Abbé. C'est le Père Jean-Eudes. Il a été pendant
                quelques temps agent de liaison officiel pour les
                monastères de moniales, et il a donc beaucoup voyagé. Et
                c'est à l'occasion d'un de ces voyages qu'il est passé
                ici. Je pense que c'est encore à l'époque de Don
                Félicien. Il est Abbé de son monastère depuis 1971. C'est un homme de taille moyenne, qui est très actif,
                et qui a une vie intense de prière. Ce n'est pas un
                intellectuel, ce n'est pas un spéculatif, pas un
                cérébral. Il est assez bien intervenu, mais des
                interventions toujours en essayant d'atteindre le fond
                du problème. Ce que j'ai surtout remarqué chez lui - et
                il parle très bien le Français, très bien, presque pas
                d'accent, un peu lentement, parfois il cherche un mot
                mais il est maître de la langue - ce que j'ai admiré
                chez lui, c'est son esprit de détachement car il a été
                ennuyé par la question du Label Trappiste Ils vivent d’une boulangerie et ils ont concédé l’usage
                de leur recette à des boulangeries des environs qui
                mettent sur le marché le pain des moines avec sur
                l'emballage un petit moine stylisé. Il n'est pas
                question du mot Trappiste. Mais alors, cette affaire l'a
                bouleversé vraiment. Il est venu près de moi. Puis on a
                convoqué un petit Concile des responsables du nom
                Trappiste. Il a exposé son affaire et il a dit : Ecoutez, il faut
                bien comprendre. Si maintenant il fallait retirer à ces
                boulangeries l'usage qu'elles font de notre recette et
                du nom pain des moines, ça provoquerait des
                troubles économiques dans la région chez tous ces
                boulangers. Mais, dit-il, voilà, si vous le désirez, eh
                bien en rentrant je vais prendre des mesures et on va le
                faire. Parce que l'Abbaye reçoit aussi des commissions,
                un pourcentage sur la vente de ces boulangeries. Alors
                l'Abbaye elle-même serait un peu dans l'embarras. Mais,
                dit-il, ça n'a pas d'importance, on trouvera le moyen
                d'en sortir autrement. Alors, après des discussions et après avoir bien étudié
                son affaire, on est arrivé à la conclusion qu'il ne
                tombait pas sous le coup de la Loi du Label Trappiste.
                Naturellement je schématise maintenant, lui l'a expliqué
                dans tous les détails. Et de toute façon, s'il veut
                freiner un peu, il a tout le temps de le faire sans
                mettre personne, ni des étrangers, ni son propre
                monastère dans l'embarras. C'est à lui que j'ai posé quelques questions au sujet
                du comportement des Abbayes Américaines. J'aurais
                l'occasion d'en parler demain déjà. C'était très facile
                de lui poser des questions parce qu'il parlait
                parfaitement la langue Française. Voici ce qu'on dit de
                sa communauté à lui. Toutes ces Abbayes Américaines on
                pris comme thème du rapport : La participation
                coresponsable dans la vie de la communauté. C'est sans
                doute une décision de leur Conférence Régionale. La participation dans la vie de la communauté n'est pas
                un problème pratique à Genesee. Tous sont conscients de
                leur participation fondamentale par leur vie de prière
                personnelle. L'horaire de la prière liturgique est réglé
                en vue de la participation optimum de la communauté.
                L'enseignement et l'exemple du Père Abbé, et la vie des
                frères, encourage grandement la prière privée. Tandis
                que l'Abbé est directement engagé dans tous les aspects
                de la vie de communauté. Il est vraiment au courant de tout - Je l'ai bien
                remarqué aussi. De nombreuses commissions donnent une
                forme, concrète à la participation de tous dans la
                communauté. En plus du Conseil de l'Abbé, des
                commissions sont désignées pour le travail, la liturgie,
                l'architecture, les terrains, la peinture, et la
                musique.Vous voyez, de toutes petites commissions - Il Y a 50
              membres dans cette communauté. Les comptes rendus des travaux des différents
                commissions sont mis à la dis position de tous pour
                commentaires. Si un moine désire une réunion publique
                sur un sujet particulier, il peut afficher le sujet pour
                recueillir les signatures des intéressés. S'il y a 5
                signatures ou plus, le groupe est invité à rencontrer le
                Père Abbé pour considérer l'affaire. Une réunion
                générale peut suivre. Mais tout ça, c'est typiquement Américain. Il me l'a
                expliqué. On est éduqué là-dedans depuis notre enfance,
                dit-il. On n'imagine même pas qu'on puisse faire
                autrement. C'est tout autre chose que des Abbés
                autoritaires ou autocrates. Ce qui sera plus le cas des
                Abbés Français, mais j'anticipe un peu sur ce que je
                vais dire demain. Mais je n'anticipe pas, parce que
                autrement je pourrais achever aujourd'hui, nous serions
                encore là à 8 heures et demain je n'aurais plus rien à
                dire.Et maintenant on conclu comme ceci : La communauté de Genesee est très unie dans ses valeurs
                monastiques et sa façon de les exprimer. Tandis que
                l'Abbé est l'animateur et le centre de la communauté,
                les frères sont encouragés à participer à l'élaboration
                des décisions, à présenter leurs suggestions de
                différentes façons et à prendre part aux affaires des
                différents commissions. La participation responsable est
                comprise comme étant fondamentalement la responsabilité
                sérieuse pour chacun dg se consacrer à sa vocation
                monastique.On peut dire tel Abbé, telle communauté! Maintenant un troisième Abbé et communauté. C'est
                peut-être la plus originale. C'est la Communauté de
                Mepkin qui se trouve dans la Caroline du Sud. C'est le
                centre des EtatsUnis mais vers l'Atlantique
                (Charleston). Cet Abbé de Mepkin est un ancien
                Franciscain. Il a la parole facile. Une voix pour
                prêcher dans une cathédrale. Il est intervenu assez
                souvent, mais toujours pour des interventions
                percutantes et presque décisives. C'est un homme aussi
                qui a une grande vie de prière. Combien de fois ne
                l'ai-je pas vu à la chapelle ? On arrivait, bon, il
                était là. C'est lui ou sa communauté qui a organisé l'Office de
                Laudes et les chants de l'Eucharistie. Je lui ai demandé
                les livrets. Je les ai rapportés et je les ai remis à
                notre Frère Pierre qui les a déjà déchiffrés. Il y a
                là-dedans des pièces magnifiques. Par exemple ils
                chantent des Alléluia, l'Alléluia de Mozart, l'Hymne à
                la joie de Beethoven, la mélodie donc et d'autres pièces
                de très belles choses. Et je pense vous l'avoir écrit,
                c'était sur accompagnement de guitare, mais un artiste
                guitare, pas un amateur. On aurait dit de la cithare,
                tellement c'était bien accompagné. Et alors chanté sur un rythme Américain, un peu négro
                spirituel, pas exagéré, loin de là ! Mais avec une voix
                pour cet accompagnateur, une voix qui convenait
                parfaitement à l'emploie, un peu éraillée et traînant
                sur les finales. Je comprends très bien que le petit
                Angolais le Supérieur d'Angola est venu enregistrer, ça
                valait la peine. Et le chantre a eu un mal de gorge
                pendant quelques jours. L'Anglais l'a remplacé, mais il
                ne savait pas le faire. Il fallait être Américain pour
                chanter de cette façon là. Alors cet Abbé de Mepkin, lorsqu'il parlait il était
                toujours aussi au plan surnaturel, mais un surnaturel
                dur, catégorique, radical. Je me suis trouvé avec lui
                dans une petite réunion informelle où on a parlé des
                problèmes de noviciat. Ce n'était que des Américains,
                des Irlandais et les deux Canadiens qui sont venus ici.
                Cela se faisait en anglais. Lorsqu'il y avait quelque
                chose que je ne comprenais pas, c'était le Canadien, Dom
                Marcel qui me le traduisait. Et quand je parlais, je
                parlais en français, car ils comprennent le français. Il
                n'y en avait qu'un ou deux, Irlandais ou Américain qui
                ne connaissaient pas le français et un autre traduisait.
                Donc ça allait très bien, une bonne ambiance. Or, cet Abbé de Mepkin disait ceci à propos des
                novices. Et je suis contant, parce que c'est exactement
                mes idées. D'ailleurs il le disait : je suis d'accord,
                l'Abbé de Rochefort et moi nous sommes d'accord. Les
                autres étaient d'accord aussi, mais il fallait le dire.
                Par exemple, cette réflexion que j'ai retenue :
                  Plutôt périr que d'accepter un seul homme qui ne
                  serait pas appelé vraiment à la vie monastique
                  contemplative. C'est une toute petite communauté, peut-être à cause de
                ça ? Parce qu'il est tellement dur pour accepter les
                novices ? Ils sont exactement 31. Il y a 25 profès
                solennels, 2 profès temporaires, 2 novices et 1
                postulant. Et il a encore eu cette sentence qui est
                aussi très juste. Il a dit, toujours à propos du
                noviciat : La qualité d'aujourd'hui est la quantité
                  de demain ! Mais quand c'est dit en Anglais c'est
                encore beaucoup mieux. Ce sont de vraies formules. Et il
                disait toute chose de ce genre. Tout ceci pour vous
                situer l'homme. Et on m'a dit que c'était comme ça chez
                lui. Voici maintenant l'appréciation de sa communauté. Je
                vais simplement lire la conclusion, sinon ça durerait
                trop longtemps. Le rapport a aussi comme thème la
                participation responsable. Mais ce dont on parle
                maintenant, c'est de la Visite Régulière. Durant le scrutin secret de la Visite Régulière, qui
                fut la dernière étape dans l'établissement de ce
                rapport, tous reconnaissent que les dispositions
                personnelles et physiques créaient à Mepkin un espace et
                une atmosphère favorable à la vie monastique
                contemplative. En même temps 3 ou 4 moines ont exprimé
                leur inquiétude que cette situation presque idyllique ne
                conduise à une attitude de complaisance qui pourrait
                étouffer la réponse à l'appel du Seigneur d'entrer plus
                profondément dans son mystère. J'ai entendu cet Abbé expliquer au cours de cette
                réunion de Noviciat, sa conception de la vie monastique.
                Il aurait pu l'expliquer ici, vous voyez, c'était ça !
                Mais enfin, il l'expliquait à l'Américaine et vous
                retrouvez ça ici, dans ce qu'on dit dans le rapport. Si saine que soit cette inquiétude, il faut aussi une
                bonne volonté d'utiliser les temps et les lieux pouvant
                permettre quelque expérience de la joie et des richesses
                des dons de Dieu, quelque chose du centuple promis à
                ceux qui suivent fidèlement le Seigneur. Actuellement,
                ça semble être la situation de Mepkin. Il appartient à la Communauté de répondre avec une
                humble louange à la condescendance de notre Père sans
                jamais perdre de vue que c'est un don purement gratuit
                de sa part. Ce peut être une partie de la vocation
                présente de la Communauté d'apprendre comment
                précisément les structures monastiques peuvent fournir
                l'essentiel nécessaire à la fidélité, au milieu de la
                libéralité de Dieu, sans conduire à la complaisance et à
                la présomption. C'est un des 3 ou 4 plus beaux rapports, celui-ci !
                Vous voyez qu'aux 4 coins du monde, en Australie, à
                Rochefort, à Mepkin, il y a des hommes qui vivent
                exactement le même idéal, la même chose, dans les mêmes
                circonstances. Pas de circonstances locales, ni rien,
                mais circonstances de communauté. Ce sont de petites communautés où on est tout à fait
                donné à Dieu, où on fait une confiance totale à l'Abbé
                dans lequel on voit le Christ présent au milieu des
                frères. Et alors chacun s'épanouit, chacun est heureux.
                Mais ce n'est pas pour ça que Dieu envoie des novicesMais il faut toujours être humble, remercier Dieu. Pas de
              présomption, attendre tout de sa libéralité et de son
              amour.- ce n'est pas nécessaire - Dieu veut une solitude. Mais
                comme l'a très bien dit l'Abbé, ici, prenons bien garde
                ! Dieu a ses vues, et la qualité d'aujourd'hui, ce sera
                la quantité de demain.
 Partage du Chapitre Général. 19.10.804. Le nouveau monde.Mes frères,Nous portons gravé sur les tables de notre mémoire une
                image traditionnelle de l'Ordre. Je la schématise :
                Cîteaux - La Révolution Française L'exode de la Trappe -
                Le retour en France - et à partir de là un essaimage sur
                le continent et au delà des océans. Et au cours des
                années, l'influx vital vient de ce centre et se répand à
                travers le Corps. Pour ne pas remonter trop loin, depuis la dernière
                guerre, le visage de l'Ordre a été façonné par de grands
                Abbés Français. Je rappelle quelques noms : Dom Chautard
                - Dom Malais - Dom Lehodey - Dom Belorget - Dom Anselme
                le Bail - et tout près de nous Dom Gabriel Sortais. Lorsque je suis arrivé au Chapitre Général, après
                quelques jours, et à mesure que le Chapitre avançait
                j'ai constaté un fait qui sera peut-être difficilement
                admis par les Abbés qui ont une longue pratique du
                Chapitre Général, car il leur est difficile de se
                défaire d'une vision qui pour eux est valable pour la
                suite des temps. Mais les jeunes, ceux qui ,sont venus là pour la
                première fois, et qui sont donc à un point de départ,
                ils seront d'accord avec moi. J'ai constaté ceci : c'est
                qu'aujourd'hui le coeur de l'Ordre se trouve aux
                Etats-Unis ! Et quand je parle des Etats-Unis, je vois
                donc les monastères Américains, mais aussi leurs
                filiales répandues dans le monde en Amérique du Sud,
                dans le Pacifique. Je dirais même aussi leurs
                satellites, les Japonais et les Japonaises
                naturellement, car ils sont rattachés à la Conférence
                Régionale Américaine. Et en frange, alors, en frange je
                verrai les Irlandais avec leurs fondations en Australie
                et Océanie. Là aujourd'hui bat le coeur de l'Ordre ! Pourquoi ? Mais parce que c'est là un fait. Et vous
                savez qu'un fait est plus important qu'un Lord-Maire. On
                peut se heurter contre le fait, on se cassera la tête
                contre lui. Le fait est là, c'est objectif. Les Abbés
                les plus remarquables aujourd'hui par leur envergure
                spirituelle, par l'audace de leur vue prospective, par
                leur discernement, leur pondération, leur équilibre, ce
                sont des Abbés du monde Anglo-Saxon. Auparavant, je le sais, les Etats-Unis avaient une
                réputation peu flatteuse. Et c'est avec cette idée que
                je suis arrivé au Chapitre Général. Mais j'ai du
                renverser tout à fait mon jugement. A partir de ces
                hommes, des problèmes qu'ils rencontrent chez eux et
                dans les pays où ils sont en train d'essaimer, à partir
                des événements qu'ils vivent, ils sont en train de
                modeler une nouvelle physionomie de l'Ordre. Le Père Abbé Général est ouvert à cela. Il le sait. Il
                l'a dit. Pas à ce Chapitre ci, mais à l'autre. Ce sont
                des choses qu'on ne peut pas dire souvent parce que ça
                heurte des susceptibilités. Et je me demande si ce
                phénomène de décentrement vers les Etats-Unis n'est pas
                lié à une dérive plus profonde de l'humanité comme telle
                vers les Pays du Tiers-monde en passant par l'écluse
                obligée des Etats-Unis. Le Père Abbé Général l'a dit :
                en l'an 2000, beaucoup de monastères auront disparu en
                Europe. Par contre il y en aura un grand nombre dans des
                pays neufs. Les Etats-Unis sont un bain d'expériences au plan
                humain. Ils sont à la pointe de la révolution technique
                et industrielle. J'ai du m'occuper l'autre semaine d'un
                jeune étudiant qui doit se rendre aux Etats-Unis pour
                faire des études d'ingénieur dans des branches
                techniques dont ces études ne sont même pas encore
                abordées en Belgique, et pas même en Europe. Il y a là un brassage de populations, de races, de
                cultures, que nous ne connaissons pas ici. Nous voyons
                arriver ici des Nord-africains, des Turcs et on est
                effrayé ! Mais aux EtatsUnis c'est courant. Rien qu'à
                New York, on parle 30 langues différentes. Et ces gens
                vivent tous l'un dans l'autre. Alors, mettez ça à
                l'échelle des Etats-Unis qui est un continent. Ils sont reliés par un dénominateur commun qui est la
                façon de vivre Américaine. Je ne suis pas en train
                maintenant de faire l'apologie des Etats-Unis, loin de
                là savez-vous, mais c'est pour vous faire comprendre
                qu'il se passe quelque chose dans laquelle nous sommes
                entraînés presque à notre corps défendant. Mais nous
                devons nager et ramer dans cette direction là parce que
                à mon avis, c'est un phénomène anthropologique. Je vais
                vous donner un exemple de ce glissement. Les Abbés
                Français se méfient beaucoup des Abbés Américains. Entre
                les deux il n'y a pas d'atomes crochus. Voici un cas
                concret : Les Abbés Français pensent et disent tout haut que les
                Américains souhaitent que le Chapitre Général délègue
                une partie de ses pouvoirs aux Conférences Régionales.
                Dans cette hypothèse, il y aurait une abdication, une
                démission du Chapitre bé9éral. Par contre il y aurait un
                renforcement du pouvoir dans les Régions. Et petit à
                petit se constituerait un régionalisme qui serait
                indépendant du Chapitre Général, qui ne serait donc plus
                sous l'autorité suprême de l'Ordre. Et, se créerait à la
                longue de petites Congrégations autonomes qui
                évolueraient chacune de leur côté et se distancieraient
                les unes des autres ; ça serait donc fini de l'UNITE de
                l'Ordre. Voilà la thèse Française ! Comme je me trouvais au Chapitre Général perdu au
                milieu d'Américains, d'Anglais et d'Irlandais, je leur
                ai posé la question : ce que c'était exactement ça ? Et
                ils ont dit : Mais enfin, il ne s’agit pas de ça du tout
                ! Nous ne désirons pas du tout que le Chapitre Général
                nous délègue une partie de ses pouvoirs juridiques.
                C'est simplement ceci : Nous aimerions que, au plan
                Pastoral les Conférences Régionales puissent résoudre
                des problèmes qui ne doivent pas attendre sous peine de
                s'envenimer, de se durcir. Un Chapitre Général se tient tous les 3 ou 4 ans
                maintenant. Un problème surgit dans une Abbaye. Pourquoi
                faudrait-il attendre 4 ans qu'un Chapitre Général se
                présente pour aborder le problème et essayer de le
                résoudre. Pourquoi ne pas nous réunir entre nous,
                l'étudier, apporter une solution, aider cet Abbé, ce
                frère, aider cette communauté ? Et ils disent : Mais n'est-ce pas là l'intention
                première des Conférences Régionales ? Et lorsque Dom
                Guerric est venu ici un jour après la fête, nous avons
                parlé pendant deux heures, et je lui ai entre autre posé
                la question. Et il m'a dit : oui, je suis à l'origine
                des Conférences Régionales, je sais très bien ce que
                nous avons voulu faire. C'était, au début, une réunion
                d'Abbés de la région qui se réunissent pour discuter des
                problèmes qu'ils rencontrent chez eux, et s'entraider,
                et se soutenir, essayer de voir clair et de trouver une
                solution. Mais c'est ça, dit-il la Conférence Régionale.
                Et, a-t-il dit, il faut que cela revienne à ça. La dernière Conférence Régionale à Orval, ils étaient
                70 ! Il est même impossible de réunir un symposium
                pareil à Scourmont, a-t-il dit, nous ne saurions pas. Il
                n'y a que Orval qui peut faire ça. Mais 70, c'est
                presque un Chapitre Général. De quoi voulez-vous parler,
                ditil, surtout avec le nombre d'étrangers qui sont là.
                Que viennent-ils y faire ? Voilà, même ici, un homme qui est un des promoteurs des
                Conférences Régionales, qui trouve tout naturel qu'on y
                discute de problèmes d'ordre Pastoral. Eh bien, voilà ce
                que les Abbés Américains désirent faire. Or, à la fin du
                Chapitre on s'est posé la question: Comment soulager le
                travail du Chapitre Général ? Le programme est tellement
                lourd ? Les Américains ont dit : Mais c'est tout simple, les
                questions Pastorales, mais qu'on les résolvent tout de
                suite au niveau de quelques monastères de la Région. Et
                ainsi le Chapitre Général ne devra plus s'en occuper, ce
                sera résolu. Mais les Français, eux, ne l'entendent pas
                comme ça ! Pour eux, c'est le Chapitre Général qui doit
                résoudre tout. Il y a là derrière, je le sens bien, une
                peur. Non pas la peur de perdre des responsabilités,
                mais la peur de regarder les problèmes et de s'y
                engager. Donc voilà, vous sentez que là, les américains, tout en
                ayant apparemment une position de pointe, retrouvent une
                tradition. Naturellement je donne un exemple, il y en a
                d'autres. Maintenant, si je vois l'Ordre en France, et quand je
                pense à la France, c'est aussi les environs de la
                France. Mais le coeur est là. Eh bien, ça me donne
                l'idée de Madame la Marquise. Une vieille noble dame qui
                vit dans un château somptueux mais qui est ruinée, et
                qui s'efforce par tous les moyens de maintenir la vie
                qu'elle a toujours connue. Mais cette vie lui échappe. On s'efforce toujours de maintenir le ton et les
                manières d'autrefois. J'ai entendu dire à deux reprises
                au moins, si pas trois, pas en public naturellement mais
                dans les couloirs : ces Abbés Français, ils sont
                Napoléoniens ! Et ça veut dire ceci : lorsque dans une
                commission ils sont deux ou trois, c'est fini ! C'est
                eux qui parlent, et ils discutent entre eux. Les autres
                sont là comme spectateurs et auditeurs. Ils prennent la
                direction et puis ça avance. Et ce sont leurs façons de
                faire, et de voir, et de décider qui vont passer, et ça
                passe dans la commission du moins. Napoléoniens ! Alors, il y a ceci également - ce n'est pas seulement
                les Français, mais aussi ce qui est autour, donc nos
                régions - dans leurs rapports avec les fondations du
                Tiers-monde, ils sont encore colonialistes. On va là-bas
                et on y implante ses façons de vivre d’ici. On n'imagine
                pas que ça puisse être autrement ! Et on l'entend au ton, à la façon dont on en parle. Et
                ça me faisait mal, certains. J'ai entendu parler l'un ou
                l'autre, mais ça me faisait vraiment mal. C'était de la
                condescendance, presque du mépris pour ce qu'on
                appellera les indigènes du monastère, qui sont toujours
                tenus un peu en état d'infériorité ! Voilà, voici encore un petit indice. C'est le Père
                Mununu de Kasanza qui l'a dit ici. Vous avez un Abbé
                Camerounais qui est en train d'être à l'origine d'une
                nouvelle fondation spontanée au Cameroun. Et où va-t-il
                chercher ses idées, son initiation ? Mais pas au
                Cameroun ! Pourtant, il y a là des monastères Européens
                ? Non, il vient à Kasanza parce que là-bas il y a déjà
                un Supérieur Africain. Il va venir chercher là son
                inspiration. Ils vont être entre eux... Non, il n'ira pas dans un monastère Européen, parce
                qu'il va s'en méfier ! Voyez, à Kasanza, ils lui ont
                posé la question: Mais pourquoi venir si loin quand vous
                en avez sur place ? Mais sur place, ça ne va pas, parce
                que ça ne va pas ; on ne va pas se comprendre, on ne se
                comprend pas ! Or les Américains, eux, n'ont jamais eux de colonies,
                ils ne savent pas ce que c'est qu'une colonie. Ils vont
                donc fonder dans des pays du Tiers-monde, aux
                Philippines, en Amérique du Sud.. Et ça se présente
                autrement. On va dire : Oui, mais eux ils sont
                impérialistes. Mais ils le sont, ou plutôt disons que
                dans les monastères, ils ne le seront pas. Ils seront
                plutôt une sorte d'impérialisme qui ne serait pas
                nationaliste, ni même culturel, ni même religieux, ni
                même spirituel. C'est autre chose qui est quasi
                impondérable, qu'on ne sait pas couler dans une phrase. Voilà, vous avez cette fondation spontanée au Nigeria.
                Mais cet Abbé Nigérien n'a pas demandé de l'aide aux
                monastères du Cameroun qui sont à côté ? Non, il a
                appelé à l'aide aux Etats-Unis. Et les Etats-Unis,
                l'Abbaye de Genesee dont j'ai déjà parlé envoie là deux,
                trois professeurs, un maître des novices pour les aider.
                Mais les indigènes sont là : le Supérieur est un
                Nigérien. On attend qu'il y ait des prêtres, qu'il y ait
                des cadres. Et puis ces hommes vont et viennent, ils ne
                s'installent pas. Ils apportent une aide temporaire, une
                aide provisoire. Ils verront ça plutôt sous l'image du
                service. Et je vais encore citer un exemple pour marquer la
                différence. Après la lecture des rapports, on a dégagé
                des idées qui étaient apparues comme ça, des thèmes
                comme on dit - qui étaient apparues à la suite des
                lectures de ces rapports. Entre autre il y avait le
                thème de la mission de l'Abbé. Et je me suis inscrit,
                puisqu'on devait s'inscrire pour ce thème. Il y avait
                deux groupes. Un groupe Anglo-Saxon-Américain et puis il
                y avait un groupe plutôt Français. Et comme j'étais
                francophone, on m'a mis là. Le Père Eugène, lui,
                connaissant mieux l'anglais à été mis de l'autre côté.
                Et on a commencé à parler de ça. Mais voilà comment ces Abbés Français - l'Abbé du Mont
                des Cats était là, et d'autres- mais voilà comment ils voyaient ces choses. Il y a
                deux entités : il y a la Communauté, et il y a l'Abbé.
                Un homme est élu Abbé. Il est tiré hors de la
                Communauté, il est à part...et puis les voilà comme deux
                antagonistes l'un en face de l'autre. Comment maintenant
                vont-ils s'arranger pour que cela marche ?
 Alors l'Abbé, lui, comment va-t-il exercer son autorité
                ? Parce que toute la question tourne et la discussion au
                sujet de l'AUTORITE de l'Abbé. Comment va-t-il l'exercer
                ? Oui ! Et ça peut discuter une heure là-dessus. Et
                alors vous êtes là à écouter. Après la séance, il y a un
                Français qui me dit : c'était tout de même bien ? Mais
                je dis : je ne suis pas d'accord du tout, pas d'accord
                du tout avec ça, c'est pas comme ça ! Je parlerai de ça
                peut-être une autre fois parce que maintenant ça va nous
                conduire trop loin. Mais maintenant le Père Eugène, lui, était avec les
                Américains. Et là, ça s'est présenté tout autrement. Là,
                on n'a pas vu un Abbé devant tenir tête à une
                communauté. Non, on a vu un Abbé issu de la Communauté,
                non pas coupé d'elle, mais devenant la conscience que la
                communauté a d'elle-même, devenant l'animateur de cette
                communauté, s'efforçant de la faire évoluer tout en
                étant lui-même sous l'influx de l'Esprit de Dieu. C'est tout autre chose ! C'est peut-être encore lié à
                un phénomène culturel Américain ? Nous l'avons vu hier
                soir à l'exposé de ces rapports où eux sont habitués de
                discuter de tout en communauté. L'Abbé n'est pas un
                homme qui de façon autoritaire, voila - même s'il a
                consulté l'un ou l'autre décide on va faire comme ça. Et
                puis, d'accord ou pas d'accord, c'est mon idée à moi, eh
                bien on le fera. Ah non ! Là-bas il y a comme quelque chose qui doit
                grandir de la communauté. Ce n'est pas de la démocratie
                ? Non, mais c'est un peu ce qu'on s'efforce de vivre
                dans l'Eglise maintenant ; ça ne doit pas venir de la
                base, non, il y a toujours au dessus les successeurs des
                Apôtres que sont les Evêques. Il y aura au sommet,
                Pierre, qui va devoir finalement donner son approbation
                à ce qui se fera. Mais on consulte, il y a des Synodes.
                Il y a des Synodes régionaux, il y a un Synode mondial
                maintenant. Et à partir de là, on s'efforce de découvrir
                la volonté de Dieu. Vous avez là encore deux conceptions différentes et de
                l'Abbé, et de la Communauté. Et j'ai dit aussi à cet
                Abbé, entre autre : Ecoutez, l'impression qu'on retire
                de ces discussions sur l'autorité de l'Abbé, eh bien,
                c'est que ces Abbés ont peur. Il y a une peur là
                derrière. Ils ne sont pas bien dans leur peau. Alors il
                n'a rien dit, il n'a même pas dit ni oui, ni non. Mais voilà mes frères une impression que j'ai retiré de
                ce Chapitre et que je vous livre. Mais pour moi, cela a
                été une révélation. C'est une découverte. C'est que dans
                ces pays neufs et les Etats-Unis sont un pays neuf par
                rapport à nous - il y a un bouillonnement de vie ; ça
                bouillonne, ça fermente. Tandis que dans notre vieux
                monde s'installe l'artériosclérose. C'est raide, ça ne
                sait plus bouger, ça a peur. On parlait du vieillissement des communautés. C'est un
                problème qui ne se pose pas aux Etats-Unis. Le
                vieillissement des communautés, ça se posera ici. Mais
                pourtant, eux l'envisagent déjà. Ils se disent : En l'an
                2000 quel sera l'état des communautés ? Ils ne vont pas commencer à faire des courbes
                statistiques, loin de là ! Mais ils disent que c'est
                tout de même un phénomène qui est maintenant dans
                beaucoup de monastères. Il faut le regarder en face et
                ne pas se laisser acculer le dos au mur, et prendre des
                décisions à la sauvette alors. Voilà mes frères, nous sommes ici sur le vieux
                continent. Mais ça ne veut pas dire que nous devons,
                nous, ici à Rochefort, souffrir de sclérose. Il est
                nécessaire qu'ici aussi ça bouillonne, le bouillonnement
                de l'Esprit, car c'est ça ! Et ce bouillonnement de
                l'Esprit va s'exprimer, se matérialiser non pas dans un
                bouillonnement cérébral, mais dans ce que le mot latin
                qui traduit bouillonnement dit : ferveur. Une ferveur qui nous fait croire à notre vocation, qui
                nous fait croire à l'action de l'Esprit dans nos coeurs,
                dans notre communauté, dans l'Ordre, dans l'Eglise. Une
                ferveur qui nous fait regarder au loin, qui ne nous fait
                pas regretter le passé. Une ferveur qui nous donne à
                l'amour que Dieu a pour nous, et qu'il a pour tous les
                hommes. Et ainsi mes frères, nous resterons jeunes même si
                physiquement nous vieillissons. On peut souffrir de
                sclérose physique, c'est fatal avec l'âge. Mais une
                sclérose spirituelle, ça c'est inimaginable pour un vrai
                moine. Car de jour en jour il rajeunit. Il goûte la vie
                éternelle et il ne peut même pas imaginer ce que c'est
                que la mort, cette seconde mort qui nous enfonce dans le
                désespoir, dans le dégoût qui fait qu'on n'a plus envie
                de vivre. Voilà mes frères, une petite conclusion. Soyons donc
                ici, non pas des Américains, ce n'est pas ça que je veux
                dire, ce serait jouer, ce serait du théâtre, ce serait
                faux. Mais soyons de véritables moines. C'est à dire des
                hommes qui sont déjà pour leurs confrères en humanité
                des prophètes, ceux qui sont déjà l'exemple de ce que
                l'humanité devra être demain, plus belle, plus ouverte,
                plus confiante, plus pacifiée et surtout plus aimante. Partage du Chapitre Général. 26.10.805. Le Symposium : Lettre aux communautés.Mes frères,Au cours du Chapitre Général, pendant cinq jours, s'est
                tenu un Symposium qui groupait tous les Supérieurs des
                monastères vivant leur vie monastique selon la Règle de
                Saint Benoît, environ 550 personnes. A l'issue de ce
                Symposium un message a été rédigé à l'intention des
                communautés. Je l'ai reçu hier. Je vais vous en donner
                lecture avec quelques mots de commentaire. Ce Symposium était organisé. Chaque jour il était
                ouvert par une conférence donnée par des personnes
                étrangères à l'Ordre Monastique, même des laïcs, même
                une dame qui était ministre de l'Etat Allemand du
                Palatinat. Il y a eu aussi, comme vous le savez, un
                pèlerinage au Mont Cassin, avec une messe concélébrée et
                présidée par le Pape. Organisé un tel Symposium était une chose difficile. Il
                parait que cela a bien durer deux à trois ans. Après
                chaque conférence se tenait ce qu'on appelle un panel.
                C'est à dire que au milieu de l'Aula il y avait une
                grande table autour de laquelle étaient assis les
                organisateurs et les personnages les plus influents du
                Symposium, ou les plus représentatifs plutôt des Ordres
                Monastiques Et alors, ces personnes dialoguaient entre elles au
                sujet de la conférence entendue. Mais ce dialogue était,
                déjà préparé ! Il faut bien le savoir. Et les autres
                étaient autour et les écoutaient. Puis après commençait
                des échanges plus spontanés. Le premier jour, toute la
                journée y est passée ; les deux suivant : uniquement
                l'avant-midi ; le suivant, le quatrième, était le Mont
                Cassin ; et le dimanche était une clôture générale.Le message est présenté par les trois Abbés Généraux :
              Bénédictin, Cistercien et Trappiste. Chers frères et soeurs,
 Les Pères Abbés ont désiré envoyer, à la fin du
                Symposium, un message aux communautés. Le temps trop
                bref, ne leur a pas permis d'en rédiger qu'un texte
                provisoire.Donc, ce texte n'était pas préparé avant le Symposium. Il
              a été préparé au cours de celui-ci et à la fin du
              Symposium. Celui-ci a été corrigé en fonction des remarques
                présentées en Aula, et approuvé par nous les Supérieurs
                des trois Ordres Monastiques. Nous remercions ceux qui
                ont collaboré à la rédaction de ce message et nous
                espérons qu'il transmet quelque chose de ce que les
                participants ont expérimenté durant ces jours.Rome, septembre 1980 Réjouissez-vous tous dans le Seigneur, en ces jours où
                nous célébrons Saint Benoît ! Dans le cadre du quinzième
                centenaire de la naissance de Saint Benoît, les abbés,
                abbesses et supérieurs bénédictins, cisterciens et
                trappistes, se sont réunis pour la première fois dans
                l'histoire afin de réfléchir sur les valeurs communes,
                les aspirations profondes et les défis actuels auxquels
                font face ceux qui vivent aujourd'hui sous la Règle de
                Saint Benoît. L'assemblée, vous l'imaginez bien, était extrêmement
                disparate. Non seulement parce qu'il y avait des
                supérieurs de tous les coins du monde, mais aussi des
                options monastiques tout à fait opposées, depuis la vie
                contemplative telle que nous essayons de la mener ici
                jusqu'à l'activité la plus apostolique dans le monde. Et
                entre deux, vous aviez toute la gamme. Malgré tout, il devait y avoir chez tous ces hommes des
                valeurs communes puisque tous se réclament de la Règle
                de Saint Benoît. Aucun ne peut prétendre posséder à lui
                tout seul le monopole de toute la vérité concernant la
                vie monastique et la Règle. Dieu est le Maître de
                l'Histoire, il est le Maître de l'Eglise, il est le
                Maître des personnes, des communautés. C'est donc lui
                qui inspire les orientations diverses, qui sont toutes
                valables, qui se réclament toutes de Saint Benoît. Et nous devons toujours bien prendre garde de ne pas
                laisser tomber sur d'autres qui vivent d'une façon
                différente de la nôtre, un regard de mépris, comme si
                nous leur étions supérieurs. Non, nous sommes dans le
                champ de l'Eglise. Nous sommes des ouvriers à notre
                place, attelés à une tâche spécifique, à côté d'autres
                qui ont aussi leur vocation. Mais en dessous de tout
                cela, il y a des valeurs communes sur lesquelles ont
                réfléchi le Symposium. Des aspirations profondes ! Car chacun est appelé, est
                attiré par le Christ, mais suivant ce qu'il est. Le
                Christ est la tête d'une personnalité qui est son Corps,
                qui est toute l'Eglise, qui même au-delà de toute
                l'Eglise est l'humanité entière. Et chaque moine a sa
                place, qui est unique, qui est irremplaçable. Il y a donc en chacun des aspirations profondes qui
                sont irréductibles à celles des autres. C'est pour cela
                que nous devons toujours avoir un immense infini respect
                les uns pour les autres. Ce n'est pas parce que mon
                frère vit autrement que moi, ou sent, ou voit autrement
                que moi que je ne dois pas m'entendre avec lui ? Il est
                respectable dans ce qu'il est. S'accepter tel qu'on est,
                ça c'est le fondement de la véritable charité.Et alors les défis du monde ! Nous sommes de notre temps,
              nous ne sommes pas d'hier, ni d'avant-hier ! Des idées traditionnelles sont ressorties fortement de
                ces discussions et des questions nouvelles ont élargi
                notre vision. C'est pourquoi les tensions entre la joie
                de la célébration et les appels de notre époque
                resteront le message essentiel de ces jours.ça va revenir par après ! Au Mont Cassin nous avons présenté à Dieu, en votre
                nom, notre action de grâce, nous avons aussi offert les
                soucis et les problèmes auxquels nous sommes
                inévitablement confrontés dans un monde mouvant et en
                crise. L'Ordre Monastique n'est donc pas statique. Le monde
                est en crise, le monde bouge, le monde est en mouvement.
                L'Ordre Monastique est composé d'hommes qui sont aussi
                des fragments de ce monde. Et eux aussi sont en crise et
                en mouvement. Mais, disons ici, que c'est une crise
                dirigée et que c'est un mouvement ordonné. Parce que le
                chef, la tête qui anime tous ces hommes, toutes ces
                communautés, c'est le Christ qui, lui, est en train de
                continuer son oeuvre de création et de rédemption. Dans son homélie, le Pape nous a rappelé d'avoir à
                apprendre de la Règle comment accomplir un véritable
                renouveau moral et spirituel en tant que chercheur de
                Dieu et amant de Dieu ; il nous a aussi engagés à
                regarder en face les réalités du monde dans lequel nous
                vivons. Donc, deux choses dans l'homélie du Pape.  A partir
                  de la Règle nous renouveler sans cesse. C'est
                notre voeu de conversion des moeurs. Parce que nous
                sommes des chercheurs de Dieu et des amants de Dieu.
                Mais nous cherchons Dieu parce que nous l'aimons. Si
                nous ne l'aimons pas, nous ne le cherchons pas. Faisons bien attention à cela ! Lorsque notre visée
                dévie, lorsque nous ne sommes plus à l'aise dans notre
                peau de moine, dans notre vie concrète, faisons
                attention ! C'est que il y a une faille dans notre amour
                pour Dieu. Et c'est là que se porte notre effort de
                conversion. C'est de toujours être ouvert à cet amour de
                Dieu pour nous, pour que nous puissions le lui rendre et
                alors chercher Dieu avec persévérance. Second point sur lequel a appuyé le Pape :  nous
                  engager à regarder en face les réalités du monde dans
                  lequel nous vivons. Ne pas avoir peur de voir les
                choses en face. Le message va y revenir. Nous avons été ainsi provoqués à être fidèle à la
                tradition monastique aussi bien qu'à affronter les
                besoins développement spirituel personnel, de
                contemporaine.l'Eglise locale et la sociétéactuels dans les domaines du
 Il y a donc des besoins actuels, c'est à dire qui sont
                les nôtres aujourd'hui. Nous ne devons pas faire de
                l'archéologie et passer notre temps à réfléchir sur les
                besoins des moines des siècles passés ; ça peut être une
                forme d'évasion ou une forme de peur devant ce qui nous
                est offert aujourd'hui. Non, les problèmes d'aujourd'hui, et ils sont fameux !
                Et ça va nous aider alors à nous développer
                spirituellement et personnellement. Spirituel, cela veut
                dire encore une fois que nous sommes sous la mouvance de
                l'Esprit de Dieu. Et nous deviendrons des personnes
                libres, belles, pures, si nous n'avons pas peur de nous
                laisser brûler par le feu de l'Esprit.Les besoins de l'Eglise locale et de la société
              contemporaine ? Toujours être inséré dans son milieu. Maintenant trois points :
 Dans cet esprit, il a été réaffirmé que la vie
                monastique était la création d'un espace spirituel, où
                le propos de l'obéissance d'écoute n'est pas de séparer
                la communauté de la vie mais de les relier dans un
                témoignage de foi et d'espérance. Voici une définition originale de la vie monastique.
                Elle est juste, elle est correcte. La vie monastique est
                la création d'un espace spirituel, c'est à dire d'un
                espace divin. Le spirituel étant la façon pour nous de
                vivre le divin. La vie monastique est donc la création
                d'un tel espace ; ça veut dire que nous habitons - je
                l'ai déjà expliqué et je pense que on devrait y revenir
                sans cesse - le monastère, le claustrum, ici,
                c'est la maison de Dieu. Ce qui nous entoure, c'est un
                domaine qui appartient à Dieu. Et là, on y vit selon les
                normes de l'Esprit de Dieu. Donc, la loi qui nous dirige
                ici, qui conditionne notre pensée et notre agir, c'est
                l'Amour qui est l'Esprit. Voilà donc un espace d'amour
                dans lequel chacun est libre de se développer comme il
                l'entend, à condition d'être toujours lui-même sous
                l'influx de cet Esprit. Voilà la vie monastique ! Et
                c'est très bien dit. Alors, le propos maintenant, le but de l'obéissance qui
                est écoute de ce que dit l'Esprit, n'est pas de séparer
                la communauté de la vie. Donc, ce n'est pas de nous
                fermer sur nous-mêmes et de nous séparer de la vie
                réelle qui continuerait à côté de nous à évoluer, tandis
                que nous, nous resterions bloqué dans notre situation
                présente. Non, mais c'est de relier la communauté à la vie, que
                la communauté ne soit pas étrangère à ce qui se passe
                autour d'elle ; mais qu'elle soit pour le monde
                environnant un témoignage de foi et d'espérance. Et ça
                veut dire de foi, de vision de la divinité en la
                personne du Christ. Et d'espérance : c'est à dire de
                confiance dans ce que Dieu est en train de faire, de
                réaliser pour le monde à travers tous les obstacles, les
                difficultés et même les laideurs.Il en est résulté une prise de conscience du rôle et de la
              signification de la pauvreté dans le monachisme
              contemporain. Ici, je sais par des échos que j'ai recueilli après,
                que tout le monde n'a pas été d'accord sur cette
                histoire de pauvreté. On a dit : on a insisté trop,
                peut-être, sur l'aspect misère du monde. C'est vrai
                qu'il y a beaucoup de misère dans le monde maintenant.
                Mais misère matérielle, alors qu'il y a dans le monde
                une pauvreté maintenant affligeante morale et
                spirituelle. On n'a pas tellement bien établi, ici, la
                distinction. Mais vous comprenez que c'était difficile. Nous avons été amenés à nous demander, à ce moment
                précis de l'histoire, jusqu'à quel point nous suivions
                le Christ de l'Evangile et jusqu'à quel point nous
                étions séduits par les appels subtils de la société de
                consommation. Le Christ de l'Evangile, c'est un Christ qui n'était
                pas un misérable. Il était le Créateur du mande, donc il
                était chez lui, mais il se contentait de ce qu'il
                trouvait. Il appliquait avant la lettre ce que Saint
                Benoît demande de quiconque veut venir dans un monastère
                : qu'il soit content de ce qu'il y trouve. C'est ça la
                pauvreté chrétienne ! C'est autre chose que la société
                de consommation, où, là, an doit recevoir toujours
                davantage. La société de consommation, c'est ceci, par exemple. Je
                l'ai encore entendu dernièrement. C'est un piège subtil.
                Je n'ai besoin que d'un paquet de savon. Mais je vois
                sur l'étiquette que si j'en achète trois j'aurai une
                réduction de 1 franc sur chaque paquet. Mais pour gagner
                ces trais francs, je vais en acheter trois, alors que je
                n'en ai besoin que d'un. Alors je vais donc surconsommer
                ce savon, puisqu'il est à si bon compte et que je gagne
                1 franc sur le paquet ! Vous voyez les pièges subtils
                qui nous entraînent à consommer au-delà de nos
                véritables besoins ! Ceci nous a provoqués à nous demander de quel monde
                nous sommes réellement séparés ? à nous demander quel
                levain pour la société sont en fait nos monastères ? Est-ce que nous sommes séparés du monde de la
                consommation ? Ou bien dans notre monastère, sommes-nous
                consommateurs séparés du monde des pauvres ? C'est à
                dire que nous serions ici un exemple type de gens qui
                consomment à outrance. C'est ça le sens de la question :
                De quel monde réel sommes-nous séparés ? Est-ce que pour savoir comment vivre sainement
                aujourd'hui, on doit regarder le monastère ? Ou bien
                doit-on s'en écarter ? Ici voyez vous, nous autres, je
                puis le dire et je l'ai d'ailleurs dit au Chapitre
                Général, ici, nous ne sommes pas asservis à la société
                de consommation parce que nous avons pris au plan
                monastique une option qui nous met en dehors des normes
                d'aujourd'hui. Notre production qui nous permet de vivre, elle est
                limitée. Nous ne la dépassons pas et nous ne voulons
                jamais la dépasser. Nous sommes donc contre les lois
                actuelles de la société de consommation. On peut donc
                regarder ici pour voir comment se comporter sainement
                dans le monde d'aujourd'hui.…..à devenir plus attentif aux souffrances des femmes et
              des hommes de notre temps…. Et ici, je reviens à ce que je disais tantôt : ce n'est
                pas seulement la souffrance matérielle. Il y a combien ?
                Il y a la majorité, plus de la moitié de la population
                du globe qui ne mange jamais à sa faim, aucun jour,
                toujours vivre sur leur faim, leur faim d'appétit donc,
                toujours avoir faim. Mais il y:a aussi les souffrances
                morales, les souffrances spirituelles, qui, celles-là,
                sont incalculables. On ne sait pas les mesurer
                d'ailleurs. Il n'y a pas d'échelle de mesure. C'est trop
                personnel !…..à examiner enfin quelle est notre relation aux
              conditions de vie qui sont celles du tiers-monde. Voilà, pour cette affaire du tiers-monde, est-ce que
                nous ne sommes pas responsables, nous, de ce qui se
                passe dans le tiers-monde ? C'est-à-dire : est-ce que
                nous ne sommes pas, je veux dire ceci : Si nous avons le
                choix entre acheter un produit moins cher et qui vient
                d'une multinationale installée dans le tiers-monde, et
                qui tire alors des bénéfices énormes de ces salaires
                très bas, en dessous du minimum vital ; et alors le
                choix entre acheter quelque chose qui serait plus cher
                mais qui ne nous rend pas complice de ce qui se passe à
                l'extérieur de nos pays ? Mais voilà, nous n'avons pas
                le choix. Nous ne devons pas être complice indirect de
                l'oppression qui maintenant pèse sur certains pays !Un deuxième point: La relation du monastère et de l'Eglise locale a été
                approfondie. La primauté de la recherche monastique de
                Dieu dans la liturgie, la communauté, la Lectio
                  Divina et le travail, a été clairement affirmée.
                Les activités apostoliques, service réel rendu à
                l'Eglise locale, ne doivent pas porter atteinte à ces
                éléments de la vie monastique. Cela ne nous touche pas tellement, cette activité
                apostolique, ici, dans le cadre de l'Eglise locale. Mais
                voyons des monastères qui ont des paroisses, qui ont
                toutes sortes d'activités, des oeuvres, qui s'occupent
                de toutes sortes de choses dans les villes, dans les
                campagnes, partout dans le monde entier. Ces monastères
                là, qui sont adonnés à ces activités apostoliques, ils
                ne doivent pas perdre de vue que la primauté, c'est
                d'abord la recherche de Dieu dans la liturgie, la
                  Lectio Divina et le travail. …..Par leurs activités, mais surtout par leur présence,
                les communautés bénédictines apporteront à l'Eglise
                locale la dimension prophétique de l'Evangile.Voilà la véritable apport : la dimension prophétique !
              Chaque moine devrait être un prophète. La communauté
              monastique doit être un phare qui éclaire les environs. Un
              troisième point: Les obligations des communautés monastiques envers les
                questions sociales de notre époque ont été rappelées à
                diverses reprises, surtout par les moines et moniales
                des pays du tiers-monde qui engagèrent leurs frères et
                soeurs à vérifier leur usage des biens matériels et leur
                sensibilité à la dignité de la personne humaine. Les questions sociales de notre époque ? Oui. Ici, nous
                avons du personnel salarié, du personnel ouvrier.
                Attention à cela ! Là est la question sociale immédiate
                pour nous, sans intermédiaire. Nous devons donc toujours
                donner un témoignage, non pas de paternalisme vis à vis
                de nos ouvriers, mais de collaboration sincère,
                confiante, humaine. Je dis humaine, parce qu'il y a dans
                beaucoup, beaucoup d'entreprises maintenant, les
                ouvriers ne sont plus traités comme des hommes, ce sont
                des machines, des pièces de machine. Mais non,
                ici ce ne doit pas être le cas. Nous avons à faire à des
                hommes qui sont des collaborateurs.Maintenant deux autres points encore qui se réfèrent à ce
              qui a été dit précédemment : Le message du Symposium réside dans cette tension entre
                l'engagement à une joyeuse fidélité aux valeurs
                anciennes, et une conscience toujours plus vive des
                défis du monde actuel. Les valeurs anciennes ! Elles doivent être vivantes en
                nous et trouver chaque fois une nouvelle jeunesse. Ce
                n'est donc pas copier servilement l'ancien. Mais c'est
                assumer l'ancien et lui donner une vie nouvelle comme si
                on ne l'avait jamais vu auparavant. C'est cela la
                tradition ! Pourtant, c'est ancien ! Un scribe sage,
                c'est un homme qui sait tirer de son trésor des choses
                anciennes et nouvelles... Une conscience toujours plus vive des défis du monde
                actuel . Au cours des siècles, les bénédictins ont été
                des constructeurs et des gardiens de la civilisation. Au
                chaos barbare, ils ont apporté l'ordre, la foi et un
                sens de la vie. En 1980 le monde est à un nouveau
                tournant de son histoire, tout aussi trouble et fragile
                que dans les âges qui nous ont précédés. Les deux tiers
                du monde manquent du minimum vital ; la possibilité d'un
                holocauste nucléaire pèse sur la vie de la planète
                entière ; les ressources mondiales sont consommées sans
                aucun respect pour les besoins actuels ou la croissance
                future. Par exemple ceci : on m'a cité aux Etats-Unis, un
                ménage, homme et femme et un petit enfant : trois
                voitures pour deux personnes ! Mais oui, si il y en a
                une qui tombe en panne, s'il y en a une qui a un accroc,
                mais il faut toujours l'autre ! Sans aucun respect pour
                les besoins actuels ou la croissance future. Il y a un monastère dont j'ai parlé ici, je ne vais pas
                citer son nom pour ne pas...mais enfin il l'a tout de
                même dit. Dans ce monastère il y a une quarantaine de
                personnes et il y a 14 voitures ! Oui ! L'Abbé était
                tout de même un peu gêné. Vous voyez ça ici ? Maintenant un autre paragraphe : …..Communauté et
                unité, dignité de la personne, louange gratuite de Dieu
                - ces éléments bénédictins fondamentaux - n'ont jamais
                été aussi nécessaires. Unité dans une communauté ! Alors c'est un véritable
                Corps, c'est une véritable cellule du Royaume de Dieu,
                lorsqu'il y a de l'unité dans une communauté. Dignité de
                la personne ! Je le répète, que chacun soit respecté
                pour ce qu'il est et accepté tel qu'il est. Qu'il ait
                cet espace spirituel qui lui permette de s'épanouir
                divinement et humainement. Louange gratuite de Dieu ! Gratuite ! Et alors j'ai
                chaque fois le frisson lorsque je pense que dans un
                monastère, pour assister aux Vêpres, il faut payer 40
                francs à l'entrée. Louange gratuite de Dieu ! Non, non,
                nous avons reçu gratuitement, il faut que nous donnions
                gratuitement. On n'est jamais assez généreux vis à vis
                de Dieu, vis à vis des hommes. Mais surtout louer Dieu
                gratuitement. Ces des éléments bénédictins fondamentaux
                jamais aussi nécessaires qu’aujourd'hui.…..Que les communautés monastiques proclament que toutes
              les générations, mentalités, races ou classes sociales
              peuvent se retrouver en Christ. Mais elles doivent le proclamer par leur exemple. Nous
                sommes ici des mentalités, des générations, des
                différences d'âges. Voyez un petit peu, de mentalités,
                de culture, de classes, de formations tellement
                différentes. Et malgré tout, nous parvenons à former un
                Corps ou chacun est aimé, ou chacun se sait aimé. C'est
                cela que les communautés monastiques doivent proclamer
                par ce qu'elles sont ; non pas par ce qu'elles
                racontent, mais par ce qu'elles vivent. Voyez alors ces communautés qui sont tiraillées, qui
                sont divisées, où les hommes sont montés les uns contre
                les autres ! Voilà, voyez un peu ce que ça peut offrir
                comme malheur pour le monde. Qu'elles soient des centres de prière où la Parole de
                Dieu soit entendue et reçue ; qu'elles soient proches
                des opprimés et des petits de ce monde par la simplicité
                de leur vie. Il faut que lorsque quelqu'un de condition sociale très
                modeste, un laissé pour compte de la vie, vient passer
                quelques jours dans un monastère, ou même lorsqu'il se
                présente pour un travail ou pour n'importe quoi à la
                porterie, à la brasserie, il ne doit pas se sentir
                dépaysé ici. La simplicité de notre vie doit être telle
                qu'il y soit à son aise. Je ne veux pas dire que nous devons maintenant courir
                en haillons, ce n'est pas ça ! Mais je veux dire une vie
                simple qui sera vraie, qui sera pure, qui sera
                transparente, accueillante à tous. Nous ne sommes pas un
                monastère pour une certaine classe ? Non, pour tout le
                monde. …..Qu'elles cherchent la paix et la justice pour tous ;
                qu'elles aiguisent la sensibilité de nos contemporains
                aux maux de la consommation, de l'individualisme et de
                la violence. Et ça, d'abord le vivre ici, sentir notre solidarité,
                et attention à la violence. La violence, pour nous, ce
                n'est pas la violence qui sévit partout dans le monde,
                aujourd'hui, mais c'est la violence des paroles, et la
                violence des pensées aussi contre les autres.Et voilà la conclusion: « Cherchons d'abord le Royaume de Dieu ». Heureux
                d'être fils et filles de Saint Benoît, nous rendons
                grâce au Père de nous avoir donné un tel Père, par le
                Christ Jésus qui nous a appelés à le suivre, dans
                l'Esprit Saint qui inspira la vie et la Règle de Saint
                Benoît.Voici une conclusion doxologique : Puisse cette année de centenaire être un nouveau départ
              pour le témoignage bénédictin dans le monde.
 Voilà, mes frères, je vous ferai remettre à chacun un
                exemplaire de ce texte dans un des jours de cette
                semaine. Mais retenons bien ceci : C'est que nous
                devons, ici, à l'endroit où nous sommes, être
                vrai...exigence de vérité ! Et ne pas avoir peur de nous livrer à ce Dieu qui nous
                appelle, à ce Christ qui nous aime et qui veut faire de
                nous d'autres lui-même. Nous devons devenir chacun, et
                notre communauté entière, un feu qui réchauffe le monde,
                une lumière qui dirige les hommes. Mais tout cela dans
                la solitude, dans le silence, dans l'invisible. Car
                c'est là que s'opère la véritable transfiguration du
                monde. Fête de la Toussaint. 01.11.80A. Chapitre du matin.Mes frères,La Toussaint est la fête du Royaume de Dieu venant à
                nous dans sa puissance souveraine et irrésistible. Ce
                Royaume de Dieu n'est pas localisable. Nous ne pouvons
                pas dire : il est ici ou il est là. Il est en nous, il
                est parmi nous, il est autour de nous, partout n'estce
                pas ? Le Royaume de Dieu est identique à la personne du
                Christ ressuscité. Ce Christ qui a été intronise Kyrios,
                Maître absolu de l'univers entier. Et à côté de lui, il y a sa Mère, la Vierge Marie. Elle
                est comme une brume légère qui tamise et qui diffuse la
                lumière qu'est le Christ ressuscité. Si Marie n'était
                pas entre le Christ et nous, nous ne pourrions supporter
                l'éclat de cette lumière. Et autour d'eux il y a, comme
                une couronne, la multitude infinie des saints qui sont
                comme autant d'étoiles, chacune reflétant à sa manière
                originale, unique, une portion de la nature divine à
                laquelle chacun participe. Mes frères, et le Christ, et Marie, et les saints, tous
                et chacun nous sont présents. Ils sont présents en tout
                lieu par la vigueur de leur vision et l'efficacité de
                leur action. C'est là quelque chose à laquelle le moine
                à un niveau déjà élevé de son évolution spirituelle
                participe : cette omniprésence et cette omnipuissance. Saint Benoît était un homme de Dieu. Il se tenait
                constamment devant Dieu. Il regardait Dieu. Il recevait
                de lui la lumière qui est Dieu. Et cette lumière, à
                partir de lui se répandait sur ses frères et se
                répandait sur le monde entier. Voilà l'image, une des
                plus belles, du contemplatif ! Or, pour ce qui est des
                saints, c'est leur état habituel, c'est leur état de
                sainteté. Mes frères, les yeux de chair voient une face de la
                création, la face matérielle, la face physique. Les yeux
                du corps spirituel voient en même temps l'autre face, la
                face divine, la face lumineuse, la face qui est destinée
                à transformer l'autre face. La vie monastique, elle
                consiste entre autre à passer d'un mode de perception à
                l'autre sans pour autant renoncer à l'admiration pour la
                beauté physique, la beauté charnelle, la beauté
                matérielle qui s'offre en premier lieu à nous. Mais à travers elle, et en elle voyant le support, le
                reflet d'une autre beauté qui est celle du Christ Jésus
                en train de créer et de transformer l'univers. C'est
                pourquoi, comme je l'ai dit souvent, la vie monastique,
                elle est entièrement édifiée sur le symbole. Et je
                prends symbole dans le sens étymologique. Deux aspects
                de la réalités sont jetés devant nous, nous sont
                offerts, présentés. L'homme animal ne perçoit que l'un de ces aspects,
                celui qui tombe sous ses sens animaux. Et comme il est
                destiné à autre chose, à un autre état, il demeure
                toujours frustré. Par contre, l'homme spirituel perçoit
                en même temps l'autre état, l'autre aspect de la
                réalité. Et il est comblé ! La vie monastique est une éducation à cette
                biperception de la nature des êtres. C'est une éducation
                qui prend presque toute la vie. Mais lorsque le moine
                est devenu un contemplatif, alors il n'y a plus de
                problèmes pour lui parce qu'il saisit toujours en même
                temps les deux aspects des choses. C'est pourquoi, entre autre, il aime ses frères parce
                qu'il ne s'arrête pas à l'aspect rugueux, extérieur,
                mais il voit en même temps la lumière divine qui est en
                train de déjà agir comme puissance de résurrection dans
                ce frère. Il le voit déjà dans l'état qui sera celui de
                sainteté. Il y a donc pour le contemplatif un seul
                monde, le monde des saints qui nous est présenté
                aujourd'hui, qui nous est rappelé plutôt aujourd'hui et
                le monde de l'univers en voie de sainteté. Mes frères, notre lutte consiste à nous tenir toujours
                en éveil de façon à ne pas succomber à la séduction des
                apparences, mais de rester ouvert à la lumière divine
                qui brille en chacun des êtres, des êtres vivants, des
                êtres inanimés aussi. Cette lutte, elle est exprimée
                pour nous dans notre voeu de conversion. C'est une entreprise qui est difficile, car être
                toujours éveillé est quasiment impossible. Il faut donc
                que constamment nous soyons excités de façon à ne pas
                sombrer dans le sommeil. Et cette excitation nous vient
                de ce que nous appelons vulgairement la Vie Régulière,
                cette ordonnance de notre vie qui nous maintient
                toujours attentif à ce qui arrive autour de nous, à ce
                qui arrive en nous, attentif à cet univers divin, à ce
                Royaume peuplé, infiniment peuplé qui nous est présent
                mais duquel, nous, trop souvent hélas, nous sommes
                absents par la distraction. Mes frères, essayons donc de toujours demeurer en état
                de combat. Et ainsi nous mériterons d'être un jour -
                espérons que cela ne tardera pas - un jour dès cette vie
                nous deviendrons concitoyen de ce Royaume. Et ce sera
                pour nous le sommet de notre bonheur, de pouvoir
                partager consciemment la société du Christ, la société
                de la Vierge Marie, la compagnie de tous ces saints et
                de pouvoir, même dans ce monde où il y a temps de
                laideurs, tant de méchanceté, voir que à l'oeuvre il y a
                dans le secret une force d'amour qui au terme de
                l'histoire sera définitivement vainqueur. Voilà mes frères pour ce matin. Tantôt, au cours de
                l'Eucharistie, j'essayerai de pousser les choses un peu
                plus loin. Car le Christ va nous proposer des normes qui
                nous permettrons de réaliser l'intention qu'il a sur
                chacun de nous. B. Introduction à la célébration.Mes frères,La Toussaint est une des fêtes les plus chères à notre
                coeur de croyant. Comme je l'ai dit ce matin, elle est
                le Royaume de Dieu venant à nous dans sa souveraine et
                irrésistible puissance. Ce Royaume est ici présent parmi
                nous. Dans ce sanctuaire, nous ne sommes pas seuls. Ici
                est le Christ, la Vierge Marie, les saints connus et
                inconnus en nombre infini, ils sont présents,
                intensément présents. Implorons leur secours, demandons
                leur de nous aider à être digne de participer avec eux
                aux divins mystères. C. Homélie.Mes frères,Le Christ vient de nous adresser des paroles
                paradoxales qui feront de nous, si nous y conformons
                notre conduite, des fils de la résurrection en nous
                introduisant dans le Royaume de Dieu. Le Christ a le
                droit de parler ainsi, n'est-il pas le chemin, la
                  vérité, la vie ? N'a-t-il pas dit : Celui qui
                  me voit, voit le Père ? Le Royaume de Dieu n'est-il pas entièrement condensé en
                sa personne ? Et à partir de lui, ne se diffuse-t-il pas
                à travers l'univers entier en chacun de nous, si nous
                nous ouvrons à lui ? , N'a-t-il pas dit : La vie
                  éternelle, c'est de te connaître, toi, Dieu, seul
                  unique et vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, ton
                  Fils, Jésus le Christ ? Mes frères, le Christ ouvre devant nous un sentier
                étroit, resserré, abrupt, impraticable. Seul quelques
                fous s'y engagent et y avancent, une folie sublime qui
                va faire de ces hommes des dieux. Nous ne sommes pas
                venus au monastère pour autre chose. Le moine qui se
                laisse porter au paroxysme de cette folie, il est devenu
                pure transparence d'un au-delà des êtres. Il est
                révélation vivante du monde divinisé. Entre le Royaume de Dieu et lui il n'y a pratiquement
                plus d'espace, plus d'intervalle. Cet homme est
                entièrement libre car il est le maître de la création et
                des événements. Le Christ, en lui, crée et recrée le
                monde. Cet homme est puissant, car là où le Christ l'a
                élevé plus rien ne peut l'atteindre. Et il possède la
                Vie Eternelle, car à la suite du Christ, il a franchi en
                vainqueur le portique de la mort. Mes frères, aujourd'hui plaçons nous franchement,
                résolument dans cette visée. Tout au long de cette
                journée méditons humblement ce que nous venons
                d'entendre. Essayons de revoir ce spectacle
                extraordinaire que l'Apocalypse a découvert sous nos
                regards. N'allons pas trop faire marcher notre
                imagination, mais contemplons ; ouvrons les yeux, les
                yeux de notre corps spirituel. Je rappelle ce que j'ai dit ce matin, ce à quoi j'ai
                fait allusion un instant en ouvrant cette Eucharistie :
                le Royaume de Dieu est ici dans ce local. Si notre coeur
                est suffisamment pur, nous le voyons. Ces paroles
                étonnantes et rassurantes du Christ, méditons-les
                humblement aujourd'hui. Elles sont ce que Saint Benoît
                appelle la via salutis, la route qui va nous
                conduire au complet épanouissement de notre personnalité
                humaine et divine. L'Apôtre nous l'a rappelé. Nous sommes appelés enfants de Dieu, parce que nous le
                sommes. Et notre destinée, c'est d'être participant à
                part entière de la nature divine avec tous ses
                privilèges. Et le premier, c'est d'avoir conscience dans
                une vision directe, immédiate, que nous sommes devenus
                parents de Dieu par cadeau. Mes frères, à qui irions-nous ? Nous possédons ce
                trésor, le trésor de ces Paroles Divines qui sont
                porteuses de vie. Ouvrons-nous à elles, laissons-nous
                posséder par elles, les commenter serait les édulcorer.
                Nous devons les recevoir et les manger. Dans quelques
                instants, cette Parole, le Christ va dans les Espèces
                Eucharistiques se donner à nous et s'assimiler à notre
                être physique aussi bien que spirituel. Mes frères, ouvrons-nous à ces réalités. Et un jour si
                nous sommes fidèles, si nous avons suffisamment de foi
                en ce Dieu, en ce Christ, en ces Saints ici présents,
                nous serons avec eux pour l'éternité dans la communion,
                en pleine lumière.Amen. Partage du Chapitre Général. 09.11.806. Nature et mission de l’Abbé – Principes.Mes Frères,Après la lecture des rapports, au Chapitre Général, il
                est apparu que beaucoup de maisons rencontraient des
                problèmes qui leur étaient propres ou bien qu'elles
                partageaient avec d'autres. Après réflexion, on en a
                découvert 21 qu'on a réparti en trois groupes de 7. On a
                invité les Abbés à se réunir pour échanger au sujet des
                thèmes qui les intéressaient. On pouvait choisir un
                sujet dans chaque groupe. Moi-même, dès le départ du Chapitre Général, en
                écoutant tous ces rapports, j'avais été frappé par les
                difficultés que rencontraient nombre d'Abbés dans leurs
                rapports avec les Frères. Je me suis donc inscrit à ce
                groupe qui était très nombreux et qui a été divisé en
                francophone et anglophone. Je me suis trouvé du côté des
                Francophones. Il me semblait que c'était intéressant de réfléchir au
                sujet de la nature et de la mission de l'Abbé, et aussi
                de m'enrichir de l'expérience des autres. Et je dois
                vous avouer que j'ai été déçu car aussitôt, on a
                commencé à parler de l'autorité de l'Abbé. Voilà comment
                on présentait les choses : Dès qu'un frère est élu Abbé, il se situe en dehors de
                la communauté. Auparavant il entretenait des relations
                amicales avec les frères. Dès qu'il est Abbé, une
                barrière s'élève entre lui et ses frères, ses anciens
                frères et lui. Et il n'y a presque plus de
                communications possibles. Les frères voient en lui
                maintenant celui qui détient l'autorité. Il faut donc se
                tenir à distance et l'Abbé se trouve donc isolé. Et alors, comment doit-il faire pour exercer son
                autorité ? Tout le problème a tourné autour de ça ! Je
                n'ai rien dit du tout. Mais je n'avais rien à dire parce
                que c'était tout à fait à côté de ce que nous vivions
                ici. Dans chaque groupe, il y avait un secrétaire qui
                prenait note de tous les échanges. Et ces échanges ont
                été lus en séance plénière. Pas les 21 ! On en a choisi
                quelques une et entre autre de la mission de l'Abbé. Et un peu après, je me suis trouvé un jour à côté du
                secrétaire du groupe à table. Et il m'a dit : C'était
                tout de même bien ? Mais j'ai dit : Non, je ne suis pas
                d'accord du tout ! Et pourquoi, dit-il ? Et je lui ai
                dit ceci : Dans la Règle de Saint Benoît, on ne parle jamais de
                l'autorité de l'Abbé. Le mot autorité revient
                trois fois : deux fois à propos de la Parole de Dieu et
                une fois à propos de la Règle. Saint Benoît ne connaît
                qu'une seule autorité, c'est celle de la Parole de Dieu,
                et une autorité subsidiaire qui est celle de la Règle. Et la Règle n'est rien d'autre que la Parole de Dieu
                mise à la disposition des frères qui se sont réunis pour
                ensemble essayer d'approcher de ce Dieu qui les
                interpelle par sa Parole. L'Abbé, lui, n'est pas revêtu
                d'autorité, mais d'un pouvoir, une potestas, un
                pouvoir. Et son pouvoir est celui d'être auprès de ses
                frères l'interprète autorisé de la Parole de Dieu. Et il
                en est l'interprète par sa conduite et par son verbe. Praeesse duplici doctrina , dit Saint Benoît,
                2,11. Il est en tête, il marche le premier grâce à son
                double enseignement, celui de sa vie et celui de ses
                paroles. Si bien que l'Abbé n'est pas investi en
                autorité, mais en service. Il est le serviteur de tous.
                Les frères doivent tous se retrouver en lui. Et lui doit
                vivre en chacun des frères. Il y a aussi une seule
                communauté, un Corps, qui a une tête : l’Abbé. Sans cette tête le Corps est un cadavre. Et il y a un
                Corps qui porte cette tête. Et la tête sans ce Corps,
                elle n'est rien qu'un objet de musée. Il n'y a pas une
                césure, une séparation entre les deux. Et le problème
                n'est pas de savoir comment on pourrait adapter une tête
                sur le Corps ? Alors ce n'est plus un vivant, c'est une
                poupée ; on essaye d'adapter les deux pièces, de les
                ajuster une à l'autre. Et je ne sais pas, il n'a pas été très contant, il n'a
                rien dit du tout ! Mais le résultat, peut-être le
                résultat ? C'est qu'il avait été décidé que tous ces
                échanges seraient publiés en annexe aux minutes du
                Chapitre Général. Ces annexes sont venues. Je trouve le
                rapport du groupe Anglophone, mais le rapport du groupe
                Francophone, il n'y est pas ? Il est possible qu'après
                réflexion, ils aient un peu peur de le faire connaître !
                C'est trop, il y avait trop, cela n'allait pas. Maintenant, voici ce que disent les Américains, les
                Anglais et les Irlandais. C'est tout autre chose. C'est
                tout un autre ton. Ils disent qu'on peut diviser les
                éléments de l'échange de la manière suivante : d'abord
                les principes, puis les éléments humains. Au plan des principes, le mot autorité ne revient que
                trois fois dans la Règle.Il semble que de ce fait on doive parler du service comme
              guide des frères au nom du Christ.Vous voyez ! Je n'ai pas été leur souffler à l'oreille.
                Ils le savaient aussi bien que moi. Mais les autres ne
                le savaient pas ! Je ne sais pas, il y a là quelque
                chose, je ne sais pas ? C'est à ces moments-là qu'on
                sent qu'il y a une torsion entre des groupes qui ne sont
                pas linguistiques, mais qui sont d'esprit différent.
 Guide ! Ceci est une traduction de l'Anglais. L'Abbé
                est donc un serviteur des autres. Il n’est que ça. Et il
                est serviteur parce qu'il sera le leader - c'est le mot
                Anglais - le leader. Il va donc exercer un leadership.
                Il devra donc conduire. Il sera le premier à marcher sur
                la route qui conduit vers Dieu. Comme le Christ qui est venu sur terre pour prendre la
                tête d'un troupeau, il est le berger d'un troupeau qu'il
                ramène vers le Père. Dans ce troupeau, il y en a
                beaucoup qui courent à gauche, à droite, qui sont
                perdus. Souvenez-vous de la Parabole de la brebis perdue
                ! Mais non, il ne la laisse pas là, il est le leader. Il
                va un instant laisser les brebis dociles là sur la
                route. Elles ne bougeront plus, elles n'avanceront plus.
                Mais lui va à la recherche de l'autre. Il la ramène et
                on reprend la route. Leadership ! Mais maintenant, pourquoi ce mot  leadership ?
                J'y ai réfléchi un peu. Et ici, je pense bien qu'à
                l'arrière plan du subconscient de ces Américains, il y a
                l'image du Président des Etats-Unis ? C'est tout à fait
                cela ! On vient justement d'élire un nouveau Président.
                La campagne dure plus d'un an. On en choisit un. Mais,
                chaque Américain, même ceux de l'autre parti, vont se
                retrouver dans le Président. Et le Président agit au nom
                de chacun des citoyens Américains. Il n'y a pas de
                distinction nette entre les deux. Il est la conscience
                de cette république. A mon avis, et cela vaut pour toutes les régions, il y
                a dans notre représentation de l'Abbé, toujours un
                schème imaginaire qui est lié au contexte politique de
                notre région. Ainsi j'ai entendu dire, je vous l'ai déjà
                rappelé, que du côté Français, ils étaient Napoléoniens
                ! Et c'est vrai, ils voient l'Abbé sous l'image de
                Napoléon. Oui, oui, ou bien de Gaulle qui est une sorte
                de réincarnation de Napoléon. Et dans nos régions à nous, quel est le schème qui sera
                sous-jacent à notre représentation de l'Abbé ? Ce sera
                celui de la monarchie que nous connaissons dans le
                Benelux. Ce n'est pas quelque chose d'effacé ? Non,
                c'est quelque chose d'essentiel. Mais ce sera plutôt
                l'image du père de famille. C'est celui qui est, oui
                c'est ça, le père. C'est celui qui est la conscience, la
                conscience de la famille monastique. Et je pense que
                c'est très proche de ce que Saint Benoît a vécu. Mais prenons bien garde toujours, de nous interroger,
                lorsque nous rencontrons des étrangers venant d'autres
                régions, pour voir un peu comment eux se représentent le
                monastère, se représentent les frères, se représentent
                l'Abbé ? Et derrière, il y a toujours une expérience
                d'ordre politique qu'on fait dès l'enfance sans le
                savoir. C'est lié à notre nature de citoyen de tel pays.
                Naturellement les Anglais et les Américains n'ont pas
                dit ça, mais à la réflexion, je pense qu'il y a tout de
                même quelque chose de vrai là-dedans.Alors ils disent. Ceci est donc un résumé des échanges. Il
              y a chaque fois un petit paragraphe. C'est donc ce qu'un
              Abbé ou plusieurs Abbés ont dit. ...La communauté est Formée par l'Abbé et ses Frères.
                Par conséquent il semble inadéquat de parler de MA
                communauté, car cela indique une séparation ou une
                différence. Si vous entendez un Abbé qui dit : ma communauté, c'est
                comme ceci ; dans ma communauté, je fais ça, Attention,
                c'est,dangereux ! La communauté est vue alors comme une
                possession. Elle est distincte de moi. Elle est ma
                propriété. Elle est mienne. C'est moi qui la dirige,
                c'est moi qui la forme, c'est moi qui ait autorité sur
                elle. Elle est MA communauté comme on dirait MA voiture.
                Ce sont des façons de parler qui trahissent un esprit. ...on ne peut pas dire cela parce que la communauté est
                formée par l'Abbé et les Frères. C'est un Corps. La base
                théologique exacte selon la Règle de Saint Benoît est
                que le centre du monastère n'est pas l'Abbé, mais
                JésusChrist. Et l'Abbé est comme la face humaine et
                l'intermédiaire le plus important entre le Christ et ses
                Frères. C'est vrai ! Le centre du monastère ne peut jamais être
                l'Abbé. Le centre du monastère, c'est la personne du
                Christ. Ce n'est pas le concept du Christ, ce n'est pas
                une théologie du Christ, mais c'est la personne bien
                vivante de Jésus-Christ. Il est le centre du monastère.
                Le monastère est sa maison. Il est ici chez lui. Et nous
                sommes chez lui, nous, des invités et des serviteurs. Et
                le premier de ces serviteurs, c'est l'Abbé. L'Abbé, alors, il est dans le monastère celui qui doit
                être transparence du Christ. Il faut lorsqu'on le
                regarde, ou lorsqu'on l'écoute, ou lorsqu'en le voit
                agir, on doit voir transparaître la personne du Christ.
                Au début, il faut une certaine gymnastique, ce qu'on
                appellera l'esprit de Foi. A mesure que l'on progresse
                dans la pureté du coeur, les yeux doivent, à travers
                l'humain et les défaillances, et les défauts de l'Abbé,
                les faiblesses de l'Abbé, les yeux doivent voir
                apparaître le visage du Christ. Mais il est indispensable, et ils le rappelleront plus
                tard, que l'Abbé soit réellement habité par le Christ.
                Et il sera habité par le Christ s'il donne sa vie pour
                ses frères, donc si d'une certaine façon il disparaît
                dans la personne du frère ; et, s'il a le courage
                d'assumer en lui le frère tel qu'il est, donc avec ses
                péchés, avec ses incapacités, avec ses complexes,
                tout... Le frère tel qu'il est il l'assume en lui comme l'Abbé
                lui-même tel qu'il est assumé dans le Christ. Il est
                donc alors l'intermédiaire, ou le canal obligé entre les
                frères et la personne de Jésus-Christ. Mais encore une
                fois, il sera intermédiaire efficace s'il n'est pas
                séparé du Corps. Là où la tête passe, tout le Corps
                suit. Ne pas dire la tête passe par le trou, et puis le
                corps reste dehors ! Non, c'est le Corps entier qui
                passe. ...L'Abbé est le canal, comme la Vierge et le Christ,
                entre Dieu et les Frères. Et c'est la raison pour
                laquelle il est responsable de l'obéissance de ses
                Frères. Il y a une union mystérieuse entre l'Abbé et les
                Frères. Si bien que la désobéissance d'un Frère est en
                quelque sorte la désobéissance de l'Abbé lui-même. C'est
                l'Abbé qui désobéit dans le Frère, de même que c'est le
                Christ qui tout en étant sans péché commettait le péché
                dans l'homme. Il avait été fait péché pour l' homme. C'est très, très mystérieux, ceci ! C'est là qu'on voit
                l'union mystique entre le Christl'Abbé, l'Abbé-les
                Frères. Lorsqu'on analyse et qu'on dissèque cette
                réalité, on risque de la réduire à l'état de cadavre, on
                ne voit plus clair. Je pense que ça doit être vécu pour
                être compris. C'est existentiel. Il faut une intuition
                pour en saisir la puissance et la vigueur. ...Ceci exige une grande purification de l'Abbé et
                indique l'importance primordiale de sa propre vie
                spirituelle. Car autrement, il ne saurait enseigner ce
                qu'il vit, ou plutôt vivre ce qu'il enseigne. Il est donc requis que l'Abbé ait une vie spirituelle
                intense, qu'il soit un homme de l'Esprit, un
                pneumatophore, et qu'il y ait une grande purification de
                l'Abbé. Il faudrait voir le mot Anglais qu'ils utilisent
                pour purification. Il veut dire une grande pureté de
                coeur chez l'Abbé. Vous voyez que cela se situe à un
                niveau tout autre que celui de l'autorité d'un homme sur
                d'autres hommes, même si cet homme tient la place du
                Christ. Nous verrons dimanche prochain les éléments humains :
                comment l'Abbé devra traduire ces principes dans sa vie
                personnelle, et sa vie personnelle en face de ses
                frères, pour que les frères puissent savoir se conduire
                en regardant la façon d'agir de l'Abbé. Vous voyez que c'est très, très exigeant pour l'Abbé.
                Et encore une fois, ayez bien soin de prier pour lui,
                car de la valeur de l' Abbé dépend la valeur des frères.
                Et c'est encore pourquoi l'Abbé devra répondre de la vie
                et de l'obéissance de chacun de ses frères parce que
                tels seront les frères, tel est l'Abbé ; et tel est
                l'Abbé, tels seront les Frères. Chapitre : La non-violence. 12.11.80Mais violence envers soi-même !Mes frères,Aujourd'hui un peu partout dans le monde se constituent
                des groupes qui militent en vue d'établir la justice et
                la paix en recourant à des méthodes non-violentes. C'est
                à dire qu'ils refusent la guerre, les attentats, les
                émeutes, mes meurtres politiques, la torture. Ils
                s'inspirent pour une bonne part de l'Evangile. L'idée de
                vous parler de ceci en rapport avec la Fête de demain
                m'est venue de ce que hier, j'ai rencontré par hasard
                une personne qui travaille en collaboration avec un de
                ces groupes. C'est un peu idéaliste ! Et pourtant, ça se rapproche
                très fort de ce que nous nous efforçons de vivre dans le
                monastère. Car, qu'est-ce qu'un monastère ? C'est une
                assemblée, un groupement d'homme dont les coeurs sont
                polarisés par le Dieu qui est amour. Polarisé : ça veut
                dire que tous sont attirés par Dieu comme l'aiguille de
                plusieurs compas est attirée par le pôle. Saint Benoît
                utilise quatre fois un petit mot, qui est très
                important, et qui traduit ceci : c'est le mot pariter.
                20,5 - 49,3 - 53,4 - 72,12. On le traduit habituellement
                par ensemble. Mais il est beaucoup plus vivant. Il
                signifie l'harmonie et l'articulation des esprits, des
                coeurs et des corps. Il faut, par exemple, dit-il, lorsqu'on entonne le
                gloria, se lever  pariter, d'un même mouvement.
                C'est un ensemble, un ensemble qui est harmonieux -
                c'est le meilleur des mots parce que tous les coeurs
                vibrent à l'unisson à ce moment où tous sont rappelés à
                la conscience de Dieu vivant dans l'assemblée. C'est
                cela une communauté monastique ! D'où l'importance aussi
                de la beauté des gestes dans une liturgie, ça ne peut
                pas être bâclé. Non, et ce ne doit pas être étudié, ce
                ne doit pas être compassé. Ce doit être naturel parce
                que le coeur est attiré par cette beauté de Dieu. Voilà
                donc une assemblée monastique ! Et cette unanimité dans la tension vers la beauté
                divine et dans le comportement qui s'en suit, elle n'est
                possible que si nous nous oublions toujours pour choisir
                ce qui a la préférence dans le coeur des autres. Saint
                Benoît le dit aussi : nous devons toujours renoncer à
                notre propre jugement pour choisir ce qui est utile aux
                autres. C'est une gymnastique de renoncement qui doit
                être habituelle chez nous ! Alors si nous sommes tels, dans notre coeur il n'y aura
                place ni pour l'ambition, ni pour l'intrigue, ni pour la
                haine, ni pour le mépris, ni pour le jugement. Nous
                rejoignons cette lutte contre les pensées. Voyez un peu,
                un moine, un frère, qui n'a pour les autres que des
                jugements de bienveillance ! S'il en est ainsi chez nous, nous éteignons à tout
                moment les foyers de violence qui pourraient s'allumer.
                Et les occasions ne manquent pas. Saint Benoît le sait
                aussi puisqu'il dit que nous devons deux fois par jour
                au moins chanter tout haut le Pater, pour que lorsque
                nous disons : Pardonne-nous comme nous pardonnons
                nous-mêmes, nous puissions éteindre, nous puissions
                couper les épines de scandales qui peuvent surgir à tout
                moment dans un monastère. Et ainsi, mes frères, nous installons dans notre
                communauté un climat de non-violence qui nous permet de
                construire la paix, une paix solide qui est à l'image de
                celle dont jouissent les saints moines et moniales que
                nous fêtons demain. Ces hommes du monde,qui militent en faveur de la paix
                et de la justice par la nonviolence, sont donc nos
                cousins très proches à condition que nous-mêmes dans
                notre monastère nous soyons des non-violents, non
                seulement dans notre conduite, mais dans nos pensées et
                nos jugements. C'est cela le plus difficile ! Et ce climat de non-violence, dans notre monastère,
                entre nous, est une contribution efficace, la plus
                efficace à l'instauration de la paix dans le monde. Car
                non-violence veut dire oubli de soi, renoncement à soi,
                donc des actes d'amour que nous posons à tout moment. Or
                les saints nous disent que le plus petit acte d'amour
                est plus utile à l'Eglise, et donc à l'humanité, que
                toutes les autres oeuvres réunies. Chaque fois que nous posons un acte d'amour, que nous
                renonçons donc à la violence, que nous nous oublions
                pour laisser la place aux autres, à ce moment-là, nous
                injectons dans le Corps de l'humanité des Forces, des
                énergies spirituelles qui permettent à la paix
                d'avancer. C'est imperceptible, direz-vous. Oui, à notre
                regard myope d'homme, nous ne le remarquons pas. Mais à
                l'échelle de Dieu c'est remarquable ! Mais nous pouvons, nous, - c'est ici le paradoxe - nous
                pouvons pratiquer cette nonviolence à condition que nous
                exercions contre nous-mêmes une sainte violence, contre
                nousmêmes ! Le Christ l'a dit : le Royaume de Dieu
                souffre violence et seul les violents s'en emparent. Si
                nous interrogeons maintenant les Pères de la vie
                monastique, ils nous diront que le moine c'est celui qui
                se fait violence en tout. Je serai donc non-violent dans
                mes rapports avec mes frères si je suis violent à mon
                endroit. Il est utile d'interroger, d'interviewer nos
                prédécesseurs dans la vie monastique - ceux qui
                maintenant sont auprès de Dieu, ceux dont nous allons
                faire mémoire demain - écouter leurs dits, scruter leurs
                écrits, et nous verrons que la vie du moine est un
                combat sans merci contre l'égoïsme, c'est à dire contre
                toute forme de recherche de soi. Ils nous le diront, ils
                nous le répéteront sans cesse. Dès le premier mot de sa Règle, déjà Saint Benoît nous
                le dit : nous devons  militare, nous devons
                lutter, nous devons combattre. Et c'est un combat sans
                merci : ça veut dire que si je ne suis pas vainqueur, je
                suis vaincu. Il n'y a pas de quartier, il n'y a pas de
                possibilité d'échapper, de se planquer, de déserter, de
                faire l'embusqué. Ce n'est pas possible. Cet égoïsme,
                cette recherche de soi, cet amour de soi, c’est le péché
                par excellence. Et c'est la raison pour laquelle nous
                devons sans aucune pitié, ici, combattre contre lui. Car
                si je m'y abandonne, que va-t-il arriver ? Cela va me rendre cruel, intrigant, impitoyable, donc
                sans c œur. Cela va me rendre meurtrier, car je ne
                serais pas satisfait aussi longtemps que je n'aurais pas
                pris toute la place pour moi, aussi longtemps que je
                n'aurais pas été intronisé comme un roi et un dieu pour
                les autres. Analysons un petit peu, mais sincèrement ce
                qui se passe en nous lorsque nous avons des pensées - je
                ne parle même pas d'actes - violentes contre un frère.
                Et nous verrons que à la source il y a un amour
                désordonné de nous, une recherche de nous. Pourquoi ? Parce que le Frère est sur ma route. Il m'empêche de
                m'affirmer. Il m'empêche de faire ceci ou cela, il est
                un gêneur. Il faut donc que d'une façon ou d'une autre,
                quand ce ne serait que par mes paroles, par un geste,
                par un regard, par n'importe quoi - donc par quelque
                chose qui va le blesser - il faut que je l'écarte de ma
                route. Et ça, ce sont les fruits de cet égoïsme, de cet
                amour désordonné de soi. Cette autolâtrie, elle est dans le fond, si nous
                voulons bien y réfléchir, une forme extrêmement raffinée
                de l'athéisme. Les plus formidables athées se trouvent
                dans le monde des religieux et des religieuses. Ce sont
                des athées pratiques. Il y a des athées théoriques. Ils ne pratiquent pas,
                ils ne croient à rien. Mais il y a des athées pratiques
                ! Ce sont ceux-là qui prennent la place qui revient à
                Dieu. Ils méconnaissent Dieu, Dieu n'existe pas pour
                eux. C'est moi qui suis Dieu ! Je suis dieu parce que j'écarte mon frère. Alors vous
                avez la violence qui s'installe. Et quand ça s'installe
                dans un monastère, c'est quelque chose d'épouvantable.
                Quand c'est déjà dans l'âme de quelqu'un, dans l'esprit
                de quelqu'un, dans le coeur de quelqu'un ? Mais alors
                quand c'est dans toute une communauté ? Eh bien voila, mes frères, nous avons donc le droit à
                une seule violence, c'est la violence contre notre
                égoïsme. Et cette violence, elle doit être permanente.
                Le moine est donc un soldat. Il est un veilleur. Il
                n'est jamais démobilisé. Il n'y a jamais pour lui
                d'armistice. Il devra rester ainsi en armes jusqu'à son
                dernier souffle. Si nous persévérons, comme le dit Saint Benoît, 
                  jusqu'à la mort, Dieu nous fera tôt ou tard -
                bientôt dit Saint Benoît si nous sommes fidèles - la
                grâce d'un coeur pur. Et dans ce coeur, il n'y aura plus
                de place pour la violence envers l'autre. Il n'y aura
                plus de place que pour la saine et sainte violence
                contre soi. Ce coeur pur nous permet de voir Dieu, d'entrer dans le
                mystère de l'être de Dieu et de l'agir de Dieu, et ainsi
                de goûter aux joies de la vie éternelle, cette vie
                éternelle qui est paix, qui est plénitude, qui est le
                sort des saints et des saintes que nous allons fêter
                demain. Et c'est cette joie et cette plénitude que je
                vous souhaite à tous en prévision de la Fête de demain,
                et en particulier à notre frère Jean-François qui s'est
                préparé par une bonne retraite à se donner à Dieu
                demain. Préparons-nous, mes frères, en célébrant le mieux
                possible notre Office de Vigiles. Et puis nous serons de
                coeur avec notre frère Jean-François pour renouveler au
                fond de notre conscience notre donation à Dieu, pour
                redire à Dieu notre espérance, notre foi, notre amour,
                et l'assurer que jusqu'au dernier instant de notre vie
                nous combattrons contre notre égoïsme pour que
                non-violence et paix règnent dans nos coeurs, dans notre
                monastère, et de là, puissent rayonner sur l'univers
                entier. Profession temporaire de Fr. J. 13.11.80*Mon Frère,Vous avez choisi de chercher Dieu par les sentiers
                étroits du dépouillement total. Vous avez quitté votre
                famille, votre patrie, vos amis, pour vous enfoncer dans
                le désert d'un petit monastère inconnu, loin de toute
                vanité, loin de tout renom, afin de vous réserver à Dieu
                seul. Vous avez voulu marcher sur les traces de Saint Benoît,
                des Fondateurs de Cîteaux, de leurs innombrables
                disciples présentement immergés en Dieu, ces saints
                moines et moniales que nous fêtons aujourd'hui. Dieu vous a donné de comprendre et de vivre les deux
                exigences les plus dures de la vie monastique
                contemplative. Il vous a fait pénétrer en elles. Il vous
                a donné la grâce d'être captivé par la séduction qui est
                cachée derrière tout l'abrupt qu'elles offrent à notre
                chair, et devant laquelle souvent nous aurions plutôt
                envie de fuir. Mais non, vous, vous n'avez pas reculé !
                Bien plutôt, vous vous offrez maintenant afin que Dieu
                vous transporte jusque dans les jardins réservés de son
                Royaume. Je vous le promets, si vous êtes confiant, si vous
                demeurez fidèle, vous verrez bientôt transparaître
                l'indicible beauté de la lumière divine qui brille sur
                le visage du Christ ressuscité. Mais je vous préviens,
                vous devrez au préalable vaincre la peur de la mort, la
                lassitude de la durée, en un mot affronter jour après
                jour la croix. La vision de Dieu est promise au coeur
                pur, mais la purification de notre coeur n'est jamais
                entièrement achevée ici bas. N'entendez-vous pas la multitude des saints et des
                saintes que nous célébrons aujourd'hui, ne les
                entendez-vous pas murmure à l'oreille de votre âme :
                pourquoi pas toi aussi, à ton tour avec nous et comme
                nous ? Vous allez vous engager à suivre le Christ présent en
                la personne de votre Abbé. Ouvrez votre intelligence à
                la Foi, votre volonté à l'Amour, votre mémoire à
                l'Espérance !Apprenez à vivre divinement ! Et tout ce que vous demanderez, tout ce que
                présentement vous tenez en vous comme une ouverture à un
                amour qui vous appelle, tout cela, vous l'obtiendrez. Et
                comme nous l'avons entendu dans la lecture de l'Evangile
                de cette nuit, vous l'obtiendrez présentement, c'est à
                dire dès cette vie. Mais encore une fois, il faudra demeurer fidèle et ne
                pas craindre la souffrance. Mais souffrance bienheureuse
                qui va vous faire passer d'un état de mort que vous ne
                soupçonnez pas à un état de vie que vous soupçonnez
                moins encore et qui malgré tout est déjà présent en vous
                en germe. Et c'est lui qui vous pousse en avant et qui
                vous fera tout supporter. Mon frère, êtes-vous décidé à chercher et à trouver
                Dieu, à tout consentir pour cela, dans ce monastère de
                Saint Remy, construit en l'honneur de le bienheureuse
                Vierge Marie, en cette année jubilaire de Saint Benoît,
                en ce 750° anniversaire de la Fondation de notre Abbaye,
                êtes-vous décidé à cela, mon Frère ?- Oui, avec la grâce de Dieu et le secours de vos prières.
              Ce que Dieu a commencé en vous, qu'il le conduise à son
              achèvement. Homélie : Fête de tous les Saints de l’Ordre.
                  13.11.80Devenir les concitoyens des Saints.Mes frères,Nous sommes réunis autour de cet autel pour fêter les
                Saints et les Saintes qui ont combattu sous la Règle de
                Saint Benoît. Et cette année, notre célébration revêt un
                relief particulier en raison de trois événements : le
                quinzième centenaire de la naissance de Saint Benoît, le
                750° anniversaire de la fondation de notre Abbaye et
                enfin la profession de notre frère Jean-François. De quoi s’agit-il au fait ? C'est à la fois très simple
                et sublime : nous devons à notre tour conquérir la vie
                impérissable. Et cette vie, nous le savons, c'est de
                connaître Dieu et celui qu'il a envoyé, Jésus le Christ.
                Il ne s’agit pas d'une connaissance notionnelle, mais
                nous devons saisir existentiellement et mystiquement ce
                Dieu Un et Trine par lequel nous sommes nous-mêmes
                saisis. Connaître Dieu, c'est partager sa vie, c'est devenir un
                seul esprit avec lui, c'est jouir de ses prérogatives.
                Connaître Dieu, c'est être avec le Christ un seul Corps
                - le Christ ressuscité et glorifié - et cela dès cette
                vie. Etre un seul être avec le Christ ressuscité comme
                les sarments sont un seul être avec la vigne et entre
                eux. Oui, mes frères, si nous participons au corps du
                Christ, nous participons aussi les uns aux autres. Et
                ainsi jour après jour se construit notre corps spirituel
                en vue de sa future et toujours prochaine résurrection.
                Mais si nous sommes un seul être avec le Christ et entre
                nous, nous devons porter des fruits, des fruits de
                vérité, des fruits de justice, des fruits d'amour, en
                nous oubliant nous-mêmes. Nous devons en arriver à avoir
                un jugement et une volonté entièrement identifiés à ceux
                du Christ. Et il faut que notre regard ébloui par la beauté de la
                lumière divine boive à longs traits la vie
                transfigurante. Il faut, mes frères, que dans nos
                paroles, dans nos regards, dans toute notre conduite,
                transparaisse cette vie divine qui bat dans nos artères. Notre voeu de stabilité symbolise et actualise notre
                habitation en Dieu et notre insertion en Christ. La
                gloire de Dieu est que nous devenions riches en fruits
                de vie, en fruits de générosité. La gloire de Dieu,
                c'est que nous devenions déjà d'une certaine manière les
                concitoyens de ces Saints et de ces Saintes auxquels
                nous sommes déjà mystérieusement agrégés en espérance. Mes frères, voila la leçon que nous devons recueillir
                aujourd'hui. Et si nous sommes fidèles, le monde dont
                nous sommes sortis mais dont nous faisons encore partie,
                pourra s'avancer vers la plénitude de son destin qui est
                de devenir le Royaume dans lequel Dieu est enfin tout en
                tous.Amen. Partage du Chapitre Général. 16.11.807. Nature et mission de l’Abbé – Eléments humains.Mes frères,Nous allons en revenir à l'opinion des Abbés Américains au
              sujet de la mission Abbatiale. Ils disent que :
 ...Si l'Abbé est un guide pour sa communauté, cela
              implique qu'il sache prendre conseil.
 Cela veut dire ceci : L'Abbé n'est pas distinct de la
                communauté. Il en est la tête. Il est même davantage :
                il est la conscience de la communauté, une conscience
                éveillée, toujours en éveil. Il doit donc être
                suprêmement attentif à ce qui se passe, à se qui se dit,
                à se qui se fait en communauté. Il doit même accueillir
                les avis avec reconnaissance. Il est de son devoir de
                susciter les remarques. Il doit sentir ce que la
                communauté vit. Il doit le faire sien et, à partir de
                là, il doit faire progresser tous les frères sur la
                route qui les conduit vers Dieu. Il ne s’agit donc pas de réunir tous les jours, ou
                toutes les semaines, ou pour grand chose, ou pour pas
                grand chose, ce qu'on appelle le Conseil. Ce serait trop
                restreint, ce serait trop petit ! Non, il doit être
                l'antenne - je l'ai déjà dit - qui dans la communauté
                capte ce qui se passe dans les frères et dans le groupe
                comme tel. C'est que personne dans la communauté, comme le dit
                Saint Benoît n'a le droit de suivre sa volonté propre,
                mais en tout premier lieu l'Abbé. C'est un homme qui ne
                doit plus avoir de volonté propre. Pourquoi ? Mais parce
                qu'il doit être le Christ. Ce n'est plus lui qui vit,
                c'est le Christ qui vit en lui, c'est le coeur du Christ
                qui bat dans le sien, qui anime tout son comportement
                dans ses jugements, dans ses actes, dans ses gestes,
                dans sa conduite. Il doit être pour ses frères la
                révélation de la face humaine de Dieu. Donc il n'est
                plus question pour lui de suivre ses idées. Mais comment va-t-il percevoir les idées, les vues, les
                plans de Dieu sur les frères ? Il le fera -
                naturellement c'est très vaste - mais pour l'instant je
                peux dire ceci, il le fera en étant à l'écoute de ses
                frères. Mais, il y a ici un fait devant lequel il faut
                s'incliner : c'est que l'Abbé demeure un homme, un homme
                faible, un homme faillible, un homme pécheur. Ce n'est
                pas un super homme. Non, il est exactement comme ses
                frères. La première vertu, ce sera donc l'humilité. C'est de
                savoir qui il est, de ne pas s'en étonner, de ne pas en
                être effrayé, de ne pas en être perdu. Non, il doit
                s'accepter tel que Dieu a voulu qu'il soit, il doit s'en
                accommoder. Cela ne veut pas dire qu'il doit se réconcilier avec
                ses péchés, avec ses fautes. Non, il doit lutter. Mais
                lorsqu'il commet une erreur, lorsqu'il commet un péché,
                il ne doit pas en être traumatisé. Non, il l'accepte. Et
                c'est très bien pour les autres frères car ils doivent
                dans leur Abbé sentir leur condition à eux. Je l'ai déjà dit aussi et je le répète encore
                maintenant : si l'Abbé était un saint canonisé ou
                presque canonisé, mais les frères ne seraient pas à
                l'aise avec lui parce qu'ils ne se reconnaîtraient pas
                en lui. Ils doivent sentir leur faiblesse et leur péché
                dans l'Abbé. Attention ! Cela ne veut pas dire
                maintenant que l'Abbé doit se méconduire. Non, ce n'est
                pas cela. Mais ils doivent être avec lui. Notez bien que le Christ était Dieu. Pourtant les
                pécheurs venaient chez lui. Et les pécheurs étaient bien
                avec lui. Et lui était bien avec les pécheurs. Mais
                c'est parce que Dieu avait fait de son Christ le péché
                par excellence. Il l'avait fait péché. Eh bien, il doit
                faire la même chose pour l'Abbé. L'Abbé doit donc
                puisqu'il est faillible, s'il est un homme humble, il
                saura agir avec prudence et discernement, toujours ! Saint Benoît le dit : lorsqu'il a perçu quelque chose 
                  praehet aprid se. Il ne doit pas se précipiter ?
                Non, il doit y réfléchir en lui-même. Et puis alors, ce
                qu'il aura jugé de plus utile, qu'il le fasse. Cela
                exige chez l'Abbé une grande maîtrise de soi, un grand
                équilibre, de la prudence, de la discrétion. Mais surtout, pour que l'Abbé puisse être la conscience
                de ses frères, il doit être à l'écoute de Dieu dans la
                prière, dans la contemplation, dans le renoncement à
                soi. Dans la prière, cela veut dire qu'il doit toujours
                crier vers Dieu. Il est comme le prophète qui lui était
                le cri du peuple vers Dieu. Il doit écouter Dieu dans la
                contemplation, cela veut dire qu'il doit être en
                adoration et en admiration devant la Lumière qui rayonne
                de Dieu et qui est la divinité, qui est la nature
                divine. Il doit la voir, il doit être en admiration
                devant elle et la voir de façon à ce que lui-même puisse
                de plus en plus devenir lumière. Mais pour cela, encore une fois il doit s'oublier, il
                doit se renoncer. Il ne vit plus pour lui. Il est
                  propter fratres. Sa raison d'être, c'est d'exister
                pour les frères. Les frères ne sont pas à son service,
                pour sa promotion à lui ? Non, c'est lui qui est au
                service des frères. Il existe pour les frères. C'est son
                essence d'Abbé : propter fratres. Comme le Christ
                était propter nos, l'Abbé est propter alios. Le
                Christ était à cause de nous pour nous. L'Abbé est à
                cause des frères et pour les frères. Mais vous vous rendez compte quelle mort ça exige chez
                l'Abbé, parce qu'il n'a plus le droit de vivre pour lui.
                Sa vie, c'est de vivre pour les autres. Et ça, c'est le
                suprême degré de renoncement. Mais comme je l'ai rappelé
                il y a un instant, il est toujours un pécheur, il est
                faible. Quand arrivera-t-il à ce niveau ? Il y arrivera un jour, probablement ! Il en est
                peut-être proche ? Il en est peut-être encore loin ?
                Mais les frères doivent le savoir et ils doivent aider
                l'Abbé à s'acquitter de sa charge. Non pas en le faisant
                mourir; en le faisant enrager pour qu'il meure le plus
                vite possible. Non, ce n'est pas ça, c'est autre chose.
                Ils doivent l'aider en le comprenant et en lui
                permettant des choses comme ceci : En lui permettant de prier, en lui permettant de
                contempler, en l'aidant par leurs avis, leurs conseils,
                leurs remarques. L'Abbé, encore une fois, n'est pas
                distinct des frères, il est leur conscience. Voila ce
                que signifie cette remarque qu'avaient fait ici les
                Américains. Ils disent encore :...Le Christ étant le centre du monastère, l'Abbé doit
              écouter Dieu pour connaître sa volonté. Maintenant, on va se placer du côté des frères :
 ...En demandant l'obéissance à ses frères, il devient
                le canal de la transmission de la volonté divine. Et le
                moine qui répond positivement à cette demande, donne
                cette réponse à Dieu. Saint Benoît le dit. C'est une remarque de Saint
                Benoît. L'obéissance, dit-il, qui est prêtée à l'Abbé,
                aux anciens, c'est à Dieu lui-même. Il n'y a pas de
                différence. Voyez un peu quel regard ne doit pas avoir
                chacun des frères ! Dans ce que propose l'Abbé, c'est la
                volonté de Dieu qui est proposée et qui est accueillie.
                Et lorsque le frère obéit à l'Abbé, c'est à Dieu
                lui-même qu'il obéit sans intermédiaire. C'est direct !
                C'est immédiat ! C'est Dieu, c'est le Christ qui est
                dans l'Abbé. Ils diront : ...L'Abbé est le serviteur de Dieu et des hommes en
                montrant la face humaine de Dieu. Plus l'Abbé
                s'approchera lui-même de Dieu, et plus il facilitera la
                réponse de ses frères. C'est donc l'importance, ici, de la vie spirituelle
                personnelle de l'Abbé. Plus l'Abbé sera divinisé, plus
                il sera humain, mieux il comprendra les autres, et plus
                son abord sera facile. Il était facile d'approcher du
                Christ. Les gens les plus en marge de la communauté
                religieuse de l'époque, les publicains, donc les
                collaborateurs avec l'ennemi, avec l'occupant, les
                pécheurs publics, les pécheresses publiques, les femmes
                dont on se gaussait, et tout ça venait vers le Christ,
                était à l'aise avec lui. Et lui, était à l'aise avec
                tout le monde. Pourquoi ? Mais il était humain dans tout son être parce qu'il
                était Dieu. Et entre parenthèses, ce qui vaut pour
                l'Abbé, vaut aussi pour chacun des frères. Plus un frère
                se rapproche de Dieu, plus son abord sera facile. Mais ici, attention ! Il y a des hommes qui sont, comme
                on dit, complexés. Ils ont des traumatismes qu'ils
                héritent de leur enfance, de leur toute petite enfance,
                à un an, encore avant, même parfois avant la naissance ?
                Ils héritent de cela et alors ils traînent cette
                blessure jusqu'à leur mort. Et il leur est difficile de
                contacter les autres. Mais si un tel homme devient un
                saint, ça ne veut pas dire qu'il sera corrigé de son
                traumatisme. Ce traumatisme sera toujours là ! Mais ça ne fait rien, il y aura en lui une telle
                humilité, un tel rayonnement que on se sentira bien dans
                sa société, dans sa compagnie, même si on ne sait pas
                échanger une parole. Il y a des approches des autres qui
                sont loin au-delà de l'échange verbal. Il y a des
                dialogues qui sont des dialogues de présence et de
                silence. Ce sont sans doute ceux-là les plus profonds.
                Et si celui-là n'existe pas d'abord, tout devient du
                bavardage, du remplissage.Ils disent encore : ...Le charisme, la mission, le service de guide est
              splendide mais difficile. Plus l'Abbé est pur, plus
              l'amour se répandra dans le coeur des frères.
 C'est une petite glose pour dire que l'Abbé répondra de
                l'obéissance de chacun des Frères. Il en est
                responsable....La vie spirituelle personnelle de l'Abbé nous semble le
              point le plus important.Mais on va dire : Oui, mais il y a des frères - je ne
                pense à personne ici, justement il n'y a personne dans
                ce cas ici à Saint Remy et nous pouvons en être très
                heureux - mais enfin ils existent des hommes qui sont
                tout à fait incapables d'obéir. Ce sont des hommes, par
                exemple, qui n'auraient jamais du se trouver dans un
                monastère. Pourquoi y sont-ils ? On n'en sait rien,
                personne n'en sait rien, eux non plus. Et enfin, voilà,
                c'est arrivé ! Voilà, ça est là ! J'ai entendu une
                histoire ou l'autre comme ça au Chapitre Général.
 Eh bien, l'Abbé répondra même de l'obéissance de ce
                frère désobéissant. Mais il en répondra comme le Christ
                a répondu de nos péchés. Il va récupérer cette
                désobéissance. Il va, non pas la transformer - c'est
                impossible, l'homme est incurable - mais l'Abbé
                descendra plus bas que cette désobéissance.
 Et lorsqu'il arrivera devant Dieu avec ce frère, Dieu
                regardera le frère à travers l'Abbé, comme maintenant il
                me regarde, moi, à travers le Christ, comme il regarde
                chacun de nous à travers le Christ. Sinon, nous ne
                pourrions jamais subsister devant Dieu !
 Et je pense que c'est vrai ! Le plus important de tous,
              c'est celui-là.
 ...En même temps, l'Abbé doit être humain et aimer ses
              frères d'un amour humble et sincère.
 Saint Benoît dit que les frères doivent aimer leur Abbé
                d'un amour humble et sincère. Mais Saint Benoît n'a pas
                besoin de dire que c'est d'abord l'Abbé qui doit aimer
                les frères d'un tel amour.Maintenant des choses intéressantes auxquelles on pense
              rarement ! Mais enfin, on trouve ici l'esprit pratique des
              Anglo-Saxons. ...Quelques détails pratiques : Comment est la chambre de
              l'Abbé ? Simple, encombrée ? Et est-il facile pour les
              frères d'y accéder ?
 C'est très important ! Est-il facile d'accéder à la
                chambre de l'Abbé ? Il y a des Abbayes, j'en connais
                l'une ou l'autre, où l'Abbé occupe ce qu'on appelle, non
                pas le palais on n'ose plus dire cela maintenant - mais
                le quartier Abbatial. Pour s'y rendre, les frères
                doivent parcourir un bon bout de chemin, et puis il y a
                des portes, et puis des couloirs, et puis enfin on
                arrive chez l'Abbé. Sa chambre est-elle d'un accès
                facile pour les frères ? Et puis une chambre encombrée ! Une chambre encombrée,
                ça veut dire beaucoup. Cela veut dire d'abord que l'Abbé
                n'est pas libre. Il a besoin de sécurités. Il s'entoure
                de sécurités. Comment voulez vous alors qu'il sécurise
                les autres ? Il a besoin de petites choses, de petites
                idoles pour se sécuriser lui-même ! Il va faire passer
                son insécurité sur les frères. Si sa chambre est encombrée, c'est que lui, l'Abbé,
                n'est pas disponible. C'est un homme qui a beaucoup de
                choses à faire. Il a trop de choses à faire. Voyez un
                peu ! C'est bourré ! Il n'a jamais fini! On aura peur
                d'aller le déranger, c'est un homme tellement occupé. Et
                puis, si sa chambre est encombrée, c'est qu'il n'a pas
                l'esprit de décision. Il ne sait jamais se décider. Il
                ne sait jamais prendre une responsabilité. Il ne sait
                jamais dire : il faut faire ceci ou cela. Et ça rejoint
                ce que je disais, il n'est pas sécurisé ! Et ça est revenu, je l'ai entendu là-bas dans ces
                rapports de maison, des Abbés qui ne savaient jamais
                prendre de décisions ! Mais alors, ça met tout le monde
                dans l'embarras car on ne sait jamais ce qu'on doit
                faire. Alors :...La chambre de l'Abbé est-elle au moins aussi dépouillée
              que celles des frères? Au moins aussi dépouillée, disent-ils ! Eh bien moi je
                dirais : elle doit l'être davantage encore. Elle doit
                être la plus dépouillée de toutes, tabula rasa,
                rien ! Ce n'est pas pour donner la leçon aux autres ?
                Non, mais c'est pour dire : voilà, je suis ouvert, mon
                coeur est ouvert, ma chambre est ouverte, tout est
                ouvert, tout est à vous. C'est cela ! Et ça devrait être
                ainsi pour chacun d'entre nous. Mais naturellement
                d'abord pour l'Abbé.Encore ceci, écoutez : ...Combien de portes, de lumières rouges ou vertes, de
              billets d'audience le frère rencontre-il sur son chemin
              avant de pouvoir parler à son Abbé ?
 Cela rejoint l'accès facile ou difficile. Naturellement
                ce sont des images : des portes, des lampes rouges ou
                vertes. Mais ce billet d'audience, ça ce n'est pas une
                image. J'ai entendu un Abbé dire : celui qui veut voir
                son Abbé, il doit demander audience par écrit. Mais
                voyez un peu dans ces conditions-là ? Oui, mais c'est ça
                qui crée l'atmosphère d'une communauté....L'Abbé dit-il à ses frères où il va et pourquoi ?
              L'Abbé rend-il compte à ses frères de ses sorties ? Or c'est très important, cela, parce que encore une
                fois, si l'Abbé est un avec sa communauté, non pas que
                la communauté aurait le DROIT de tout savoir-ce que fait
                l'Abbé, ce n'est pas cela. Mais lorsque l'Abbé s’en va,
                il porte la communauté avec lui. Il est donc important
                que les frères sachent ce que fait l'Abbé. Mais
                attention, ça vaut aussi dans l'autre direction. Il faut
                que l'Abbé sache où sont les frères, et où ils vont, et
                ce qu'ils font. Alors, nous formons un Corps....Si un moine est timide, l'Abbé va-t-il vers le frère,
              au lieu de le convoquer dans son bureau ? S'il a quelque chose à lui dire ! Parfois il faut dire
                à quelqu'un : venez au bureau. Cela arrive souvent,
                venez, il y a quelque chose à faire ou à régler. Tout ça
                ce n'est rien, c'est courant, il y a des choses qu'on ne
                sait pas dire sur la rue. Mais par contre, comme ils
                disent ici, il y a certaines choses qu'on doit dire sur
                la rue et qui ne doivent pas se dire dans un bureau.
                Mais ça, c'est à l'Abbé de le sentir....Si possible l'Abbé doit avoir une petite charge dans
              son monastère pour être comme les frères et faciliter
              l'union de tous. Ici, il faut dire : si possible ! C'est possible dans
                les toutes petites communautés. Il y a des toutes
                petites communautés qui ne comptent qu'une dizaine
                d'hommes, une douzaine, des nouvelles communautés, des
                Fondations. Et ce n'est pas seulement l'Abbé, ce peut
                être un Prieur titulaire, ou un Supérieur ? Alors là, le
                Supérieur exerce une petite charge. Mais lorsque la communauté devient plus grande, alors
                là, ce n'est plus possible que l'Abbé exerce une charge
                régulière dans la communauté. C'est pour cela qu'ils
                disent si possible....Parlons-nous parfois de nos problèmes : aridité dans la
              prière, égoïsme, de nos fautes ? Ici, je pense que lorsque un Abbé parle, et que pour
                parler, il n'utilise pas le travail d'un autre c'est à
                dire un article, un livre, n'importe quoi dont il peut
                se servir, parfois comme d’un tremplin pour parler, mais
                l'Abbé, il va sans le savoir, mais il va parler de ses
                problèmes à la communauté. Cela va transparaître dans
                ses paroles, ses soucis vont venir au jour. Je veux dire que ce qui va se passer, c'est une sorte
                de psychanalyse de l'Abbé. Il va se psychanalyser
                lui-même sans le savoir, ce qui est le sommet de la
                réussite d'une analyse. Saint Benoît le dit aussi, mais
                à sa façon. Lorsque l'Abbé, dit-il, va parler, eh bien
                ce sera pour lui l'occasion de se corriger de ses
                fautes. C'est cela !Maintenant ils disent encore, tiens, ce que j'ai dit
              tantôt : ...Les frères doivent donner le temps à l'Abbé de faire sa
              Lectio et sa prière.
 C'est le devoir des frères, et c'est nécessaire pour
                eux. Cela se comprend : un Abbé aidera d'autant mieux
                ses frères qu'il sera un homme de Dieu, donc qui ne
                s'appartient plus. Mais comme c'est un pécheur
                exactement comme les autres, il doit se nourrir dans la
                prière, dans la Lectio. Et les autres doivent respecter
                ce besoin de l'Abbé.Nous arrivons à la fin : ...L'Abbé est-il, assez miséricordieux ?
 A mon sens, il ne l'est jamais assez ! Dans l'Ancien
                Testament, chez les Musulmans aussi maintenant encore,
                dans l'Islam, donc la grande qualité de Dieu, c'est
                qu'il a des entrailles de mère. On n'est jamais assez
                miséricordieux. ...Avons-nous la patience que Dieu a envers nous, en
                attendant que le moment soit propice de faire faire le
                pas à un frère ou à toute la communauté pour monter vers
                Dieu, pour que son amour puisse nous envelopper mieux ? C'est cela chez un Abbé, sa patience ! La patience
                envers un frère, la patience envers la communauté. Et
                savoir attendre le moment propice, la minute où il faut
                agir, le moment est venu ! Cela peut durer longtemps,
                mais alors - je le sais par expérience - le moment est
                arrivé, c'est maintenant. Il ne faut plus attendre une
                minute, il ne faut plus attendre un jour.Et alors ils terminent en disant ceci : ...Il faut que nous puissions aimer nos frères de telle
              façon qu'ils nous aiment aussi.
 L'Abbé doit se rendre aimable. Mais il ne peut se rendre
              aimable que si lui-même aime, que s'il est amour, que s'il
              est habité par Dieu et que s'il est devenu un autre
              Christ.
 ...Et ainsi Dieu est au milieu de nous, et le Christ nous
              conduit tous ensemble à la vie éternelle.
 Voilà mes frères comment ces Américains voient la
                mission de l'Abbé. Quand j'ai vu cela, quand j'ai lu
                ceci, et bien j'ai été contant car je pense que c'est
                réellement ainsi que les choses doivent se passer. Mais
                encore une fois, ayez pitié du pauvre Abbé que je suis !
                Aidezmoi, je compte sur vous ! Vous savez que je suis
                tout à fait pour vous. Mais aussi, si je me trompe, si
                je commets une erreur, si je suis un pécheur - ce que je
                suis toujours - soyez aussi miséricordieux ! Fête de la Présentation de la Vierge Marie. 21.11.80Homélie en la Fête de la Communauté.Mes frères, Par un jeu providentiel de circonstances
                notre Fête traditionnelle et annuelle communautaire se
                célèbre cette année le 21 Novembre. Cette date ramène le
                souvenir d'un triple événement. Tout d'abord la venue au
                monde de notre Frère Paul-Michel voici 32 ans, ensuite
                la bénédiction Abbatiale de Dom Félicien voici également
                32 ans, enfin et surtout, le souvenir de la présentation
                au temple de Jérusalem de celle que nous honorons comme
                notre Reine et notre Mère. Je voudrais brièvement établir quelques rapprochements
                entre cette Présentation de Marie au Temple et notre
                situation présente personnelle, et au niveau de notre
                communauté. Voyons Marie gravir la colline du temple,
                entrer dans le parvis des femmes et se présenter toute
                jeune, tout enfant encore devant Celui que déjà elle
                adorait comme son Créateur et son Père. Marie visitait
                cette maison qui était considérée comme l'habitation de
                Dieu parmi les hommes. Au coeur de cette terre, tout autour de cette Maison de
                Dieu gravitait la vie du peuple d'Israël. Non seulement
                en Judée, en Samarie, en Galilée, en Transjordanie, mais
                partout où se trouvaient les Juifs survivants à la
                grande dispersion. Marie entrait chez Dieu. Et en réalité, c'est elle qui était la véritable
                demeure de Dieu. Avec elle, Dieu remettait en chantier
                la création toute entière. En elle, Il allait accomplir
                quelque chose d'inouï : il allait prendre chair d'homme
                ! Encore quelques années, et il serait, lui Dieu, un
                homme parmi les hommes, semblable en tout à ses frères,
                en tout sauf le péché. Et encore, il aurait été fait péché pour que nous
                autres nous puissions participer à sa sainteté. Il
                allait prendre sur lui toutes nos misères, toutes nos
                fautes, toute notre culpabilité pour que nous puissions
                partager en plénitude sa vie à lui. Aujourd'hui, mes frères, Dieu désire faire de chacun de
                nous une nouvelle demeure pour sa gloire à lui. Il
                désire vivre en nous comme il a vécu en Marie sa Mère
                son mystère. Il voudrait que chacun de nous fut une
                transparence, une apparition de ce qu'il est : amour,
                bienveillance, bonté, compréhension, miséricorde,
                patience. Marie prenait possession du temple de Jérusalem
                lorsqu'elle se présentait devant son Dieu. Et elle
                élargissait ce temple aux dimensions de l'univers. Tous
                les hommes devenaient ses concitoyens et ses
                contemporains. Elle jetait, là sur cette colline, un
                germe qui allait se développer, qui allait devenir le
                Royaume de Dieu. Et Dieu, en elle, allait façonner un temple qui ne
                serait pas fait de main d'homme, un temple dont nous
                serions une pierre, un temple qui serait un Corps ayant
                une tête, le Verbe de Dieu fait homme, et des membres,
                chacun d'entre nous. Et aujourd'hui, mes frères, Dieu désire que notre
                monastère et notre communauté, mais notre grande
                communauté, tous ceux qui travaillent ici avec nous et
                comme nous, sur ce terrain béni par Dieu, il veut que
                cet espace soit une portion de son Royaume et que ici
                règnent les lois qui sont celles du Royaume de Dieu :
                vérité, justice et paix. Marie se présentait devant Dieu. Elle se donnait à Dieu
                et elle ne s'appartenait plus. Dieu l'investissait d'une
                mission. Elle devait devenir génitrice de Dieu et
                génératrice d'une vie impérissable, cette vie éternelle
                qui est la propre vie de Dieu. Elle n'a pas failli à sa
                mission, quoi qu'il put lui en coûter. Aujourd'hui, mes frères, Dieu veut qu'il en soit de
                même pour nous, que chacun, dans notre milieu, dans
                notre famille, dans notre cercle de relations, ici entre
                nous, nous soyons des agents non de destruction et de
                mort, mais de réconfort et de vie. En cette journée que je vous souhaite agréable, mes
                frères, ravivons en nous la conscience de notre tache
                commune. Elle n’est pas de passer jour après jour notre
                vie en attendant notre pension et notre mort. Elle est
                infiniment plus élevée. Il faut que nous devenions
                chacun des témoins de cet amour dont Dieu enveloppe le
                monde, cet amour qui doit à partir de nous se répandre
                partout. Le plus petit geste d'amour que nous posons à
                l'endroit de n'importe qui a infiniment plus de poids
                pour l'évolution positive du monde que tous les autres
                remue-ménage.Mes frères, il faut que aujourd'hui nous sentions que nous
              sommes heureux de nous être rencontrés, heureux de vivre
              ensemble, heureux de rayonner la plénitude qui nous
              habite. Amen. Chapitre : Fête du Christ-Roi. 23.11.80L’année liturgique.Mes frères,Nous voici arrivés au dernier dimanche de l'année
                liturgique. Nous célébrons la solennité du Christ-Roi de
                l'univers. Et je dois vous dire que depuis tout un temps
                des réflexions me traversent l'esprit. Elles m'ont été
                données pour que certainement je vous en Fasse part ?
                Peut-être vous apporteront-elles un certain profit
                spirituel ? Dieu me les a données parce que son
                intention est que vous progressiez dans son amour et
                dans l'amour mutuel afin que de plus en plus vous soyez
                des fils, ses fils à lui, dont il peut être fier. La liturgie est la représentation rituelle et
                symbolique de l'histoire des hommes. Cette histoire,
                elle la situe à un niveau transhumain, dans l'inconnu du
                cosmos, lui-même enveloppé dans le mystère de la
                divinité. On est en train de nous lire au réfectoire un article
                très intéressant sur la microélectronique, ces puces
                électroniques, tellement petites qu'un dé à coudre peut
                en contenir 50.000 !!! C'est une découverte qui va
                bouleverser notre façon de vivre avec autant d'intensité
                que l'invention de la roue, ou de la machine à vapeur.
                Que sera le monde en l'an 2.000 ? en l'an 2.050 ? en
                l'an 2.100 ? Grâce à ces puces, les Américains ont lancé, voici
                trois ans, une sonde qui navigue dans l'univers à la
                vitesse de 72.000 Km à l'heure. Elle vient de parcourir
                trois milliards de Km. Elle se trouve à proximité de la
                planète Saturne. Elle photographie cette planète : des
                photos en couleur. Elle prend des mesures
                électromagnétiques. Elle fait des analyses chimiques. Elle reçoit ses instructions à partir d'un laboratoire
                situé sur terre. Les ordres mettent 85 minutes pour
                arriver à la sonde à une vitesse de 300.000 Km seconde !
                Et la réponse arrive en 85 minutes. Toutes ces données
                sont enregistrées ici, décryptées. Voila mes frères le
                monde d'aujourd'hui ! Et nous ne sommes qu'en 1980. Lorsque cet article sera terminé, nous entendrons la
                lecture du discours prononcé par Monseigneur Massau, le
                Recteur de l'Université de Louvain, à l'occasion de
                l'ouverture de l'année académique, un discours qui a
                fait sensation ! Il essaye de situer l'Université
                Catholique dans ce monde d'aujourd'hui, ce monde
                technologique ; mais aussi ce monde accablé de misères,
                misères morales, misères humaines tout simplement. Des
                centaines de millions de personnes qui jamais, mais au
                grand jamais ne mangent à leur faim. Ils sont toujours
                affamés. C'est cela, mes frères, ce que nous vivons. Et notre
                liturgie, elle nous introduit dans le monde tel qu'il
                est. Elle n'est pas une façon commode de nous en évader
                ? Elle s'efforce de le saisir, afin que le Christ qui
                est le Roi de cet univers, qui est le Roi de la misère -
                il est mort sur une croix - mais qui est aussi le Roi de
                la victoire donne aux hommes cette puissance, qui leur
                permet maintenant d'explorer l'univers et de le
                maîtriser. Notre liturgie, dans son déroulement au cours de
                l'année, elle est mémoire et mémorial, elle est
                enseignement et catéchèse. Elle nous dit ce qui se passe
                dans la réalité. Elle nous donne un regard perçant qui
                derrière le voile des apparences nous permet de saisir
                la vérité qui, elle, demeure éternellement. Et cette vérité n'est pas d'ordre humain. Elle est
                d'ordre divin même si elle est humanisée. Le Verbe de
                Dieu s'est fait chair, il s'est fait matière, il s'est
                fait homme. Mais dans cette matière qui est le Christ,
                que nous recevons dans l'Eucharistie tous les jours,
                nous touchons le divin, nous le voyons. Dans la Parole
                que nous entendons proclamer, c'est Dieu qui vient, qui
                frappe à notre tympan, et qui essaye d'entrer dans notre
                système réceptif, nerveux, et qui tente alors de nous
                diviniser. Oui, c'est cela l'année liturgique ! Et ainsi, lisant
                ce qui se passe dans la réalité, elle prépare demain
                tout en demeurant enracinée dans hier. Il n'y a pas de
                solution de continuité, de rupture. C'est une histoire
                qui s'ébauche, une histoire qui avance, et une histoire
                qui est irréversible. Et ainsi, notre liturgie nous
                tient en éveil. Car du drame cosmique, nous sommes à la
                fois et les spectateurs et les artisans. Plus nous sommes privilégiés au plan de la nature, au
                plan des ressources, au plan de l'intelligence, au plan
                de la grâce, plus nous sommes artisans, et plus nous
                sommes responsables. Elle nous tient en éveil et elle
                nous insuffle confiance et vigueur, car nous savons où
                nous allons. Elle est mémorial et elle est mémoire, la
                liturgie. Elle est enseignement et elle est catéchèse.
                Elle nous forme et elle nous guide. Et nous, qui a tout moment de notre vie - car c'est du
                matin au soir - baignons dans cette liturgie, mais notre
                responsabilité est lourde car nous savons. Et nous
                savons pour une multitude d'hommes qui ne savent pas.
                Nous sommes leur mémoire et nous sommes leur
                enseignement. Cette liturgie, cette année liturgique,
                elle nous conduit d'une genèse à un plérôme. Nous
                évoquons aujourd'hui le plérôme. Elle nous conduit de la
                matière brute à une chair transfigurée; et elle culmine
                dans une personne. Ce n'est pas une construction dans l'abstrait ! Non,
                elle culmine dans un être de chair qui est le Christ
                Jésus. Et cet être de chair, c'est le Verbe de Dieu qui
                a voulu devenir homme, et qui est ressuscité, et qui est
                maintenant consacré Roi, c'est à dire guide et régent de
                cet univers. Rien ne lui échappe. Mais encore une fois, ne le limitons pas à notre petit
                univers d'homme. Voyons-le dans une perspective
                cosmique, absolument tout ce qui existe est régi par le
                Christ. C'est cela l'inconnu du cosmos qui est porté ou
                enveloppé par Dieu ! Et un jour, tout ce cosmos
                deviendra transparence de ce qu'est Dieu, lorsque Dieu
                sera tout en tout. Avouons sincèrement que cela ressemble fort à un mythe,
                à une construction mythologique, quelque chose qui nous
                fournit une clef d'interprétation de ce qui arrive, qui
                répond à nos questions, qui résout nos problèmes. Et
                reconnaissons encore que pour beaucoup de chrétiens,
                pour beaucoup de religieux, pour beaucoup de moines, il
                en est réellement ainsi : ce n'est qu'un mythe. Et à quoi pouvons-nous reconnaître si pour nous
                personnellement c'est un mythe ou bien c'est une réalité
                ? C'est un mythe, si nous n'évoluons pas vers plus
                d'amour. Voilà le critère ! Nous pouvons aujourd'hui
                l'appliquer à notre personne. Et il est probable que la
                réponse sera un mélange du mythe et de la vérité. Car
                nous sommes des pécheurs, nous sommes toujours encore
                attirés vers le bas. Mais ce sera aussi de la vérité ! Car il y a vraiment
                en nous de l'amour, de l'amour qui veut grandir, de
                l'amour qui se développe. C'est cela notre condition de
                pécheur : nous ne sommes jamais tout à fait ce que nous
                devons être. Mais ce que nous savons aussi c'est que la
                puissance de ce Christ qui est Roi de l'univers, donc
                Roi de notre faiblesse, elle finira par l'emporter. Mes frères, le contemplatif, le moine contemplatif, il
                a un rôle à jouer : c'est celui de témoin. Il dit ce
                qu'il voit et ce qu'il entend. Il le dit par sa
                conduite, il le dit par son être, par ce qu'il est et
                éventuellement par ses paroles, mais ce n'est pas
                nécessaire. D'ailleurs ses paroles vont sonner creux,
                elles vont sonner faux si la vérité n'est pas d'abord
                dans sa conduite. Et le moine contemplatif sera ainsi
                garant d'une vérité. Et que voit-il ? Il voit le Christ ressuscité. Il le
                voit à la place qu'il occupe aujourd'hui, c'est à dire
                un Christ transfiguré et glorifié, un Christ qui est
                tout puissant, qui est la lumière et la vie de ce cosmos
                en voie d'être divinisé. L'expérience du vrai moine
                contemplatif, elle est identique - je ne dis pas
                semblable - mais identique à celle du voyant de
                l'Apocalypse. On en a fait lecture à l'Office de nuit
                aujourd'hui. Il voit quelqu'un, un fils d'homme. Il le décrit. Cet
                homme est lumière, son visage est plus éclatant que le
                soleil. Et le plus remarquable dans cet être qui est le
                Christ ressuscité aujourd'hui, ce sont ses yeux, ces
                yeux qui sont deux flammes de feu et de lumière. Or, les
                yeux purifiés d'un vrai contemplatif voient sans cesse
                le Christ de cette façon. Et on comprend alors qu'un tel
                homme ne peu plus être comme les autres. Il sera
                toujours un peu fou quelque part car il voit la vérité.
                Et la vérité, elle est inabordable et inacceptable pour
                l'homme qui est encore trop animal, trop charnel. Et dans ce Christ tel qu'il est, se présente le monde
                achevé, et se présentent les temps ultimes...la fin du
                monde est arrivée. C'est cela qui est extraordinaire,
                c'est que dans une personne qui est un homme achevé, ne
                l'oublions pas, mais un homme qui est arrivé à la
                plénitude de sa perfection adulte - dans cette personne,
                dans cet homme le Christ, mais tout est fini. Et à
                partir de lui, tout est en train de se finir, de
                s'achever. Et un tout petit détail qui me passe par la tête
                maintenant : on comprend par cela que le Christ, le
                Verbe de Dieu plutôt, devait s'incarner dans un peuple
                pour qui le présent, le passé et l'avenir n'existait
                pas. Tout était en train de se faire et tout était en
                train de s'achever. Je parle ici du Peuple Hébreux. Et nous devrions aujourd'hui encore, enfin cela
                arrivera peut-être, essayer entre nous de découvrir ces
                mystères de l'agir divin, où rien n'est laissé au
                hasard, où le Christ, mais dans sa vie terrestre ici,
                disposait sa propre vie sous l'influx de l'Esprit et
                toujours dans le plan dressé par son Père pour
                l'intégrer parfaitement dans une histoire qui était
                celle de son peuple et qui devenait limpide pour ceux
                qui avaient les yeux ouverts, c'est à dire qui étaient
                déjà prêts à se laisser prendre et à se laisser purifier
                par lui. Le moine contemplatif sera garant et témoin de la
                vérité parce qu'il expérimente en sa propre personne les
                changements, l'évolution, la transformation qui est en
                cours dans le monde entier. Quelque chose meurt et
                quelque chose naît. Une certaine vétusté disparaît. Et
                cette vétusté, c'est une lecture introvertie ou inversée
                et asphyxiante des choses. Donc, c'est voir les choses,
                voir les hommes, voir les événements de façon à se les
                approprier. C'est une sorte d'avarice : prendre tout
                pour le faire mien. Mais en réalité je ne sors pas de
                mon étroitesse humaine et j'étouffe, je m'asphyxie. C'est cette vétusté qui est en train de disparaître !
                C'est avec elle que nous venons au monde ! Mais elle
                s"évanouit. Et le moine contemplatif observe en lui-même
                cette évolution. Il y a une nouveauté qui apparaît. Et
                cette nouveauté, c'est une approche délicate,
                respectueuse, pure, aimante, amoureuse de la création.
                Il n'y a plus rien dans la création qui doive être
                rejeté. Rappelez-vous le film que nous avons vu avant hier. Ce
                petit oeil de la camera peut saisir la beauté des êtres,
                même ceux qui nous paraîtraient à nous instinctivement
                répugnants. Mais ils sont d'une beauté lorsqu'on les
                voit tels qu'ils sont, tels que Dieu les veut. Ils sont
                tellement beaux ! Voyez, c'est cette approche
                respectueuse des choses de Dieu. Car à travers tout
                transparaît une gloire, une lumière qui est la nature
                même de Dieu. C'est cela la nouveauté qui apparaît dans
                le coeur d’un contemplatif. Il assiste en lui-même à la naissance, c'est sa propre
                naissance à lui, sa naissance au divin dans
                l"émerveillement, l'apparition d'un nouvel être, d'un
                enfant de Dieu et l'entrée dans une jeunesse qui est
                éternelle. Un homme comme ça, il sait très bien qu'il ne
                mourra plus. La mort physique, pour lui, n'est même pas
                un accident. Elle est un événement de sa vie aussi
                naturel presque - aussi un peu malgré tout parce qu'on
                ne sait pas trop bien ce qui arrive qu'une narcose avant
                une opération. On sait très bien qu'on va entrer dans une sorte de
                sommeil pour notre bien, mais qu'au-delà de ce sommeil,
                il y a un réveil. Où, comment ? Mais un contemplatif le
                sait déjà puisqu'il voit cette personne du Christ Roi de
                l'univers, et que c'est en lui qu'il s'endort pour se
                réveiller en lui éternellement jeune. Mes frères,. nous comprenons un peu mieux que la
                solennité du Christ Roi de l'univers, elle doit être la
                note dominante de notre vie. Saint Benoît le savait. Dès
                les tous premiers mots de sa Règle il le dit déjà. Nous
                sommes dans un monastère, dit-il, pour vivre dans la
                mouvance et sous les ordres du Christ qui est le
                véritable Roi. Ce n'est pas par hasard que ce mot de Roi et de Christ
                se trouvent là. C'était le ferment secret qui permettait
                à ces multitudes de moines de vivre dans les déserts et
                de ne jamais reculer ou céder. Ils étaient possédés par
                la vie de ce Christ Roi. Ils savaient que eux devenaient
                aussi les rois du monde. Le Christ était Roi dès sa naissance, il était Roi dans
                sa souffrance, il était Roi dans sa Passion, il était
                Roi dans sa mort, il était Roi dans sa résurrection. Il
                l'est à tout moment. Et nous le sommes aussi si nous
                sommes abandonnés à son amour à lui, à ce qu'il veut
                faire de chacun de nous. Oui, mes frères, nous sommes appelés à régner avec le
                Christ dans un amour invaincu et invincible. Nous
                régnons avec le Christ lorsque aucune attaque de
                méchanceté ne peut nous raire céder sur le plan de
                l'amour. Nous régnons avec lui lorsque nous sommes dans
                la lumière inaltérée et inaltérable ; aucune ténèbre,
                aucun mal ne peut éteindre la lumière de l'amour qui est
                en nous. A ce moment, mes frères, le Christ Roi de
                l'univers n'est pas un mythe. Il est devenu une réalité.
                Et cela à travers les choses dures et âpres de notre vie
                quotidienne. Aujourd'hui, mes frères, demandons la grâce de pouvoir
                vivre ces réalités. Demandons-la avec confiance. Nous
                savons que ce sont là des demandes que Dieu exauce
                toujours. Demandons-la pour nous-mêmes, demandons-la les
                uns pour les autres. Car en réalité elles sont la raison
                d'être, la justification de notre vie. Nous serons
                alors, si elles deviennent nôtre, si elles nous
                possèdent, si elles nous transforment, nous seront de
                véritables témoins de ce Christ et garant de la vérité
                qui peut sauver et transformer le monde. Chapitre : La nouvelle année liturgique. 30.11.80Du retour sur soi !Mes Frères,Nous voici catapultés dans une nouvelle année
                liturgique. Il nous appartient d'étudier avec soin notre
                trajectoire afin qu'elle soit élégante et qu'elle nous
                fasse atterrir là où nous sommes attendus dans le
                Royaume de Dieu. D'abord, remarquons que cycle liturgique nouveau, cela
                nous fait savoir que nous repartons à zéro, mais un zéro
                relatif ? Car l'acquis de notre vie antérieure est
                irréversible. Il nous est impossible de revenir sur ce
                que nous avons fait, que ce soit en bien ou que ce soit
                en mal. C'est imprimé en nous. Nous le porterons jusqu'
                à l'éternité. Mais ce caractère d'irréversibilité ne doit cependant
                pas nous gêner, ni nous paralyser. Il doit nous obliger
                à regarder en avant. Nous devons faire ce que Saint Paul
                recommande lorsqu'il se donne en exemple. Et il disait :
                  oubliant le chemin parcouru, oubliant ce qui est
                  derrière moi, je suis tendu vers l'avant, courant,
                  essayant de saisir moi-même celui par lequel j'ai été
                  saisi... Mes frères, repartir de ce zéro relatif signifie donc
                ne pas regretter notre passé quel qu'il soit, mais
                l'utiliser comme un tremplin pour être lancé
                harmonieusement, élégamment dans l'espace, l'espace qui
                est l'amour infini de Dieu, cet amour qui nous crée, qui
                nous porte, et nous laisser porter par cet élan jusqu'au
                moment où nous arriverons chez lui. C'est l'objet de notre voeu de conversion. C'est à cela
                que nous nous sommes engagés le jour de notre
                profession. Et la grande tentation qui nous guette, la
                tentation la plus pernicieuse de notre vie monastique,
                c'est le retour sur soi, c'est avoir peur de se lancer
                dans cet espace qui est l'amour. Le  retour sur soi, c'est ce que Saint Benoît
                et les Pères appelaient les pensées. Au lieu de
                situer son centre de gravité à l'extérieur de nous,
                c'est à dire en Dieu et dans le frère en lequel Dieu se
                manifeste à nous, nous reportons tout à nous. Nous nous
                prenons et comme point de départ et comme point
                d'arrivée. En pratique, un retour sur soi, ce sera revenir sur ce
                qu'on a fait, surtout sur ce qu'on nous a fait, qu'on
                aurait du nous faire, qu'on ne nous a pas fait. C'est
                excogiter tout ce qu'on ferait tout ce qu'on pourrait
                faire. C'est devenir le héros d'un scénario qui est
                toujours repris et qui est toujours neuf, et qui
                pourtant est une infinie répétition. C'est l'inverse du
                cycle liturgique, c'est une sorte de liturgie inversée ! Vous comprenez que c'est démoniaque ! Mais nous ne le
                remarquons pas. C'est la raison pour laquelle nous y
                tombons si facilement, et combien de fois par jour ? On
                peut même dire qu'il y a des personnes qui passent toute
                leur vie dans une telle théâtralité. Ce retour sur soi agit comme une force centripète,
                c'est à dire une force qui nous ramasse de plus en plus
                sur nous-mêmes, qui devient de plus en plus puissante en
                nous, une sorte de concentration à un degré que nous
                n'imaginons pas. Et cette force se résout finalement ou
                bien dans une pseudo exaltation, ou bien dans la
                tristesse et la dépression, ou bien dans l'agressivité.
                Mais toujours, elle agit comme destruction. On comprend donc que Saint Benoît dit que le moine déjà
                arrivé à un certain degré, non pas de perfection, mais
                d'édification, de construction, c'est un homme qui est
                devenu habile dans la lutte contre les pensées, contre
                le vice des pensées. C'est un homme qui a conscience de
                cette tentation de retour perpétuel sur soi, qui se
                tient sur ses gardes. Il y tombe encore, mais chaque
                fois qu'il est tombé, il en réchappe. Et il arrivera un
                jour où il n'y tombera plus. C'est le jour où il
                atterrira dans le Royaume de Dieu. Vous savez qu'il existe maintenant des projectiles qui
                sont téléguidés et qui arrivent infailliblement sur leur
                objectif. Ils sont attirés par leur objectif comme par
                un aimant. Ce sont des armes de destruction totale,
                comme on dit. Mais il y a aussi des armes de riposte qui
                s'efforcent de brouiller la trajectoire de ces
                projectiles, et de les faire dériver, de les faire
                échouer ailleurs dans des endroits où ils ne pratiquent
                aucun dégâts. Vous voyez ! C'est la même chose en nous. Nous, nous sommes ce
                projectile, qui ici n'est pas pour démolir, mais qui est
                pour construire, et qui doit arriver, non pas pour créer
                une atmosphère de cataclysme ? Non, mais qui doit
                arriver chez Dieu. Et puis nous avons cette influence
                perverse qui s'efforce de nous faire dévier de cette
                trajectoire. Mes Frères, l'année liturgique nous rappelle cela. Et
                elle nous remet à notre place, à notre place dans la
                vérité et l'humilité. Car quel que soit l'endroit où
                nous soyons parvenus, quel que soit le degré de vie
                divine qui est déjà notre partage, nous devons bien
                savoir que cette vie divine, elle est toujours à ses
                débuts. Même si nous avons reçu le privilège de voir des yeux
                de notre corps spirituel le Christ ressuscité, nous ne
                devons pas pour cette raison nous imaginer que nous
                sommes arrivés au terme, que nous sommes déjà dans le
                Royaume de Dieu. Non, nous en sommes encore loin. Mais
                nous le voyons déjà, et nous nous sentons attirés par
                lui avec de plus en plus de puissance et de force. Mais
                cette grâce qui nous est faite, elle nous fait sentir
                que notre divinisation est toujours en devenir. Elle est
                à peine commencée, ce sont des approches préparatoires. Car la grâce que Dieu veut nous faire, elle est
                tellement au-delà de tout ce qu'il peut nous donner ici,
                que nous n'en recevons maintenant qu'un petit
                avant-goût. Nous pouvons déjà le déguster. Mais comme le
                dit Saint Paul, un jour viendra où le voile nous sera
                enlevé et où nous verrons face à face. Nous connaîtrons
                comme nous somme connus. Ce ne sera plus le brouillard
                de la brume de la Foi, mais ce sera une compénétration
                et de Dieu et de nous. Et un des résultats de cette approche, plutôt de cette
                proximité toujours plus grande, toujours plus intime du
                Christ, c'est de nous faire découvrir les imperfections
                dont nous sommes encore souillés. Les moindres petites
                taches apparaissent dans leur taille vraie qui est non
                pas à notre mesure à nous, mais à la mesure de Dieu.
                Elles prennent des proportions infinies. Et on n'est
                plus à l'aise! Notre coeur est, comme on dit, dans le fagot de la
                componction. Il est toujours, de quel côté qu'il se
                tourne, transpercé d'épines. C'est cela la componction.
                Il n'ose plus bougé parce que il est blessé. Mais
                pourtant, en même temps - c'est toujours le paradoxe, le
                paradoxe de la vie avec Dieu - en même temps il est
                rempli, il se sent rempli d'une énergie qui est capable
                de lui faire soulever des montagnes. Plus rien ne
                l'arrête, plus rien ne peut le faire recu1er. Et pourquoi encore ? Parce que, disons dans ce fagot
                qui l'entoure et qui l'enserre de tout côté, Dieu a
                laissé une issue, une seule vers laquelle le coeur
                contrit se glisse. Et cette issue, c'est toujours la
                même, il n'y en a qu'une, c'est l'amour, cet amour qui
                est Dieu. Et il s'y jette, il s'y jette, et il lui ouvre
                un crédit sans limite, un crédit absolu. Regardez un peu ! Je pense, pour moi, que lorsqu'un
                homme a compris qu'on pouvait lui faire confiance, cet
                homme la commence à venir au monde, ou il commence à
                ressusciter, ou il commence à vivre. Or, Dieu n'attend
                qu'une chose, c'est que nous lui faisions, nous, cette
                confiance. Dieu existe pour nous dans la mesure ou nous
                lui faisons crédit. Si nous nous méfions de lui, il
                n'existe pas pour nous. L'athéisme, ce n'est pas de dire : Dieu n'existe pas !
                L'athéisme, c'est de ne pas croire en l'amour que Dieu a
                pour nous, et en l'amour qui est Dieu. Si vous voulez
                tuer quelqu'un, le détruire, ne lui faites plus
                confiance ! C'est nier qu'il existe, et c'est la façon
                la plus terrible de le tuer. Et il en est de même pour
                Dieu. Dieu attend que nous lui ouvrions notre coeur.
                Mais un coeur qui sait ce qu'il est, un coeur qui est
                blessé, un coeur, oui, qui est dans ses épines, mais un
                coeur qui croit que l'amour de Dieu est infiniment
                au-delà de tout et qui se jette dans cet amour. Et ainsi, mes frères, le cycle liturgique nous rappelle
                que nous en sommes toujours là et que nous devons
                toujours reprendre notre vie à partir de ce zéro relatif
                que nous sommes. Mais l'unité et la continuité des
                cycles liturgiques successifs, elle est assurée encore
                et toujours par cette Personne du Christ. Comme le dit
                encore l'Apôtre, le Christ qui est le même, hier,
                aujourd'hui et pour les siècles. Les cycles liturgiques ne sont rien d'autres que
                l'apparition progressive de ce diamant qu'est le Christ
                ressuscité et glorifié, le Christ éternel. Il était
                avant la création, il en est le terme, il est
                l'entre-deux. La liturgie s'efforce, mais avec une
                patience qui est digne de Dieu ce n'est pas notre
                patience à nous - de nous ouvrir le regard à
                l'apparition de ce diamant. Je dis diamant, parce que
                c'est l'image qui est utilisée dans le dernier livre de
                nos Ecritures, l'Apocalypse, où on nous présente le
                Christ comme un diamant qui resplendit de mille feux. Et
                vraiment il est cela! Tout a été créé par lui et pour
                lui ! Et nous ne devons pas avoir peur de laisser miroiter
                sous nos regards, dès le début de l'année liturgique,
                tout au cours d'elle, ces magnifiques images de
                l'Apocalypse. Les Pères ne parlent jamais d'une seule
                venue du Christ, mais toujours des deux. Il est venu
                pour revenir, et il revient ! S'il nous a appelés dans
                ce monastère, c'est à fin que nous autres, nous soyons
                témoins et acteurs de son retour. Car c'est en nous
                qu'il veut revivre son mystère, c'est en nous qu'il veut
                d'abord revenir. Un moine, un frère, qui est devenu, je ne dirais pas un
                saint, laissons ce mot qui est, comme je le faisais
                remarquer hier, un peu dévalué aujourd'hui, mais
                quelqu'un qui transparaît ou qui transpire la vie
                divine, mais c'est pour les autres hommes le Christ qui
                est revenu. Et c'est cela que le Christ veut tenter pour
                chacun d'entre-nous. Il n'a pas d'autres raisons de nous
                appeler ici. Ce n'est pas pour nous tirer hors d'un
                monde qui serait mauvais ? Non, le monde n'est pas mauvais. Le monde est ce qu'il
                est. Il est créé par Dieu pour être grand, pour être
                splendide. C'est nous qui sommes mauvais. Tout le monde
                est en nous. Mais il veut nous transformer, il veut que
                nous devenions révélation, apparition de ce qu'il est.
                Et chacun d'entre-nous peut devenir une pierre
                précieuse, unique, le reflet du diamant qu'il est, LUI. Voyez un peu ! Si toute la communauté était ainsi ? Ce
                serait une couronne d'une valeur qu'on ne peut jauger,
                qu'on ne peut mesurer. Si notre intention est d'aller
                jusque là, ou plutôt de nous laisser faire jusque là, à
                ce moment nous devenons déjà précieux, et pour Dieu, et
                pour le Christ, et pour les hommes. Oh ! Je sais que c'est une tâche qui dépasse infiniment
                nos possibilités. Mais encore une fois, pourquoi ne pas
                nous laisser prendre, saisir par cet amour et lui ouvrir
                tout notre coeur. Rien que ce geste est déjà suffisant
                pour que des premiers éclats se projettent à l'extérieur
                de nous. Mais nous ne devons pas, mes frères, pour revenir à ce
                que je disais au début, nous ne devons pas opérer de
                retour sur nous-mêmes. C'est-à-dire ne pas nous regarder
                mais plutôt le regarder, Lui, cette Lumière qui est le
                Christ et nous laisser transformer par Lui de clarté en
                clarté pour devenir, devenir ce que lui est. Il me semble que ce désir devrait habiter notre coeur,
                malgré nos erreurs encore, malgré nos fautes, malgré
                tout le contraire, le mauvais qui est encore en nous. Si
                ce désir nous habite, le Christ aura raison de tout. Car
                sa puissance est infiniment plus grande que nos
                résistances à nous. Mes frères, nous comprenons ainsi au début de cette
                année qui est nouvelle et qui doit être pour nous une
                année de renouveau. N'oublions pas que l'année de Saint
                Benoît n'est pas encore terminée ; nous avons encore 4
                mois presque avant d'arriver à son terme. Pensons-y !
                Que nous puissions vivre une renaissance ! Etre ce que
                le moine doit être : c’est à dire un homme liturgique,
                un être liturgique, et surtout un chant à la beauté, la
                beauté qui est Dieu, la beauté qui est le Christ, la
                beauté qui est la création, en attendant le JOUR. Il est
                proche où il est lointain ? Mais pour nous qui sommes vivants et qui déjà percevons
                le Christ, il est beaucoup plus proche que lointain, ce
                jour où l’univers ne sera plus que lumière, et où Dieu
                sera tout en tous. Anniversaire de l’élection Abbatiale. 01.12.80Mes frères,Avant d'aller à l'église, je voudrais bien encore dire
                ceci : c'est que c'est aujourd'hui, voici trois ans, que
                vous m'avez choisi comme Abbé. Alors, je voudrais vous
                remercier encore une fois, parce que il y a une
                expérience dont j'ai beaucoup entendu parler au Chapitre
                Général, mais que moi je n'ai pas faite, je ne sais donc
                pas ce que c'est. Et c'est celle-ci : C'est que quand quelqu'un est élu Abbé, il y a la
                communauté d'un côté et il y a lui de l'autre. Ce sont
                deux antagonistes qui essayent de voir comment se
                prendre l'un l'autre pour voir qui aura le dessus ! Non,
                non, ici ce n'est pas ainsi ! Il n'y en a pas deux ! Il
                n'y a qu'une seule communauté. Et voilà, je suis par la grâce de Dieu et votre
                volonté, je suis ici pour être le porteparole ou
                l'organe de l'Esprit. M'effacer, me perdre de plus en
                plus possible dans le Christ, et en vous, de manière à
                ce que nous formions une seule unité, un seul Corps
                harmonieux, plein de confiance les uns pour les autres,
                de façon à ce que tous nous puissions grandir, nous
                épanouir et humainement, et spirituellement.C'est pourquoi je vous remercie. Et ensemble nous allons
              attaquer une quatrième année en attendant ce que Dieu
              voudra. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 03.12.801. Défaut de communication.Mes frères,Le phénomène du manque de vocations ne doit pas être
                isolé d'autres problèmes connexes, à savoir le défaut de
                persévérance des jeunes et le vieillissement des
                communautés. Comme vous l'imaginez facilement, les trois
                questions se tiennent. Je vais essayer de vous présenter
                une synthèse des échanges qui ont eu lieu dans trois
                groupes informels différents. J'y mêlerai des
                considérations personnelles sans nécessairement dire
                qu'elles viennent de moi. J'ai tout de même en ce
                domaine une petite expérience, et vous aussi,
                d'ailleurs. C'est là un problème crucial pour un grand nombre de
                communautés, pratiquement pour toutes, même pour celles
                qui sont encore très nombreuses maintenant aux
                Etats-Unis. On sent que la difficulté se présente même
                là-bas. D'autres questions ont été discutées dans ces
                groupes informels. Mais au regard de celle-ci, elles
                présentent un intérêt secondaire. Je les vois plutôt
                comme des sortes de débats académiques. Par exemple ceci : La place de l'apostolat actif dans
                notre vie ? Ou, devons nous avoir un rayonnement
                liturgique ? Quels sont les aspects positifs de notre
                Ordre aujourd'hui ? Quel rapport entre style de vie et
                vie contemplative ? Cela, ça plane très haut ! C'est vrai, il est bon
                d'aborder tout cela, mais quand au fait qu'il n'y a pas
                de recrutement, que les communautés vieillissent et que
                les jeunes ne restent pas, voyez, ça, ça paraît bien
                éthéré. J'ai constaté que c'était là un problème que l'on
                n'aimait pas d'aborder. A mon avis, ça devrait faire
                l'objet d'échanges et de discussions au niveau du
                Chapitre Général lui-même. Un Abbé a tout de même eu
                l'audace de le dire, c'était mon voisin de droite,
                l'Abbé de Spencer, qui est pourtant à la tête d'une
                communauté qui compte près de cent personnes. Il a dit : Oui, le vieillissement des communautés ?
                Dans dix ans beaucoup de communautés seront acculées à
                des décisions douloureuses dans ce domaine. Pourquoi ne
                pas, dès maintenant, regarder la situation en face ? Et
                dès maintenant étudier les mesures à prendre en face de
                ce qui va arriver ? Il a dit cela en séance publique. Et il n'y a pas eu de
                réactions ! A mon sens, c'était difficile qu'il y en
                ait, car le problème est trop grave et on en a peur. On
                espère qu'au dernier moment va surgir un miracle qui va
                apporter une solution. Dans dix ans, dans beaucoup de
                communautés - des communautés qui n'ont plus de
                recrutement depuis 10, 15, 20 ans - il n'y aura plus que
                des vieillards de 80 ans. Et alors, comment vivre ? On a Fait cette petite remarque à propos d'une
                communauté de moniales qui, elles, devaient déménager
                parce qu'elles étaient de plus en plus enserrées par la
                ville. C'est tout simple, pas de problèmes ! Il y a une
                communauté de moines, moribonde, à quelques Km. Qu'elles
                déménagent là, le monastère est assez grand. Mais les moines, que va-t-on en faire alors ? Pas de
                problèmes non plus. Non, on les met dans une petite
                aile, dans un petit coin. Et il y a assez d'infirmières
                dans cette grosse communauté de moniales, elles s'en
                occuperont. On va dire : Oui, mais ça paraît un peu
                drôle ! Mais dans quelques années le problème sera là. Mais d'abord la rareté des vocations aujourd'hui. Je
                vais citer les choses comme ça, comme elles se
                présentent dans le rapport. Je faisais partie de ce
                groupe informel. Je vois ici le résumé. Je prends cela
                au hasard comme cela a été résumé ici.Certains y voient un problème de communication. C'est que la vie monastique contemplative comme telle,
                en elle-même, elle doit conduire l'homme à la perfection
                de sa nature humaine et divine. C'est à dire que l'homme
                a une vocation, qui est de devenir un Fils de Dieu. Tous
                les hommes sans exceptions sont appelés à cela. Mais lorsque l'homme est devenu un Fils de Dieu, il est
                arrivé au sommet de toutes ses potentialités humaines et
                en même temps il possède une puissance divine. Il ne
                peut donc rêver rien de plus achevé, rien de plus beau,
                rien de plus élevé. Or, tous les hommes sans le savoir
                tendent instinctivement vers cet épanouissement total de
                leur être. La vie monastique contemplative est orientée
                spécifiquement vers ce but. Les Anciens disaient : elle
                est quaedam praelibatio vitae eternae. Elle est
                une certaine prédégustation de ce qui sera notre vie
                pour l'éternité. Mais le problème de communication est ceci : Lorsque
                des jeunes viennent dans notre monastère et qu'ils nous
                voient, est-ce que nous leur présentons l'image d'hommes
                qui sont achevés, d'hommes qui sont adultes, qui sont
                heureux, qui sont complets ? D'hommes avec lesquels on
                peut parler, échanger ? D'hommes qui sont bien dans leur
                peau ? D'hommes qui sont en même temps surnaturels ?
                D'hommes qui dans leurs paroles ne laissent percer ni
                amertume, ni aigreur, ni désenchantement parce qu'ils ne
                connaissent pas le désenchantement, ils ne connaissent
                pas l'amertume, et ils ne connaissent pas l'aigreur. Ils sont habités par l'amour. Ils savent comprendre les
                autres, ils savent les rassurés, ils savent les
                sécuriser. Ils ne disent pas du mal ni du monde, ni de
                leurs frères, ni d'eux-mêmes. Non, ce sont des hommes
                avec lesquels on peut converser, des hommes qu'on peut
                regarder. Le problème de communication est ceci :
                donnons-nous de la vie monastique contemplative une
                image attirante, et aux jeunes et aux moins jeunes ? Ou
                bien une image repoussante ?Lorsqu'ils viennent dans un monastère, vont-ils se dire :
              oh là là, si c'est pour devenir comme ces types là, au
              revoir. Voilà le premier problème ! Or maintenant, ça vaut pour toutes les communautés.
                Comment laissons-nous percer ce que nous sommes ? Si la
                vie monastique a fait de nous des hommes achevés ou bien
                des hommes rabougris ? On ne le voit pas nécessairement
                par nos paroles, puisque nous ne parlons pas. On le
                verra à notre manière de marcher, notre façon de nous
                tenir, notre façon de saluer, notre façon de sourire,
                notre façon de regarder. Car il y en a qui ne vous salue
                jamais, il y en a qui ne vous regarde jamais, ou bien
                qui vous regarde de travers. Mais NON ! Or faisons bien attention ! Lorsque les gens du monde
                viennent dans notre monastère, eux nous regardent. Je ne
                veux pas dire que ils nous espionnent, mais ils nous
                observent. Et ils portent un jugement - non pas sur nous
                personnellement car ils ne nous connaissent pas - mais
                ils portent un jugement sur notre genre de vie. C'est
                une vie qui épanouit les hommes ou qui les atrophie.
                Voyez le problème de communication ! Qu’est-ce que nous sommes ? Est-ce que nous donnons une
                image vraie de la vie monastique contemplative ? Elle
                est telle. Elle doit faire des hommes parfaits, heureux
                au plan humain. Est-ce que nous donnons cette image à
                ceux qui nous regardent, à ceux qui nous rencontrent ? Voilà mes frères, il est déjà temps d'aller à l'église.
                Mais posons-nous un peu la question maintenant chacun de
                nous personnellement ! Je pense que ça vaut la peine !
                Il ne vient pas beaucoup de monde ici, ce n'est pas la
                grande affluence de certains monastères, mais il vient
                tout de même des gens. Et il en vient même qui pensent à
                la vie monastique. J'en connais. Ils font un peu comme
                ça, ils ont bien le temps, ils font un peu de
                prospection. Pensons toujours à l'influence de notre comportement,
                que notre comportement peut avoir sur d'autres qui sont,
                eux, appelés par Dieu à la vie monastique et qui
                peut-être alors par l'image qu'ils peuvent en recevoir,
                refuseraient l'appel de Dieu. Et ça, c'est tragique,
                c'est grave, et pour Dieu, et pour la personne, et pour
                nous. Et quand je dis nous, ce n'est pas seulement
                RocheFort, mais l'Ordre monastique. Voilà mes frères une des premières constatations qui a
                été faite. Je vous la livre ainsi. Et je pense que et
                moi, et chacun, nous allons un peu nous interroger
                là-dessus. Naturellement, il ne s’agit pas de faire du
                théâtre, de dire : eh bien maintenant ça va, je vais me
                composer un personnage et je m'en vais le jouer : ça ne
                va pas durer longtemps ! Non, il faut que nous soyons vrais, que nous soyons
                tels que les gens du monde nous envient. Qu’ils disent :
                ils ont tout de même de la chance ceux-là - non pas
                d'être à l'abri loin des soucis, parce qu'on en a et de
                fameux ! - mais ils nous envient, ils envient notre
                épanouissement et notre bonheur. Il faut que notre être
                soit rayonnant. Voilà mes frères, demandons à Dieu cette
                grâce et efforçons-nous au jour le jour de la faire
                grandir en nous. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 04.12.802. Scandale de la croix.Mes frères,Revenons-en à notre problème de la raréfaction des
                vocations. Les écrivains cisterciens - les premiers du
                moins, aujourd'hui, je ne sais pas si c'est ainsi - ils
                avaient l'habitude de se référer à un texte scripturaire
                que je vais rapidement citer en latin pour ceux qui le
                connaissent : justus in principio sermonis acussator
                  est sui (d'après la Vulgate). Cela veut dire que
                le juste quand il commence à prendre la parole, il se
                pose d'abord lui-même en accusé. C'est ainsi que hier
                nous nous sommes demandés si une des causes du manque de
                vocations aujourd'hui ne serait pas un défaut de
                communication ? C'est à dire, est-ce que nous présentons la vie
                monastique contemplative sous un jour attrayant ?
                Sommes-nous aux regards de ceux qui nous rencontrent des
                hommes achevés, des hommes heureux, épanouis, qu'on
                envie et qu'on voudrait imiter ? Ou bien, faisons-nous
                plutôt l'effet de repoussoir ? Maintenant, passons de l'autre côté. Les Abbés se sont
                demandés s'il n'y avait pas encore un autre problème ?
                C'est celui-ci : c'est que la société d'aujourd'hui,
                elle ne prépare plus les jeunes à comprendre la beauté,
                la possibilité et la nécessité d'une croissance
                spirituelle à base de renoncement. Pour nous, c'est
                quelque chose qui va de soi. Nous devons aller à Dieu.
                Mais pour recevoir Dieu en nous, nous devons lui faire
                place. Nous devons renoncer à notre égoïsme. Nous devons
                même le nécroser, le mettre à mort. Mais pour les jeunes dans le monde d'aujourd'hui, ce
                n'est pas tout à fait ainsi que les choses se
                présentent. Je pense qu'à notre époque nous vivons avec
                une acuité accrue le scandale de la croix. On préfère ne
                pas aborder cette question. Tout ce qui va contre la
                spontanéité du jeune est considéré, est vécu, est senti
                comme une brimade, comme un empêchement d'être soi ; ça
                va contre sa liberté, ça l'empêche de se développer, de
                s'épanouir. Et ça commence très tôt ! Il faut dire que l'éducation aujourd'hui s'y prête plus
                que jamais peut-être ? Elle est fondée sur la
                compétition. Et ça commence à l'école, ça se poursuit
                dès qu'on commence à s'affirmer, c'est répandu dans
                toute la société. C'est ce que nous appellerons la
                  concurrence. Il est vrai que cela existait déjà
                auparavant, c'est certain ! Mais pas avec l'acuité
                d'aujourd’hui. Les jeunes entre eux s'entendent très bien, mais ils se
                soumettent bien vite à un chef de bande. Il y a comme un
                besoin de se référer à un modèle type, de l'imiter. Ce
                modèle pèse alors sur le groupe et le groupe va nourrir
                à l'intérieur de lui-même des forces de violence qui
                vont devoir un jour éclater. Soit faire éclater le
                groupe, soit se déclencher vers l'extérieur contre des
                objets. C'est ainsi que vous aurez aujourd'hui ces actes de
                vandalisme gratuits. La nuit on va démolir des voitures,
                briser des vitres, faire des bosses dans les
                carrosseries, enfin, on en voit de toutes sortes. Il
                faut entendre un peu parler les gens des villes pour le
                savoir. Voyez, tout ce qui est ordre est considéré comme
                négatif. Il est vrai que notre société est peut-être
                trop structurée aujourd'hui ? Je me souviens, pour ne pas parler du vieux temps, mais
                lorsque nous étions jeunes, on avait l'occasion de
                laisser aller ses instincts un peu anarchiques du jeune,
                parce que on pouvait se permettre beaucoup de choses
                dans les campagnes du moins, mais aussi dans les villes.
                Mais aujourd'hui on aurait tout de suite la police à ses
                trousses. Vous voyez, on ne peut plus bouger. Or, entrer
                dans un monastère quand on a vécu dans une ambiance
                pareille, eh bien on la retrouve et on n'en veut pas. On
                n'est plus éduqué aujourd'hui à un épanouissement à base
                de renoncement. Et puis alors, il y a la concurrence dans les affaires,
                où là c'est quelque chose aujourd'hui de terrible. C'est
                la lutte pour la vie, mais une lutte féroce. Et encore
                au-dessus aujourd'hui, c'est la lutte des classes. Cette
                lutte des classes a existé depuis longtemps. Mais
                aujourd'hui, qu'est-ce que ça ne représente pas ? Voilà, un exemple tout chaud d'aujourd'hui, de
                maintenant : On a réuni la semaine dernière la
                Conférence Nationale du Travail. Cela veut dire que dans
                toute l’Europe Occidentale la situation économique et
                sociale devient de plus en plus difficile. On va vers
                une vraie catastrophe. Donc, partout, il faut prendre
                des mesures, des mesures d'austérité. Chacun doit faire
                des sacrifices, chacun doit y mettre du sien. Chacun
                doit aussi renoncer à gagner plus, à travailler moins !
                Il faut donc une discipline. Cela serait partout. Mais voyons dans notre pays maintenant (mais c'est la
                même chose à l'extérieur, exactement la même chose).
                Cette conférence s'est réunie. Tout le monde est
                d'accord: il faut raire des sacrifices. Sur le principe,
                on est d'accord. Mais une fois qu'il faut passer à la
                pratique, alors ça ne va plus. C'est non, non, non, non
                ! Pourquoi ? Mais parce que on se méfie les uns des autres. On veut
                bien faire des sacrifices, mais on regarde dans
                l'assiette du voisin pour voir si lui aussi fait le
                sacrifice. Et on va dire : oui, mais lui n'en fait pas !
                Et c'est surtout le réflexe des salariés. Pourquoi ?
                Mais parce que les salariés sont sous la coupe des
                autres. Un salarié est toujours contrôlé, lui ! On sait
                très bien ce qu'il gagne, c'est déclaré ! On peut très
                bien lui modérer ses salaires. Mais alors l'indépendant ? Et surtout le capitaliste,
                le gros comme on dit ? Lui, il peut faire ce qu'il veut.
                C'est lui qui doit consentir les gros sacrifices. Mais
                les petits, eux ? Vous voyez ! Voilà ! On vient de
                découvrir, ou du moins de dénoncer - on enquête
                maintenant - une affaire de fraude fiscale d'une dizaine
                de milliards. Dix milliards d'un coup fraudés
                fiscalement par une société, une société d'alimentation. Mais tout ça se sait ! Alors on dit : mais voilà,
                pourquoi est-ce les petits ouvriers qui doivent faire
                des sacrifices ? Dix milliards de fraudés. Allez là-bas
                chercher de l'argent ! Voyez la lutte des classes qui
                est là !Eh bien, les jeunes sont éduqués la dedans, dans cette
                atmosphère. Ils la voient partout, ils la respirent. Ils
                en entendent parler, on en discute. Alors ils ne sont
                pas du tout préparés à comprendre la nécessité et la
                possibilité d'une vie qui est à base de renoncement, la
                nôtre. Et une vie, alors, qui est belle ! Mais ils ne
                verront pas la beauté d'une telle vie. Allez un peu le
                contrôler ?
 Voilà mes frères, nous allons en rester là pour
                aujourd'hui. Je continuerai la fois prochaine avec ce
                petit chapitre. Car il y a encore un autre défaut de
                l'éducation aujourd'hui, de la société je veux dire,
                c'est qu'elle est basée sur le profit. Récollection du mois de décembre. 06.12.80Nous arracher à la vanité.Mes frères,La récurrence annuelle du cycle liturgique est porteuse
                d'un message sur lequel je vous propose de vous arrêter
                quelques instants ce soir. Cette récurrence nous clame
                que tout dans le monde et en nous n'est que vanité,
                illusion, mirage. Rappelez-vous les réflexions
                désabusées de l'Ecclésiaste sur le retour continuel et
                vain des mêmes choses. Et pourtant la création est
                belle. Chacun de ses éléments est comme une étincelle
                jaillie des profondeurs du divin qui est amour. Et nous
                sommes accordés à cet univers. Et cependant, en dépit de cette beauté, notre coeur
                demeure insatisfait. Il désire en percer le secret,
                parvenir jusqu'à la source, s'y plonger, devenir avec
                Dieu un seul esprit. C'est cette tension vers l'avant
                qui pousse des hommes dans le désert, toujours plus loin
                à l'intérieur du rien. Contempler le visage du Christ,
                rencontrer les yeux qui sont lumière et vie, connaître
                le Véritable, partager la nature de Dieu et travailler
                avec lui à la transfiguration du monde. Voilà pourquoi
                nous sommes ici ! Le monde, alors, ne serait plus un
                piège, mais il serait transparence limpide du mystère
                qu'il dissimule et qui n'est autre que ce Dieu un
                et trine qui nous fascine. Mes frères, cette tension vers un avant qui tout à la
                fois semble reculer devant nous et être de plus en plus
                proche, cette tension de tout notre être, elle confère
                au moine que nous essayons d'être un apanage, un
                privilège, celui de la jeunesse. Jeunesse ? Pourquoi ?
                Le moine est jeune parce que il croit, parce que il fait
                confiance, parce que son regard est pur. Il croit en Dieu qui l'appelle, en Dieu qui peut
                réaliser en lui et pour lui tout ce qu'il a promis. Il
                fait confiance en l'homme, l'homme qu'il est lui-même,
                l'homme qu'il rencontre dans ses Frères, dans tout être
                humain qui s'approche de lui. Et son regard est pur
                parce que il est éclairé par l'amour. Mes frères, ceci ne nous est pas naturel. Nous ne le
                savons que trop. Nous sommes comme tous nos frères en
                humanité d'abord des introvertis, des êtres noués sur
                eux-mêmes. Et les relents de notre condition première ne
                cessent pas d'assaillir notre coeur qui est le terrain
                d'une lutte implacable, mais dont nous sortirons
                vainqueur grâce à celui qui nous a aimés. Cette jeunesse, cette innocence à conquérir et à
                accueillir, elles nous sont présentées dans la Fête de
                l'Immaculée Conception et dans celle de Noël. Dans ces
                solennités nous voyons que le terme de notre vie, cette
                jeunesse qui est la propre jeunesse de Dieu, ce terme de
                notre vie, il nous est offert dès le début. L'Immaculée
                Conception, Noël, sont au début de ce cycle liturgique
                qui se reproduit chaque année. Et pourtant, ils sont au
                terme. Mes frères, cela nous impose un devoir : nous arracher
                à la vanité que le péché fait régner dans le monde, afin
                de goûter à cette liberté à laquelle toute la création
                aspire. Etre libre pour la création toute entière qui
                gémit dans l'attente de la révélation des Fils de Dieu.
                N'est-ce pas cela que vient de nous rappeler Saint
                Augustin ? Toute la trame de notre vie, toute sa toile, tout le
                filigrane, tout n'est qu'attente de cette révélation du
                Christ en nous. Mais notre conscience en sera, elle,
                d'abord le témoin. Car celui qui est christifié, il est
                le premier à le savoir. Quoique chez lui surtout, la
                tentation, le péché va lancer ses assauts les plus durs
                qui sont les derniers. Mes frères, à l'occasion de notre récollection,
                rappelons-nous que Dieu et les hommes attendent quelque
                chose de nous. Dieu attend notre fidélité : que nous ne
                cédions pas au découragement, que nous ne cédions pas
                devant la longueur de cette attente. Cette longueur est
                réelle, mais au regard de ce que nous allons recevoir,
                elle sera si petite et si courte. Et puis les hommes,
                eux, attendent aussi quelque chose de nous : ils
                attendent que dans leurs ténèbres nous soyons, pour eux,
                présence d'une espérance. Une journée avec Monseigneur Mathen. 08.12.80*Allocution de Dom Hubert après le dîner.Excellence,En mon nom personnel et au nom de tous mes frères je
                voudrais vous dire notre gratitude et la joie qui emplit
                notre coeur. Vous nous rendez visite, vous passez une
                journée parmi nous en tant qu'Evêque de Namur. Il me
                semble voir dans cet événement une minute historique
                pour notre communauté, car vous renouez avec une
                tradition qui tire son origine de l'institution
                monastique elle-même. Tout au début, nous découvrons trois noms : Antoine, le
                Père des anachorètes et de tous les moines ; Pacôme, le
                Père de tous les cénobites ; Athanase, le Pape
                d'Alexandrie. Athanase, le chef spirituel de tous les
                moines d'Egypte, lui qui avait versé l'eau sur les mains
                d'Antoine, lui qui remontait le Nil jusqu'à Tabennes
                afin de rendre visite à Pacôme et à ses monastères. Athanase, le défenseur forcené de l'orthodoxie, qui
                cherchait appui sur les cohortes de moines qui
                peuplaient l'arrière pays jusqu'en Haute Thébaïde.
                Athanase, qui a séjourné quelques temps non loin d'ici à
                Trêves, et qui de là a semé les premiers germes de la
                vie monastique dans nos régions. Athanase, qui avait
                écrit la vie de cet Antoine pour lequel il nourrissait
                une telle vénération. Je pourrais descendre le fil de l'histoire. Mais je me
                contenterais de rappeler Saint Benoît et Germain, Evêque
                de Capoue, et les premiers cisterciens qui ont réussi
                dans leur entreprise grâce au soutien généreux de leurs
                Evêques. Et aujourd'hui, Excellence, vous nous apportez la
                bénédiction de votre présence. Un pont s'établit entre
                votre personne et cet Athanase qui, un des tous
                premiers, a rendu visite à des moines, un des tous
                premiers qui les ait connus, qui les ait estimés,
                respectés, aidés. Vous êtes ici dans une Maison de Dieu, Domus Dei,
                comme dit Saint Benoît. Ici, on obéit à des lois qui ne
                sont pas les lois du monde : ce sont les lois du Royaume
                basées sur le renoncement à soi et l'amour. Ici, on est
                livré au désir de voir Dieu, de contempler le visage du
                Christ, de se baigner dans la lumière de ce visage afin
                de devenir avec le Christ un seul esprit. Dans cette
                maison, on se livre à un combat implacable contre les
                forces dissolvantes et dispersantes de l'égoïsme. Dans
                cette maison s'abritent des hommes qui ont voué une
                fidélité indéfectible à l'Eglise. Excellence, vous qui êtes un successeur des Apôtres,
                vous qui êtes pour nous sur cette terre Namur-Luxembourg
                le Christ lui-même, vous êtes ici chez vous, et vous le
                serez toujours. La tâche de Pasteur n'est pas facile. Nous le savons
                déjà par Athanase. Elle n'est pas plus aisée
                aujourd'hui, plus malaisée peut-être encore dans ce
                monde en désarroi ? Je n'ai pas de conseils à vous
                donner. Permettez-moi une simple suggestion : De temps en temps, si possible chaque jour, pensez à
                votre monastère de Saint Remy. Il y a ici pour
                vous-mêmes, pour vos collaborateurs, pour tous ceux qui
                vous sont confiés, un foyer de lumière et une réserve de
                forces. N'ayez pas peur d'y recourir ! N'ayez pas peur
                d'y puiser, elles sont à votre disposition. Nous sommes dans l'année jubilaire de Saint Benoît.
                Nous venons de célébrer le 750° anniversaire de notre
                Abbaye, consacrée dès le premier instant à Marie la Mère
                de Dieu dont nous célébrons aujourd'hui la Conception
                Immaculée. Ouvrons donc bien larges les portes de notre
                coeur à la confiance. Et maintenant surtout, n'oublions pas de remercier Dieu
                pour les grâces qu'Il nous fait. Remercions-le pour
                cette journée, pour cette rencontre, pour ce repas qui
                nous a réunis dans l'amour et l'espérance. Fête de l’Immaculée Conception de la Vierge.
                  08.12.80Homélie de Monseigneur Mathen.Bien chers frères et amis en Jésus-Christ,Cette scène de l'Annonciation que nous venons
                d'entendre (Lc 1, 26-38) nous révèle l'intention
                constante de Marie : reconnaître les appels du Seigneur
                et adhérer à ses desseins du plus profond de son coeur. C'est l'Archange Gabriel, un des plus grands dans la
                mystérieuse hiérarchie des purs esprits, qui est envoyé
                par Dieu à cette jeune fille vierge de la Maison de
                David. Elle s'appelle Marie, un nom d'origine égyptienne
                peut-être, qui signifie : la chérie. Dieu l'a formée dès le sein de sa mère pour cette
                mission, voulue de Dieu de toute éternité, que l'ange
                vient lui annoncer. Une préparation exceptionnelle
                absolument unique : pour la première fois depuis la
                chute dramatique du jardin d'Eden, une créature humaine
                a été conçue et mise au monde sans aucune des séquelles
                de la déchéance originelle. Préservée de la maladie congénitale de l'espèce
                humaine, elle est vraiment indemne de toute tendance
                désordonnée : tendance à sa propre grandeur, au plaisir
                des sens, à la possession des biens terrestres. Intègre
                parfaitement dans toutes ses facultés, immaculée, pétrie
                de l'Esprit Saint, c'est à dire de cet amour qui unit le
                Père et le Fils dans une éternelle étreinte. Quel mystère de rectitude dans le jugement de
                fraîcheur, dans la sensibilité de liberté, dans la
                volonté toute tournée vers le seul bien qui puisse la
                comblé : le Seigneur et sa volonté. Quel mystère aussi
                de pur amour, car être investi de l'Esprit d'amour en
                toutes les fibres de son être dès le premier instant de
                son existence, c'est autre chose que d'être purifié
                après coup, progressivement, des égoïsmes qui font
                obstacle au véritable amour. Depuis sa naissance, cet enfant ne vit que pour plaire
                à son Créateur. Elle le voit, elle l'admire, elle le
                loue dans sesœuvres. Elle reconnaît sa volonté dans la
                Loi qu'il a donné à son Peuple. Avec tous les siens elle
                le loue et le supplie en chantant les Psaumes et les
                Cantiques inspirés par Dieu à son ancêtre David et à
                d'autres poètes. Elle n'a pas de joie plus profonde que celle de faire
                la volonté du Seigneur et d'être aimée de lui. Elle veut
                tellement réserver à Dieu toute la richesse de son coeur
                et le mystère de son être, qu'elle a décidé de rester
                vierge et d'être consacrée à Dieu pour lui appartenir
                totalement, le servir et lui plaire. Mais que dira-t-elle à cet ange qui lui parle
                d'enfantement ? Comme elle n'est pas une écervelée ou
                une ambitieuse qui ne penserait qu'à la gloire de la
                mission proposée, elle va d'abord demander des
                éclaircissements. Non pas qu'elle doute de Dieu, mais
                parce qu'elle veut être parfaitement au fait de ce que
                Dieu attend d'elle et certaine de n'aller en rien contre
                sa volonté. Et quand elle est sûre que la demande vient de Dieu, sa
                réponse alors ne connaît aucune hésitation : Voici la
                  servante du Seigneur. Sa parole est donnée. Elle
                est adhésion de tout son être à ce que Dieu lui demande
                et elle ne se sera jamais reprise. C'est le mot de la
                totale confiance en Dieu. C'est ainsi qu'elle comble
                l'attente du Seigneur. Et elle la comblera non seulement
                à cet instant, mais à tous les instants de sa vie
                terrestre et de sa gloire céleste. Marie est vraiment celle qui toujours, et sans la
                moindre défaillance fera pleinement confiance à Dieu et
                dira toujours oui à ce qu'il demandera. Elle est celle,
                dira Jean-Paul II à Notre Dame de Paris le 30 mai 1980,
                qui parmi toutes les créatures humaines a donné la
                réponse parfaite à cette question : aimes-tu ?
                m'aimes-tu ? m'aimes-tu davantage ? Sa vie entière fut
                en effet une réponse parfaite, sans aucune erreur, à
                cette question. Ce sont tous les épisodes de son existence qui pourrait
                être repris afin d'y souligner cet acquiescement de
                Marie à ce que Dieu lui demande. Sans doute, elle ne
                comprend pas toujours parfaitement - N'a-t-elle pas au
                départ une vue détaillée de la mission de son Fils ?
                Peut-être ne soupçonne-t-elle pas à quel point elle sera
                étroitement associée à sa mission rédemptrice ? Mais
                elle sera la servante du Seigneur sans nécessairement
                s'en rendre compte pleinement sans un oui mais, mais
                dans un oui continuel qui procède de l'Esprit d'amour
                dont elle est pénétrée. Et ce oui, c'est le oui de la fidélité, de la
                continuité. C'est le oui de l'accueil qui est fait
                d'amour, de souplesse et de chaleur humaine. Et c'est
                surtout le oui qui a permis au Fils de Dieu de se
                manifester en notre chair. Et c'est en endossant ce oui
                chacun pour soi, que nous permettons à Jésus-Christ qui
                nous habite de manifester en nous sa vie de ressuscité.
                Faut-il le dire, c'est la qualité de notre vie en Marie
                qui donnera à notre vie son expression de Dieu en nous.
                Et si Marie est la servante du Seigneur, de son Fils
                Jésus-Christ, elle l'est toujours et encore aujourd'hui
                et spécialement dans la présence eucharistique de son
                Fils Jésus. Elle est jusqu'à la fin des temps la servante du
                Seigneur, la servante de son Fils Jésus Christ qui est
                venu rassemblé tous les enfants de Dieu dispersés pour
                une parfaite et éternelle eucharistie. Après la
                résurrection et la Pentecôte, elle participe à
                l'Eucharistie avec la jeune Eglise. Et depuis, elle est
                la mère de l'Eglise, de l'Eglise dont l'acte essentiel
                est la célébration eucharistique. Et comme telle, elle a
                précisément mission de coopérer avec le Christ le bon
                Pasteur au rassemblement de tous en un seul peuple
                sacerdotal, en un temple vivant pour une eucharistie qui
                prélude à celle de la Cité céleste de la Nouvelle
                Jérusalem. Et en cela, elle est Mère de l'espérance, de cette
                espérance qui nous tient à coeur, car elle est la souche
                de cette restauration qui doit s'étendre à tout
                l'univers. Porteuse en sa maternité de cette nouvelle
                genèse de l'homme, elle participe au déploiement de la
                grâce dans le temps pour toujours. Aussi avons-nous, et spécialement en ce temps d'Avent,
                à vivre cette espérance. Ce que le oui de Marie a
                accompli totalement à l’instant où il fut prononcé, il
                nous faut à nous aussi, à travers nos chutes et nos
                relèvements, ce long temps de la patience de Dieu pour
                l'accomplir et le mener à bon terme. Au oui de Marie ne
                peut que répondre et se renouveler le nôtre, qui est
                aussi là où nous sommes un Fiat, pour qu'il devienne un
                MagniFicat.Ainsi nous sommes invités, et aujourd'hui en cette Fête de
              l'Immaculée Conception avec Marie, à rendre grâce au
              Seigneur. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 09.12.803. Une société de profit.Mes frères,Nous allons continuer avec quelques Abbés du Chapitre
                Général à réfléchir sur le phénomène de la rareté des
                vocations aujourd'hui. C'est un problème qui est
                sérieux, et nous ne devons pas craindre de le regarder
                en face et de nous interroger nous-mêmes, et voir quelle
                part éventuelle de responsabilité nous portons dans le
                fait que les vocations se déclarent au compte-gouttes,
                non seulement ici, mais aussi un peu partout dans
                l'Ordre. Nous avons vu que la société d'aujourd'hui ne
                favorisait pas le développement, la croissance
                spirituelle et humaine des jeunes sur une base de
                renoncement. On n'en voit pas la nécessité, on n'en voit
                pas la beauté, on n'en voit plus la possibilité. Notre
                société imprime sa marque sur le psychisme des jeunes.
                Et cette société, nous l'avons vu la dernière fois, elle
                se construit sur la compétition, sur des rapports de
                force. Elle est aussi dirigée vers le profit, un profit
                immédiat et facile. Si bien que le monde dans lequel nous vivons
                aujourd'hui est un monde sans pitié. Il est dur. Il ne
                connaît que le doit et l'avoir, le donné pour recevoir.
                Le sens du gratuit se perd. Naturellement il existe
                encore des mouvements qui essayent d'aller à
                contre-courant. Ces mouvements rencontrent du succès
                parmi certains jeunes, pas tous ! Nous avons ainsi une société, une vie sociale qui,
                entre autre pour donner un exemple au plan ici des
                relations quasi cosmiques, du moins à notre échelle
                planétaire plutôt que cosmique : c'est la lutte entre
                les pays pour le contrôle des sources d'énergies, le
                contrôle des matières premières, le contrôle des
                marchés. Voilà, tout récent, c'est en train de se faire
                maintenant : les grandes sociétés de construction
                automobile VW – RENAULT et DATSUN vont s'unir pour
                construire un même moteur. Voyez ! Grâce à cela, elles
                vont étendre leur emprise alors davantage partout. Elles
                se faisaient concurrence jusqu'ici ! Maintenant, elles
                s'unissent ! Cela va devenir un géant à côté d'autres
                géants qui vont continuer, eux, à lutter et à
                s'affronter. Nous avons eu ce phénomène dans notre pays entre
                brasseries. De suite après la guerre, il y en avait
                encore au moins 2.000 en Belgique. Maintenant, est-ce
                qu'il en reste encore 150 ? Les accisiens, pour leur
                donner du travail, ce sont les mêmes qui viennent ici et
                qui vont à Chimay, ils n'ont plus de brasseries. Il faut
                leur en trouver. C'est cela la lutte pour les marchés ! Et ça devient
                sans c œur ! Mais les hommes qui sont là-dedans, eux
                aussi deviennent durs et sans coeur. Et lorsqu'on a
                réalisé un profit, on s'arrange pour le partager entre
                soi. On partage les bénéfices de l'affaire, on en
                partage les avantages. On a partagé aussi les risques,
                c'est ça la lutte, mais après on partage le butin. Nous
                l'avons chanté aujourd'hui aux Vêpres dans le Psaume 67
                : Pourquoi restez-vous là à dormir derrière vos enclos
                quand on partage le butin ? Et il se constitue ainsi des sociétés fermées. Au plan
                international, nous avons ce qu'on appelle le Club des
                Riches, des pays riches. Et nous en faisons partie !
                Voila un petit exemple : un ouvrier de l'Abbaye gagne en
                deux jours plus que des populations entières de pays
                sous-développés gagnent en un an. Voila la différence,
                le club des pays riches ! Alors ils défendent leur peau
                et leurs privilèges. J'ai fait allusion il y a quelques
                temps à la Conférence Nationale du Travail. Alors vous avez, à l’intérieur d'un pays, des petites
                sociétés fermées qui sont presque étanches ; pas
                possible de passer de l'une à l'autre : le monde du
                travail - le capital - les ouvriers - les employeurs -
                et entre les classes moyennes. Mais tous n'ont qu'un
                objectif, c'est gagner beaucoup d'argent parce que
                l'argent donne le prestige, l'argent donne l'autorité,
                l'argent donne le pouvoir, et surtout l'argent donne le
                plaisir. Et voilà notre société d'aujourd'hui ! Elle est comme
                ça. Il ne faut pas avoir peur de la regarder en face.
                Monseigneur Massaut , dans son discours d'ouverture de
                l'année académique à Louvain, cette année ci - nous
                l'avons entendu au réfectoire - il y a fait allusion
                ouvertement. Il a dit : le rôle de l'Université
                aujourd'hui, ce n'est pas d'injecter dans la société
                chaque année une ration de petits bourgeois qui vont
                alors avoir en main déjà tous les instruments qui leur
                permettront d'attirer à eux tous les plaisirs, toutes
                les jouissances. Puisqu'ils auront la clef du savoir, la
                clef de la science, ils auront accès là où d'autres
                moins doués, ou moins fortunés n'ont pas la possibilité
                de monter. Cela ne peut pas être cela l'université ! Au contraire,
                elle doit mettre à la disposition des hommes, elle doit
                mettre des frères qui veulent apporter quelque chose à
                d'autres frères et non pas profiter de leur situation de
                force pour exploiter. Voilà le rôle de l'université, un
                des rôles de l'université d'aujourd'hui : c'est aller à
                contre courant de ce que la société nous offre. Cette société axée sur le profit, elle engendre deux
                filles: la première de ces filles, c'est la
                permissivité. La société devient de plus en plus
                permissive. C'est à dire que je fais tout ce qu'il me
                plaît. Tout m'est permis ! Il n'y a plus de droit, il
                n'y a plus d'ordre, il n'y a plus de légalité, il n'y a
                plus de morale ! Non, je fais ce qui me procure du
                plaisir. Cela de plus en plus chez les jeunes aujourd'hui, et
                aussi chez les parents. Les parents, qui sont acculés à
                laisser faire ! J'ai connu un drame, je le connais
                maintenant, ce n'est pas encore terminé. Des parents voient arriver chez eux la Brigade Spéciale
                de Recherche. La police spéciale. Les parents ? Dans la
                chambre du garçon qui vient d'avoir 15 ans, qu'est-ce
                qu'on découvre ? De la drogue d'abord et puis une arme
                volée à la police !!! Et voilà les parents, ça leur
                tombe comme ça !!! Plus question pour un gosse - ça ne
                l'intéresse pas - d'aller à l'école. On va s'amuser avec
                les copains. Et alors voilà, on a déjà une arme, et ça
                n'a que quinze ans et c'est déjà adonné à la drogue. Et
                les pauvres parents sont là. Et alors les amis et etc culpabilisent les parents :
                c'est de votre faute ! C'est ceci et cela ! Les parents
                perdent la tête. Et alors l'enfant, que faire ? Le juge
                de la jeunesse, les assistants sociaux arrivent, des
                examens de toutes les sortes, psychologique, etc.
                Essayer de le récupérer ! Et le pauvre gosse là dedans
                perd la tête de plus en plus. Voyez, c'est cela la
                société permissive d'aujourd'hui qui détraque tout le
                monde. Et puis alors, la seconde fille de cette société qui
                vise le profit, c'est la violence, la violence qui est à
                base d'appropriation. Je veux avoir. C'est ce qu'on
                appelle aujourd'hui en termes de psychologie ou
                d'anthropologie la querelle des doubles. C'est à dire
                que je veux être comme l'autre, je veux avoir autant que
                l'autre. Ou bien le contraire : il ne faut pas que
                l'autre ait ce que moi j'ai. Je dois être différent de
                l'autre. Alors vous avez les affrontements, vous avez les
                querelles, vous avez les guerres entre hommes, entre
                groupes sociaux, entre pays, des conflits larvés ou bien
                explosifs. C'est cela la violence ! Et c'est de plus en
                plus aujourd'hui ! J'ai appris par hasard aujourd'hui encore, comme ça,
                quelqu'un de l'extérieur qui avait écouté la radio. On
                vient d'annoncer : on vient encore d'abattre quelqu'un
                qui sort de sa maison. Il ouvre la porte, il sort sur le
                trottoir...abattu. Voilà, on n'ose plus sortir de chez
                soi. C'est cela le climat ! Dans certains pays, comme dans la petite République de
                San Salvador, on compte qu'il y a une centaine de gens
                abattus tous les jours !!! Abattus comme cela par des
                groupes d'extrême-gauche et d'extrême-droite qui se
                combattent sans arrêt. Et alors le pauvre populo qui est
                entre les deux ? Il se fait une fois tuer par un et une
                fois tuer par l'autre. Vous voyez, c'est cela ! Mais on
                a peur que ça n'arrive ici. Vous l'avez en Italie. C'est
                très fort en Italie déjà, en Allemagne. Eh bien voilà, ça, c'est la société d'aujourd'hui ! Et
                alors nous avons les jeunes, qui eux grandissent là
                dedans. On leur montre ça à la TV. Il y a des journaux à
                sensation avec des grandes lettres de 7 à 8 cm de
                hauteur, en première page, pour annoncer tout cela !
                Alors ils voient cela, ils l'entendent. Ils deviennent
                ce que nous étions, nous, pendant la guerre. Ils
                deviennent blindés à tout cela, ils le font eux-mêmes.
                Pour eux, ça devient monnaie courante. Alors tout cela est à l'extrême opposé, c'est le
                contraire de ce qui est demandé dans une vie monastique.
                Cela, vous le comprenez bien. La vie monastique qui,
                elle, commence par un seul mot qui est renoncer.
                Saint Benoît le dit : ma parole, elle s'adresse à toi,
                qui que tu sois. Mais abrenuntians, Pro 8, tu
                dois renoncer à la compétition, à la rivalité, à
                tes volontés propres, au profit. Tu dois renoncer
                à tout cela. Exactement le contraire ! Alors que voulez-vous ? Dans les monastères, que
                faut-il faire ? Faut-il renoncer aux principes de Saint
                Benoît ? Il faut constater - mais ça c'est un fait
                d'expérience - que dans les monastères où on se relâche,
                je dirais où on ferme les yeux, où on devient permissif,
                vous voyez des entrées. Je ne dis pas à flot mais il y
                en a plusieurs par an. Je ne veux pas dire alors que ça
                va rester. Cela c'est une autre affaire. Mais, est-ce cela l'objectif de Saint Benoît ? Non, il
                ne faut pas transiger sur les principes. Parce que il se
                passe ceci - ça a été constaté là-bas aussi, les Abbés
                l'ont bien compris - c'est que les vocations
                aujourd'hui, les vraies hein, les vraies vocations dans
                les monastères où on reste fidèle à l'esprit de Saint
                Benoît et des Pères du monachisme, les vocations seront
                très rares. Mais les vraies vocations, elles seront meilleures que
                les nôtres parce que ce seront des garçons qui auront
                choisi, qui seront venus d'un milieu qui devait
                étouffer, qui devait empêcher toute possibilité d'appel
                de Dieu. Mais ils l'auront tout de même perçu, ils
                l'auront entendu ; des garçons qui se seront convertis,
                qui auront eu tout en main, mais qui auront, eux,
                renoncés. Tout à fait le contraire de ce qui pouvait se passer
                dans le temps ou pour entrer dans un monastère, eh bien,
                on ne quittait rien du tout, ou pas grand-chose, et puis
                on entrait un peu dans une société qui, par rapport à ce
                qu'on abandonnait était une société d'abondance. Tandis
                que maintenant c'est le contraire. Si bien que les vrais
                vocations seront meilleures que les nôtres. Cela je
                pense pouvoir le dire. C'est pour ça que nous ne devons pas désespérer et bien
                nous dire que si nous dire que si nous restons toujours
                fidèle à ce que Dieu attend de nous, Dieu saura trouver
                dans le monde, dans la société contraire d'aujourd'hui,
                il saura trouver des hommes qui sont capables de
                répondre à l'idéal qu'il leur propose, et qui est de
                savoir emprunter à la suite de Saint Benoît et des Pères
                de Cîteaux la route du dépouillement pour arriver
                jusqu'à une totale transformation de leur être en un
                autre Christ. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 10.12.804. Le culte du rendement et de la productivité.Mes Frères, Nous pensons pouvoir découvrir une des
                causes de la rareté des vocations non seulement
                monastiques mais sacerdotales dans la constitution
                actuelle de la société qui ne favorise nullement un
                épanouissement fondé sur le renoncement. La société est
                animée par un esprit de compétition, de concurrence.
                Elle est assoiffée de profit. Nous allons continuer notre analyse et voir aujourd'hui
                que cette société,qui se veut areligieuse et athée, a
                construit une nouvelle forme de religion qui est à sa
                mesure, et à laquelle sacrifient pratiquement tous les
                peuples quelque soit leur appartenance idéologique.
                Qu'ils soient communistes, qu'ils soient capitalistes,
                ils sacrifient tous au culte du rendement et de la
                productivité. Et cette nouvelle religion a ses temples
                qu'on appelle Centres de Recherches, ou Laboratoires de
                Recherches, ou Usines, Usines de plus en plus
                sophistiquées. Je vous ai dit que trois grandes sociétés automobile
                avaient fusionné pour la fabrication d'un moteur commun.
                Ce moteur sera construit sans l'intervention d'hommes,
                donc des robots vont le construire sur une chaîne.
                Naturellement, il y a des hommes qui ont mis tout cela
                au point, mais ils sont quelque part. Tout est robotisé.
                Et cela veut dire qu'il n'y aura plus de défaut de
                construction, dans ces moteurs. Cela n'arrivera plus, on
                n'est plus à la merci d'une défaillance humaine. Voilà un temple de la productivité et du rendement qui
                a aussi ses ministres et ses prêtres. Ce sont ces
                chercheurs, ces savants, ces techniciens, ces ingénieurs
                qui ont mis, qui mettent tout cela au point. Et on a
                beaucoup de respect pour eux. Ils ont leurs vêtements
                liturgiques, appelons-les ainsi ! Il y a les cols
                blancs. Il y a les .hommes en bleu. Ou bien suivant
                l'usine, ou suivant leur place dans la hiérarchie en
                violet, ou bien en jaune, ou bien en brun. Ce culte a
                aussi ses mystères. Il a ses secrets qu'on essaye de se
                voler. Il y a aujourd'hui des formes d'espionnage
                industriel, surtout entre grandes puissantes
                concurrentes.Et cette nouvelle religion a ses rituels. On les appelle
              Informatique, ou Télématique, ou Robomatique. Et on doit y
              être fidèle ! Notre rituel à nous ? Vous savez, ça fait bien, pas ici
                dans les monastères, mais dans le monde, on invente de
                nouveaux rituels pour l'Eucharistie, par exemple. On met
                le Pater pour commencer, on mettra le Confiteor
                pour finir. On inventera une nouvelle lecture pour
                l'Evangile parce que l'Evangile, c'est trop vieux, ce
                n'est pas moderne assez. Et enfin, une nouvelle Prière
                Eucharistique. Voilà, vous voyez, c'est ça ! Et ça fait
                bien et, ça attire surtout les jeunes. Mais attention ! Dans le rituel de la Science, il ne
                s’agit pas de jouer. Là, c'est strict ! La moindre
                erreur, la moindre désobéissance, elle se paye, ça veut
                dire que ça ne marche plus ! Regardez un peu à quoi les
                hommes savent se plier lorsqu'il s’agit de produire et
                de rendre ? Et les ministres du culte du vrai Dieu, ils
                pourraient parfois aller chercher leur inspiration de ce
                côté là pour apprendre à se tenir. Mais enfin, en soi cette science et cette technique
                sont extraordinaires. Elles sont louables, elles sont
                belles, elles sont recommandables parce que c'est Dieu
                qui a déposé dans l'homme ce génie qui permet à l'être
                humain de devenir cocréateur. Il est créateur sous la
                mouvance de ce Dieu qui continue grâce à cet homme à
                pousser plus loin, toujours plus loin, l'évolution du
                monde... L'homme, c'est l'évolution devenue consciente
                d'elle-même et prenant en main sa destinée. Donc, en
                soi, ce génie qui transforme l'univers, il est voulu par
                Dieu. Mais malheureusement il est vicié parce que
                l'homme est blessé par ce qu'on appelle le péché.
                L'homme n'est pas pur. Il faudra un jour réfléchir à
                cela aussi. Et cette technique, et cette science, si
                elles étaient bien conduites, elles devraient apporter
                aux hommes un supplément d'humanité et un supplément
                d'âme. Elles ne devraient pas être déshumanisantes. Cela
                veut dire que grâce à cette science, l'homme devrait
                être moins esclave de la chair. Il devrait être plus
                ouvert aux valeurs supérieures de l'esprit, de la
                beauté, de la contemplation de cette magnifique création
                qui est le reflet de la beauté du Créateur. Mais en fait, les choses sont bien autres que
                celles-là, vous le savez ! Et c'est que l'homme, ne
                parlons pas des tous grands savants qui eux sont
                toujours un peu poètes, autrement ils n'auraient pas
                cette intuition qui leur fait pénétrer le vouloir de
                Dieu. Ils sont poètes même s'ils sont incroyants. Il
                faut dans la science pure un désintéressement. Mais je vois le résultat de cette politique de
                productivité et de rendement : c'est que l'homme devient
                en fait l'esclave de ce qu'il produit. Il se fabrique
                des idoles. Et à ces idoles, il sacrifie. Il sacrifie
                parce qu'elles vont lui rendre en contrepartie ce que
                l'homme blessé cherche. C'est le plaisir, c'est la
                jouissance. Ce sera en terme plus moderne : la
                consommation. Et alors, c'est l'engrenage sans fin. Il
                faut produire pour consommer, et il faut consommer pour
                produire d'avantage. Et c'est le cycle infernal que nous connaissons
                maintenant, qu'on essaye en vain de freiner. Lorsque le
                bolide est lancé, on ne peut pas arrêter brusquement
                sinon c'est l'accident. Mais allez freiner ? Parce que
                pour freiner efficacement il faudrait opérer une
                conversion dans l'âme de chacun. Mais est-ce possible
                lorsqu'on est conditionné par ces plaisirs qu'on a à sa
                disposition ? On arrive donc ainsi à vivre dans l'artificiel, dans le
                faux, et on en perd le sens de la vérité équilibrante et
                épanouissante. Ce n'est pas seulement vrai des jeunes,
                les jeunes sont des victimes là-dedans ! C'est surtout
                vrai du moyen âge. Ce sont ceux-là qui sont
                responsables. Les jeunes, eux, entrent dans le train qui
                est en marche. Mais qui a construit ce train et qui lui
                a donné sa vitesse ? Ces sont des pareils à nous. Alors vous comprenez que cette société qui vit, qui
                sacrifie au culte du rendement, de la productivité, elle
                est à l'inverse de la société monastique qui, elle, est
                à base de gratuité. Dès l'instant où un moine dans sa
                vie privée, ou une communauté dans sa vie collective,
                perd le sens de la gratuité, elle a perdu le sens de
                l'amour. Elle a perdu le sens de Dieu, elle a perdu sa
                raison d'être. Elle est devenue une cellule non pas du
                Royaume, mais de cette société qui rend esclave. La vie monastique, elle est une lente imprégnation. Il
                ne s’agit pas ici de rendre de plus en plus vite aux
                meilleures conditions ? Non, elle est imprégnation
                insensible, imperceptible du divin. Le contemplatif,
                c'est l'homme qui se tient devant la majesté de Dieu, ou
                bien devant le regard du Christ, et qui se laisse
                pénétrer presque sans rien dire, sans rien faire, parce
                que c'est un cadeau qu'il reçoit. C'est une grâce qui
                l'enveloppe, et qui le pénètre, et qui le transforme, et
                qui le transfigure, et qui à la limite ultime le
                divinise. Mais pour cela, il faut s'abandonner, il faut renoncer.
                Alors vous voyez que pour un jeune d'aujourd'hui, passer
                d'un mode de conception de vie et de la vie sociale à un
                autre, au nôtre, mais il faut une Foi, il faut une
                Espérance, il faut une audace qu'on ne peut pas exiger
                de tout le monde. Il faut être d'une trempe exceptionnelle, il faut le
                dire ! Parce que rien n'est plus grisant que ce que nous
                pouvons trouver aujourd'hui, ce que les jeunes peuvent
                trouver aujourd'hui. Regardez un tout petit peu ! Nous
                avons ici quelques jeunes ouvriers. Ce sont tous de très
                braves garçons. Ils ont leurs défauts naturellement,
                mais ce sont des princes. Chacun est déjà à sa quantième voiture ? et à sa
                quantième moto avant ? Une demi douzaine de motos avant,
                2 ou 3 voitures ? C'est le minimum! Et ça a 22, 23 ans,
                20 ans. Vous voyez, c'est cela ! Mais il ne faut pas
                penser que ce sont des exceptions ? Ici, non, c'est
                encore la crème des meilleurs ! Alors voyez le reste ! Comment voulez-vous que l'appel de Dieu soit perçu ? Il
                est encore perçu par certains. Mais ce sera de plus en
                plus difficile, ou de plus en plus rare. Et comme je le
                disais hier, ceux qui l'auront reçu, ce sera des hommes
                avec lesquels Dieu pourra faire beaucoup, beaucoup. Mais
                à condition, naturellement que certaines exigences
                soient recueillies, et chez ces personnes, et dans les
                monastères.Mais cela, nous en parlerons une autre fois. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 11.12.805. Marginalisation des vieillards.Mes frères,Notre société qui est inspirée par le culte du profit,
                du rendement, de la productivité, elle est affectée de
                certaines tares qui n'existaient pas auparavant. A
                présent, elles deviennent de plus en plus visibles. .Je
                vais en citer une. Il en a été question au Chapitre
                Général. Elle touche toutes les communautés parce que
                nous sommes des hommes comme n'importe qui. C'est la
                marginalisation des vieillards. Les personnes âgées sont laissées de côté. On les
                méprise. On les glisse en marge. On ne veut plus les
                voir. Pourquoi ? Parce qu'elles ne savent plus produire
                et qu'elles consomment moins. C’est donc devenu des
                objets peu intéressants. Cela arrive assez tôt, car à 65
                ans le couperet tombe. Vous êtes mis à la retraite. Le
                mot lui-même est évocateur : la retraite ! On vous
                retire de la circulation, on vous met de côté. Vous
                n'êtes plus intéressant, vous êtes à charge de tout le
                monde. Ce sont les jeunes qui doivent travailler pour
                nourrir ces vieux qui ne produisent plus ! Les pensions, vu que la longévité de la vie s'allonge à
                cause des progrès de la médecine, les pensions, ça pèse
                très lourd sur la Sécurité Sociale, de plus en plus
                lourd. Car il y a de plus en plus de pensionnés, de
                retraités.. .Et à cause de la crise actuelle et du
                chômage, il y a moins de cotisants pour permettre
                d'entretenir ces bouches qui deviennent inutiles. Voilà
                ! C'est assez dur à dire, ce l'est encore plus à
                entendre ! Mais c'est pourtant bien ainsi. Auparavant, les personnes âgées étaient prises en
                charge par la famille. On vivait et on mourait chez soi
                avec les enfants et les petits enfants. C'était encore
                une structure patriarcale. J'ai encore connu cela dans
                les Ardennes. C'est encore un peu comme ça dans un ou
                l'autre village de ma famille. Mais maintenant, avec l'éclatement des familles, avec
                l’Urbanisation, l'étroitesse des logements, et puis
                aussi les loisirs, les vacances, les vieux, on n'en veut
                plus ! Regardez un peu quelle gêne tout de même, il faut
                s'en occuper. Et puis on est cloué, on ne sait plus
                sortir, on ne sait plus partir à l'étranger parce qu'on
                a un vieux ou une vieille dans les pieds. Alors, on les relègue dans des Maisons de vieillards,
                des séniories ou des homes, ou bien des mouroirs. Voilà,
                ils sont là tous ensemble, et ils attendent la fin. On
                vient les voir de temps en temps. Parfois, on ne va pas
                les voir du tout, on les a oubliés. Ce qui auparavant était le devoir des enfants est
                maintenant pris en charge par l'Etat qui organise des
                services comme les aide-séniors pour aider les vieilles
                personnes, ou des Communes qui font distribuer des repas
                chauds, tous les jours...sauf les W.E. parce que à ce
                moment là on ne travaille pas. C'est la semaine des cinq
                jours. Alors le samedi et le dimanche, mais les vieux ? Je ne
                sais pas comment ils font ? Ou bien on leur donne double
                ration comme à l'époque où la manne ne tombait pas le
                samedi et où on en avait le double le vendredi ? On m'a
                expliqué déjà tout cela. Voilà la situation des vieilles
                personnes. Elles sont donc vues plutôt de façon
                négative. C'est qu'ils sont lents, ils sont malades,
                certains handicapés, ils perdent la tête un peu, ils
                battent la campagne. Et puis surtout, ils sont
                dépendants, dépendants !!! Voilà !!! Voilà, c'est ainsi ! Et cela a des répercussions dans
                les communautés monastiques. Nous devons bien nous tenir
                sur nos gardes pour une chose. Ce n'est pas tant au
                niveau communautaire comme tel, mais personnel. Il y a
                une tentation qui nous guette à la porte des 65 ans.
                Attention pour ceux qui s'y trouvent, pour ceux qui en
                approchent, et pour ceux qui en sont éloignés ! La
                tentation est là ! C'est de se dire : Oui, voilà, j'ai 65 ans maintenant.
                Bon, on m'a assez exploité pendant des dizaines
                d'années. Maintenant je suis retraité, je suis
                pensionné. Eh bien, ils n'ont qu'a m'entretenir. J'en ai
                fait assez, maintenant je me la coule douce. C'est une
                tentation ! Et ça arrive dans des moments de fatigue, de
                dépression, de cafard, d'acédie, parce que le malheur
                dans les communautés monastiques, chez les anciens,
                c'est en grande partie l'oisiveté. Parce que il y a quelqu'un qui a été était dans une
                charge où il vraiment actif. Il faisait quelque chose.
                Et puis il a cédé une chose et puis l'autre. Voilà, il
                ne sait plus le faire. Et c'est très déprimant. Et ça
                peut remonter alors à partir de ces personnes, qui
                peuvent faire des crises profondes alors. Et il faut les
                aider. Grâce à Dieu, il n'y en a pas un seul ici, c'est
                pour ça que j'ai l'audace d'en parler, sinon je mettrais
                des gants. Mais comme il n'y en a pas, je peux le dire. Car le
                danger est là - il vaut mieux le regarder en face - le
                danger de se dire, ou alors de prendre les choses à
                l'avance et de se dire : Oui, mais dans ces conditions
                là, à 65 ans je remets mon tablier et puis alors vous
                tirez votre plan. Moi, je suis pensionné maintenant.
                C'est tout de même vous qui allez encaisser ma pension.
                Moi je n'en verrai rien ! Soyez donc bien content comme
                cela ! C'est la tentation ! Mais si jamais nous y succombons, c'est un véritable
                suicide. C'est un suicide psychologique d'abord parce
                qu'on se dégrade. On entre vivant dans cette psychologie
                du vieillard qui ne sait plus que faire de sa vie. C'est
                terrible ça, car on y entre dedans ! Et dans un
                monastère, ce doit être quelque chose d'atroce ? Et puis alors, c'est un suicide surtout spirituel, car
                on a jeté par dessus la haie le voeux de conversion des
                moeurs. C'est fini ! Et on se demande alors, on pourrait
                se demander si on tombait là-dedans : mais qu'est-ce
                qu'on est venu faire dans le monastère ? On aurait
                beaucoup mieux fait de dire au revoir tout de suite au
                début, plutôt que de dire au revoir tout en restant ici
                ! Voyez un peu ! Mais sur le psychisme, ça peut conduire
                au déséquilibre. Donc mes frères attention ! ça existe
                dans les monastères. Cela n'existe pas ici, mais soyons
                tout de même sur nos gardes. Un autre péril encore : ce sont les tensions entre les
                Anciens - appelons-les ainsi - et les jeunes. On
                observe, j'ai entendu dire cela au Chapitre Général, on
                observe que dans des communautés, les Anciens flairent
                un danger chez les jeunes. Les jeunes sont des hommes
                dangereux. On aime bien qu'il y en ait parce que ça
                rassure mais on ne les aime pas parce que on en a peur.
                Ils sont dangereux ! Pourquoi ? Parce que ils sont trop vivants peut-être ?
                Parce qu'ils apportent autre chose ? Enfin peut-être que
                c'est de la jalousie parce qu'ils sont jeunes et que
                soi-même on est devenu vieux ? Toutes sortes de
                motivations que voilà, il faudrait psychanalyser. Mais
                j'ai déjà entendu dire de mes oreilles : Moi, les
                jeunes, je ne les aime pas ! Voyez un peu quelle affaire
                ! Mais maintenant du côté des jeunes, parce que ça
                rebondit ? Eh bien, ils verraient les Anciens, eux, comme le
                symbole d'une stagnation mortelle : ça ne bouge plus, ça
                reste ainsi, ça ne change pas, il n'y a rien à faire
                avec eux ! Alors, on retombe dans la psychologie qui est
                celle du monde. Ce sont des boulets, des êtres avec
                lesquels il n'y a plus rien à faire. C'est la mort
                vivante parce que ça ne change plus ! Alors en conclusion, parce que la prochaine fois je
                vais parler de cela en relation avec les vocations
                maintenant, mais en conclusion pour aujourd'hui : un des
                critères de bonne santé pour une communauté, ce sont les
                relations harmonieuses entre les Anciens et les jeunes.
                Quand les Anciens aiment les jeunes et que les jeunes
                respectent, estiment et aiment les Anciens, qu'ils sont
                heureux de vivre avec eux, de les rencontrer, d'aller
                leur rendre visite. Et lorsque les Anciens sont contents
                de voir des jeunes et de les accueillir. Or, mes frères, c'est ce que la Visite Régulière a
                constaté ici dans la communauté. Les jeunes aiment les
                Anciens. Les Anciens aiment les jeunes. Il y a une
                harmonie. Et ça, c'est le signe d'une bonne santé
                spirituelle et aussi d'une bonne santé psychologique.
                Donc nous devons en remercier Dieu, mes frères, parce
                que je vous garantis que ce n'est pas partout ainsi. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 13.12.806. Vieillissement des communautés.Mes frères,Le défaut de vocation combiné à l'allongement de la
                longévité a pour résultat le vieillissement des
                communautés. Heureusement cela s'opère de façon
                insensible. Car il importe lorsqu'une communauté
                vieillit de ramasser les forces sur un essentiel de plus
                en plus condensé. Or, l'essentiel de la, pratique
                monastique, vous le savez, c'est l'Opus Dei, la
                  Lectio Divina et le Travail. Les trois en harmonie
                sans privilégier un par rapport à l'autre. Il faut donc
                toujours s'efforcer de maintenir le meilleur équilibre. Mais lorsqu'une communauté vieillit, devient très
                vieille, cela pose des problèmes alarmants, angoissants,
                car on doit prendre des décisions dramatiques. J'ai
                entendu, à l'occasion de la lecture des Rapports des
                Communautés, des Abbés qui lançaient des appels à l'aide
                au Chapitre Général. On disait : oui, c'est très bien,
                on en parlera. Mais vous comprenez, c'est tombé dans un
                trou vide. Oui, on s'est demandé : que faut-il faire ? Faut-il que
                les communautés qui sont plus favorisées sur le rapport
                des vocations, doivent-elles fonder dans les Pays du
                Tiers-monde, car là-bas les nouvelles chrétientés
                demandent des contemplatifs? Ou bien faut-il venir en
                aide à ces communautés mourantes sur place ? Voilà
                n'est-ce pas !Voici des questions qui se posaient : ...La situation est angoissante dans certaines communautés
              qui occupent des locaux tout à fait inadaptés à des
              personnes d'âge moyen et avancé...
 J'ai cité le cas d'Oelenberg. Un monastère qui
                autrefois comptait 200 personnes et qui maintenant en
                abrite sur place 25. Voilà, inadapté, des locaux
                inadaptés au petit nombre d'un âge moyen et avancé. Et
                disons que Oelenberg est encore favorisé. Il y a encore
                là tout de même des plus ou moins jeunes. Mais il y a
                d'autres communautés où alors ce sont des vieillards ;
                des communautés qui autrefois fondaient tellement tant
                il y avait des jeunes ! Voilà des problèmes angoissants....Comment remplacer tel ou tel moine qui assurait jusqu'à
              présent un service indispensable, et qui arrive à la
              limite de ses forces à cause de son grand âge ? Par exemple la cuisine ! Mais oui ! Et il n'y a
                personne pour le remplacer parce qu'ils sont tous très
                âgés. Que faire ? Engager un ouvrier? Il y a des
                communautés où c'est ce qui arrive...jusqu'au cellérier
                qui devient un laïc ! Tantôt, vous aurez l'Abbé qui sera
                un laïc ! C'est à dire un salarié je veux dire, il ne
                sera pas religieux du tout ! Mais voilà des situations
                pareilles où on ne sait plus quoi ?...Comment faire face alors à toutes les servitudes
              existantes ? J'ai entendu proposer aussi : Voilà, il y a un statut
                pour l'établissement des nouvelles fondations. Ne
                serait-il pas utile aujourd'hui d'établir un statut pour
                régler la suppression des maisons qui ne savent plus
                vivre ? Voilà, c'est surtout en France qu'on sent ce
                problème. Elle qui a été le berceau de la résurrection
                cistercienne au siècle dernier, et encore au début de ce
                siècle. Eh bien mes frères, je pense que nous ne devons
                pas avoir peur de regarder les choses en face, c'est à
                dire avec les yeux de la Foi. Une communauté monastique, elle naît, elle grandit,
                elle se développe. Il lui arrive même d'engendrer des
                filles ailleurs. Et puis elle prend de l'âge, elle
                vieillit. Ne pourrait-elle pas mourir comme un homme
                meurt ? Vous savez, c'est arrivé ! Regardons un peu
                l'histoire.. On pourrait le faire ? Mais enfin, on n'a
                pas le temps. Mais voyez par exemple lorsque la mission est
                accomplie, la mission que Dieu a confié à une
                communauté, elle est terminée. Mais la communauté a le
                droit de mourir comme un homme ! Prenez la communauté de
                Clairvaux. Elle a eu Saint Bernard et des quantités de
                Fondateurs et de saints partout : Disparue, on n'en
                parle plus. Oui, on parle de Saint Bernard et de
                Clairvaux. Mais aujourd'hui c'est une prison! C'est
                fini... Et tant d'autres ainsi, tant d'autres ! Dans nos
                régions aussi ! Mais voilà, leur rôle était terminé dans
                le plan de Dieu. Les hommes qui étaient là ont reçu leur
                récompense. D'autres prennent le relais et ça continue
                ainsi. Il y aura toujours des moines, mais pas toujours
                nécessairement au même endroit. Je pense que nous devons être froidement lucide.
                N'est-ce pas aussi l'acceptation comme ça lucide de la
                mort, n'est-ce pas l'épreuve suprême de vérité pour les
                personnes, et aussi pour les communautés ? Saint Benoît
                le dit : Il Faut toujours avoir la mort présente
                  devant les yeux. Lorsqu'on regarde les choses à
                partir de là, tous les problèmes se relativisent. Ils
                prennent leur vrai dimension. Mais voilà, nous évitons
                de le faire...Passons maintenant à la question vers laquelle je
              m'acheminais pas à pas. Elle a été posée au Chapitre
              Général. ...Une communauté âgée, peut-elle recevoir, accepter des
              jeunes ?
 Voilà la question posée. Il s’agit d'une communauté
                âgée. Peut-elle accepter des jeunes ? un jeune ? ou
                deux, trois jeunes ? A mon avis, c'est un problème
                propre à notre culture, à notre société d'aujourd'hui
                qui voit dans le vieillard un être diminué. Mais
                autrefois, au début, le vieillard, le moine ancien, âgé,
                courbé sous le poids des ans, c'était le moine vers
                lequel tous se tournaient. Il avait pour lui l'expérience, la sagesse, la
                sainteté. Les jeunes recherchaient les moines âgés, très
                âgés pour se mettre à leur service et pour recevoir
                d'eux la vie. Tous les apophtegmes ne font que de parler
                de cela. Les conférences de Cassien ne parlent que de
                cela. Le sommet, l'idéal d'une communauté, c'était
                d'avoir des anciens, des vieillards, c'était sa valeur.
                Est-ce que, mes frères, nous ne devons pas encore voir
                les choses ainsi ? Naturellement il faut que ce soit de vrais anciens. Il
                ne faut pas que ce soit des vieillards aigris,
                déséquilibrés, malheureux, qui regrettent d'avoir choisi
                la vie monastique, et puis d'y être restés. Et puis qui
                ont été un malheur et une calamité toute leur vie, pour
                euxmêmes, et pour leurs frères. Non, des vieillards
                pareils ce ne sont pas des vieillards, ce sont des
                épaves. Non, de véritables vieillards ! Voilà, il ne faut pas
                courir au loin, nous en avons ici. Nous en avons, nous
                le savons. Et nous sommes heureux de les avoir. Nous
                sommes heureux de les voir, heureux de les rencontrer,
                heureux de leur parler. Ils ne sont pas un fardeau. Non,
                ils sont une bénédiction pour une communauté parce
                qu'ils sont de vrais vieillards. Ils n'ont peut-être pas
                beaucoup de "paroles" à nous donner par leur bouche ?
                Cela leur arrive, oui. Mais ils ont leur conduite, ils
                ont leur exemple, ils ont leur personne qui est un
                langage d'une éloquence percutante. Alors dans ces
                conditions là, une telle communauté, mais elle peut
                certainement accepter un jeune, ou des jeunes. Elle
                retrouve la veine de l'origine du monachisme.Les Abbés se demandaient ceci. Je vais lire rapidement : ...Une communauté âgée peut-elle recevoir un ou des
                jeunes ? L'engagement d'un jeune dans une communauté
                vraiment âgée représente un très grand acte de Foi.
                L’expérience montre que certains jeunes, rares il est
                vrai ( c'est très rare) persévèrent dans des communautés
                âgées. De toute façon, il ne faut pas cacher aux jeunes
                les difficultés qu'ils rencontreront. Il faut être très
                loyal avec les novices. Mais peut-on recevoir un novice tout seul dans une
                communauté très âgée ? A-t-il l'environnement
                psychologique nécessaire à son épanouissement ?
                Certaines expériences réussies semblent montrer que oui,
                à certaines conditions : que l'atmosphère de la
                communauté soit bonne. Donc, cela rejoint ce que je viens de dire. Si ce sont
                des vieillards, des anciens authentiques, de vrais
                moines, l'atmosphère est bonne. Un jeune recevra la vie
                de ces hommes qui sont devenus des enfants du Royaume.
                Ils ont une jeunesse spirituelle qui fait qu'ils
                engendrent la vie. ...Il faut que le novice ne soit pas trop isolé, mais
                très mêlé à la vie de la communauté.Avec cependant de fréquentes rencontres avec le Maître
                des novices et l'Abbé. Des cessions inter-noviciat, pas
                trop fréquentes pour ne pas nuire à l'apprentissage de
                la stabilité peuvent pailler à la difficulté d'une trop
                grande différence d'âge que rencontre le novice.
 Il s’agit donc ici d'un seul novice dans une communauté
                très âgée. Voyez, quand vous entendez ceci, ce sont des
                cas concrets, ça arrive, ça est là, ce ne sont pas des
                théories, ce sont des cas rencontrés. ...Il peut arriver cependant qu'une communauté ne
                puisse plus assurer la formation d'un novice. Ce n'est
                plus possible. Il y aurait sans doute un problème de
                justice vis à vis du novice. Il faut le lui dire. On ne
                peut le recevoir sans pouvoir lui donner un certain
                épanouissement qu'il est en droit d'attendre. Donc, dans ces conditions là, c'est sous-entendu, il
                est préférable de fermer une maison pareille !Eh bien, mes frères, voilà un petit aperçu réaliste des
                choses. Ce n'est pas le cas à Rochefort. Ce n'est pas le
                cas dans les monastères les plus proches. C'est le cas
                dans l'un ou l'autre monastère Français qui ont été très
                prospères auparavant. Et ces communautés-là sont très
                courageuses, mais elles ne savent plus quoi !
 Je pense que le mieux pour nous, c'est de savoir que
                cela existe, et de ne pas nous endormir dans une fausse
                sécurité pour ce qui nous concerne, nous
                personnellement, parce que les années avancent. Mais de,
                surnaturellement, prendre en charge dans l'invisible ces
                hommes qui sont toujours là, qui vont mourir et
                peut-être leur communauté avec eux ; ne pas porter de
                jugement, mais au contraire savoir qu'ils ont accompli
                leur mission.
 Dieu a permis leur mort, leur disparition. Mais ce n'est
                pas pour cela que leur mission est totalement terminée.
                Là où ils sont arrivés chez Dieu, où ils sont entrés
                maintenant, où ils voient Dieu et le Christ face à face,
                ils peuvent continuer. Et nous ne savons pas si ce n'est
                pas grâce à eux que nous, ici, nous pouvons continuer à
                nous épanouir.
 Partage du Chapitre Général : Vocations ? 15.12.807. Déstabilisation généralisée.Mes frères,Nous allons poursuivre notre analyse des composantes de
                la société moderne et voir leur influence sur la
                raréfaction des vocations. Je ne veux pas dire par là
                que la société serait responsable du manque de vocation
                ! Mais simplement que les jeunes qui subissent
                l'influence de la société d'aujourd'hui sont moins bien
                préparés à l'audition des appels que Dieu éventuellement
                leur adresse. Cela nous aide à mieux les comprendre, les jeunes, à
                mieux les accueillir et à davantage les respecter. Car
                comme je l'ai dit et je le répète encore, ceux qui
                perçoivent la voix du Seigneur sont des garçons hors
                série. Il y a quelque chose en eux qui est demeuré
                disons ouvert, pur et qui peut encore capter. Tandis que
                la grande masse d'aujourd'hui, mais tout à fait hors de
                toute culpabilité, en toute innocence, devient de plus
                en plus sourde. Hier, la société se caractérisait par la stabilité. Par
                exemple, lorsqu'on embrassait une profession, une
                carrière, on y demeurait jusqu'à la pension. Que ce soit
                dans l'Administration, aux Chemin de Fer, dans une
                Usine, un Charbonnage. Il n'y a qu'à l'armée, là, au
                régiment, ce n'était que pour 2, 3 ans maximum. Puis on
                était renvoyé dans ses foyers. Restaient les hommes de
                carrière qui eux persévéraient jusqu'à la fin. Aujourd'hui, c'est une déstabilisation généralisée.
                Pour quelles raisons ? Je vais en citer quelques unes.
                Il y en a beaucoup, mais enfin celles qui me sont
                passées par la tête. D'abord, l'accélération constante
                du progrès ! Il faut procéder à des recyclages
                constants. Ce qui est acquis aujourd'hui sera dépassé
                demain. Il faut donc se reprendre. Il faut de nouveau
                étudier. Il faut partir sur des nouvelles bases sinon le
                train s'en va, on a décroché, on reste là. Et on finira
                par perdre son emploi faute de qualification. Ceux qui trouvent le plus difficilement du travail
                aujourd'hui ce sont les personnes, les jeunes hautement
                qualifiés. Un manoeuvre, il trouvera toujours du
                travail, parce que là, c'est toujours la même chose, ça
                n'a guère changé. Mais c'est tout, tout en bas ! Il y a
                quelques années on faisait appel à des étrangers : des
                Turcs, des Marocains, des Algériens, des Grecs, des
                Yougoslaves. Il y en a des centaines de mille dans le
                pays. Aujourd'hui, on est contant de prendre des chômeurs.
                Pour des chômeurs du plus bas niveau, là ça va ! Mais
                une fois qu'on a une qualification, si on ne trouve pas
                de travail tout de suite, la qualification est vite
                dépassée par le progrès, alors on reste là. Nous avons
                un cas dans notre communauté. Nous avons le Frère
                François qui est hautement qualifié dans le domaine de
                l'électricité. Eh bien le voilà maintenant, nous en
                avons déjà parlé sérieusement, il va s'en doute malgré
                son âge, devoir se mettre à apprendre l'électronique, ce
                qui est tout autre chose que l'électricité ! Et il le faudra parce que nous nous apercevons de plus
                en plus qu'il y a des éléments qui commencent à
                échapper, on ne sait plus, on ne comprend plus. On voit
                ce qui se passe et on ne sait pas pourquoi ? On ne sait
                pas y remédier. C'est l'électronique, c'est autre chose
                ! Mais voyez le courage qu'il lui faudra ! Mais ce n'est
                pas cela qui l'effraye ! Voilà, vous voyez,
                déstabilisation ! Aussi une autre cause : les crises économiques que nous
                rencontrons. Les crises économiques qui sont dues entre
                autre à cette accélération du progrès technique. Et ça
                engendre le chômage. La machine remplace combien
                d'hommes ? Et ces machines de plus en plus
                sophistiquées: les robots. Par exemple, maintenant on
                construit des chaînes de montage de moteur automobile.
                Cela va se faire, ça se fait déjà au Japon et ça va se
                faire en Europe. Mais il ne faut plus personne, ce sont
                les robots qui font tout ! J'ai vu dernièrement la photo d'un robot. Je ne sais
                plus où ? Dans un journal ou une revue ? Cela ne
                ressemble à rien du tout. Mais ça remplace et ça ne se
                trompe pas. Plus d'accidents possible ! Le travail est
                bien terminé ! La défaillance humaine n'existe plus.
                Alors, combien d'ouvriers sur le pavé? On a fait des études. On commence à les faire en
                Belgique. Elles viennent d'être achevée en Hollande.
                Cela s'est fait aussi dans d'autres pays. Mais là en
                Hollande j'ai retenu le chiffre parce que
                comparativement c'est la même chose à peu près que la
                Belgique. A cause du progrès de la microélectronique, on
                prévoit qu'en 1990, dans 9 ans, il y aura en Hollande
                100.000 chômeurs en plus ! Perte d'emplois ? Mais on dit
                : Oui, mais il y en aura des nouveaux ? Oui, mais ce
                sera alors des qualifiés dans cette microélectronique et
                ils sont encore aux études aujourd'hui. Ils seront là ! Mais il y aura beaucoup plus d'emplois
                perdus que de nouveaux créés. Ce sera ainsi en Hollande
                et on prévoit qu'en Belgique ce sera la même chose. En
                Allemagne, en France, en Angleterre, ce sera bien
                au-delà des 100.000, les pays étant beaucoup plus grands
                ! C'est cela le chômage. On n'est donc plus certain de
                ce qu'on fait. Car ce chômage vient aussi de ce que à cause de la
                crise, à cause des progrès de la technique, on supprime
                des emplois, la machine remplace l'homme. Et puis on
                rationalise, on augmente la productivité. Et les hommes
                sont là ! Ils n'ont plus de travail. Il y a des
                industries qui cesse, tout simplement ! Vous avez eu les
                charbonnages. En Belgique il y en a encore un ou
                l'autre, et c'est tout. Auparavant, dans le sillon Sambre et Meuse, et dans le
                Limbourg, c'était la richesse. Maintenant il n'y en a
                plus ! On essaye d'y revenir, oui, un peu ? Il y a
                encore du charbon par milliards de Tonnes dans le
                sous-sol Belge. Mais voilà, on n'exploite plus, cela n'a
                plus de raison d'être. On va essayer de la gazéifier
                peut-être ? De nouvelles techniques, pour essayer de
                récupérer tout ça, mais voilà ? Vous aviez dans l'industrie, vous aviez ici, il ne faut
                pas aller si loin. Vous aviez l'atelier de réparation
                des locomotives à Jemelle. Avant la guerre il y avait
                combien d’ouvriers là ? Des centaines et des centaines,
                peut-être bien mille ? Et c'est fermé ! C'est des
                locomotives électriques maintenant. Dans certaines
                Usines maintenant, Cockerill par exemple, vous avez des
                locomotives électriques sans pilote, sans conducteur. Ce
                sont des robots qui conduisent ces petites locomotives
                électriques qui vont d'une section de l'usine à l'autre.
                Et ainsi de suite. Voilà, tout cela c'est la
                déstabilisation ! Qu'arrive-t-il alors ? Il arrive qu'il est tout à fait
                courant aujourd'hui de changer plusieurs fois de
                profession dans le courant de sa vie. Et on y est
                acculé. Il y a des écoles où on reprend les chômeurs
                pour leur enseigner de nouveaux métiers. Cela existe.
                Pour les reclasser, cela deviendra de plus en plus
                difficile, mais malgré tout ça se fait. On change, on y
                est obligé, on ne sait pas faire autrement. C'est encore
                autre chose que le recyclage ! Je connais un garçon qui fréquente l'Abbaye de temps en
                temps. Il est marié. Il travaillait dans une grande
                imprimerie. Il était très bien. Il gagnait bien sa vie.
                On rationalise les histoires et plus de travail pour lui
                ! Que faire ? Maintenant il travaille dans une usine de
                compresseurs, de gros compresseurs. Mais qu'il y a-t-il
                entre l'imprimerie et les compresseurs ? Il a tout de
                même fallu apprendre cela. Et il gagne bien sa vie. Il
                est bien considéré, ça va. Mais ça va durer combien de temps ? C'est Américain !
                Les Américains vont peut-être dire: ce n'est plus
                rentable en Belgique, les salaires sont trop chers ! On
                va aller s'installer, où irait-on bien ? Quelque part en
                Corée par exemple, où les salaires sont en dessous de
                tout, ou au Brésil. Voilà il sera de nouveau sur le
                pavé, et que fera-t-il ? Il ne sait pas ? Il n'y a plus
                donc de sécurité. Or les jeunes, eux, ils grandissent là-dedans. Et ils
                sont donc préparés avant de commencer à l'éventualité de
                devoir changer. Ils ont fait des études pour cela. Oui,
                c'est bien, mais ils feront peut-être tout autre chose,
                mais ils n'ont pas fait d'études pour ça ? Mais ils vont
                en refaire, quel que soit leur âge ! Mais comme je le
                disais, ça les valorise. Et c'est un signe de mordant
                devant la vie, et aussi un enrichissement, car
                l'expérience s'élargit. Voilà donc nos jeunes ! Parmi eux, il y en a qui vont se présenter au
                monastère. Cette ambiance générale introduit un nouveau
                concept de fidélité, un concept de fidélité qui est
                étranger à celui de persévérance dans un même état de
                vie puisque on est amené à changer tant de fois. La
                fidélité était souvent confondue avec la constance. On
                était fidèle disons à un idéal, et on ne pouvait pas
                changer. Certains Philosophes ont beaucoup critiqué
                cette approche de la fidélité. Elle est fausse,
                celle-là, elle est fausse et justement elle est en train
                d'être jetée à terre maintenant. Ce serait l'occasion de revenir à une meilleure
                approche de la fidélité. Mais il se passe ceci : c'est
                qu'on verra la fidélité comme une fidélité à soi-même,
                fidélité à soi à travers les méandres de la vie. On
                change, on n'est pas stable, on ne persévère pas, mais
                ça ne fait rien, je reste toujours fidèle à moi-même, à
                mes sentiments d'aujourd'hui. Demain ils seront
                différents, mais je serai fidèle aux sentiments que
                j'aurai demain. On est fidèle à soi-même. Cette mentalité se répand très fort justement à cause
                des structures sociales qui sont tout à Fait
                déstabilisées. On verra ça par exemple chez les jeunes
                d'aujourd'hui qui répugnent à se marier. Pourquoi ? Mais
                parce que on ne sait pas comment ça va aller ? ça ira
                peut-être un an ou deux ? Et puis si on est marié, c'est
                des complications ! Non, on ne se marie pas, comme ça si
                ça ne va plus, chacun reste fidèle à soi-même et on
                recommence sa vie ailleurs ! Naturellement tout le monde ne réagit pas comme ça.
                Mais il y en a tout de même un fameux pourcentage. A tel
                point que le législateur a jugé bon d'intervenir pour
                légaliser presque ces choses là au plan des Impôts, de
                la Sécurité Sociale, des Mutuelles, des Pensions, de
                tout. Mais voilà mes frères, je pense qu'il est temps d'aller
                à l' Office de Complies. Vous voyez un peu la toile de
                fond. Demain nous essayerons de voir ce qui se passe
                chez les jeunes qui alors vont se présenter dans les
                monastères. Partage du Chapitre Général : Vocations ? 16.12.808. Qu’est-ce que la Fidélité ?Mes frères, Nous avons vu que la déstabilisation
                progressive de la société favorisait l'éclosion d'une
                conception de la Fidélité qui ne comporte pas la note
                spécifique de persévérance. Il suffit aujourd'hui d'être
                fidèle à soi à travers une suite de mutations, de
                changements qui sont vus comme autant d'étapes normales
                dans l'évolution personnelle absolument irréductible à
                une autre. Les jeunes d'aujourd'hui sont plus ou moins
                marqués par cette approche nouvelle de la fidélité, et
                un certain nombre d'entre eux sont de ce fait incapables
                de supporter l'épreuve de la stabilité. Les Abbés ont ainsi remarqué qu'au problème du manque
                de vocations venait s'en ajouter un autre, à savoir
                celui du manque de persévérance des jeunes. Quelques
                rapports de maison font état du nombre relativement
                restreint de jeunes qui arrivent à la profession
                solennelle. Et même d'autres qui, par après sans se
                faire de problèmes, demandent à être relevés de leurs
                engagements, de leurs vœux et vont faire leur vie
                ailleurs et autrement. J'ai rencontré il y a deux ou trois mois un
                religieux-prêtre qui n’était pas de notre Ordre et qui a
                ainsi demandé la dispense de ses voeux et la réduction à
                l'état laïc. Il est dans l'enseignement, une branche
                qu'il aime. Et il me disait que pour lui il n'y avait
                pas eu de rupture dans sa vie, que son nouvel état était
                dans la continuité de son état antérieur. C'est tout à
                fait typique de la mentalité des jeunes d'aujourd'hui ! Mais comment alors y porter remède ? Les Abbés en ont
                parlé. Je vais citer ici quelques données qui ont été
                notées. Mais je voudrais d'abord vous présenter une
                opinion plus personnelle. On y fait d'ailleurs allusion
                dans la conclusion du rapport, mais je voudrais la
                développer quelque peu. Il faudrait aider le jeune qui est fortement
                conditionné par l'ambiance de son milieu antérieur, le
                milieu du monde. Et il faudrait essayer de lui faire
                comprendre, de lui faire saisir, de lui faire vivre une
                autre Fidélité. Parce que la Fidélité, elle n'est pas
                subjectivité ni égocentrisme. Elle est un des éléments
                essentiels d'une relation intersubjective, c'est à dire
                entre deux personnes. La véritable Fidélité se comprend et se vit dans une
                véritable relation à l'autre. Cet autre peut être une
                personne humaine, homme ou femme ? Pour nous, l'autre,
                c'est le Christ, le Christ ressuscité dans lequel nous
                voyons, nous rencontrons le Père - comme lui-même nous
                l'a dit - et grâce auquel nous sentons passer sur nous,
                et entrer en nous le Souffle vivifiant et transfigurant
                de l'Esprit qui est Amour... La Fidélité n'est pas donnée en une fois. Ce n'est pas
                un étatque l'on reçoit d'un bloc, et qu'il nous suffirait de
                conserver bien caché dans un mouchoir sans y toucher.
                Non, la Fidélité est à construire, à créer à tout moment
                chaque jour. Je me réfère ici au mot Hébreux qui rend
                cette notion de Fidélité. Nous le connaissons tous. On
                le dit combien de Fois par jour. C'est Amen.
 Amen veut dire Fidèle. D'ailleurs c'est un nom
                du Christ. Dans l'Apocalypse, il est présenté sous le
                nom de : je suis l'Amen. Il est le Fidèle. Mais Amen,
                c'est ce qui est en dessous, c'est ce qui est le
                fondement. Mais ce n'est pas un fondement qui est là,
                vide, nu ? Non, c'est un fondement sur lequel on
                construit patiemment un édifice,mais un édifice solide,
                inébranlable parce que fondé sur le roc qu'est l'Amen.C'est le même mot en Hébreux qui signifie Fidélité, qui
              signifie architecte, qui signifie constructeur, et vérité,
              etc. Vous voyez, c'est très concret ! Eh bien, notre Fidélité à nous, elle doit ainsi se
                construire tous les jours dans la relation à l'autre.
                C'est une Fidélité qui est donc créatrice. L'autre, pour
                nous, c'est donc le Christ qui est l'homme - je dis
                l'homme parce qu'il est d'abord homme pour nous - Fidèle
                par excellence. Je lui donne ma Foi, je lui donne ma
                confiance, je m'ouvre à lui comme lui s'ouvre à moi. Lui
                ne cèdera jamais ! Il est la patience, il est l'indulgence, il est la
                compréhension. Il me saisit, il me connaît par
                l'intérieur de moi-même, mes faiblesses, tout ! Mais lui
                est Fidèle, et sa Fidélité, elle édifie la mienne dans
                cette relation. Tout ce qu'il me demande, je le crois,
                je le fais, j'y réponds et cela tous les jours. C'est
                l'essence de notre voeu d'obéissance, il est là ! C'est
                cette confiance que j'ouvre totale à celui dont le nom
                est Fidèle. Et ainsi, à l'intérieur de cette relation, de cet
                échange entre le Christ et moi, jour après jour, ma
                Fidélité construit un bâtiment dans lequel nous vivons
                tous les deux, et le Christ et moi. C'est notre
                intimité. Et nous voici maintenant dans la vie contemplative ! Si
                lui me connaît, moi je commence aussi à le connaître. Si
                je m'ouvre à lui, lui s'ouvre à moi. Je me laisse
                regarder par lui, lui me permettra de le regarder. Et
                ainsi notre Fidélité, elle se construit sur un amour
                réciproque, mutuel, toujours plus beau, toujours plus
                vrai malgré les orages qui peuvent survenir, malgré mes
                chutes, mes déficiences. Ce n'est rien, cela ! Il y a dans nos régions ce qu'on appelle le
                chômage-intempéries. On ne sait plus travailler. Il faut
                attendre que le beau temps, la belle saison revienne.
                Alors vous verrez de nouveau les maçons, les
                entrepreneurs au travail. C'est la même chose dans notre
                relation au Christ. Il y a aussi des hivers. Il y a
                aussi des intempéries. Mais ce n'est pas ça qui détruit
                le bâtiment ? Non, ça s'arrête. Et le Christ est patient, il attend. Et lorsque le beau
                temps revient, on se remet au travail. C'est cela la
                Fidélité jusqu'à la mort. La mort n'est plus alors vue
                comme une catastrophe. Non, la mort est le moment où
                l'on pose le bouquet au dessus du bâtiment qui est
                terminé. Il faut donc essayer de faire comprendre cela aux
                jeunes. Théoriquement, en leur expliquant, comme je le
                fais maintenant. Mais surtout par notre exemple, par
                l'exemple de notre vie, d'une vie riche, d'une vie
                épanouie dans la confiance et dans l'amour. Alors les
                jeunes voient ce que c'est que la Fidélité, quels sont
                les fruits de la Fidélité. Ils commencent à la découvrir
                pour ce qu'elle est et ils s'y engagent eux-mêmes. Et s'il leur vient, s'ils sont encore repris par leurs
                anciens démons : Ma foi on perd son temps ! Il serait
                bon de changer ! Il leur suffit de voir un tel, un tel,
                un tel pour se rappeler que la véritable réussite d’une
                vie d'homme, d'une vie de moine puisque nous sommes dans
                un monastère, est dans cette Fidélité à celui auquel on
                s'est donné une fois, et on ne veut pas se reprendre.
                Mais vous comprenez que sur un sujet pareil on pourrait
                rester des soirées et des soirées !!!Les Abbés faisaient encore remarquer quelques petites
              choses comme ceci. Ils disaient : ...Le climat du monastère est important. Un climat
                priant libre et accueillant pour aider à la persévérance
                et à la découverte de la beauté de la Fidélité. Les
                valeurs doivent se transmettre en étant vécues, de sorte
                qu’elles puissent être intériorisées. Donc, elles doivent se transmettre par une tradition
                vécue, vécue existentiellement, intériorisée. Ce n'est
                pas des notions qui entrent dans le crâne, et puis qui
                restent là, et puis qui s'évaporent. Non, si c'est vécu,
                si on le voit vivre et si on s'efforce de le vivre
                soi-même, ça s'intériorise et ça se stabilise....Ne jamais se départir de la dimension de Foi. Cela, c'est extrêmement important, vous le comprenez.
                Parce que FOI est synonyme de Fidélité. Je donne ma Foi.
                Et je vois les choses dans une perspective surnaturelle,
                là où s'édifie la vrai Fidélité. Donc, lorsqu'il y a des
                difficultés chez les jeunes, ne pas les consoler avec
                des propos qui sont naturels. Non, il faut les prendre à
                bras le corps. Ils sont plus forts qu'on ne le pense !
                Et c'est ça qu'ils attendent. De suite les mettre,
                voilà, au dessus dans le domaine de la Foi. Cela c'est
                la vérité, et ils le comprennent....La vie d'une personne a plus d'une motivation. Il faut
              donc discerner le motif dominant. Ceci, c'est pour le discernement des vocations, pour
                voir s'il y a vrai vocation ou non. Pour qu'on ne soit
                pas étonné alors si un jeune ne persévère pas. Il
                n'était pas venu ici pour chercher Dieu, mais pour autre
                chose. Le motif dominant de sa démarche ? Et enfin ceci
                :...S'il manque la motivation de " centration " sur Dieu ! C'était des Anglais. C'est donc traduit de l'Anglais.
                On a laissé "centration", c’est entre guillemets.
                Laissons-le pour ça : être centré sur Dieu. S'il manque
                la motivation de centration sur Dieu, la centration sur
                soi conduira finalement au manque de persévérance, ça
                revient au même. Donc, si je reste Fidèle à moi-même, si
                je suis égocentriste, alors ma persévérance dans le
                monastère ne durera pas. C'est une épreuve trop longue.Mais si je suis centré sur Dieu, si je suis hors de moi,
              si je suis extasié vers Dieu, alors il n'y a pas de
              problèmes, ma Fidélité va s'affermir et ma persévérance
              est assurée. Chapitre : Un geste liturgique. 22.12.80La bénédiction avant les lectures.Mes frères,Nous approchons de la Fête de Noël et nous sommes
                toujours dans l'Année Jubilaire de Saint Benoît. Nous
                allons saisir cette heureuse conjonction pour
                ressusciter un geste liturgique qui remonte à la plus
                haute antiquité, un geste auquel Saint Benoît était
                attaché, qu'il pratiquait avec conviction. Il en parle à
                deux reprises dans sa Règle. Ce geste avait été mis de côté, ici, il n'y a pas
                tellement longtemps, c'est encore à l'époque de Dom Guy.
                Et je ne sais pas trop pourquoi ? Par un souci de
                simplification peutêtre ? Mais attention ! Il ne faut
                pas confondre simplifier avec amputer ! Vous avez comme moi entendu la réflexion de Monseigneur
                Danneels. Il reconnaît en toute humilité que les prêtres
                de sa génération n'avaient reçu aucune formation
                liturgique. La liturgie, à cette époque qui n'est pas
                lointaine, elle consistait en l'étude des Rubriques. Il
                y avait dans l'Ordre, prévu chaque semaine, un Chapitre
                consacré à cela. Et je me souviens très bien que le Père
                Stanislas nous expliquait chaque semaine les Rubriques. C'était comme ça alors ! Maintenant, on commence à
                savoir ce que c'est que la liturgie. Elle est le bain
                dans lequel nous devons vivre, un peu comme des poissons
                dans l'eau. Peut-être que pour les anciens ça demande un
                effort de conversion, qui n'est pas au-delà de leur
                vigueur, de leur santé ? Loin de là ! Pour les jeunes,
                c'est tout naturel. Ils en ont besoin pour vivre. Ces séminaristes Français qui ont passé quelques jours
                parmi nous la semaine dernière, ont été frappés aussi de
                l'atmosphère de saine liturgie qu'ils avaient rencontré
                ici. Ils sont très sensibles. Eh bien, nous allons
                remettre en vigueur quelque chose de pas difficile, de
                tout ordinaire : ce sont les bénédictions avant les
                  Lectures. C'est pas grand chose, vous voyez, en
                soi. Mais la signification est très, très importante. En quoi cela va-t-il consister ? Ce n'est pas difficile
                ! Avant de commencer la Lecture, que ce soit à l'église,
                que ce soit au réfectoire, le lecteur s'incline en
                disant ou en chantant : Père, veuillez bénir !
                Et puis c'est tout. L'Abbé, ou alors le Président en
                fonction si l'Abbé est absent, donne la bénédiction. Et
                on commence la Lecture. Donc, ça se ferait aux Lectures
                de l'Office de Nuit, aux Lectures de Laudes et de
                Vêpres, et au réfectoire. Il y a chaque fois une
                bénédiction correspondante. Et alors au réfectoire, quelque chose qui était à
                l'honneur, surtout dans notre Ordre depuis l'origine,
                lorsque à la fin du dîner on termine l'oraison, l'Abbé
                lance aussi une petite imploration en faveur des défunts
                : Que par la miséricorde de Dieu, les fidèles défunts
                reposent dans la Paix. Encore une chose qu'on a laissé
                tomber. Ils ont tout de même bien droit eux aussi aux
                miettes de notre table spirituelle, ces frères que nous
                avons connu. Qu'est-ce qu'une bénédiction ? Vous comprenez bien que
                s'il Fallait expliquer ça au long et au large, ça
                prendrait beaucoup de temps. Mais enfin, pour ce qui
                regarde ces Lectures, je veux simplement rappeler ceci :
                La bénédiction, c'est un souhait, c'est un appel, c'est
                une prière, c'est lancer vers Dieu. Et on demande, nous
                demandons que l'acte que nous allons poser soit inséré à
                sa place dans le plan divin, qu'il devienne ainsi le
                véhicule d'une grâce de lumière et de force. Si bien que la Lecture, dans le chef du Lecteur, et
                aussi et surtout dans celui des auditeurs, est soustrait
                à l'usage profane et il est sacralisé. C'est très
                important car ça nous situe à notre véritable place dans
                le monastère, dans l'Eglise. Et ça nous fait redécouvrir
                ce qu'est la vie contemplative. J'aurais peut-être
                l'occasion de dire quelques mots à ce sujet demain. Je
                ne le fais pas aujourd'hui ! Les Lectures, eh bien elles sont de trois sortes. Il y
                a d'abord l'à l'Office la Parole de Dieu que nous
                écoutons. Or, Saint Benoît nous dit que ces pages de
                l'Ancien et du Nouveau Testament sont rectissima
                  norma vitae humanae, 73,3. Elles sont la norme la
                plus droite c'est un superlatif - de la vie ou pour la
                vie de l'homme. Ces paroles nous disent toujours où nous sommes, ce que
                nous devons faire, ce qu'on attend de nous. Elles nous
                remettent le dos au mur. Elles nous empêchent de nous
                tromper. Elles nous resituent, elles nous implantent
                dans la vérité de notre être vis à vis de Dieu, vis à
                vis de nos frères, et vis à vis de nous-mêmes. Et si nous sommes dans la vérité, alors nous sommes,
                nous respirons dans l'amour et nous nous épanouissons
                dans la beauté, et notre coeur s'installe dans la paix.
                Or tout cela, la Parole de Dieu nous l'apporte. Il est
                donc important qu'à ce moment-là nous demandions à Dieu
                de nous mettre dans les dispositions requises pour
                accueillir cette Parole. Voilà le sens de la bénédiction
                ! C'est une prière, c'est un appel ! Il Y a aussi les commentaires de cette Parole par des
                Docteurs, par des interprètes autorisés dit Saint
                Benoît. Alors les commentaires, les explications que
                nous donnent les Pères de l'Eglise. Saint Benoît dit :
                  recto cursu perveniamus ad Creatorem nostrum, 73,4.
                Alors grâce à eux, eh bien, nous pourrons par une course
                directe arriver chez notre Créateur. Il est possible que nous ne comprenions pas trop bien
                cette Parole de Dieu. Eux sont comme des appareils qui
                écartent notre surdité spirituelle, et qui nous
                permettent d'entendre et de comprendre. Et puis alors
                notre ardeur est attisée, elle est excitée à nouveau et
                nous courons tout droit vers Dieu qui nous attend, et
                qui nous appelle. Il y a encore une autre sorte de Lecture, c'est plutôt
                pour le réfectoire. Ce sont des lectures d'édification,
                des lectures d'instruction de toutes les sortes. Saint
                Benoît en parle aussi et il dit : Ce sont des
                  instrumenta virtutum, 73,6. Ce sont des outils que
                Dieu met entre nos mains, entre les mains des moines qui
                veulent vivre convenablement leur vie monastique et être
                des moines qui obéissent à Dieu. Des outils de vertu,
                dit-il, instrumenta virtutum. Vous comprenez encore ici, mes frères, qu'il est
                important de demander à Dieu de nous mettre dans les
                dispositions requises pour être de bons apprentis qui
                sauront manier ces outils. Et alors, des hommes qui
                auront les oreilles nettoyées. De temps en temps, vous
                le savez, on a de petits troubles dans les oreilles. Il
                est bon de les rincer. Et voilà, c'est cela le rôle de
                la bénédiction ! Ce sera donc de nous ouvrir, d'ouvrir
                nos coeurs à l'intelligence spirituelle. Mais il va de soi que nous devons croire. Nous devons
                croire à la réalité et à l'efficacité de la réponse de
                Dieu. Si nous l'invoquons, il nous répond ! La vie
                monastique, elle ne se comprend et elle ne se vit que
                dans un contexte de Foi, autrement tout cela paraît
                baroque, ça parait étrange, ça parait déplacé, ça parait
                désuet. En réalité, demandons-nous si ce n'est pas notre
                Foi qui devient un peu bancale. C'est le moment de la
                raviver. Et ce sera, je pense, en l'honneur de Saint
                Benoît un petit cadeau que nous lui ferons à l'occasion
                de son 1500° anniversaire. Chapitre : L’oblation de l’encens. 23.12.80Mes Frères, A partir des premières Vêpres de la Noël,
                nous allons redonner vie à un rite dont l'origine se
                perd dans la nuit des temps. L'intention avait déjà été
                de le remettre en vigueur à l'occasion des Solennités
                Pascales. Mais à ce moment la communauté était fauchée
                par une grippe infectieuse et il a fallu y renoncer. Le moment semble propice aujourd'hui. A ce moment là, à
                Pâques, j'avais déjà brièvement dégagé le sens mystique
                et spirituel de ce geste - Chapitre du 3 Janvier 1980
                Mais cette signification est tellement profonde,
                tellement belle, que j'ai demandé au Frère Gilbert de
                nous en parler après la nouvelle année. Cela lui prendra
                quelques séances s'il veut aller jusqu'au fond des
                choses. Mais à mon avis, c'est très important ! Comme je l'ai encore dit hier soir, il nous manque
                cette formation liturgique de base. Nous n'en pouvons
                rien, c'était ainsi. Mais nous devons maintenant essayer
                d'y pénétrer et de découvrir la possibilité de lire,
                d'interpréter ce que nous faisons. Ce geste que nous allons remettre en vigueur, c'est
                celui de l'oblation de l'encens avant le Magnificat des
                Vêpres. Dans la liturgie latine ancienne, que nous avons
                encore connue, il en restait un organe témoin. C'était
                le verset qu'on chantait juste avant le Magnificat :
                  Que ma prière s'élève devant toi comme un encens,
                  comme l'encens du soir. Comme l'encens que l'on
                offrait au Temple de Jérusalem, chaque jour au soir. C'est à cette occasion - nous l'avons encore entendu
                lire il n'y a pas longtemps, il y a quelques jours - que
                Zacharie qui s'acquittait de cette fonction, a entendu,
                a vu l'ange qui lui annonçait la naissance de ce fils
                qui devait s'appeler Jean. Ces geste que nous posons ne sont accessibles qu'à une
                condition : c'est que nous soyons vraiment des moines,
                c'est à dire des hommes, des contemplatifs qui vivent
                habituellement et consciemment dans le monde de Dieu. A
                travers l'apparence sensible des choses et des
                événements, ils voient Dieu lui-même, le Créateur qui
                travaille. Le Christ disait : Mon Père est toujours au
                travail Lui, le Christ, le voyait toujours travailler.
                Et il était le premier collaborateur de Dieu, puisque
                c'est par le Verbe de Dieu que le Père travaille. Le contemplatif voit donc Dieu dans son oeuvre de
                création, de rédemption et de transfiguration de tout
                l'univers. Il parvient donc à déchiffrer le sens des
                événements dans leur poids d'éternité. Il contemple
                aussi au travail, les auxiliaires de Dieu. Et les
                auxiliaires de Dieu, ce sont les anges et les saints. Ce
                ne sont pas des disparus, ni des abstractions, pour un
                contemplatif. Non, il les voie et il entre dans ce,
                disons cette chorégraphie, car ce n'est que cela. Le moine y entre. Il est dans la compagnie de ceux qui
                sont déjà, vraiment, entièrement auprès de Dieu.
                L'ensemble forme l'univers total. Appelons-le le Corps
                du Christ, qui va transparaître par sa Lumière à travers
                toute la matière jusqu'au jour où Dieu sera vraiment
                tout en toute chose, partout. Le contemplatif, lui, vit déjà consciemment dans ce
                monde. Cela ne veut pas dire qu'il le voit aussi
                clairement qu'un saint qui est déjà passé, disons de
                l'autre côté, sur l'autre rive. Mais il le perçoit déjà.
                  In enigmate dit Saint Paul. Il le voit comme...ce
                n'est pas en énigme, il ne faut pas le traduire ainsi.
                Mais disons il le perçoit ! Voilà, disons ça ! Ce sont
                ses vertus théologales : Foi, Espérance et Charité qui
                sont les organes de préhension de cet univers. Le moine
                sera donc un attentif, un éveillé. C'est ainsi qu'on
                l'appelle dès les origines. Les gestes liturgiques auront comme objectif premier
                d'exprimer la contemplation et raviver l'attention. Il
                ne faut pas que l'homme s'endorme, car il y a toujours
                l’opacité de la chair entre lui et l'univers de Dieu. Il
                ne faut pas que la chair - ce poids-là - devienne
                tellement lourde et tellement attirante ! Car la chair
                est belle ! Et la chair est la source de beaucoup de
                plaisirs, de beaucoup de satisfactions. Il ne faut pas que le poids de la chair l'empêche de
                vivre dans cet univers de Dieu qui est à la Fois divin
                et charnel, les deux ensembles. Il va donc sans cesse
                raviver son attention par des gestes liturgiques qui
                relèvent du monde du symbole, mais qui devront aussi
                être compris et interprétés. Cette oblation de l'encens est un rite symbolique très
                beau, d'une grande importance. Mais je ne vais pas
                l'expliquer. Je vais laisser ça au Frère Gilbert.
                Maintenant on n'a pas le temps. Ce serait trop rapide ! Mais voyons déjà que l'autel, la croix derrière
                l'autel, et l'assemblée forment un tout indissociable.
                C'est un ensemble. Les trois sont toujours unis. Et
                l'assemblée qui est là, ce n'est pas une assemblée
                regardante. Vous savez que lorsqu'il y avait des
                concours de cartes dans les campagnes, on affichait :
                  les rwètants n'ont rin à dire ! Ceux qui regardent
                ne peuvent rien dire. Ce n'est pas ça dans une assemblée
                liturgique du type de la nôtre, ni surtout dans cette
                oblation de l'encens. L'assemblée est active. Et voici comme le rite se déploie : après la lecture de
                l'Ecriture, il y a un silence. Au signal, après le
                silence, tout le monde se lève. L'Abbé revêt l'étole et
                monte à l'autel accompagné du thuriféraire. L'assemblée
                se tient debout en cérémonie, et elle reste debout en
                cérémonie jusqu'à la fin. Il y a imposition de l'encens
                et bénédiction à haute voix. Une bénédiction chantée, la
                bénédiction classique à laquelle tout le monde répond.
                Le choeur répond : Amen. Et ici, je dois faire une petite remarque. Je l'observe
                : c'est que en pratique l'assemblée répond : pas du tout
                !!! On entend un tout petit bazar. Déjà à la messe, à
                l'eucharistie quand on est premier célébrant : disons
                qu'il y en a deux, trois qui répondent et les autres
                laissent répondre. Ce n ',est pas ça une assemblée
                liturgique ! Il y a des Amen. Il y a que le Seigneur
                soit avec ton esprit...cela veut dire qu'il
                t'inspire ce que tu dois dire, qu'il t'aide à bien
                remplir ta fonction. L'Amen doit sonner ! Il y a, ici, des hommes qui ont de la voix. Il y a des
                chantres. Il y en a qui ne sont pas chantres mais qui
                ont de la voix...ça doit sonner, il faut qu'il y ait un
                accord. La réponse, c'est un acte de Foi. Quand on ne
                répond pas, on signifie qu'on n'y croit pas. On est là
                parce qu'il faut bien. On ne peut pas faire autrement.
                On ne peut pas se faire remarquer par son absence. Non,
                il faut répondre la réponse. C'est un acte de FOI ! Il y a donc une réponse : Amen. Puis l'encensement
                proprement dit : la croix, l'autel et puis l'assemblée.
                Pendant ce temps, le chantre qui est descendu dans le
                bas choeur lance un verset qui est repris. Il y a alors
                une petite psalmodie, et le verset est toujours repris
                jusqu'à la fin du rite. Lorsqu'il est terminé, du moins l'encensement
                proprement dit, l'Abbé dépose l'encensoir sur l'autel,
                l'autel qui a été orné. Depuis le début des Vêpres, il y
                a des cierges allumés. La croix est rapprochée contre
                l'autel pour bien marquer qu'on forme un ensemble. Et
                l'encensoir reste là pendant le chant du Magnificat qui
                est entonné dès que l'Abbé est revenu àsa place et qu'il
                a enlevé l'étole. Le Chantre étant toujours en bas. Lorsque nous serons un peu rodés, en plus du chantre,
                ce sera aussi une petite schola. Ce sera alors un peu
                plus étoffé. A l'occasion de ces premières Vêpres, nous
                allons en même temps pour la première fois bénir le
                lecteur. Donc, nous allons tout inaugurer demain.
                Peutêtre bien qu'au début, il y aura un petit oubli ici
                ou là ? Il ne faut pas le prendre au tragique. Mais
                comme le moine doit être attentif, espérons que, ce
                petit incident ne se produira pas ? Temps de Noël : Messe de Minuit. 25.12.801. Introduction à la célébration :Mes Frères et mes amis,Réunis cette nuit en cette église de Saint Remy, je
                vous invite à partager la joie de la création entière.
                Vous l'avez entendu, l'histoire a un sens. Elle est
                dirigée, elle est orientée vers une plénitude, vers un
                accomplissement, un achèvement, vers l'heure où Dieu
                grâce à l'Incarnation de son Verbe sera tout en tout, où
                le cosmos sans rien excepter sera pure luminescence de
                la gloire de notre Dieu. Réjouissons-nous, mes frères, car nous avons notre
                place dans cette oeuvre de Dieu. Nous sommes déjà à
                notre tour appelés Fils de Dieu. Nous sommes appelés et
                nous sommes Fils de Dieu en vérité ! L'étincelle de la
                divinité est déposée en nous et elle ne demande qu'à
                percer notre chair pour illuminer, comme une petite
                étoile, l'univers. Ecartons de notre coeur tout ce qui ne serait pas en
                harmonie avec la grâce de cette nuit. Nos errements, nos
                péchés, prenons-les et jetons-les dans la fournaise de
                la miséricorde de Dieu. 2. Homélie :Mes Frères,En ouvrant cette Eucharistie, je faisais allusion au
                plan de Dieu et à la place qu'il nous avait réservée. Il
                me semble que cette Nuit bénie pourrait être ainsi
                l'occasion de nous interroger sur notre identité, de
                nous demander ce que nous sommes venus faire dans ce
                monastère ? Certes, une multitude de réponses pourraient être
                avancées ! Mais cette Nuit, il en est une, à mon avis,
                qui s'impose : le moine est un homme dévoré par le désir
                de voir le Christ Sauveur, Verbe de Dieu, né dans la
                mystérieuse obscurité d'une Nuit sans pareille, Verbe de
                Dieu naissant encore à tout moment dans le secret des
                coeurs affamés de lumière et de vie. Voir le Christ, c'est avoir transcendé les affres de la
                mort et être entré en possession de la vie impérissable.
                Voir le Christ ? Mais comment est-ce possible ? N'est-ce
                pas douce folie ? A cela je répondrai qu'il n'est pas de
                folie qu'un homme possédé par l'amour ne soit prêt à
                courir. Mais qu'est-ce que l'Amour ? Aimer, c'est vivre hors de soi, c'est vivre pour
                l'autre et dans l'autre. A la limite, c'est se perdre
                dans l'autre jusqu'à devenir avec lui un seul être. Je
                verrai donc le Christ lorsque je l'aimerai, lorsque je
                me serai perdu pour lui, lorsque je lui aurai laissé en
                moi toute la place au point que je serai devenu avec lui
                un seul esprit. Ce ne sera plus moi qui vivrai, c'est
                lui quivivra en moi. Alors, je le verrai... Toute notre ascèse, mes frères, consiste donc à
                permettre au Christ de naître en nous, de sorte que
                notre vie soit un Noël perpétuel et que nous soyons
                lumière, et origine, occasion de joie pour les hommes
                sans exception, croyants et non-croyants. Lumière ?
                C'est à dire présence de la vérité absolue et de
                l'éternité. Lumière, car humble révélation du salut
                universel. Cette vocation à la vision de Dieu, mes frères, elle
                n'est que la plénitude de l'appel lancé à tous les
                chrétiens, à tous ceux qui sont greffés plus
                profondément sur la personne du Christ. Notre
                rassemblement Eucharistique de cette Nuit, qui groupe
                les frères de Saint Remy, leurs hôtes, leurs amis, en
                rappelle l'évidence. Nous sommes tous appelés à cette
                vision du Christ. Soyons donc heureux et fiers d'être
                des chrétiens. A l'occasion de la Noël, on échange des voeux.
                Permettez-moi de formuler les miens. Ils seront très
                simples : Puisse aujourd'hui et tous les jours qui
                viendront notre lumière briller au regard de tous les
                hommes que nous rencontreront. Qu'elle brille dans notre
                regard, qu'elle brille dans notre conduite, qu'elle
                manifeste la présence du Christ Amour, qu'elle soit
                l'expression de notre attente, de notre espérance et
                qu'elle apporte à tous joie et réconfort. Qu'elle soit
                aussi pour la gloire de notre grand Dieu et Sauveur
                Jésus Christ. Et qu'elle soit pour nous la certitude que
                bientôt nous aurons la joie de le voir.Amen. Temps de Noël : Messe du jour. 25.12.80*1. Introduction à la célébration :Mes frères,Par la naissance merveilleuse du Christ en nos coeurs,
                nous devenons Fils de la Lumière. Pourtant nous le
                savons, il subsiste en nous bien des recoins ténébreux
                qui portent nom : égoïsme et péché. Etalons-les en
                présence du Seigneur ! Il les voie, il les comprend car
                il a voulu revêtir la faiblesse de notre nature.Implorons sa miséricorde, et avec confiance entrons dans
              la célébration de cette Eucharistie. 2. Homélie :Mes Frères,La solennité de Noël arrive à son midi. Rien d'étonnant
                donc si on nous parle encore de lumière, de visions et
                de paix. Le Christ nous apparaît maintenant dans le
                poids redoutable et fascinant de sa divinité. Et
                pourtant, si nous avons pris attention à ce que nous
                disait l'Apôtre, nous percevons déjà les prodromes de la
                résistance qu'il allait rencontrer, qu'il rencontre
                encore hélas aujourd'hui, qu'il rencontrera toujours. L'homme est à ce point malade qu'il ne peut supporter
                longtemps la présence de ce qui devrait le combler.
                L'Apôtre se permet trois coups de pinceau extrêmement
                discrets mais qui suffisent pour distiller l'inquiétude
                et laisser présager le drame. Pour le comprendre, nous
                devrions savoir ce qu'est la Lumière véritable dont il
                nous parle. Pour le savoir, il faudrait que nous soyons nous-mêmes
                devenus Lumière. Il faudrait qu'elle nous habite,
                qu'elle rayonne de nous, que nous la connaissions par
                l'intérieur d'ellemême. Mais enfin, contentons-nous
                d'une approche quelque peu cérébrale. La lumière, c'est le rayonnement de la divinité, la
                multiplicité infinie des énergies divines. Elle n'est
                pas distincte de l'être de Dieu. En un mot, elle est
                l'Amour dans sa vivifiante beauté. L'Apôtre contemple
                cette Lumière, au sein des ténèbres cosmiques, dans le
                monde des hommes, parmi les siens, ceux qu'elle avait
                préparé, qu'elle avait choisi pour en faire comme le nid
                dans lequel elle allait se reposer. Or, les ténèbres ne l'ont pas saisie. C'était à prévoir
                ! Quelle communion peut exister entre les ténèbres et la
                Lumière ? Aucune ! Les hommes ne l'ont pas connue. Oui,
                les hommes, ils ont des yeux pour ne pas voir. Et les
                siens ne l'ont pas reçue ! Il n'y a pas de place pour la
                Lumière dans les coeurs remplis d'eux-mêmes.
                Rappelez-vous ce que nous a dit cette nuit un autre
                Evangéliste : Il n'y avait pas de place pour eux ! Il
                n'y avait pas de place pour la Lumière ! Mes Frères, une question ? Et tout cela, ne
                s’agirait-il pas de moi, de vous, de chacun d'entre nous
                ? La Lumière est partout présente, mais elle brille avec
                une intensité particulière sur le visage de mon frère.
                C'est mon attitude face à mon frère qui me classe et qui
                me juge. Si j'accepte le frère, je m'ouvre à la Lumière.
                Elle m'envahit et me transfigure ; si je refuse mon
                frère, je chasse la Lumière. Elle me quitte et me voilà
                plongé dans les ténèbres. Et ainsi nous voyons se construire l'équation fatale.
                Nous voyons se mettre en route l'engrenage qui allait
                broyer dans ses dents le Christ, Lumière. Et cette
                équation, la voici : nous devrions toujours l'avoir
                présente devant nous : refus = expulsion = meurtre.
                Le même Apôtre sera clair lorsqu'il nous dira : Celui
                qui éprouve de l'aversion pour son frère, celui qui le
                chasse de son coeur, celui-là est un meurtrier, et il
                doit savoir que la vie de Dieu n'habite pas en lui et
                qu'il est installé dans la mort. Mes frères, efforçons-nous d'être comptés au nombre de
                ceux qui acceptent la Lumière. Et nous le serons si nous
                préparons dans notre coeur une place pour notre frère. A
                notre tour, nous serons appelés Fils de Dieu, car nous
                aurons été avec notre frère engendrés par l'Amour qui
                est Dieu. Et nos voeux, ceux que nous échangeons en ce jour de
                Noël, ils prendront tout leur sens. Ils signifieront une
                communion dans la même Vie qui est la Vie de Dieu et qui
                est l'Amour. Et nos voeux atteindront une efficacité qui
                portera jusqu'aux limites de l'infini.Amen. Temps de Noël : Fête de Saint Etienne. 26.12.80La non-violence.1. Introduction à l'Eucharistie.Mes frères,
 Le diacre Etienne a-t-il personnellement connu le
                Christ ? Personne ne nous le dit. Une chose est certaine
                : s'il ne l'a pas connu selon la chair, il l'a
                certainement connu selon l'Esprit. Et là, nous pouvons
                le rejoindre ! Malheureusement les yeux de notre coeur
                sont couverts de la taie du péché. Demandons au Seigneur
                de nous guérir ! Il le peut ! C'est pour les pécheurs
                qu'il est venu.2. Homélie. Mes frères,
 Quand je pense au martyr du diacre Saint Etienne, je ne
                puis m'empêcher de sentir l'odeur et le goût de la
                violence qui coule comme une lave volcanique partout
                dans le monde. Ses victimes ne se comptent plus. Cela
                descend au rang de fait divers. Et pourtant, chacune
                d'elle porte imprimée en elle le visage bafoué du
                Christ. Des cercles de plus en plus larges, surtout parmi les
                jeunes, découvrent que un des traits essentiels du
                Christianisme authentique est la non-violence, qui n'est
                pas impuissance douceâtre, résignée, mais qui est force,
                comble de force dans le refus catégorique de céder à la
                haine et à la vengeance. Le non-violent sait qu'il expose sa vie. Mais il sait
                aussi que la mort n'est pas le dernier mot d'une vie qui
                semblerait, au regard des hommes, s'abîmer dans l'échec.
                Non, dans ces conditions, la mort est le témoignage de
                l'amour invaincu qui est fusion dans l'être de Dieu et
                paradoxalement sauvetage des bourreaux. Le diacre Etienne qui voyait les cieux ouverts, qui
                contemplait la Lumière de Dieu et Jésus ressuscité
                debout dans la gloire, Etienne, il est le prototype du
                non-violent qui s'endort en Dieu sans le moindre
                sentiment de haine pour ses meurtriers. Mes frères, la non-violence, elle est aujourd'hui
                l'expression moderne de l'amour. Lorsqu'elle arrive à
                son sommet, à sa perfection, elle s'identifie à la
                sainteté. A ce moment, c'est le Christ qui revit son
                mystère de mort et de résurrection dans un homme, un
                homme qui s'est donné à lui sans réticence, qui n'a pas
                retiré sa confiance ni sa Foi. Saint Benoît fait de la
                non-violence le quatrième degré de son échelle
                d'humilité. Je ne vais pas entrer dans les détails. Je
                citerai simplement une toute petite expression, deux
                mots : tacita conscientia, 7,35. Le moine humble, c'est à dire le moine vrai, lorsqu'il
                est victime d'une injustice ou d'une agression, impose
                le silence au déchaînement des pensées et aux mouvements
                de révolte. Il va même plus loin. Il prend sur lui
                l'inconscience ou le péché de l'autre. Il le prend sur
                lui pour l'expier à sa place. Et ainsi, il imite son
                Sauveur, le Christ, auquel il s'est donné. Mes frères, le martyre de Saint Etienne nous interpelle
                puissamment. N'allons pas nous boucher les oreilles,
                sinon nous signerions que nous sommes du côté des
                bourreaux. Mais plutôt, apprenons à contrôler nos
                réactions et à suivre le Christ en faisant nôtre le
                petit conseil de Saint Benoît qui dit : caritatem non
                  derelinquere, 4,26. Ne jamais abandonner la
                charité, cet amour qui nous rend l'autre plus cher que
                nous-mêmes.Et alors, nous serons vraiment des disciples du Christ,
              des Fils de Dieu et des porteurs de Lumière. Amen.
 Temps de Noël : Fête de Saint Jean. 27.12.80Il vit et il crut !1. Introduction à la célébration.Mes frères,
 L'Apôtre Saint Jean, c'est pour nous d'abord, son
                Evangile et ses lettres dans lesquelles il nous révèle
                que Dieu est Amour. C'est tellement beau que nous osons
                à peine y croire. Avant d'entrer dans cette Eucharistie,
                demandons au Seigneur Jésus, lui l'éternellement jeune,
                de nous fortifier, de nous donner l'audace de croire.2. Homélie. Mes frères,
 S'il est une violence qui conduit à la mort et les
                victimes et les bourreaux, il en est une autre qui
                débouche sur la communion et sur la vie. La première
                emprunte le chemin de la facilité. Elle frappe, elle
                tue, elle détruit, elle saccage, autant de signes d'une
                indéniable faiblesse. La seconde se glisse par les sentiers étroits qui porte
                nom : patience, endurance, souffrance. Elle témoigne
                d'une force peut commune, d'une force qui lui vient
                d'ailleurs. L'Apôtre Jean est le premier à avoir exploré
                ces régions nouvelles. Les puissances d'agressivité qui
                vivaient en lui, il les dirigeait comme d'instinct vers
                des objets qui lui étaient extérieurs. Rappelons-nous le
                feu du ciel sur les Samaritains, ses intrigues pour
                souffler aux autres Apôtres la première place. Puis, dans une seconde partie de sa vie, à partir d'un
                moment bien précis, cette agressivité, il la dirige vers
                un objectif valable cette fois, la forteresse d’égoïsme
                qui lui barre l!accès à la vie véritable. Les deux
                versants de sa vie ont basculé et se sont inversés à
                l'instant où il vit et il crut ! Jean était le seul parmi les Apôtres à avoir été le
                témoin de la mort du Christ et du constat de décès
                dressé par le soldat qui avait d'un coup de lance ouvert
                la poitrine du Christ. Et c'est le même Jean qui, le
                premier dans le tombeau vide, crut à la résurrection du
                Christ, et comprit. En un éclair, tout prenait sens pour
                lui et les paroles, et les actes au Christ, et
                l'histoire du monde, et son destin personnel à lui... Il lui faudrait des années pour creuser cette
                découverte. Et au terme de sa vie, il ne pouvait plus
                s’empêcher de nous en livrer le secret et la grille
                d'interprétation. Il nous disait que Dieu est Lumière,
                Dieu est communion, Dieu est Vie, Dieu est Amour. Et
                tous ces trésors qui dépassent nos facultés
                d'appréhension et de compréhension, ils sont tous
                enfermés en la Personne du Christ Jésus ressuscité des
                morts. Et ils sont à notre disposition aujourd'hui
                encore... Le bouleversement chez Jean avait été spectaculaire !
                Il n'était plus question pour lui de disputer aux autres
                la première place, la meilleure, pour lui tout seul.
                Non, il n'avait plus qu'une préoccupation : partager
                avec tous la plénitude de sa joie... Mes frères, à la suite de Jean, avons-nous à notre tour
                expérimenté un ébranlement qui nous jette pour toujours
                hors de nous-mêmes ? Si oui, tout s'est écroulé en nous
                et autour de nous et il ne reste plus que pauvreté,
                oubli de soi, obéissance, silence. Et devant nous, sous
                nos yeux, s'est allumé une Lumière éblouissante,
                fascinante, la Lumière de Dieu. Et en nous commence à
                travailler une force, la force de l'Esprit qui nous fait
                nous lancer à l'assaut du Royaume de Dieu dans la troupe
                de ces violents que rien n'effraie ni ne rebute. Mes frères, c'est cela la vie contemplative ! Il faut
                oser mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui le
                plus vite possible, dès cette vie. Est-il donc
                irréalisable ce rêve de voir le Christ, de baigner en
                nous sa paix et sa joie, dans sa lumière, de recevoir
                tout ce qu'il nous a promis ? Mes frères, il faut oser partir, sans regarder en
                arrière, vers les terres où règne un seul Roi, Dieu, des
                terres où la Vie est la nourriture de chaque jour, des
                terres où il n'est plus possible que d'aimer, de vivre
                en communion les uns avec les autres, des terres où le
                voile entre ce que nous appelons l'au-delà et ce par de
                ça où nous vivons, ce voile insensiblement s'amenuise et
                se déchire.Mes frères, au départ de cette aventure prodigieuse, il
              n'y a rien qu'une chiquenaude : il vit et il crut,
              mais il faut le doigt de Dieu. Amen.
 Temps de Noël : Fête de la Sainte Famille. 28.12.80La Trinité.1. Introduction à l'Eucharistie.Mes frères,
 Le dimanche consacré à la Sainte Famille de Jésus,
                Marie et Joseph est une invitation à nous interroger sur
                les valeurs de communion dans le partage d'un même idéal
                ? L'idéal, pour nous, se concrétise dans une recherche
                persévérante de la volonté de Dieu. Nous allons renouveler nos forces, rafraîchir notre
                esprit en nous replongeant symboliquement dans l'eau de
                notre baptême. Et nous demanderons à Dieu de nous
                purifier des attaches désordonnées à nos petits vouloirs
                personnels.2. Homélie. Mes frères,
 L'épisode dont nous venons d'entendre la lecture aurait
                pu être écrit aujourd'hui. Que de familles arrachées à
                leur foyer par la persécution, par la guerre, par des
                événements, des catastrophes naturelles. Pensons à ce
                récent tremblement de terre dans le Sud de l'Italie. Ici, ce qui lance cette toute jeune famille sur les
                routes de l'exil, c'est la haine. Un homme a pris peur,
                un vieux tyran. Il a pourtant tout pour être satisfait.
                Il a le pouvoir, i1 a la faveurs des empereurs, il a
                l'argent, il a la réussite temporelle. Et pourtant il
                est habité par la peur parce qu'il ne connaît pas Dieu. Mes frères, nous devons prendre garde de ne pas nous
                retrouver dans la peau et dans l'âme de cet Hérode !
                Nous vivons parmi d'autres hommes. Nous vivons parmi des
                frères. Et il y a en chacun, sur le visage de chacun,
                une flamme, un éclair. C'est un reflet de la Face de cet
                enfant, de cet enfant qui était Dieu, qui a grandi, qui
                est devenu un homme, qui toute sa vie a été poursuivi,
                et qui finalement a succombé sur une croix. Mes frères, nous devons choisir. Nous serons cet homme.
                Nous le serons et comme lui nous grandirons en sagesse,
                en taille, en grâce devant Dieu notre Père et devant les
                hommes nos frères. Nous ne rendrons jamais l'injure pour
                l'injure, ni le mal pour le mal. Mais nous accepterons
                tout et nous le dissoudrons dans la fournaise d'amour
                qui est l'Esprit et qui nous habite. Et ainsi, nous
                deviendrons le coeur d'une Famille. Nous aurons avec
                nous des hommes et des femmes, dispersés dans le monde,
                dans l'invisible. Car la Famille de Dieu, aujourd'hui,
                elle s'étend à l'humanité entière. Et à partir de nous se répandent des rayons de cet
                amour qui soudait entre eux Jésus, Joseph et Marie. Et
                ainsi de proche en proche se répandra, s'étendra le
                Royaume de Dieu. L'exemplaire type de cette Famille que
                Dieu veut édifier, c'est la Trinité. Vous avez le Père. Vous avez un élément qu'on peut
                qualifier de féminin, qui est l'Esprit ou l'Amour.
                Rappelons qu'en langue Hébraïque, le mot Esprit est du
                genre féminin. Tout ça s'est perdu dans nos langages à
                nous. Et puis il y a le Fils. A partir de là, nous avons notre propre personne qui
                partage cette vie Trinitaire. La part masculine qui est
                en nous, qui sera pour affronter les difficultés, pour
                les vaincre, pour ne jamais se laisser écraser par le
                mal.Et puis il y a notre part de féminité qui sera tendresse,
              qui sera accueil, qui sera ouverture, et qui saura donner
              sa vie pour les autres. Mes frères, la Famille, nous la portons d'abord en
                nous. Et puis nous l'étendons à nos proches. Et à partir
                de là, nous l'étendons à tous les frères. Essayons
                aujourd'hui d'avoir cet idéal devant les yeux, de le
                porter en nous, de le faire grandir pour qu'il se
                réalise. Telle est la volonté de Dieu. En elle nous
                devons nous perdre. Ce sera le salut du monde et notre
                propre résurrection.Amen. Partage du Chapitre Général : Moines ? 28.12.80*1. Rapport Anglo-Américain.Mes frères,Dans sa lettre Pascale, le Père Abbé Général nous
                demandait si comme objectif premier de notre recherche
                spirituelle nous placions la prière continuelle ? Il
                nous demandait si toutes nos forces étaient polarisées
                vers cet idéal ? Et il constatait que l'aspect
                contemplatif de notre vie n'était pas suffisamment mis
                en relief. Trois groupes d’Abbés se sont interrogés à ce sujet au
                Chapitre Général : deux de langue Anglaise et un de
                langue Française. Je vais commencer aujourd'hui par vous
                faire part de leurs conclusions. Elles sont très
                intéressantes et nous sentons que c'est un problème qui
                agite bien des esprits aujourd'hui. Et pas seulement
                dans le monde des jeunes, mais aussi chez les anciens
                car ça remet en question l'enseignement qu'ils ont reçu
                lorsqu'ils étaient encore jeunes... D'abord le premier groupe Anglais, de langue Anglaise
                plutôt, donc Anglo-Américain. Je reconnais les
                réflexions et le style d'un Abbé Américain dont je vous
                ai parlé, c'est l'Abbé de Mepkin, qui était vraiment un
                homme qui sort de l'ordinaire. C'est un enthousiaste,
                malgré son âge car il est déjà loin dans les soixante.
                Ils commencent par constater un fait qui est au fond une
                lapalissade....La raison d'être d'un Ordre contemplatif, c'est de
              former des contemplatifs... Hors de cela on peut le supprimer ! Que fait-il dans
                l'Eglise ? Que fait-il sur terre ? RIEN ! Il manque son
                but ! Première constatation donc. Et ils posent la
                question :...Pourquoi existerait-il ?
 Voyez, c'est clair, c'est net ! Mais encore une fois
                c'est une lapalissade tellement c'est évident. Pourtant,
                il y en a encore aujourd'hui qui le conteste. Qu'ils
                aillent dans un autre Ordre alors qui n'est pas
                contemplatif. Il n'en manque pas dans l'Eglise....C'est l'Eglise qui appelle les Ordres contemplatifs à
              cette mission. Pourquoi ? Mais parce que le contemplatif est
                indispensable et à l'Eglise, et au monde. Il est sur la
                terre présence vivante du Royaume de Dieu. Il ne faut
                pas l'oublier ! Le contemplatif est un homme qui, comme
                Saint Etienne à l'heure de son martyr, voit le ciel
                ouvert. Il contemple la Lumière de Dieu, il voit le
                Christ ressuscité. Et cette Lumière qu'il voit, il la
                capte, il la reçoit en lui et il la disperse dans le
                monde. Il est comme ces miroirs paraboliques qu'on
                rencontre maintenant le long des routes à certains
                endroits, et qui captent l'énergie solaire. Puis qui
                renvoient cette énergie électromagnétique qui transporte
                tout : et les sons, et les images, et la vie. C'est cela le contemplatif ! Si l'humanité en était
                privée, elle dépérirait ! Elle retournerait au stade de
                l'animalité, et du végétal, et du minéral, ce serait
                fini ! L'évolution vers la transfiguration du cosmos en
                Dieu serait bloquée et la régression s'amorcerait.
                Naturellement Dieu prend bien garde qu'il y ai sur terre
                toujours des contemplatifs. Mais s'il y a des Ordres
                Contemplatifs, c'est pour former des gens à cela, à
                cette mission. Le contemplatif aussi, il est Amour puisque ce n'est
                plus lui qui vit, que c'est le Christ qui vit de plus en
                plus en lui. Dans sa chair s'établit un contact direct,
                immédiat avec le divin, avec le monde de Dieu, sans
                intermédiaire. C'est l'incarnation de Dieu qui se
                poursuit dans un homme, dans des hommes puisqu'il n'yen
                a pas qu'un seul sur la terre ! Il y a donc là une réalisation nouvelle du plan de Dieu
                qui veut que l'homme soit un être divinisé, rayonnement
                et révélation d'amour pour les autres. Et ainsi de
                proche en proche dans l'invisible, cette vie divine, cet
                amour se communique, se transmet....Le contemplatif est aussi un point où se concentre la
              force de gravitation spirituelle sans laquelle le cosmos
              se disloquerait... Il Y a là une force ! Voyez la gravitation ! C'est cela
                qui tient les êtres les uns à côté des autres, qui fait
                que l'univers soit une harmonie, soit un chant et une
                beauté. Si cette force de gravitation universelle vient
                à se dissoudre, mais encore une fois, tout disparaît,
                tout s'écroule. Dans le monde de Dieu, le contemplatif, il concentre en
                lui cette force de gravitation, et tout gravite autour
                de lui. Ce qui ne veut pas dire qu'il est égocentrique ?
                Non, mais c'est Dieu qui vit en lui. Or, tout gravite
                autour de Dieu. Il est indispensable que l'incarnation
                de Dieu s'achève, se poursuive, s'accomplisse. Mais
                c'est du réel, cette incarnation ! C'est dans des êtres
                de chair ! Or c'est cela une des missions du
                contemplatif ! Repose donc sur chacun d'entre nous, et sur les
                communautés comme telles, et sur les Ordres
                contemplatifs, une lourde responsabilité. C'est cela que
                les Abbés ont redécouvert en y réfléchissant. Et c'est
                cela qu'ils demandent qu'on transmette à tous les
                membres de l'Ordre....Le contemplatif développement... Cela veut dire que est également un homme toujours en voie
              de
 sa capacité pneumatique spirituelle se dilate à
                l'infini. Sa divinisation n'est jamais terminée car il
                doit recevoir en lui la plénitude de Dieu. Son organisme
                se dilate toujours et ce sera ainsi toute l'éternité. A
                tel point qu'un homme qui expérimente ce fait, il a
                l'impression d'être toujours au début de sa vie. Il lui
                semble toujours commencer. Il est fasciné par ce qui est
                devant lui ; et au fur et à mesure qu'il avance, il
                oublie ce qui est derrière. C'est l'expérience de Saint Paul qui dit : Oubliant ce
                qui est derrière, moi, je cours en avant vers ce que je
                vois, qui est Dieu, qui est la Trinité. Et c'est ainsi
                que cet homme demeure éternellement jeune ! Et
                l'humilité, c'est cela ! Nous autres, nous voyons plus
                facilement l'humilité du côté humain, ce qui apparemment
                nous empêche, ce qui cause souffrance, ce qui cause
                difficulté. Mais en réalité, l'humilité, c'est quelque chose de
                positif. C'est cette éternelle jeunesse qui fait que
                nous ne nous retournons jamais sur nous. Il n'y a pas de
                retour sur nous. Non, nous sommes toujours tendus vers
                ce qui arrive, vers l'avant. Et je vais vous citer, ici,
                deux petits apophtegmes pour illustrer cela. Je les ai
                lus il y a quelques jours. Et ça m'est revenu lorsque je
                relisais ce rapport Anglo-Américain. Ils sont attribués à un certain Abba Sisoès. Sisoès,
                est un nom qui signifie  la fleur. Il faut voir
                un bourgeon qui s'ouvre. Il y a une belle fleur bien
                colorée, bien odorante qui s'ouvre. Voilà ce non Sisoès....Un frère interrogea Abba Sisoès, disant : Comment
                as-tu abandonné Scété ( le désert de Scété) étant avec
                Abba Or, et es-tu venu demeurer ici ? Sisoès, la fleur, le bourgeon qui s'ouvre, vivait à
                Scété en compagnie de l'Abba Or. Or, Or veut dire
                lumière. Voyez les deux ! Vous avez l'Abbé qui était la
                Lumière, et son disciple qui était la fleur. Il a
                abandonné Scété pour venir sur la montagne de Saint
                Antoine. Donc voyez un peu, il a voyagé du sud
                d'Alexandrie à la mer Rouge. Il a traversé le désert....Alors le vieillard dit : Au moment où Scété commença
                à être fréquenté... C'est à dire où les gens du monde commençaient à venir à
              Scété pour voir ce qu'il s'y passait et pour demander
              toutes sortes de conseils. Alors dit Sisoès :
 ...alors j'ai entendu dire qu'Antoine était mort. Et
                  je me suis levé et je suis venu ici sur la montagne.
                  Et trouvant le lieu paisible, je me suis assis un
                  petit peu....Le frère lui dit : Depuis combien de temps es-tu
                  ici ? Le vieillard lui dit : Depuis 72 ans...
 Vous sentez la pointe ! C'est un petit peu ! Pour
                Sisoès, il est arrivé hier ! Je me suis assis un petit
                peu parce qu'il y faisait agréable. Puis quand on lui
                pose la question : Oui, mais ? Alors c'est depuis 72 ans
                que je suis assis ici. C'est cela, vous voyez, le
                contemplatif! Il ne sait plus. Il est éternellement
                jeune. Et il a dû quitter Abba Or à l'âge de 20 ans.Maintenant un second apophtegme. Il est là-bas sur la
              montagne d'Antoine: ...Abba Sisoès était assis un jour sur la montagne
                  d'Abba Antoine. Et son disciple tardant à venir, il ne
                  vit personne pendant 10 mois. Or, pendant qu'il
                  marchait dans la montagne, il rencontra un Pharanite
                  qui chassait des bêtes sauvages...Un Pharanite, c'est donc un habitant du désert de Phâran,
              ou de Pâran, comme on dit maintenant. ...Et le vieillard lui dit : D'où viens-tu ? Et
                  depuis combien de temps es-tu ici ? Il répondit : En
                  vérité, Abba, je suis sur cette montagne depuis 11
                  mois, et je n'ai vu personne que toi. Entendant cela,
                  le vieillard rentra dans sa cellule et se frappa la
                  poitrine en disant : Voilà Sisoès, tu as pensé que tu
                  avais fait quelque chose, mais tu n'es même pas arrivé
                  au niveau de ce séculier... Le séculier était seul dans la montagne depuis 11 mois,
                et Sisoès pensait avoir fait quelque chose parce qu'il
                était là seul depuis 10 mois.. .Voyez, c'est cela !
                Voilà le contemplatif....Ce qu'il y a aussi chez lui, c'est que les
              potentialités naturelles se développent à l'unisson de ses
              puissances spirituelles. C'est l'homme entier qui grandit en Dieu. Ce n'est pas
                seulement ce que nous appellerions son âme. Non, c'est
                tout son être à l'unisson. Si bien que cet homme
                retrouve une sorte de virginité Adamique. Je veux dire
                qu'il redevient ce qu'était le premier homme avant son
                péché. Adam est mort, après son péché, à l'âge de 930 ans,
                nous dit la Bible. S'il n'avait pas voulu faire sa vie
                suivant ses idées personnelles, s'il n'avait pas mangé
                du fruit défendu, s'il n'avait pas désobéi, il n'aurait
                pas connu la mort. Il serait toujours resté jeune. Cette
                virginité Adamique, c'est cette jeunesse éternelle
                retrouvée. Et les premiers moines dans leur simplicité espéraient
                retrouver cet état premier de l'homme. Et d'une certaine
                façon ils y arrivaient. Car, comme ce n'était plus eux
                qui vivaient, mais le Christ qui vivait en eux, ils
                retrouvaient l'éternelle jeunesse du Verbe de Dieu. Et
                ils étaient ainsi déjà parvenus au delà de la mort. Et
                c'était tout leur être ! Et c'est pour cela qu'on nous les représente, par
                exemple : On dira que Saint Antoine, au moment de sa
                mort à 120 ans - donc 3 X 40 comme Moise, trois fois
                arrivé au sommet de la perfection - donc à 120 ans, il
                n'avait pas perdu une seule dent. C'est par toutes
                petites choses ainsi qu'on essayait de signifier que
                voilà il était toujours jeune. Mais, elles étaient usées
                ! Il n'y avait que ça, car toutes étaient là !Alors, voilà ce que constatent encore nos Anglo-Saxons. Ce
              doit être Américain ceci : ...Nombre de moines ne paraissent pas permettre à leur
                dimension humaine et spirituelle de se développer. Ils
                sont "trappistes" pour les observances, et même
                anticontemplatifs… Donc, on a constaté ça ! Donc, c'est un fait ! Cela
                existe ! Cela doit peut-être bien exister aux
                Etats-Unis. Et peut-être bien, oui, encore dans les pays
                Anglo-Saxons, en Irlande par exemple. Je l'ai remarqué,
                parce que les Irlandais et les Anglais, mais surtout les
                Irlandais, sont contre le nom Trappiste. C'est pour eux
                quelque chose de ODIEUX, c'est le mot qu'ils utilisent. Pourquoi ? Parce que ça leur rappelle justement que les
                anciens Trappistes étaient anticontemplatifs. C'était un
                Ordre pénitent. On y entrait pour faire pénitence pour
                ses péchés. Et puis voilà, on essayait au moins d'entrer
                dans le Purgatoire, de ne pas aller en enfer. Et pour
                cela : souffrir, travailler, se Fatiguer du moins
                communautairement ! Parce que il est certain que
                derrière on se rattrapait de beaucoup de façon pour tout
                de même se faciliter et se rendre agréable la vie. Mais le résultat alors ? - Il y en a encore qui vivent
                comme ça maintenant - Le résultat, c'est qu'on ne permet
                pas aux dimensions humaines et spirituelles de se
                développer. Donc, on forme des hommes spirituels
                atrophiés et des êtres humains diminués, rabougris.
                C'est terrible cela !...Le nouveau style de vie cistercien n'est pas encore
                mis en place...
 Cela rejoint un peu ici la remarque du Père Abbé
                Général qu'on n'insiste pas suffisamment sur l'aspect
                contemplatif de notre vie. Nous ne sommes pas des
                cisterciens. Et quand on pense cisterciens, il faut voir
                Saint Bernard, ces premiers hommes de Cîteaux, ces
                saints ; ça c'étaient de vrais cisterciens ! Mais on en
                est encore loin ! On fera du cistercien, mais au plan historique,
                archéologique, mais on ne s'engage pas. En fait, on
                reste encore Trappiste dans le sens péjoratif du terme.
                Les nouvelles structures ne sont pas encore en place. Il
                faut donc que les hommes changent, qu'ils se
                convertissent. Alors ils disent :...Il faut enseigner la valeur de la vie contemplative à
              ceux qui viennent, aux nouveaux; et les aider à les
              assimiler en vue de l'engagement total de la personne. C'est la personne totale qui s'engage!
 ...Nous devons avoir de la souplesse. Et cela donne à
              l'Abbé et au Maître des novices un espace pour la
              recherche des valeurs contemplatives...
 Il ne faut donc pas vouloir à tout prix faire entrer
                tout le monde dans le même cadre préfabriqué, avoir une
                boite, et si je suis petit, je serai à l'aise dans la
                boite. Et si je suis plus grand, et bien je vais
                étouffer dans la boite. Non, que chacun soit libre de se développer humainement
                et spirituellement suivant ce qu'il est. Mais toujours
                dans la ligne contemplative de l'Ordre cistercien. C'est
                pour cela qu'il faut laisser à l'Abbé et au Maître des
                novices de la souplesse. La direction spirituelle, la
                formation spirituelle est personnalisée maintenant mais
                toujours dans la même ligne. ...Nous devons avoir une orientation qui procure aux
                hommes de larges horizons......Nous devons être franchement contemplatifs...Il faut de l'espace aux hommes ! C'est cela encore. Ils
                doivent être attirés par ce qui est en avant et non pas
                toujours être retenu, avoir une corde au cou. S'ils vont
                un peu trop vite, on les retire en arrière, on les
                étrangle, on les jette par terre ! Non, il faut de
                larges horizons, de l'espace où ils peuvent respirer,
                vivre spirituellement et humainement aussi. Les besoins
                de l'un ne sont pas les besoins de l'autre.
 Et écoutez ici ce qu'ils disent encore !
 ...Face aux courants actuels, si nous voulons être
              compétitifs à côté des voyages vers l'Orient...
 Et l'Orient, ici, il faut l'entendre dans un double
                sens : Il y a le Proche-Orient et il y a
                l'Extrême-Orient. Vous avez maintenant partout une vague
                de retour vers le Byzantinisme. Vous en voyez combien de
                jeunes, et de moins jeunes encore, qui viennent ici à
                notre église. Il suffit d'avoir l'oeil ouvert : vous les
                verrez, comme on dit, faire le signe de croix à l'envers
                au début de l'Office. Mais voilà, ce sont des garçons,
                des hommes qui ont été séduits par la spiritualité
                Orientale, Grecque, Russe, Slave... Pourquoi ? Parce que
                nous autres, nous n'avons plus rien à leur donner !
                C'est terrible, ça !!! Vous avez alors l'autre Orient, l’Extrême-Orient. Vous
                aurez des jeunes qui partent au Népal, dans l'Himalaya,
                aux frontières du Tibet. Dans le vrai Tibet, ils ne
                peuvent pas entrer parce que les Chinois sont là aux
                frontières. Mais enfin ils vont là. Et que
                deviennent-ils ? Ils deviennent Bouddhiste. Il y en a
                qui vont s'abreuver à la spiritualité Japonaise, du
                Zend, du Yoga. C’est bien, il y a une certaine
                discipline là-dedans ! Cela va bien, il y a une sorte
                d'ascèse à laquelle nous pouvons emprunter quelques
                éléments qui sont d'ailleurs présents dans notre
                spiritualité à nous mais un peu oubliés. Mais non, Pourquoi ? Mais parce que ici, il n'y a plus
                de contemplatifs. On n'en forme plus. On formera des
                cérébraux, des intellectuels, mais pas des hommes qui de
                tout leur être s'ouvrent à Dieu pour que Dieu puisse
                entrer en eux, les transformer ; qu'ils puissent, eux,
                voir Dieu et être des hommes achevés, parfaits. ils vont
                là pour devenir des spirituels Orientaux !...Les hommes ont faim de ce que nous pouvons offrir ! Et
              si nous creusions notre spiritualité monastique et
              cistercienne, nous serions franchement compétitifs... Mais hélas, il y a toujours chez nous une certaine
                peur. Il fut un temps où parler de contemplation ou de
                mystique suscitait non seulement le sourire, mais des
                ricanements dans les communautés cisterciennes. C’était
                à l’époque où on parlait de Trappiste. Et il n'y a pas
                tellement longtemps ! J'ai encore connu ça ici, chez
                l'un ou l'autre ancien, qui sont morts maintenant, et
                qui seraient plus que centenaires. Eh bien, c'est cela qui effraye les hommes, les jeunes
                aujourd'hui. Mais si nous sommes franchement
                contemplatifs, si dans toute notre vie nous pouvons nous
                présenter devant eux comme des hommes heureux, des
                hommes chrétiens, des hommes christifiés, des hommes qui
                croient et qui sont donnés à leur idéal, alors, il ne
                sera plus nécessaire de courir au Mont Athos, ou de
                courir en Roumanie, ou d'aller aux Indes pour trouver
                Dieu. Dieu est ici ! Voilà mes frères quelques petites conclusions
                préliminaires de ces Anglo-Américains. A une autre
                occasion, nous essayerons d'aller encore un peu plus
                loin. Vous voyez que la réflexion au Chapitre Général a
                tout de même été profonde. Mais ça, c'était très bien
                quand on était entre soi. Ce sont des hommes qui se
                réunissent, qui sont intéressés par la question et qui
                parlent. Temps de Noël : Oracle de Siméon. 29.12.80Amour ou aversion ?1. Introduction à l'Eucharistie :Mes frères, Demandons au Seigneur d'ouvrir nos coeurs
                aux largesses dont il veut nous enrichir à l'occasion de
                l'anniversaire de sa nativité. Et regrettons amèrement
                la débilité de notre conscience.2. Homélie : Mes Frères,
 Les paroles de Siméon séparent l'humanité en deux. Et
                ces paroles sont décisives comme toutes celles que Dieu
                lance dans le monde par la bouche de ses prophètes.
                L'Oracle de Siméon signifie ceci : Les hommes se jugent
                eux-mêmes à travers leur prise de position en présence
                du Christ Lumière du monde. Attention ! Soyons sur nos gardes ! N'allons pas
                imaginer qu'il est question ici d'opinion philosophique
                ou théologique comme s'il était simplement question de
                se situer, de se mouvoir au niveau de la réflexion ? Il
                s’agit bien d'autre chose. Et c'est l'Apôtre Jean qui
                nous donne une clef qui nous permet de comprendre. Et
                c'est extrêmement simple : Mon attitude face à mon frère met à nu les secrets de
                mon c œur ! Si j'aime mon frère, je suis dans la Lumière
                et la Vie de Dieu palpite en moi. Si j'ai de l'aversion
                pour mon frère, je suis dans les ténèbres et les
                puissances de mort dominent sur moi. Amour, Aversion ! Il ne s’agit pas de sentiments, mais
                de ce qui sort du c œur : pensées, gestes, actions dans
                le concret des relations quotidiennes. Et ceci vaut pour
                tous les hommes indistinctement, quelque soit le lieu où
                ils séjournent. C'est ainsi que le Christ compte des
                amis qui s'ignorent. Et il se trouve aussi de faux
                chrétiens, des menteurs, comme dit l'Apôtre. Et ici, nous retrouvons en Saint Jean la violence qui
                était au départ de son tempérament, qui n'a pas été
                annulée, mais qui s'est convertie et qui maintenant ne
                lui permet pas de transiger avec la vérité. Transiger
                serait trahir la Christ et occulter la Lumière. Jean est
                dur parce qu'il veut tirer les hommes de leur sommeil.
                Il voit de ses yeux, il est le témoin oculaire de ce que
                Siméon contemplait de loin : Le Christ présent parmi les
                hommes et le Christ signe de division. Mes frères, Saint Benoît nous dit que Dieu est patient
                avec nous. Il attend que nous le prenions au sérieux.
                Aujourd'hui encore dans cette liturgie, il nous parle
                ouvertement. L'entendrons-nous ? L'écouterons-nous ? Le
                moine est un neptique, un vigilant, un attentif, un
                éveillé. Sommes-nous des éveillés ? Est-ce que nous nous
                rendons compte que notre frère c'est le Christ et qu'il
                n'y a pas à en sortir ! Mon avenir éternel gravite autour du visage de mon
                frère. Ai-je les yeux ouverts pour reconnaître le Christ
                ? Et si je le reconnais, vais-je me dresser contre lui ?
                Que va-t-il sortir de mon cœur ? Ses secrets les plus
                personnels et les plus intimes, ils seront mis à nu, et
                sous le regard de Dieu, et sous le regard des autres
                aussi. Mes frères, dans un instant le Christ va nous nous unir
                à lui. Il va nous rassembler en un seul Corps, qui est
                le sien. Puisse-t-il maintenant nous plonger tous dans
                sa Lumière et nous y garder jusqu'à notre dernier
                souffle...Amen.
 Temps de Noël : Le message d’Anne. 30.12.80Homélie : Contemplatifs ?Mes frères,Anne parlait de l'Enfant à tous ceux qui attendaient la
                délivrance de Jérusalem. Elle était soulevée par
                l'enthousiasme de sa Foi, elle ne pouvait se contenir.
                Pour elle, c'était assez et c'était trop. Assez, car ses
                espérances les plus folles étaient comblées. Trop car
                son coeur était devenu petit, et il débordait. Elle
                devait partager sa joie., Il fallait que le plus grand
                nombre, tous si possible, entre dans la plénitude de
                cette joie. Mes frères, vous savez que le Chapitre Général s'est
                demandé si dans notre Ordre existait aujourd'hui de
                vrais contemplatifs ? Des contemplatifs authentiques ?
                Des hommes qui ont reçu un choc à la fois doux et
                terrible, un choc qui les a jetés à terre et rendus
                aveugle, un choc qui leur a donnés des yeux nouveaux qui
                maintenant regardent l'invisible. Tous voyaient un enfant de 6 semaines dans les bras de
                sa mère. Anne, seule, contemplait la Lumière du monde.
                Cette Lumière en laquelle sont cachés tous les trésors
                de la sagesse et de la connaissance. Tous voient un univers de matière, du vivant, de
                l'intelligible. Le contemplatif seul, admire la
                Jérusalem nouvelle, patiemment, amoureusement construite
                par le Créateur. Cette Jérusalem, l'épouse de l'Agneau,
                nimbée de gloire, immergée dans la Lumière. Mes Frères, notre capacité d'étonnement et
                d'émerveillement, elle qui fait les poètes et les
                contemplatifs, est-elle fraîche, juvénile, toujours
                neuve ? Est-elle adaptée, est-elle accordée à la
                Lumière, à l'enfance, à la transparence de cette ville :
                Jérusalem, cette cité de cristal, jeune de l'éternelle
                jeunesse de Dieu ? Le contemplatif est l'oeil lumineux
                du cosmos. Sans lui, Jérusalem ne serait pas éblouie par
                la beauté de son époux et elle ne se connaîtrait pas
                elle-même. Il est un tourment peu commun, c'est de voir
                des choses que personne ne voit, de se trouver désorbité
                par rapport aux autres, étranger, de plus en plus
                étranger. Le monde a ses lois qui s'appellent convoitises de la
                chair, convoitises des yeux, orgueil de la puissance. Le
                contemplatif était, hier, dominé par ces lois. Mais
                l'enfant, mort et ressuscité, l'en a délivré. Et
                lui-même devenant à son tour un enfant sait que
                désormais il est libéré pour toujours ! Mais malheur à
                lui ! Désormais encore il sera seul car il a perdu de
                vue le troupeau qu'il suivait. Mes Frères, des contemplatifs de cette trempe, s'en
                trouvent-ils encore dans nos monastères ? C'est là le
                secret de Dieu ! Mais une chose est certaine, si nous
                avons le courage de nous laisser vaincre par le Christ
                dans une joute d'amour, le courage de redevenir enfant,
                alors ce sera demain notre part. Bientôt, nous promet
                Saint Benoît !Amen. Temps de Noël : Le MEMRA de Dieu. 31.12.80Homélie :Mes frères,Nous devrions nous pencher longuement sur l'Hymne
                magnifique qu'est le Prologue de Saint Jean. Il faudrait
                l'ausculter de l'intérieur, être soi-même pure hymne à
                la louange de Dieu afin d'être consonance parfaite avec
                elle. Aujourd'hui, je voudrais me permettre de jeter un
                regard furtif mais combien respectueux et retenu sur les
                abîmes incandescents du mystère que Saint Jean ouvre
                aujourd'hui devant nous. Excusez-moi si je vais user
                d'images quelques peu insolites afin d'essayer d'évoquer
                ce que j'aurais un instant aperçu. Dieu vit. Et dans les profondeurs de Dieu, dans ses
                entrailles qui sont bonté, amour, tendresse, don de soi,
                partage, dans les entrailles de Dieu germe un projet,
                une pensée, une parole, un "memra". Je m'arrête à ce mot
                Araméen qu'utilisait certainement Saint Jean quand il
                s'exprimait dans sa langue maternelle. Il dérive d'une
                racine qui est tout un tableau, une scène vivante que
                nous devons laisser jouer en nous jusque dans notre
                musculature. Et cette racine esquisse un mouvement de bas en haut,
                une élévation, une ascension, une montée. Voyons donc ce
                "memra" qui germe au fond des entrailles de Dieu et qui
                monte. Il arrive à la hauteur du coeur, du coeur de
                Dieu. Et là, il se charge d'effluves qui sont les
                inimaginables énergies divines. Il monte encore. Le
                voici sur les lèvres de Dieu. Et il se répand au dehors
                en une vapeur qui devient l'ineffable beauté du cosmos. Oui mes frères, l'univers est un discours ordonné,
                équilibré, harmonieux que Dieu nous adresse, par lequel
                il nous dit quelques secret de son être mystérieux.
                Chaque créature, inanimée, vivante ou intelligente,
                porte en elle une étincelle de divin qu'est ce "memra"
                primitif. Les anciens moines, les tous premiers étaient
                attentifs à lire ce Livre que Dieu avait écrit pour eux.
                Ils contemplaient ce qu'ils appelaient les "logoï" des
                êtres, cette Parole qu'ils déchiffraient avec une
                attention jamais lassée. C'est dans le Livre de la
                nature, de l'univers, de la création qu'ils faisaient
                une bonne part de leur Lectio Divina. Mes frères, comme nos sens doivent être atrophiés
                aujourd'hui, nous qui n'y comprenons quasiment plus rien
                ! Mais le plus merveilleux n'est pas dit. Il a fallu que
                Jean nous l'apprenne. Dans le sein de Dieu, dans la
                profondeur des profondeurs, au lieu de l'inaccessible
                absolu, naît une "memra" unique, une Parole par laquelle
                Dieu se dit à lui-même qui il est. Et cette Parole qu'il se dit pour lui tout seul, elle
                est tellement vraie, tellement réelle, tellement
                adéquate à son être divin, qu'elle est une Personne, une
                Personne divine entièrement distincte de la Source et
                pourtant consubstantielle à elle. C'est de cette Parole
                première, de cette Parole divine qu'ont été envoyés,
                qu'ont germé toutes ces multitudes infinies de Paroles
                qui sont devenues la création que nous pouvons admirer
                aujourd'hui. Mais un jour, au jour fixé dans le projet divin, cette
                Parole divine, ce "memra" créateur - car rien de ce qui
                est, n'a été fait sans lui. Il est pour ainsi dire sorti
                hors de Dieu tout en ne le quittant pas - il a voulu, il
                a pris chair dans la chair d’une femme toute pure, d'une
                vierge. Et lui-même s'est fait chair. Il est devenu
                homme. Il est apparu aux regards de tous les hommes de son
                temps, de son pays, de son village, de sa famille. Dieu,
                homme parmi les hommes. Et par un retour extraordinaire
                des choses, il a permis que notre nature humaine accède
                au niveau du divin et que nous, chair, nous puissions
                devenir à part entière des dieux. Mes frères, l'Apôtre Jean nous dit : Nous avons vu sa
                gloire. Eh bien, nous ne sommes pas défavorisés par
                rapport à lui. Les yeux de notre coeur purifié peuvent
                aujourd'hui même, à cet instant dans notre assemblée,
                voir la Personne du Verbe Incarné, de ce Christ Jésus
                parvenu au terme de sa course à travers la mort et la
                résurrection. Lui qui est la Vie, lui qui est la Lumière
                du monde, il nous est donné à nous, si nous le voulons,
                de le regarder aujourd'hui des yeux de notre corps
                spirituel en voie de formation. Mes Frères, nous sommes greffés sur cette Personne
                divine. Avec elle, nous partageons, et la Vie, et le
                Corps, et la destinée, avec elle, si nous y consentons,
                nous travaillons à l'achèvement, à l'accomplissement de
                ce travail auquel Dieu se livre depuis la chiquenaude
                initiale ou le premier "memra" est sorti de sa bouche. Mes Frères, je voudrais que nous comprenions deux
                choses en cette fin d'année, à cette charnière entre
                deux années de notre vie. D'abord la noblesse de notre
                destinée. Et n'allons pas cracher sur elle ! Nous sommes
                des enfants de Dieu. Nous partageons la Vie divine. Nous
                sommes en voie de divinisation. Notre coeur peut devenir
                lumineux, rayonnant d'une pureté telle que la divinité
                qui l'habite transparaisse au dehors et puisse ainsi
                comme de proche en proche allumer toutes ces étincelles,
                les ranimer pour que un jour - encore une fois au jour
                voulu par Dieu - la création entière soit le vase qui
                laisse paraître, transparaître, éclater la gloire de
                Dieu. A ce moment, Dieu sera tout en tout et son" memra ", le
                Christ Jésus, sera le coeur du monde. Et nous, nous
                serons dans ce coeur la cellule qui lui donne joie, qui
                lui donne plénitude de bonheur. Et ensuite, mes frères, nous devrions comprendre que
                tout péché est une forme de mensonge. Lorsque je pèche,
                je mens à Dieu et je fais passer Dieu pour un
                menteur...ce qui est le sommet du sacrilège. Et je me
                mens à moi-même, car je renie mon être véritable, la
                vérité que je suis. Mes frères, il n'est rien de plus laid au monde que le
                mensonge, et tout péché est une forme de mensonge. Nous
                allons à nouveau dans cette Eucharistie revivre ces
                mystères de création, d'incarnation, de divinisation.
                Puissions-nous y entrer et ne jamais en sortir.Amen. 
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