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La Passion de Jésus

Abstract: La Passion ne nous enseigne rien sur la souffrance en général; elle ne nous parle que de cette partie de la souffrance qui naît par l'homme et est contingente. La méditation sur la Passion nous indique un idéal éthique à notre mesure.

La Passion, est une belle synthèse de l'imperfection originelle de l'homme social. Pas l'horreur d'un moment de l'histoire irrémédiablement consommé, l'horreur 'originelle' de tout groupe d'hommes, de la rudesse de la nature lorsque la culture ne la polit pas assez, lorsque l'intelligence ne la pense pas assez, lorsque la bonne volonté ne l'adoucit pas assez. Il ne s'agit pas ici de la fatalité; l'horreur mise à nu dans cet épisode de l'histoire était manifestement contingente; elle pouvait n'avoir pas existé si la réflexion et la gentillesse avaient prédominé.

N'entendons pas que la Passion résume toute la souffrance; elle ne résume que le mal. Après elle, il reste encore la maladie, la mort, les raz-de-marée, les tremblements de terre, etc.

La Passion c'est évidemment surtout et avant tout l'étalage de ce qui aurait pu et aurait dû ne jamais exister, de ce que la culture doit tenter de rendre improbable pour ne pas dire impossible: le cahier des charges du Christianisme.

Il y a un mystère derrière la mort et la maladie ou les catastrophes naturelles. Il y en a moins devant ce que la Passion circonscrit. Il ne s'agit pas ici de la désignation d'un travail réservé aux savants et aux puissants de ce monde pour rendre la vie meilleure, mais la désignation d'un combat que chacun de nous peut assumer.

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Jésus a vécu dans une époque rude et il y avait probablement peu d'hommes capables de mesurer ce qui le rendait exceptionnel. Ce qui est étrange, c'est qu'il a manifestement choisi de ne pas s'entourer de ce genre d'hommes d'exception avec qui il aurait peut-être pu «se reposer» intellectuellement. Il a préféré des paysans ou assimilables. Même Matthieu semble parfois très loin de pouvoir comprendre son mentor. Judas fut-il un peu plus à sa mesure? Nous ne le saurons jamais vraiment parce que la tournure de son destin a disqualifié et effacé son témoignage d'une manière irréversible. (Tout au plus, Matthieu laisse-t-il entendre à qui veut l'entendre que Judas fut plus qu'un monstre et plus qu'un simple paysan). Il y a Jean bien sûr, mais il n'était qu'un gamin à cette époque, comme le montre non seulement les synoptiques mais aussi son propre texte si on le lit attentivement.

Pourquoi Jésus a-t-il préféré s'entourer de paysans? Je ne suis pas en mesure de le comprendre. Mais il en résulte que ce qui a été transmis de son procès par l'histoire est énigmatique (et non mystérieux comme d'aucun essayerait de nous le faire croire). Peut-être est-ce justement ce que Jésus espérait: que nous n'entrions dans l'étoffe de ce meurtre que par le biais d'une démarche mentale active? «...Ne jetez pas vos perles aux porcs...»(Mt 7,6)

Les tenants et les aboutissants de ce moment clé de toute l'histoire de l'humanité devront donc soit être réservés aux «ruminants spirituels», soit être infantilisés dans une sordide affaire de vol, de méchants pharisiens jaloux, de Dieu le Père assoiffé de sang expiatoire. Il en résulte que si la Passion désigne par son envers un idéal pour tous les chrétiens, il y aurait une éthique à deux niveaux au moins. Au premier regard, c'est dommage. Cela n'a-t-il d'ailleurs pas conduit le christianisme à pourrir des siècles entiers dans une atmosphère vétéro-testamentaire désagréable qui ignora presque tout de l'importance révolutionnaire de «agape»? Au deuxième regard, on peut nuancer: le possible et l'impossible... la pédagogie progressive... etc.

Il y a pire encore; durant ma relecture de la Passion, j'ai remarqué que si j'ai vibré plus que de coutume à certains accents de la tragédie, je le dois à quelques résonances avec mon propre procès dont le côté dérisoire a été comme dessiné pour m'aider à mettre en abîme ce procès-là, celui du fondateur de ma religion. Je m'inquiète bien sûr -m'attriste plutôt- de ce que ma propre souffrance soit requise pour ressentir certaines dimensions de la souffrance de Jésus parce que cela signifie probablement qu'il eut suffit que je souffre plus pour comprendre plus. C'est un ordre des choses qui est déjà par lui-même déplaisant.

 

Chiangmai - Juillet 2008

 

Je vous propose de relire la Passion en partant chaque fois d'un thème qui lui est intimement lié: