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Version 1.02 - Décembre2016

Les Evangiles sexuels - Les eunuques du Royaume

Abstract: Jésus invite le chrétien à éviter une prise de position péremtoire en morale sexuelle...

Jésus n'a parlé de la sexualité pour elle-même qu'une seule fois. (Toutes les autres allusions évangéliques à la sexualité sont inscrites dans le cadre spécifique de l'adultère.) Ce texte clé est au début du chapitre 19 de Matthieu.

Le contexte de Mt19 est le suivant: alors que Jésus répète une fois encore qu'il faut être fidèle lorsqu'on est marié, ses disciples ont le toupet de répliquer qu'avec des règles aussi strictes il est peut-être préférable de ne jamais se marier (entendons ici qu'il serait préférable de n'avoir que des rapports sexuels entre célibataires). Jésus qui sent bien l'ironie agacée des disciples, répond du tac au tac avec cet amusant classement des eunuques (cet étrange coq-à- l'âne n'aurait aucune raison d'être sans l'esprit 'mal tourné' des disciples). Jésus ne répond ni par un «oui» ni par un «non». Il dit plutôt «attention!». Bref, Il dit:

"...il y a des eunuques qui le sont depuis le ventre de leur mère, il y en a qui le sont devenus par le fait des gens, et il y en a qui se sont rendus eux–mêmes eunuques à cause du règne des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne !" Mt 19,3-13 (voir contexte et autres traductions)

J'imagine que le propos fit rire. (C'est l'un des rares épisodes comiques des évangiles!) Mais, même si ce ne fut pas le cas, même si l'on préfère prendre la phrase au mot et hors contexte, il faut bien reconnaître que cette seule prise de position de Jésus en matière sexuelle est très maigre. Il ne dit pas que tous les habitants du Royaume sont des eunuques. Il ne dit même pas qu'il est préférable d'être eunuque pour entrer dans le Royaume. Il dit simplement que parfois (lorsque le respect qui est dû à toute personne le demande?...), il faut pouvoir renoncer à ses désirs. Or cette règle est aujourd'hui acceptée par tout le monde. C'était même probablement déjà une évidence pour l'auditoire de Jésus qui ne chercha donc pas entrer dans une polémique plus pointue. Tout homme digne de ce nom, libertin ou non, lui donne raison! Aucune théorie de la chasteté n'est réclamée ici; la gentillesse suffit.

Pour être complet, il faut aussi parler d'un autre passage des Evangiles où certains exégètes ont cru pouvoir lire une attaque de la sexualité en soi:

"Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme de façon à la désirer a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur." (Mt 5,27-28)

Autres traductions TOB - Semeur - Jérusalem - Colombe - Segond - Chouraki - Osty

Comme le mot "femme" utilisé ici peut signifier indifféremment "épouse" ou "personne du sexe féminin", certains ont cru pouvoir dire que le Christ condamnait le désir sexuel et donc, a fortiori, le plaisir sexuel.

Voir par exemple l'exégèse de Durand ("Evangile selon St. Matthieu", p.86 dans la 16ème édition(!) chez "Beau Chêsne Croît" en 1929) assez représentative d'un certain climat de l'époque.

Une exégèse plus exigeante tenant compte du contexte et de l'esprit général montre qu'une fois encore, c'est de la fidélité des époux et non de la morale sexuelle dont il est question ici. "Femme" doit être compris comme "épouse". Jésus ne demande pas l'impossible bien sûr. Dans cette partie du discours sur la montagne, Jésus s'efforce de reprendre les lois importantes du Judaïsme pour faire passer leurs exigences de la lettre à l'esprit. Toutes les grandes lois y passent et en ce compris le fameux 6ème commandement (Ex20,14). C'est dans le même esprit que la loi du talion devient la loi de la joue gauche et que l'amour du prochain devient l'amour de l'ennemi.

Lire par exemple Radermakers ("Au fil de l'évangile selon St. Matthieu", p.90, 1972, éditions I.E.T. )

On est encore et toujours dans une question morale qui peut se résoudre sans théorie de la chasteté. Jésus pousse toujours plus en avant la logique altruiste. Il faudrait être un tantinet torturé des psychés pour lire ici une condamnation de la chair.

Pourquoi alors la sexualité fut-elle l'objet d'une telle méfiance dans diverses Eglises chrétiennes? Pourquoi, quittant les Evangiles et les strictes nécessités de l'altruisme, en est-t-on arrivé au «péché de chair»?

Pour gagner en perspective, je vous propose de lire une brève synthèse historique de la doctrine de la Chasteté et du 'péché de chair' dans le catholicisme.

Ne cherchons pas midi à quatorze heures, la sexualité est de fait, avec la faim, la soif et le sommeil un des ennemis naturels les plus sérieux de la concentration spirituelle (et pas rien que spirituelle d'ailleurs!). Il est dès lors bien normal que le christianisme (comme quasi toutes les autres spiritualités) s'en préoccupe.

Notons que face à ce grand bouffon qu'est la sexualité, quelques rares spiritualités ont d'emblée accepté des compromis de cohabitation plus "généreux". En Orient, il semble que certaines branches du Tantrisme ou du Taoïsme par exemple ont fait de l'ennemi potentiel un puissant allié...

Il y a trop d'énergie sexuelle au regard du strict besoin de la fécondité; c'est un constat que tout le monde peut faire. Comment utiliser ces surplus?

Même si les évangiles ne se prononcent pas sur la question, l'esprit du Nouveau Testament ne prédispose pas aux manières les plus libérales. Cette dissociation d'esprit entre les évangiles et le reste du Nouveau Testament (épitres de Paul surtout!) invite à réadapter les exigences de l'Esprit (avec un grand "E") aux divers contextes culturels et, surtout, à la maturité des auditoires. Une méditation particulière sur les relations difficiles entre culture, maturité personnelle et spiritualité s'impose donc pour la sexualité exactement comme elle s'est imposée pour la circoncision ou les tabous alimentaires. (Dans ce site, un long article est spécifiquement dédié à cette question.)

 

paul yves wery - Bruxelles 1994

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