LE MUSÉE DES CADAVRES

(…) Au mouroir, on fait des cadavres incroyables. Des maigrichons qui auraient effrayé les résidents d'Auschwitz, quelques maladies de la peau très rares, des travelos squelettiques aux amples poitrines gonflées de silicone… Comme ils sont des milliers à passer par-là pour visiter, écouter des conférences sur le sida et faire des donations, un spécialiste en marketing a su faire comprendre aux autorités qu'un petit musée de la mort attirerait plus de donateurs encore. On consacra donc deux pièces à cette fonction. Une quinzaine de cadavres tout nus est exposée là, dans des aquariums bocaux de formol pour qui veut les voir. On essayait d'avoir les plus beaux et les plus rares spécimens mais, sur ce point, l'opération a échoué. Tous les pré-cadavres spectaculaires ne sont pas assez gâteux pour accepter d'améliorer la collection de nus!
En gros, on reste avec le capital de cadavres du départ : ceux qui avaient accepté et signé lorsque les salles d'expositions n'existaient pas encore. Ils ne savaient pas exactement de quoi il serait question et personne n'avait parlé de nudité.
Au capital de départ, on ajoute un enfant de temps en temps, parce que ça émeut plus facilement et parce que l'enfant, toujours orphelin bien sûr, n'est pas en mesure de s'opposer à la volonté du tuteur officiel qui est l'autorité du mouroir.

J'ai eu un malade en salle qui avait une tête de jésuite. Vous voyez le style n'est-ce pas ? Le corps droit, très sec, le visage dur comme le fer mais qui laisse savoir d'emblée qu'il n'est impitoyable qu'avec lui-même, jamais avec les autres. La rigueur faite chair quoi ! Oui, la rigueur de celui qui, parfois, donne des cours de morale, mais sans sombrer dans ces travers si fréquents chez nos ecclésiastiques d'autrefois : en lui, de toute évidence, aucun pharisaïsme.

Donc mon bon jésuite est en train de rendre l'âme en se desséchant plus et plus, sans jamais se plaindre. Il ne demande rien, parce qu'il doit expier. Il est certain, lui, d'avoir commis une faute morale, alors que les autres mâles agonisant à ses côtés semblent plutôt regretter une erreur technique…

Le manager vient coller un avis sur la couverture de son dossier : attention ! Pour lui, pas de crémation ! Qu'on s'en souvienne en temps utile !
Eh oui, le marabout voulait donner sa dernière leçon après sa mort : que sa faute, son péché soit exposé haut et fort pour que les jeunes générations comprennent mieux le chemin de la vraie vertu !

Puis il est mort. On l'a quand même envoyé au four, parce qu'il est mort trop tôt. Sa dépouille, certes déjà très maigre, n'était pas assez boutonneuse, siliconée ou tatouée pour susciter l'admiration. Il ne méritait pas le prix d'un embaumement. (...)

***

(...) Le moine supérieur est-il un grand spirituel ?


Comme tous les occidentaux, ma première tendance est de juger la valeur spirituelle des orientaux (Mahatma Gandhi, Dalaï-Lama, et autres Ayatollah Khomeyni) à partir du critère judéo-chrétien de compassion ou celui de la sagesse intellectuelle. Mais j'ai assez voyagé maintenant pour me rendre compte que ces critères ne sont pas les seuls possibles.

De fait, ce bonze a d'abord été pour moi un grand spirituel de la charité, puisqu'il insufflait de la compassion dans un peuple qui en était dépourvu.
Puis, je l'ai considéré comme un monstre d'ambiguïté, puisqu'il était aussi capable de faire des statuettes avec les os de ses protégés et d'exposerleurs cadavres dans un musée…

En observant le comportement de son peuple devant ces statuettes et ces cadavres, j'ai dû revoir ma position. Pas de scandale, pas de mouvement de presse, pas même de l'étonnement dans les classes les plus instruites de la population… juste quelques timides remontrances parmi les plus occidentalisés d'entre eux.
N'étais-je pas plutôt moi-même victime de ce sentimentalisme débridé et morbide qui caractérise aujourd'hui les cultures occidentales ? D'autres grandes civilisations ont embaumé des morts et fait flûtes en tibias. Après tout, même l'univers judéo-chrétien a ses momies, ses reliques et autres bouts de morts sous verre qui sont exposés voire vénérés… Ce qui m'avait choqué, en fait, ce n'était pas tant les statuettes que la possibilité de ceux qui vivaient encore de voir ce qu'ils seraient quelques jours ou quelques semaines plus tard… Oui ! Ce qui me choquait, c'était de voir que tout ce peuple-là, y compris les agonisants, pouvait avoir ce grand détachement par rapport à la mort elle-même, alors que nous croupissons dans des angoisses irrésolues.

En ce qui concerne la valeur spirituelle du moine, je dois donc me plier au jugement des siens : son peuple, toutes classes confondues, le vénère. L'élite religieuse de son pays lui accorde des titres de plus en plus ronflants. Il m'est juste permis d'essayer de comprendre pourquoi. Si je l'ai détesté parfois, justement à cause de ses statuettes faites avec mes patients, aujourd'hui je le respecte et l'admire, comme tous ceux qui savent rappeler aux Occidentaux qu'ils ne sont pas les détenteurs de valeurs absolues. Il a raison contre nous puisque son peuple sourit plus que le mien. J'en sais trop déjà sur cette culture pour pouvoir me contenter d'un jugement de touriste. (...)

Photos (fr+en)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Click here to send remarks, suggestions, corrections

Click here to go to the Protocols Table

Table Française

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

_______________________________________

paul yves wery - aidspreventionpro@gmail.com

aids-hospice.com & prevaids.org& stylite.net