"La libre-Match" & "Paris Match"

03-12-2003

 

Quelques photos "choc"...

A130 kilomètres de Bangkok, un temple qui recueille les victimes s'est transformé en centre d'attractions: momies des morts, orchestre de malades... Un seul bouquet et une poignée de bâtons d'encens pour honorer des centaines de défunts, des sacs en toile de jute contenant les cendres des corps incinérés sont empilés près du crématorium du Wat Phra Bat Nam Phu, à la fois temple bouddhiste et mouroir.
PHOTOS BENOIT GYSEMBERGH

Le texte:


Cet étrange monument improvise aux morts du sida attire les touristes en mal de sensations fortes. Depuis 1992, à Lopburi, un moine n'hésite pas à donner l'agonie en spectacle pour recueillir des dons et faire prospérer son institution. Mais il est aussi l'un des rares à offrir un asile aux malades du sida, rejetés par leurs familles et encore mal tolérés dans les hôpitaux. C'est dans la zone Asie Pacifique que le virus s'est répandu avec le plus de virulence au cours des dernières années. Près de 7 millions de personnes y vivent avec le V.I.H., 700 000 en Thaïlande. Cet aspect de la redoutable propagation de l'épidémie sera au cœur d'un forum organise par l'Unesco en partenariat avec Paris Match, le 1er décembre, à l'occasion de la Journée mondiale du sida.

Le Dr Yves ? - Là-bas, dans le bâtiment du fond." Quand le gardien lève la barrière, le visiteur a l'impression de pénétrer dans un camp de vacances. Les allées sont dégagées, l'environnement est verdoyant et bien entretenu. Du bâtiment indiqué sort avec hésitation un homme maigre, vêtu seulement d'un tee-shirt et d'une couche-culotte. En chancelant, il se dirige vers le petit kiosque bâti près de l'entrée, qui vend tout ce que vendent les gargotes de Thaïlande : de la soupe, des boissons gazeuses et toutes sortes de snacks à grignoter. Dans la grande salle d'ou il est sorti, une trentaine de lits d'hôpital sont occupés par des hommes et des femmes encore jeunes, squelettiques, tous affubles de couches-culottes, il n'y a pas de matériel médical, pas la moindre perfusion pour ces malades qui ne cessent de cracher et de vomir dans des écuelles. Des chiens se promènent autour des lits. Une toute petite aide-soignante s'affaire sur un patient et, au fond de la salle, deux Occidentaux, la bouche protégée par un masque, pratiquent des massages.
Le Dr Yves Wéry apparaît alors, en blouse blanche. " Bienvenue dans ce dépotoir." Ce " dépotoir ", le Wat (temple bouddhiste) PhraBatNamPhu, n'est pas un hôpital mais un mouroir. Tout comme nos hospices du Moyen Age, celui de Mère Teresa à Calcutta ou celui de Lotti Latrous à Abidjan. Ici, on ne soigne pas. Par la foi et par l'équivalent de quelques cachets d'aspirine pour atténuer la douleur, on prépare les moribonds à faire le voyage de l'autre cote. C'est tout. Les lits sont tous occupés par des malades du sida. En plus des maladies opportunistes classiques comme la tuberculose, on trouve ici tout ce que peut provoquer le virus sur des populations fragiles et sans soins : démences qui obligent à attacher le malade, cécité, psoriasis ou gale avec des croûtes d'un demi-centimètre d'épaisseur. La nuit tombe sur le temple. Ceux qui sont encore valides profitent de la fraîcheur pour faire, dans le jardin, quelques mouvements de gymnastique ou quelques tours de piste, autour du crematorium. A 19 heures arrive le moment de la méditation et des prières et, pour Yves, celui de raconter l'histoire de ce temple-mouroir.
II y a un peu plus de dix ans, afin de préserver son Industrie touristique, la Thaïlande ne voulait pas parler du sida. Mais face à l'ampleur grandissante de la pandémie, les autorités ont fini par lancer une campagne de prévention. L'opération a entraîné des dommages collatéraux: tous ceux qui semblaient présenter les symptômes de cette maladie transmissible - et alors incurable - ont été rejetés par leurs familles, leurs voisins ou leurs clients. Des milliers de malades se sont retrouves à la rue. Les hôpitaux les rejetaient. Médecins et infirmières étaient terrorisés. On leur donnait à manger une gamelle de riz, poussée au fond du couloir à l'aide d'un bâton.
Jusqu'a ce jour de 1992, où le moine Alangkot, ancien ingénieur en travaux publics formé en Australie, s'installe à Lopburi, une petite ville à 130 kilomètres au nord de Bangkok. II y découvre la misère des pestiférés du sida. II est le premier à les accepter et même à les toucher. II leur aménage huit lits. Les voisins protestent, la presse en parle. II devient tout à coup un phénomène. Les riches Thaïs envoient des dons. L'argent afflue. II fait construire de nombreux bâtiments, inutiles, parce que aucun médecin, aucune infirmière, n'ose venir travailler ici. Venu de Belgique, le Dr Yves Wéry arrive en l'an 2000. II vient d'hériter d'une maison à Bruxelles et sa location lui permet de rester ici comme volontaire, sans salaire. II explique : " Les malades venaient de plus en plus nombreux. On se débarrassait d'un fils, d'une fille, comme d'autres iraient jeter un vieux frigo chez le ferrailleur. Des enfants abandonnaient leur mère qui ne comprenait pas."
Les débuts sont difficiles : pas de quoi faire une radiographie, ni la moindre analyse sanguine. Les hôpitaux rechignent à travailler pour cet endroit tout juste toléré. II est soutenu par une poignée d'aides-soignantes et, parfois, des Occidentaux de passage, de bonne volonté mais souvent incompétents. L'argent, pourtant, ne cesse d'affluer. La mégalomanie s'empare du moine Alangkot, qui continue à faire construire.
Les touristes thaïlandais viennent aujourd'hui à Lopburi pour ses deux attractions: des hordes de singes et le temple. Le bon moine Alangkot a la bosse du commerce : pour attirer les visiteurs et leurs dons, il ouvre les mouroirs. Les Caméscopes tournent à plein régime, filmant les familles et les mourants. Dans les jardins, des artistes exposent leurs œuvres faites à partir de poudre d'os. Une quinzaine de cadavres, dont ceux d'un bébé et d'une célèbre transsexuelle, reposent nus, dans des aquariums remplis de formol ou bien desséchés sur un étal. Dans la pièce d'à côté sont exposés des centaines de petits sacs - 30 centimètres de côté -, en jute blanc, qui renferment les cendres ou les restes qui n'ont pu être calcinés de quelques-uns des 500 morts annuels. Leur famille est inconnue ou bien le facteur charge de distribuer le funèbre courrier n'a pas trouve l'adresse. Parfois, le HIV Band, un orchestre de malades, donne un spectacle ou part en tournée, lorsque les musiciens ne sont pas trop faibles.
Si cet étalage paraît sordide pour un esprit occidental, il ne l'est pas pour un Thaïlandais. Les Occidentaux ont bien souvent honte de faire l'aumône, les Thaïlandais, comme les Chinois, en sont fiers. Ils tiennent à ce que cela se sache.
Yves, comme tout médecin, pense que ce genre d'endroit ne devrait plus exister. Ces quatre années ont été très dures : il a attrape la gale, une tuberculose, fait une dépression nerveuse. Pourtant, il reste. Que deviendrait ce mouroir si personne n'était capable de distribuer à bon escient les médicaments qui parviennent ici ? Cet endroit dantesque lui permet aussi de découvrir de nouvelles maladies que développent ces corps contamines, et qui n'existent pas en Occident, il diffuse ses observations sur son site, www.aids-hospice.com, visité dans le monde entier par les chercheurs.
La bonne nouvelle est que la Thaïlande a pris le problème au sérieux et fait un véritable effort pour affronter le fléau. En prévision de la réunion mondiale sur le sida, qu'elle accueillera dans quelques mois, le pays ravale sa façade. Depuis octobre, le ministère de la Santé oblige les hôpitaux à recevoir les malades, et 55 000 traitements trithérapiques leur seront distribues gratuitement. Cinquante-cinq mille, le nombre "officiel" des décès dus au sida l'an passe.
A cinq heures de route de Lopburi, la station balnéaire de Pattaya traîne depuis bien longtemps une réputation sulfureuse. Dans le soi (ruelle) 10, perpendiculaire à Beach Road, à 50 mètres de la plage, des gens poussent discrètement un portail vert et vont s'asseoir sous une véranda, sur des bancs de pierre. La maison d'un étage du Dr Philippe Seur est modeste. La cinquantaine, les cheveux blancs, ce médecin parisien a baroudé toute sa vie. En 1995, il vient de passer douze années sur les chantiers d'Arabie Saoudite et a amassé un bon pécule, il fait alors un tour du monde pour trouver un coin ou poser son sac. II choisit la Thaïlande. En 1998, il découvre que l'un de ses amis thaïlandais est atteint du sida. II le soigne et réussit à le sauver grâce aux tout nouveaux et très chers antiretroviraux. Le bouche-à-oreille fonctionne et sa petite maison finit par devenir un havre d'espérance. Le rez-de-chaussée tient du capharnaüm: le bureau croule sous des piles de documentation, les flacons remplacent les casseroles dans le coin cuisine. Assis à même le sol, le médecin interroge en thaï le malade qui apporte ses dernières analyses effectuées à l'hôpital. Le poids s'est amélioré, les lymphocytes C.d.4 ont augmente, pas d'allergie, pas d'intolérance, pas d'effets secondaires : une tri-thérapie classique qui semble efficace. Ce patient, le 814ème répertorié dans l'ordinateur, réagit bien.
Sur la vingtaine d'antiretroviraux qui existent dans le monde pour concocter un " cocktail" tri-therapique, la Thaïlande en fabrique cinq sous forme générique. Alors qu'un traitement dans un pays occidental coûte entre 500 et 1500 euros par mois, le traitement ne coûte ici, grâce à cette production locale, que 25 euros par mois. Le salaire moyen est de 100 euros. Cela pourrait fonctionner si le conjoint et les enfants n'étaient pas eux aussi infectés, ce qui est très souvent le cas. De plus, quand le " cocktail" classique générique ne convient pas ou plus, il faut utiliser des antiretroviraux non génériques, fabriques exclusivement par les pays riches, chers, beaucoup trop chers. C'est là qu'intervient aussi Philippe Seur, il s'est associé avec une femme médecin thaïlandais, le Dr Jureerat, pour créer une association, Heartt 2000, qui récolte des fonds (philthai@hotmail.com). Certains soirs, il se rend à des " charity dinners" organisés par une entreprise ou par une association gay de Pattaya. Des O.n.g. comme M.s.f. ou des hôpitaux français dont les patients ne supportent plus un antiretroviral lui envoient ce qu'il reste du traitement présent. Le médecin ne fait évidemment pas payer la consultation. Le malade donne ce qu'il peut, s'il le peut. Souvent, rien.
Philippe Seur explique de sa voix douce comment prendre les médicaments. II fait répéter une fois le malade, puis les membres de sa famille. Et une fois encore. Les sourires s'élargissent en même temps que l'espoir grandit et les flacons de pilules, préparés dans la cuisine par deux assistants, eux aussi malades, disparaissent au fond du sac. En rendant le salut thaï à ses visiteurs, les deux mains portées au visage, le médecin murmure : " Je cours un véritable marathon, je sauve ceux que je peux. Hélas, je dois faire un choix. Ici, c'est un peu la liste de Schindler!"
Phnom Penh. Hôpital Norodom Sihanouk. Service d'épidémiologie. " Décès ". Une voix annonce la nouvelle avec autant d'émotion qu'un chef de gare signale le départ d'un train. Accompagne d'un homologue khmer, Marcelo Fernandez, un médecin argentin travaillant pour M.s.f., parcourt le couloir du bâtiment d'un étage. D'un côté, il y a les chambres, de l'autre, la vue sur les hautes herbes et le tas d'ordures nauséabondes de l'hôpital. Un infirmier leur indique un lit. Une toute jeune fille est assise aux pieds de l'homme qui vient de mourir d'une forme de méningite, maladie opportuniste du sida. Marcelo pose quelques instants son stéthoscope sur le coeur et ferme les yeux de l'homme. La jeune fille pleure tandis que le grand Marcelo passe son bras autour de ses frêles épaules pour l'emmener dans le couloir. La pluie s'est transformée en déluge et la voix de la petite est à peine audible. Elle tient à remercier les médecins, les infirmières, les autres malades et leurs familles qui ont parfois nourri son père quand elle n'était pas là. Elle n'oublie personne. Aidée par d'autres malades, elle glisse dans les mains de son père des bâtons d'encens et quelques riels, la monnaie locale, en guise de viatique pour le dernier voyage.
Comme la Thaïlande, le Cambodge a décidé de prendre des mesures pour enrayer la pandémie. Mais avec quel argent ? Les bailleurs de fonds institutionnels préfèrent investir dans la prévention. Seules quelques O.n.g. comme M.s.f. commencent à développer les soins, à utiliser la tritherapie et surtout à former les médecins khmers à son usage. Pour les convaincre, M.s.f. triple leur salaire de misère. Le programme est modeste au regard des chiffres -moins de 100 lits pour 40 000 malades, 200 000 personnes infectées par le H.i.v. et 20 000 morts cette année - mais il a le mérite de produire un nouveau chiffre : en juillet 2001, 862 patients ont bénéficié d'une trithérapie; 83% sont encore en vie. Lorsqu'on les soigne, les pauvres ont autant de chances que les riches de continuer à vivre.
Le traitement du sida n'est qu'une histoire de protectionnisme et de gros sous pour les sociétés pharmaceutiques. II est vrai qu'elles investissent dans la recherche. Mais ceci ne justifie pas cela. Au tribunal de l'Histoire, les pays riches pourraient bien être condamnés pour non-assistance à personnes en danger. o

"SIDA ANNEE 24: MOBILISATION SOB TOUS US TERRAINS"
Le forum organisé par l'Unesco et parrainé par Paris Match est présidé par Koichiro Matsuura, directeur général de ('Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, et anime par notre consoeur Sabine de la Brosse. II se tiendra le lundi 1er décembre 2003, à 14 h 30, à la Maison de l'Unesco (salle I), 125, avenue de Suffren, Paris VIIè. Inscription au 0145 68 0516 ou e.huber@unesco.org

La mort exhibée dans le temple PhraBatNamPhu, la Thaïlande n'en veut plus. Elle refuse d'utiliser les victimes comme des repoussoirs. Des efforts importants sont consentis pour éradiquer la peur qu'inspirent les malades, les faire accepter dans les services hospitaliers et former le personnel soignant. De l'autre côté de la frontière, au Cambodge, même objectif. Le sida est arrivé à Phnom Penh en 1993, avec les prostituées venues se mettre au service des 25 000 " soldats de la paix" de l'Onu. Depuis, malgré des données épidémiologiques imprécises, le Cambodge est considéré comme l'un des pays d'Asie du Sud-est les plus touchés. Les femmes et les enfants sont les plus menacés, à cause des tabous culturels, de la polygamie, de la prostitution et de la drogue. Les organisations humanitaires présentes sur le terrain estiment que, si rien n'est fait, 35 000 Cambodgiennes seront mortes du sida en 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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